Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

sexisme

  • Une bourge

    brisac,les enchanteurs,récit,études,travail,édition,culture,sexisme« J’allume une cigarette. Tout pèse soudain une tonne.
    En plus tu fumes. Tu fumes alors que tu es enceinte ?
    Sa méchanceté est comme une aile qui bat au-dessus de ma tête.
    Tu es chouchoutée et tu ne t’en rends même pas compte. C’est ça, les filles de luxe, les jewish princesses, on est aux petits soins et elles se plaignent, c’est ce qu’on m’avait dit à ton sujet, mais je ne voulais pas le croire. Une bourge.
    La question s’est encore coincée dans ma gorge, qui, on ?
    Je m’accroche à cette fichue branche : la positive attitude.
    Non, je t’assure, ça me va très bien. J’aime beaucoup le gris des murs. On dirait… les mots qui me viennent, je ne peux pas les dire. Je posais juste une question.
    Evite les questions, Nouk, tu ne t’en porteras que mieux, conclut-il, avant de filer vers l’autre monde, l’ensoleillé, le vrai, le paradis au bout du couloir, avec ses pluies de lumière.
    Il repart, content de sa séance de dressage, et je commence à installer mes affaires. »

    Geneviève Brisac, Les Enchanteurs

  • Nouk au bureau

    Revoici Nouk, l’héroïne de Petite et de Week-end de chasse à la mère (1996), dans Les enchanteurs (2022) de Geneviève Brisac (°1951). Il semble cette fois que Nouk – « Nouk, c’est le nom de la fille » – est bien son double. On reconnaît sa trajectoire, de l’Ecole Normale supérieure à un parcours dans l’édition. Dès le début, « elle » et « je » se côtoient : « Le cœur battant, le cœur lourd, elle remplit le coffre de sa voiture. Je la vois de dos pour le moment. Un dos étroit, des cheveux fous. » Plus loin, de cette femme qui vient de perdre son emploi, elle écrit : « C’est moi. Je me vois. »

    brisac,les enchanteurs,récit,études,travail,édition,culture,sexisme

    Au début des études de Nouk, une seule nuit dans le « couvent » de Fontenay l’a fait fuir. Boursière, devenue « militante à plein temps », elle se met à imprimer des tracts avec Berg « aux yeux verts » et bientôt ils vivent ensemble. « Comme tant d’autres, convaincus de jouer une partie décisive avec l’histoire de leur temps, Nouk consacre ses journées à défendre le peuple chilien contre les attaques fascistes, bataille perdue ô combien. »

    Quand une lettre officielle lui rappelle que « toute élève de l’Ecole » doit passer le concours de l’agrégation, elle prend le RER, suit des cours, lit, prend des notes, étudie, tout en menant un nouveau combat. « C’est le temps des réunions de femmes », du féminisme. Nouk obtient l’agrégation. Puis sans transition ni explication, au chapitre deux, la voilà internée. On la dit méchante, un « danger » pour les autres. Libérée après quelques mois, elle a compris que pour survivre, « il ne faut ni obéir, ni désobéir, il faut ruser. »

    Quelques années plus tard, licenciée une première fois – « je suis celle qui trouble la vie de bureau par ses manigances » –, elle se récite son mantra : « Observe. Tout existe pour être raconté. Tu es humaine. » Elle se souvient de sa première rencontre avec Olaf quand elle était au chômage et enceinte. Cet autodidacte avait lancé L’Equipée« des livres de mer et de marins » – et lui avait dit qu’ils se reverraient.

    Après la naissance du bébé, il lui téléphone pour prendre de ses nouvelles. Il s’est renseigné : elle a bonne réputation, elle est « bosseuse », il la veut dans son équipe et lui donne le numéro de Morel qui « s’occupe de tout ». Au rendez-vous, Morel et l’autre bras droit d’Olaf cherchent à la dissuader. Ce n’est pas un job pour elle, « Olaf adore embaucher des petites meufs comme toi », « ses petits culs » ; elle est trop bourgeoise, « avec un bébé en plus » ; eux n’aiment pas son genre « de petite pute ». Refusant de se laisser intimider, quelques jours après, elle signe.

    Dans « le harem d’Olaf », elle subit le bizutage des « Indiennes » (les jeunes employées) et les jalousies, mais s’accroche, se croit « plus forte et plus maligne », se montre indifférente aux regards méprisants. Seul compte Olaf avec ses regards, ses appels. Elle est « la favorite », elle dîne et voyage avec lui.

