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art - Page 56

  • D'elles-mêmes

    « Je ne vais pas vous ennuyer plus longtemps avec des bavardages féminins. Mes œuvres parleront d’elles-mêmes ! Sur ces paroles, je vous tire humblement ma révérence. »

     

    Lettre d’Artemisia Gentileschi à Don Antonio Ruffo (13 mars 1649)

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    Artemisia Gentileschi ou entourage
    Allégorie de la rhétorique

     

     

  • Artemisia hors série

    Trop longtemps oubliée, redécouverte au XXe siècle, Artemisia Gentileschi (1593-1654) est une artiste hors du commun à plus d’un titre. Publié à l’occasion de l’exposition qui lui est consacrée au musée Maillol à Paris (jusqu’au 15 juillet 2012), un petit livre d’une conception originale permet de faire connaissance avec cette artiste italienne, fille d’un peintre renommé qui l’a initiée aux techniques de la peinture.  

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    Autoportrait en allégorie de la peinture

    Signé Alexandra Lapierre, auteur par ailleurs d’une biographie romancée chez Laffont, Artemisia Gentileschi « Ce qu’une femme sait faire ! » est un hors-série de la collection Découvertes Gallimard axé surtout sur l’image : les pages se déplient de manière à ouvrir les illustrations en long et en large, une manière d’offrir de grands formats réductibles au format de poche.

    Son père, Orazio Gentileschi, est un proche du Caravage et passe pour l’un des dix meilleurs peintres de Rome. On se souvient de sa magnifique Annonciation, exposée à Bruxelles en 2009. Artemisia lui sert souvent de modèle, c’est elle qui joue de l’éventail dans une fresque en trompe-l’œil réalisée avec Agostino Tassi, Concert avec Apollon et la muse. A seize ans, elle est la seule femme apprentie dans le quartier des artistes, reconnue et pour son talent et pour sa beauté. Son père la peint en Sainte Cécile, en Jeune fille au violon… Fier de sa fille, il écrit à la grande-duchesse de Toscane, en 1612 : « En trois ans, elle est devenue un si grand peintre que j’ose dire aujourd’hui qu’aucun maître n’arrive à son niveau, que personne désormais ne peut se comparer à elle… »

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    Suzanne et les vieillards

    Il lui a donné pour maître de dessin Agostino Tassi, et c’est le drame : Artemisia est violée par le collaborateur de son père, le déshonneur la frappe, ainsi que sa famille, mais ils dénoncent le violeur à la justice pontificale. Neuf mois de procès éprouvants, dont le père et la fille sortent heureusement vainqueurs. Artemisia trouve ensuite son salut en Toscane, où un médiocre peintre florentin accepte de l’épouser, avec une dot assez substantielle. Elle peut enfin voler de ses propres ailes.

    Artemisia Gentileschi ose alors se démarquer de son père. Avec audace, elle se représente nue dans une Allégorie de l’inclination pour une commande du petit-neveu de Michel-Ange, Buonarroti le Jeune. (Plus tard, un héritier « pudique » la fera recouvrir de voiles opaques.) C’est un autre commanditaire, le jeune grand-duc Cosimo de Médicis, qui commande à Artemisia plusieurs versions de Judith et Holopherne, un thème où elle pourra représenter la violence de son propre drame en la retournant vers Holopherne dont Judith tranche la gorge, avec l’aide d’une servante.

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    Judith et sa servante

    « Vous trouverez en moi l’âme de César dans un corps de femme », écrit un jour cette artiste reçue à l’Accademia del Disegno de Florence, ce qui lui confère des privilèges et une liberté d’action normalement « interdits au sexe faible ». A vingt-trois ans, elle est « la première académicienne dans toute l’histoire de Florence ». Sa gloire lui apporte la liberté, elle peut rentrer à Rome et voyager. Plus de frontières ni pour elle, ni pour ses tableaux.

