Actions scandaleuses et rébellions quotidiennes de Gloria Steinem – « le texte fondateur de la plus célèbre des féministes américaines » – est disponible en français depuis 2018, traduit de l’américain par Mona de Pracontal, Alexandre Lassalle, Laurence Richard et Hélène Cohen.
Grande référence, par exemple dans Sorcières de Mona Chollet, Gloria Steinem, née en 1934 dans l’Ohio, a commencé à signer des articles en tant que journaliste, avant de devenir conférencière et d’œuvrer à la diffusion du message féministe. Au début des années 1970, elle a fondé Ms Magazine avec l’avocate Dorothy Pitman Hughes. « Gloria a un vrai talent pour trouver les mots justes, ceux qui résonnent en nous », écrit l’actrice Emma Watson dans la préface.
Actions & Rébellions rassemble des textes des années soixante aux années quatre-vingts, durant la deuxième vague féministe. Dans sa Note aux lectrices et lecteurs français, l’autrice se réjouit qu’un nouveau lectorat accède à ces textes, tout en regrettant qu’ils restent d’actualité pour la plupart. « Nous vivons une époque dangereuse », écrit-elle en s’inquiétant des dérives de l’information via des médias « aux mains d’annonceurs » et de l’argent versé massivement à des groupes racistes ou religieux conservateurs.
« Depuis que la Cour suprême a reconnu en 1973 l’avortement comme un droit constitutionnel, les féministes travaillant spécifiquement sur les questions de liberté de procréation et les rares journalistes enquêtant sur l’ultra-droite n’ont eu de cesse de sonner l’alarme face à des attaques de plus en plus pernicieuses » : ses craintes et son analyse, dont un large extrait est repris dans le Nouvel Obs, viennent d’être confirmées par la décision de la Cour suprême à présent dominée par des juges très conservateurs. J’y reviendrai à la fin de ce billet.
Dans Une vie entre les lignes (1983, inédit), Gloria Steinem revient sur son parcours d’écriture et d’activité féministe, en insistant sur l’importance de constituer des équipes « interraciales » pour que toutes les femmes participent aux discussions et au combat. Elle a fait équipe d’abord avec Dorothy Pitman Hughes, puis avec Florynce Kennedy et enfin avec Margaret Sloan : des années de « déplacements en tandem », « exposées aux regards et à la désapprobation », mais aussi soutenues par un public nombreux et varié. Il lui a fallu apprendre à surmonter sa peur de parler en public.
« J’ai été une Playboy Bunny » raconte son engagement, sous un faux nom, dans un club new-yorkais. Du 24 janvier au 22 février 1963, elle tient le journal de cette immersion et rend compte des règles imposées aux femmes qui y travaillent, de la manière dont elles sont traitées, des retraits de points selon les infractions, des salaires décevants. Cela lui a valu un procès en diffamation qui s’est soldé par un arrangement à l’amiable négocié par le journal et la perte de commande d’articles sérieux « car désormais [elle était] devenue une Bunny ».
Affiche du film américain réalisé par Julie Taymor sur la vie de Gloria Steinem (2020)
Puis elle a suivi les campagnes électorales d’hommes politiques démocrates. En campagne compile des extraits. Souvent, elle était bénévole dans des tâches subalternes, « comme les autres femmes », puis elle prend conscience que « toute relation de pouvoir dans la vie est politique ». Elle décide alors de suivre les réunions de femmes courageuses et convaincues « qu’un mouvement dirigé par des femmes contre le sexisme était une nécessité ».
Devenue déléguée de Shirley Chisholm, « presque la seule à se focaliser sur les problématiques des femmes et celles d’autres groupes privés de pouvoir », elle assiste à une réunion entre des membres du National Women’s Political Caucus et McGovern à Washington. Le sujet de l’avortement est le plus sensible. Sa formulation concernant « la liberté de reproduction et la liberté sexuelle de tout citoyen américain » sera défendue par le NWPC à la convention de 1972.
« Jamais plus les femmes ne seront en politique que des êtres sans cervelle bonnes uniquement à faire le café ou des journalistes dépourvues d’assurance, incapables de voir cette moitié du monde qui est la leur. Le dirigeant parfait n’existe pas. Nous devons apprendre à nous diriger nous-mêmes. » Dans Sororité, Réunion d’anciennes, La chanson de Ruth (qu’elle n’a pas pu chanter) à propos de sa mère, Gloria Steinem témoigne de son vécu personnel.
Les mots et le changement montre comment des expressions nouvelles reflètent « les transformations de la perception et parfois de la réalité elle-même ». Les féministes ont valorisé la « liberté de procréer » comme concept et comme droit humain fondamental, l’emploi du nom « de naissance » pour les femmes comme pour les hommes, par exemple. Dans un post-scriptum de 1995, Steinem constate avec humour à propos du double travail (à l’extérieur et à la maison) que « les femmes sont bien plus nombreuses à devenir les hommes qu’elles auraient aimé épouser », mais que « trop peu d’hommes deviennent les femmes qu’ils auraient aimé épouser. »
Le recueil Actions & Rébellions aborde toutes les facettes du combat féministe : la manière de communiquer et l’affirmation de soi (Quand les hommes et les femmes parlent), l’importance des réseaux de femmes, une analyse de la violence sexuelle (Erotisme et pornographie), les mutilations génitales, les médias… On y trouve, après cinq portraits de femmes célèbres, un compte rendu de la première Conférence nationale des femmes à Houston en 1977.