    Son employeur suivant, Werther, un grand éditeur, adore les cafés, adore parler. Il aime qu’on l’écoute. Elle est à nouveau enceinte. Son nouveau bureau la déçoit, dans le local du fond, repeint après le suicide de son prédécesseur. Personne ne lui parle, sauf Werther. Nouk vit à Paris avec ses filles, Iris et Rose – réveils nocturnes, crèche, maladies enfantines. Berg vit à Marseille.

    « La vie de Nouk à sa grande surprise est désormais une vie d’employée de maison d’édition comme les autres, routinière et prévisible. Employée avec enfants. Elle n’avait pas imaginé cela, mais elle s’y est habituée très vite. Il suffit de ne penser à rien, sinon aux choses à faire. » Malgré sa bonne relation avec Werther, qu’elle accompagne même à la piscine, qui l’emmène manger dans des endroits agréables, sa vie professionnelle paraît constamment menacée par des rumeurs hostiles.

    Dans La Libre Belgique, Monique Verdussen estime que « Les Enchanteurs, par-delà une expérience où le désenchantement ne se refuse pas à la mélancolie, en appelle à une résistance résolue, soutenue par un joyeux élan vers la vie. Une écriture simple, le sens du détail mais de l’ellipse, une saine colère s’offrent, en prime, le plaisir de batifoler parmi les écrivains et les poètes. » Pour ma part, j’ai été gênée par la structure lâche du récit, les retours fréquents à la ligne, les phrases souvent basiques. 

    Les enchanteurs, pour Nouk, ce sont d’abord Olaf et puis Werther, son mentor. Mais leurs jeux du pouvoir et du sexe ne laissent aux femmes que des rôles d’intrigantes ou de jalouses. On est effaré des comportements méprisants, égocentriques et carrément sexistes qui font l’ordinaire de son milieu de travail. Selon Les Inrockuptibles, Geneviève Brisac a écrit là « Une chronique de la misogynie ordinaire doublée d’un roman d’initiation autobiographique subtil et féministe, drôle et mélancolique. »

  • Rideaux

    Olfsdottir Miss Islande.jpg« Pendant que Jon John coud les rideaux qui occulteront la lucarne de la rue Skolavördustigur,  je travaille assise sur le lit, la machine à écrire posée sur la table de chevet. Nous avançons au même rythme : quand j’achève mon chapitre, il me tend les rideaux soigneusement pliés. C’est lui qui a acheté le tissu. Ils sont orange à carreaux violets, le bas est orné d’une bande de dentelle froncée. Il range sa machine à coudre dans l’armoire et me libère la table.
    Je lui souris et je place une nouvelle feuille sur le cylindre de ma Remington.
    Debout derrière moi, il me regarde écrire.
     Je suis dans ton histoire ?
     Tu es à la fois dedans et en dehors.
     Je n’appartiens à aucune catégorie, Hekla. Je compte pour du beurre. »

    Auður Ava Ólafsdóttir, Miss Islande

  • Miss Volcan

    Eden, un coup de cœur, m’a donné envie d’ouvrir un autre roman d’Auður Ava Ólafsdóttir. Miss Islande (traduit de l’islandais par Éric Boury), ce pourrait être Hekla, à qui son père a donné le nom d’un volcan islandais, contre l’avis de sa mère qui détestait la lave. Quand il est entré en éruption quatre ans et demi après la naissance d’Hekla, son père, passionné d’éruptions volcaniques, l’a emmenée avec lui pour l’observer d’une vallée assez proche – voyage qui, selon la mère d’Hekla, l’a « transformée » pour la vie. La romancière (°1958) a dédié  à la mémoire de ses parents ce roman qui a pour thème principal l’émancipation par l’écriture.

    Olafsdottir Kjarval.jpg
    © Jóhannes Sveinsson Kjarval  (1885–1972) (source)

    En 1963, à vingt et un ans, Hekla quitte la ferme familiale et prend l’autocar pour Reykjavik. En route, elle lit Ulysse de Joyce en anglais, elle s’aide d’un dictionnaire et note de temps en temps quelque chose dans son carnet. Après une halte dans un relais routier près d’une station baleinière, un homme « d’âge mûr » lui demande s’il peut s’asseoir près d’elle. Il lui parle de baleines et de cachalots puis, comme elle ne réagit pas, lui demande carrément son prénom et si elle a un amoureux. En fait, cet homme d’affaires appartient au comité qui organise chaque année un concours de beauté, il l’invite « à briguer le titre de Miss Islande », proposition qu’elle décline immédiatement.

    Sa première visite est pour sa meilleure amie, Isey, qui lui présente son bébé. Heureuse d’être mère, elle supporte mal d’être tout le temps seule avec sa fille. Son mari travaille sur des chantiers routiers. Aux murs, Hekla remarque deux grands tableaux, des Kjarval qu’Isey a reçus de sa belle-mère. Isey aime les contempler : « Il y a une telle lumière en eux. » Hekla occupera la chambre de son ami Jon John pendant qu’il est en mer, le temps de trouver un travail et un endroit où s’installer.