    Artemisia Gentileschi travaille pour les grands mécènes italiens et pour les grands collectionneurs européens « qui disposent de fonds sans limite ». Elle peint dans tous les genres : portraits, natures mortes, scènes historiques, allégories, autoportraits. Elle dirigera finalement « un gigantesque atelier qui emploie des dizaines d’aides ». Son imagination réinvente les thèmes classiques, sa technique est parfaite, sa puissance dramatique confère vie et humanité vibrantes à ses toiles.

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    Portrait d’une dame assise

    La redécouverte de cette artiste accomplie – qui n’est pas la seule femme peintre de l’époque, diverses études féministes l’ont rappelé –  donne aussi l’occasion d’attirer l’attention sur sa correspondance. On a découvert récemment de nouvelles lettres d’Artemisia Gentileschi, une femme passionnée et amoureuse de la liberté.

  • Mon âme

    « Mon âme en est triste à la fin ;
    Elle est triste enfin d'être lasse,
    Elle est lasse enfin d'être en vain,
    Elle est triste et lasse à la fin
    Et j'attends vos mains sur ma face. »

    Ame de nuit
    (Serres chaudes)


    Maurice Maeterlinck, Œuvres, Jacques Antoine, 1980.

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    Illustration de Charles Doudelet pour Douze chansons de Maeterlinck

     

     

  • Maeterlinck & Minne

    Prix Nobel de littérature en 1911, Maurice Maeterlinck (1862-1949) appréciait le peintre et sculpteur George Minne (1866-1941) qui a illustré plusieurs de ses livres. Le Musée des Beaux-Arts de Gand (MSK) a saisi l’occasion de ce centenaire, à la fin de l’année dernière, pour réunir les deux grands artistes gantois dans une rétrospective qu’un catalogue fouillé permet de visiter après coup, sous d’intéressants éclairages : L'univers de George Minne & Maurice Maeterlinck. 

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    Ils font connaissance vers 1886. Tous deux sortent d’un milieu aisé mais leurs personnalités et leurs parcours sont très différents. Maeterlinck se lie au collège Sainte-Barbe avec Charles Van Lerberghe et Grégoire Le Roy, poètes eux aussi.  Après un doctorat en droit, il se spécialise comme avocat à Paris et y fréquente les cercles symbolistes. Rodenbach le décrit ainsi : « une vraie tête de flamand avec des dessous de rêverie et des sensibilités de couleur ». Ses premières œuvres – Serres chaudes, La princesse Maleine –, publiées en 1889, sont remarquées par Mirbeau dans Le Figaro, ce qui vaut d’emblée à Maeterlinck une réputation internationale. Publié à Bruxelles, joué à Paris, il sera un « aimant » pour de jeunes écrivains comme Karel Van de Woestijne qui admire en lui « le fouilleur inlassable de tous les souterrains de la vie intérieure. »

     

    Minne est fils d’architecte. Ils sont aussi quatre enfants, comme chez Maeterlinck, et chacun vit la grande douleur de perdre trop tôt un frère de vingt et un ans pour Maeterlinck, une sœur de dix-sept ans pour Minne. Entré à l’Académie de Gand pour suivre une formation d’architecte, George Minne choisit la peinture, et travaille bientôt pour son père. La souffrance de l’homme blessé, de la mère qui perd un enfant, sera un thème récurrent dans son œuvre. C’est lors de sa première participation au Salon de Gand que « tel un tailleur de pierre du Moyen Age », il est remarqué par Verhaeren. Ensuite il est invité chez les XX, devient membre du groupe, et se révèle un illustrateur remarquable.

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    Alladine et Palomides, Intérieur et La Mort de Tintagiles : Trois petits drames pour marionnettes,
    Edmond Deman, Collection du Réveil, Bruxelles, 1894, culs de lampe hors texte de Georges Minne

    Quand Maeterlinck et Minne se promènent ensemble, en silence – Minne le taiseux (comme on dit chez nous) « ne parlait pas, il balbutiait » –,  ils s’entendent et s’estiment :  « Nous le regardions amicalement et non sans respect, comme une sorte de primaire, de minus habens merveilleux. » Proche des anarchistes, antibourgeois, Minne épouse en 1892 Joséphine Destanberg, la fille d’un journaliste de gauche, elle écrit des poèmes. Il tente de gagner sa vie comme agriculteur, échoue, et se trouve dans la misère quand il s’installe à Bruxelles en 1895. Ses difficultés personnelles contrastent avec l’aisance de Maeterlinck. Minne n’a guère d’intérêt pour la littérature, mais confirme lui-même leur sensibilité commune : « Maeterlinck et moi étions à peu près vers le même temps sensibles à la même ambiance ». 

