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  • Noceurs bohèmes

    Au MOMA, en songeant à Montmartre et à Montparnasse.

     

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    http://www.blog-habitat-durable.com/article-taures-58976887.html

    La Rotonde de la Ruche, Monument Historique, Monument restauré...

     

    « Je tentais d’imaginer ces excentriques inspirés, noceurs bohèmes, expatriés à moitié clochardisés, demi-aventuriers anarchistes, lunatiques et alcooliques, déclamant leurs poèmes, se montrant réciproquement leurs toiles, commentant et échangeant leurs œuvres, belles égéries fascinantes telles qu’on les apercevait sur les portraits de Pascin… se retrouvant le soir pour des fêtes improvisées dans leurs ateliers délabrés – ainsi qu’on pouvait le lire dans les chroniques évoquant l’atmosphère de « La Ruche » ou du « Bateau-Lavoir » (l’amitié de Chagall et de Cendrars, les amours de Modigliani et de Jeanne Hébuterne, les accès de rage de Soutine détruisant ses œuvres des jours précédents, la saga de Picasso, d’Apollinaire et de Max Jacob, la fête organisée en l’honneur du Douanier Rousseau) ; tout cela dans le vieux Paris populaire, savoureux et peu dispendieux d’alors…

    Car, restant à l’affût devant ces toiles, finissaient par chatoyer, tels des reflets à la surface d’un étang, les effluves spectraux du passé.

    (…)

    Ah ! Songer à cela depuis New York, par une journée de plein vent à la lumière marine intermittente, dansante et folle, qui courait en vagues successives sur les façades des gratte-ciels impassibles et hiératiques – aussi solennels que les sentinelles sans états d’âme du domaine du futur ! – recelait la beauté délicate, indéfinissable et mélancolique d’une après-midi de nostalgie enfantine. »

     

    Denis Grozdanovitch, Rêveurs et nageurs

  • Rêveurs et nageurs / 2

    Denis Grozdanovitch, « collectionneur d’instants », poursuit son Apologie des fantômes d’un ailleurs à l’autre. Au British Museum, devant les momies égyptiennes – selon lui, plutôt qu’un désir d’immortalité, « un vœu adressé à la vie bien vivante, une offrande concrète du plus lointain passé à l’avenir le plus éloigné », comme pour nous proposer « des modèles d’êtres accomplis ». A la cinémathèque, où il nomme ses amis cinéphiles ses « compagnons de coma merveilleux ». A Sete sur la tombe de Valéry.

     

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    Monet, Le chêne de Bodmer, Fontainebleau (Metropolitan)

     

    En écho au « Que faire pour honorer les morts, sinon bien vivre ? » de Jean Prévost, il rappelle l’épitaphe d’une jeune fille romaine relevée par Marguerite Yourcenar dans La Couronne et la Lyre : « J’ai vécu et avant moi ont vécu d’autres jeunes filles. Mais c’est assez. Que celui qui a lu cette inscription dise en s’en allant : Crocine que la terre te soit légère. Et vous qui vivez sur terre, soyez heureux ! »

     

    Un bref périple aux Indes occidentales – « il faut toujours s’embarquer pour les Indes occidentales inexistantes pour découvrir l’Amérique » (Romain Gary) – est un autre chapitre important de Rêveurs et nageurs. Le carnet de notes d’un voyage aux Etats-Unis à l’invitation d’un ami, Simon Karpinsky, dans son petit appartement du quartier juif de l’East Side à New York. Grozdanovitch en profite pour visiter les grands musées américains où les vigiles surveillent de près ce visiteur qui reste un quart d’heure au moins devant les œuvres pour mieux les voir. Monet, Le Greco, Rodin, Maillol, Monet, Courbet, Van Gogh, Soutine, les paysagistes américains si habiles parfois pour « rendre la lumière des beaux jours », Picasso, Kandinsky, Hopper… Admirations, détestations, commentaires.

     

    Dans la gigantesque fourmilière humaine, Grozdanovitch fait de belles rencontres. Lampshade, un vieil érudit noir pilier de la grande bibliothèque publique de la quarante-deuxième rue, l’invite chez lui et le présente à son chat Thelonius : « C’est mon nouvel ami français, qui aime les livres autant que nous. » Sue, une étudiante en anthropologie, l’accompagne à Philadelphie. Quand il y marche dans la banlieue huppée, il se découvre seul piéton, quasi suspect. Chez Alex de Montmorency, il participe à une fête d’anniversaire pour les quatre-vingts ans de l’« ancien fils de famille devenu impécunieux » et lui porte secours quand Sid, le clochard qui les a apostrophés sur le trottoir et qu’Alex a invité dans la foulée à se joindre à eux, « à la russe », fait un tapage tel que les voisins débarquent, et finalement les pompiers ! Autre personnage étonnant, le jeune Elias, fils surdoué de cousins de son ami Simon, qui l’attire dans sa chambre-laboratoire pour un entretien confidentiel de haute volée.

     

    La Prison de l’idée unique, où il est question de Knut Hamsun, trouvera sans difficulté son application dans l’actualité politique. Sur le danger de mettre à la tête d’un Etat une personnalité « psychorigide » (ceux qui, aveuglés par le bien-fondé de leur point de vue, n’envisagent jamais « que la réalité puisse se distribuer entre des centaines de vérités circonstanciées »), l'auteur reprend cette réponse de Nietzsche à un ami adepte du régime végétarien : « il est toujours plus facile de se réfugier dans les attitudes radicales que de s’engager sur le périlleux chemin du juste milieu. »

     

    Humaniste sans prétention, Grozdanovitch trouve « marrantes » les vaches qui empêchent sa voiture de passer sur une route de campagne et attendrissant le regard de l’âne Socrate promu animal de compagnie, « comme si, malgré tout, une certaine candeur pouvait s’entêter à persister dans le monde ». Ses Rêveurs et nageurs, je vous l’assure, peuvent vous donner « du plaisir parmi les difficultés ».