    Convaincue depuis toujours qu’Hekla deviendrait « écrivain », Isey écrit aussi dans son journal intime sur le peu qui se passe ou ce qui ne se passe pas, sur ce que les gens disent ou ne disent pas (elle cache le cahier dans un seau pour que Lydur, son mari, ne le trouve pas). Dans le fond de la tasse de café de son amie, elle voit « deux hommes » : « Tu en aimes un et tu couches avec l’autre. »

    A son retour, on fera connaissance avec David Jon John Johnsson, « encore plus beau qu’avant », épuisé par le mal de mer qui l’empêchait même de dormir sur le chalutier et surtout par tout ce que les autres lui ont fait subir après avoir compris qu’il était « différent ». Lui aussi a une passion dont il voudrait faire son métier : la couture. Dans la chambre qu’il loue sous les combles, il range sa machine à coudre pour faire de la place à la machine à écrire d’Hekla. Il lui a rapporté de Grande-Bretagne plusieurs vêtements et une paire de bottes.

    Jon John est un « accident », sa mère n’a couché qu’une seule fois avec son père, parti sans laisser d’adresse. Lui aussi aime lire, Hekla regarde ses livres, s’étonne d’en découvrir qui ont été écrits par des femmes – sa « bibliothèque homo », dit-il, avant de citer Garcia Lorca, son poète préféré. A Reykjavik, « la plupart des hommes qui aiment les garçons sont pères de famille ». Hekla et lui se sont connus à l’adolescence, il a été « le premier » pour elle, même s’ils n’ont pas vraiment fait l’amour. Il est son meilleur ami. A lui, elle avait osé confier qu’elle écrivait tous les jours. « Chacun gardait le secret de l’autre. »

    Engagée comme fille de salle dans un hôtel-restaurant, Hekla doit constamment se défendre des avances et des regards masculins, à son travail ou dans la rue. Rentrer le soir est un soulagement : « La joie d’être vivante et de savoir que je rentre chez moi pour écrire. » L’homme de « l’Académie de la beauté » revient à la charge au restaurant, avec de belles promesses, fausses comme l’en a avertie une ancienne candidate. Sans succès.

    Quand elle rencontre un séduisant poète, bibliothécaire à mi-temps, les sujets de conversation ne manquent pas et bientôt elle couche avec lui. Mais elle ne lui dit pas qu’elle écrit, elle aussi, ni qu’elle a déjà été publiée sous pseudonyme. Selon son amie Isey, « les femmes doivent choisir » : avoir un petit ami ou écrire des livres. Hekla a envie des deux. Mais en Islande, « poète » ne s’emploie qu’au masculin.

    Miss Islande raconte la vie de ces jeunes gens et leur manière de s’engager dans le travail et dans les relations. Bien sûr, Auður Ava Ólafsdóttir décrit la société dans laquelle ils évoluent, l’ambiance autour d’eux, les préjugés. Il est souvent question de livres et d’écriture dans ce roman, de la beauté et de la liberté, des choix de vie qui s’imposent à un moment ou à un autre. Rester en Islande ou partir à l’étranger ? Assez prévisible, Miss Islande m’a laissée un peu sur ma faim, mais le roman est agréable à lire. Prix Médicis étranger 2019.

  • Colère

    Steinem Actions & rébellions.jpg« Comme vous le voyez, à relire ces pages, la colère me gagne quand je constate le peu de changement ou les réactions violentes suscitées par ces tentatives de changement. Mais la colère est comme une batterie, un réservoir d’énergie pour l’action. J’espère que vous accueillez et utilisez tout ce que vous pouvez éprouver. C’est uniquement quand elle est réprimée et retournée contre soi que la colère se transforme en amertume ou conduit à la dépression, et les preuves ici ne manquent pas qui démontrent que l’action constitue un antidote puissant à ces émotions, en plus d’être la seule voie pour progresser. »

    Gloria Steinem, Préface de 1995 à la deuxième édition d’Actions scandaleuses et rébellions quotidiennes.

    ***

    Nafi Belgaimage-37618775-1024x673.jpgP.-S. Un coup de chapeau à la combativité sportive de Nafissatou Thiam, une athlète dont j’admire le parcours depuis sa victoire olympique à Rio en 2016.


    Voici Nafi à nouveau médaille d’or de l’heptathlon aux Championnats du monde 2022 (Eugene, Oregon, Etats-Unis), à 27 ans !

    Nafissatou Thiam le 18 juillet 2022 après sa victoire à Eugene @ BelgaImage (Source : Moustique)