A La Grande Librairie le 21/3/2019 (YouYube), avec son portrait dans les premières minutes
Si Hitler était vivant, de quel côté serait-il ? aborde sous un angle original le combat conservateur pour obtenir « l’interdiction constitutionnelle de l’avortement ». Gloria Steinem décrit l’obsession « du déclin de la natalité blanche » dans la plupart des groupes anti-IVG et rappelle les mesures prises par les nazis pour restaurer la suprématie masculine contre l’égalité prônée par les féministes allemandes qui avaient engrangé des acquis dès le début du XXe siècle. « Le sacrifice de l’existence individuelle est nécessaire pour assurer la conservation de la race », écrit Hitler dans Mein Kampf. Rappel des faits et citations sont édifiants.
Commentaires
Une des femmes qui ont beaucoup compté dans le féminisme. C'est une bonne chose de la voir revenir sur le devant de la scène ces dernières années, même si on peut déplorer la lenteur des avancées. J'ai gardé l'enregistrement de son passage à la Grande Librairie pour le réécouter.
Tu fais bien de rappeler son passage chez Busnel, Merci, Aifelle, On peut le retrouver sur YouTube, je vais ajouter le lien :
https://www.youtube.com/watch?v=BL2D3YvAaiI&t=68s
Bon début de semaine à l'abri de la canicule.
Bon, merci pour le billet, je ne connais que son nom (et quelques opinions), en fait!
Ce recueil m'a permis de mieux mesurer son parcours féministe.
meme si je suis sensible au problème je n'arrive plus à lire tous ce qui parait sur le sujet, je trouve que l'on surf un peu trop sur la vague et que ça diminue l'impact des textes importants
L'édition américaine originale date de 1983 et cela m'intéressait d'autant plus de lire cette traduction que c'était l'époque où je lisais la revue "Sorcières" et d'autres revues féministes axées surtout sur les combats menés en France et en Belgique.
peu de choses réjouissantes dans l'actualité, que ce soit pour les droits des femmes ou ceux de la nature, on est dans le même genre de combat, le même genre de violence.
Et le déni ou la lassitude, chez trop de gens.
Pour moi, il est plutôt réjouissant que les médias parlent de ces combats et accroissent les prises de conscience. Les jeunes féministes peuvent y trouver un appui.
Pour ce qui est de la cause écologiste, j'ai lu avec espoir que les ministres Alain Maron (Ecolo) et Elke Van den Brandt (Groen) s’opposent à présent au ministre-Président bruxellois en ce qui concerne la friche Josaphat, vu les très nombreuses réactions et remarques à l'enquête publique sur le dernier plan d'aménagement.
Tania, j'ai terminé une conférence donnée par Gloria Steinem et Dorothy Pitman Hughes (sa photo est en bas à droite de la couverture du livre) à l'Université Colgate à Hamilton, New York quand j'étais adolescent. Ils nous ont tous inspirés.
Je l'imagine bien, Jane, merci & bonne journée.
Je pense comme Dominique; j'ai lu tous ls bouquins féministes des années 70 et depuis, de l'eau a coulé sous les ponts. On tue tout, même la simple galanterie t on dévirilise les hommes qui sont tous des violeurs en puissance. Au vu de ton article, ce livre n'est pas pour moi. Je préfère la littérature aux témoignages.
Je préfère aussi la littérature, Anne. Cette lecture m'a permis de découvrir cette figure historique du féminisme américain. Gardons-nous des extrémismes en tous genres, bien sûr.
J'ai lu"Sur la route" et vu l'émission la Grande Librairie. Son livre m'a beaucoup intéressée, c'est une militante historique. Dans l'émission de Busnel, je l'avais trouvée fatifguée, un peu désenchantée. Il y a de quoi, ça avance mais si lentement et avec un continuel danger de régression. La preuve aux US et l'affaire du droit à l'avortement
"La liberté est toujours en vérité provisoire." (Prévert)
Oui, Zoë, les droits acquis sont loin de l'être partout et pour toutes, la vigilance féministe et la combativité restent d'actualité.
Ces femmes, ces combats qui ont été si courageux et utiles, qui nous ont aidées nous les "vieilles" d'aujourd'hui...
Annie Ernaux, dans sa longue interview par Busnel, disait que le sujet de l'avortement, comme il s'agit de procréation, reviendrait tours sur le tapis. Je pense, hélas, qu'elle a raison.
Aux EU la population blanche diminue fortement et cela inquiète les bien-pensants, of course!
Voilà, nous sommes sur la même longueur d'onde, Colo. Merci d'avoir rappelé les propos d'Annie Ernaux.
Merci Tania, je viens de voir la vidéo et j'avais manqué cet épisode de LGL. Son combat d'une vie, ses propos sont tellement clairs qu'elle sort du cliché parfois contesté et moqué par certains de "féministe". Elle revendique une justice, une égalité pour toutes les femmes. L'interview date de 2019, et les récentes décisions aux US lui donnent hélas totalement raison.
Comme le disait Simone de Beauvoir, en matière de droits des femmes, rien n'est jamais acquis.
Oui, plus de pyramide, mais un cercle, ou une ligne horizontale.
Merci pour ton article ! Bises.
Ravie que cette vidéo t'ait intéressée aussi. J'ai toujours du mal à comprendre ce recul devant le mot "féministe" comme si c'était un synonyme de "harpie". Le TLF définit le féminisme comme un mouvement social "qui a pour objet l'émancipation de la femme, l'extension de ses droits en vue d'égaliser son statut avec celui de l'homme, en particulier dans le domaine juridique, politique, économique", une cause honorable pour chacune et chacun d'entre nous, non ?