    Maeterlinck s’intéresse aux préraphaélites anglais, à Redon, au mouvement symboliste. Il aime dans l’art médiéval son climat spirituel, en particulier chez Ruysbroeck (son article « Ruysbroeck l’Admirable » a fait redécouvrir ce grand mystique), et reconnaît en Minne une « âme gothique ». Tous deux choisissent de s’exprimer avec « un minimum suggestif ». Quand il publiera ses œuvres, Maeterlinck choisira des typographies en rouge et noir et des mises en page inspirées des manuscrits anciens. La couverture du catalogue s’en inspire.

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    Léon Spilliaert, Maeterlinck Théâtre, 1902-1903,
    encre de Chine, lavis, pinceau, plume, pastel sur papier, 37,2 x 24,9 cm,
    Bibliothèque royale de Belgique. Cabinet des Estampes, Bruxelles

    L’édition illustrée est propice au croisement des arts, l’écriture y rencontre l’image, la composition d’une couverture est l’objet de tous les soins. Les premiers livres de Maeterlinck sont illustrés par Minne, les suivants par Charles Doudelet, puis d’autres artistes dont Spilliaert. Le choix de « monochromes d’atmosphère » en frontispice s’inspire des peintres symbolistes et celui du noir, de Redon. L’art du livre se renouvelle dans cette complicité. Les Nabis en seront influencés. 

    Minne peint et sculpte la douleur, la blessure, le « tragique intérieur ». Il façonne la forme par le vide, comme on met du silence autour des mots. Elève de Charles Van der Stappen à Bruxelles, il crée d’abord des groupes dramatiques dans l’esprit de Rodin, puis ses fameuses figures agenouillées, blessées, affligées, aux formes épurées. Henry Van de Velde s’intéresse beaucoup à Minne et l’aide pour son projet de Fontaine des agenouillés. C’est par son intermédiaire que Minne va connaître un grand rayonnement en Allemagne où ses lignes, formes, ornements plastiques influencent la sculpture pré-expressionniste du Jugendstil. Minne y incarne le renouveau et fascine aussi par sa personnalité d’artiste « maudit ».

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    Minne, Fontaine des agenouillés (Musée des Beaux-Arts de Gand)

    Les diverses contributions au catalogue analysent les relations entre Maeterlinck et Minne, le contexte culturel dans lequel ils évoluent, au sein de groupes divers, et leurs rapports avec ceux qui les soutiennent, critiques d’art et mécènes. Cent quinze œuvres (dessins, peintures, sculptures, livres illustrés) sont ici cataloguées en pleine page. J’y ai appris que la modernité viennoise vers 1900 doit beaucoup à ces inspirations belges, chez Klimt même, et Schiele, et Kokoschka. L’essayiste et critique d’art autrichien Hermann Bahr écrivait alors : « Khnopff peint ce que Maeterlinck dit en vers : de secrets surgissements de l’âme. »

  • Artiste

    « Une peinture vit par l’amitié, en se dilatant et en se ranimant dans les yeux de l’observateur sensible. Elle meurt pareillement. Par conséquent, c’est un acte dur et risqué de l’envoyer de par le monde. » 

    Couverture Rothko La réalité de l'artiste.jpg

    Mark Rothko écrit La Réalité de l’artiste en 1939-40,
    au moment où il passe du figuratif au surréalisme.
    En 1947, second tournant important,
    il renonce au surréalisme et commence à peindre ses Multiforms.

    « Il est difficile à l’artiste d’accepter le caractère inamical de la société envers son activité. Cependant, cette hostilité même peut agir comme levier d’une véritable libération. »

     

    Mark Rothko, Ecrits sur l'art. 1934-1969