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Miss Volcan

Eden, un coup de cœur, m’a donné envie d’ouvrir un autre roman d’Auður Ava Ólafsdóttir. Miss Islande (traduit de l’islandais par Éric Boury), ce pourrait être Hekla, à qui son père a donné le nom d’un volcan islandais, contre l’avis de sa mère qui détestait la lave. Quand il est entré en éruption quatre ans et demi après la naissance d’Hekla, son père, passionné d’éruptions volcaniques, l’a emmenée avec lui pour l’observer d’une vallée assez proche – voyage qui, selon la mère d’Hekla, l’a « transformée » pour la vie. La romancière (°1958) a dédié  à la mémoire de ses parents ce roman qui a pour thème principal l’émancipation par l’écriture.

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© Jóhannes Sveinsson Kjarval  (1885–1972) (source)

En 1963, à vingt et un ans, Hekla quitte la ferme familiale et prend l’autocar pour Reykjavik. En route, elle lit Ulysse de Joyce en anglais, elle s’aide d’un dictionnaire et note de temps en temps quelque chose dans son carnet. Après une halte dans un relais routier près d’une station baleinière, un homme « d’âge mûr » lui demande s’il peut s’asseoir près d’elle. Il lui parle de baleines et de cachalots puis, comme elle ne réagit pas, lui demande carrément son prénom et si elle a un amoureux. En fait, cet homme d’affaires appartient au comité qui organise chaque année un concours de beauté, il l’invite « à briguer le titre de Miss Islande », proposition qu’elle décline immédiatement.

Sa première visite est pour sa meilleure amie, Isey, qui lui présente son bébé. Heureuse d’être mère, elle supporte mal d’être tout le temps seule avec sa fille. Son mari travaille sur des chantiers routiers. Aux murs, Hekla remarque deux grands tableaux, des Kjarval qu’Isey a reçus de sa belle-mère. Isey aime les contempler : « Il y a une telle lumière en eux. » Hekla occupera la chambre de son ami Jon John pendant qu’il est en mer, le temps de trouver un travail et un endroit où s’installer.

Convaincue depuis toujours qu’Hekla deviendrait « écrivain », Isey écrit aussi dans son journal intime sur le peu qui se passe ou ce qui ne se passe pas, sur ce que les gens disent ou ne disent pas (elle cache le cahier dans un seau pour que Lydur, son mari, ne le trouve pas). Dans le fond de la tasse de café de son amie, elle voit « deux hommes » : « Tu en aimes un et tu couches avec l’autre. »

A son retour, on fera connaissance avec David Jon John Johnsson, « encore plus beau qu’avant », épuisé par le mal de mer qui l’empêchait même de dormir sur le chalutier et surtout par tout ce que les autres lui ont fait subir après avoir compris qu’il était « différent ». Lui aussi a une passion dont il voudrait faire son métier : la couture. Dans la chambre qu’il loue sous les combles, il range sa machine à coudre pour faire de la place à la machine à écrire d’Hekla. Il lui a rapporté de Grande-Bretagne plusieurs vêtements et une paire de bottes.

Jon John est un « accident », sa mère n’a couché qu’une seule fois avec son père, parti sans laisser d’adresse. Lui aussi aime lire, Hekla regarde ses livres, s’étonne d’en découvrir qui ont été écrits par des femmes – sa « bibliothèque homo », dit-il, avant de citer Garcia Lorca, son poète préféré. A Reykjavik, « la plupart des hommes qui aiment les garçons sont pères de famille ». Hekla et lui se sont connus à l’adolescence, il a été « le premier » pour elle, même s’ils n’ont pas vraiment fait l’amour. Il est son meilleur ami. A lui, elle avait osé confier qu’elle écrivait tous les jours. « Chacun gardait le secret de l’autre. »

Engagée comme fille de salle dans un hôtel-restaurant, Hekla doit constamment se défendre des avances et des regards masculins, à son travail ou dans la rue. Rentrer le soir est un soulagement : « La joie d’être vivante et de savoir que je rentre chez moi pour écrire. » L’homme de « l’Académie de la beauté » revient à la charge au restaurant, avec de belles promesses, fausses comme l’en a avertie une ancienne candidate. Sans succès.

Quand elle rencontre un séduisant poète, bibliothécaire à mi-temps, les sujets de conversation ne manquent pas et bientôt elle couche avec lui. Mais elle ne lui dit pas qu’elle écrit, elle aussi, ni qu’elle a déjà été publiée sous pseudonyme. Selon son amie Isey, « les femmes doivent choisir » : avoir un petit ami ou écrire des livres. Hekla a envie des deux. Mais en Islande, « poète » ne s’emploie qu’au masculin.

Miss Islande raconte la vie de ces jeunes gens et leur manière de s’engager dans le travail et dans les relations. Bien sûr, Auður Ava Ólafsdóttir décrit la société dans laquelle ils évoluent, l’ambiance autour d’eux, les préjugés. Il est souvent question de livres et d’écriture dans ce roman, de la beauté et de la liberté, des choix de vie qui s’imposent à un moment ou à un autre. Rester en Islande ou partir à l’étranger ? Assez prévisible, Miss Islande m’a laissée un peu sur ma faim, mais le roman est agréable à lire. Prix Médicis étranger 2019.

Commentaires

  • Oui, il m'a aussi semblé un peu léger, agréable à lire puis...bof:-))
    Comme quoi les prix. Médicis ou autres....

  • Nous sommes d'accord. Ce prix a tout de même le mérite de faire de la publicité aux écrivains d'autres littératures peu connues du grand public.

  • Oui, c'est déjà bien, je confirme ;-).

  • A toi de voir. Tu as foulé les terres d'Islande, il y a peut-être des aspects qui te parleront davantage qu'à moi.

  • Je ne l'ai pas lu celui-là ; je finirai par le faire ; j'ai l'intention de tout lire d'elle. Il doit m'en rester deux ou trois à découvrir.

  • Bravo ! Je serais curieuse de lire tes impressions sur celui-ci. Ce n'est pas un coup de cœur, mais son héroïne est sympathique.

  • "Eden" m'a davantage touchée, ces personnages-ci sont moins surprenants dans leurs réactions.

  • J'ai lu plusieurs livres de cet auteur que j'aime beaucoup dont celui-ci. Je ne suis jamais déçue même si certains sont en effet plus légers que d'autres. Dans celui-là j'avais aimé l'histoire, les personnages, l'ambiance et le fait de connaitre la vie dans les années 60 dans un autre pays que le notre mais finalement très proche par rapport aux questionnements des jeunes quant à leur avenir, à la liberté...

  • Je viens de lire le billet que tu lui as consacré où tu soulignes ses qualités et ses personnages sympathiques. Pour moi, leur caractère est donné dès le début, sans guère évoluer. Parfois aussi une lecture souffre de la comparaison avec une précédente, je ne dirais pas que le roman m'a déçue, plutôt qu'il m'a moins emballée. Je vais ajouter un lien vers ta Bulle, merci.

  • J'avais aimé ce livre, j'avais aimé l'idée de porter en prénom celui d'un volcan islandais, quelle force et quelle détermination ont soufflé vers elle dès sa naissance ! Merci Tania de remémorer un bon souvenir de lecture, lumineuse soirée. brigitte

  • D'où le titre de mon billet. Bonne journée, Brigitte.

  • J’ai beaucoup aimé ce roman. Je ne savais pas à quoi m’attendre et j’ai découvert l’Islande, certes d’il y a plusieurs décennies, et la dureté de la vie pour les femmes et les homosexuels. J’ai aussi découvert l’importance de la poésie pour les Islandais, et comment les personnages, vieux amis ou rencontres de quelques jours s’épaulent et se soutiennent.
    J’ai lu aussi Rosa Candida, et j’ai trouvé à nouveau cette écrivaine pleine de délicatesse.

  • Merci pour ces impressions de lecture, Azerty.

  • Merci Tania pour cette présentation, je ne connais pas celui-ci.
    L'idée des deux secrets échangés, partagés et gardés est touchante...

  • Oui, une belle amitié les relie.

  • Bonjour Tania, un roman que j'avais aimé mais qu'il faudrait que je relise. Elle sait brosser de beaux personnages très attachants. Merci pour ce rappel. Bonne journée.

  • Bonne relecture, Dasola & bon week-end.

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