  • Arabie

    « De mon environnement terne et banal et “respectable”, le Djinn m’emporta immédiatement au pays de ma prédilection, l’Arabie, une région si familière à mon esprit qu’à première vue elle semblait être une réminiscence de quelque vie métempsychique antérieure dans un lointain Passé. »

     

    Richard Francis Burton (Guide du Visiteur de L’Orientalisme en Europe)

     

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    Jean-Léon Gérôme
    Femmes fellahs puisant de l'eau, Médine-el-Fayoum © NAJD Collection
    http://www.expo-orientalisme.be/
  • Vers l'Orient

    Beaucoup de monde aux Musées Royaux des Beaux-Arts de Bruxelles pour les derniers jours de L’Orientalisme en Europe, de Delacroix à Kandinsky (jusqu’au 9 janvier 2011). Le rêve de Fabio Fabbi qui accueille les visiteurs en indique plusieurs composantes : scène exotique, tissus et objets pittoresques (le narguilé), portrait coloré. L’attrait pour l’Orient (de l’Espagne mauresque au Moyen-Orient, des Balkans au Maghreb), plus qu’un courant pictural, est un phénomène culturel qui touche au XIXe siècle toutes les disciplines : littérature, architecture, peinture, photographie… En contrepoint à ce regard européen, trois écrans diffusent, à l’entrée de l’exposition, des « Témoignages », réactions de personnes d’origines diverses aux œuvres sélectionnées.

     

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    Tissot James, Les Rois mages en voyage
    © Minneapolis Institute of Arts, The William Hood Dunwoody Fund
    http://www.expo-orientalisme.be/

     

    Filippo Lippi, esclave à Alger, fait le portrait de son maître, par Bergeret, illustre l’optique réaliste choisie par les peintres orientalistes, qu’ils soient français, anglais, allemands, italiens ou belges. Parmi diverses représentations de la mort de Cléopâtre, j’ai retenu une toile spectaculaire de Hans Makart et un fragment de Chassériau, Tête d’une servante en larmes. Joseph, contremaître des greniers de Pharaon (Tadema) baigne dans une jolie lumière plus claire que sur la reproduction – tissus blancs, fresques douces, motifs fleuris dans le bas du mur.

     

    L’engouement pour l’Egypte ancienne dérive d’une politique de conquête. « Joindre l’éclat de votre nom à la splendeur des monuments d’Egypte, c’est rattacher les fastes glorieux de notre siècle aux temps fabuleux de l’histoire, c’est réchauffer les cendres des Sésostris et des Mendès, comme vous conquérants, comme vous bienfaiteurs » écrit Vivant Denon à Bonaparte. La section « Un échiquier politique » présente des rencontres officielles et des scènes guerrières, des aquarelles de Théodore Frère engagé dans la suite de l’Impératrice Eugénie pour son voyage en Orient.

     

    Une Femme voilée de Gérôme aux visage, bras et pieds d’ivoire (éléphantine) et en robe de bronze n’est qu’hommage à une féminité gracieuse, loin des préoccupations d’aujourd’hui ou de la Femme arabe portant une cruche de Léopold Carl Müller. Un Portrait de Mustapha par Girodet, outre un visage expressif, fait la part belle aux tissus : veste rouge doublée de bleu, sous-veste ocre, chemise brune sur du linge blanc – pourquoi les hommes occidentaux portent-ils si souvent des couleurs neutres ? Et voilà Delacroix, présent dans différentes salles : Le Kaïd, chef marocain, sur son cheval ; une Vue de Tanger ; La mort de Sardanapale ; une Chasse au tigre, entre autres. Les architectures grandioses d’Egypte ont inspiré bien des paysagistes, mais aussi l’Espagne mauresque à Grenade ou Tolède avec ses colonnes et ses beaux arcs richement décorés, ses mosquées. L'Orient est aussi « carrefour des religions ».

     

    « Rêves hédonistes… » met en scène le harem et les fantasmes avec la fameuse Esclave blanche de Lecomte du Nouÿ à l’affiche. Près de la séduisante rousse qui souffle la fumée de sa cigarette, une nature morte raffinée sur une nappe posée à terre : orange épluchée, vaisselle décorée, verreries, « Luxe, calme et volupté ». Gérôme ou Ingres ont peint le hammam : Le bain maure, La petite Baigneuse. D’autres proposent des rapts et des razzias aux dépens de blanches chrétiennes.

     

    Prévoyez du temps pour visiter L’Orientalisme en Europe : il y a beaucoup à voir, dans des genres divers. Les types humains y inspirent la section « Au nom de la science » : des portraits, dont ce Portrait d’un Nubien par Monsted, des bronzes de Charles Cordier, une Beauté de Tanger à l’aquarelle par Tapiró Baró. Les œuvres viennent de musées européens, américains ou du Moyen-Orient, et aussi de
    collections particulières. Chacun y trouvera de quoi réjouir le regard : des Rois Mages de Tissot aux jaunes et oranges éclatants, de grands paysages, des étals de marchands, des déserts, des visages, des foules, des rêveurs et des rêveuses, sans oublier l’Arabe au grand chapeau d’Etienne Dinet (sans la vannerie du Quai Branly !). Je ne donnerai pas le dernier mot au cavalier de Kandinsky (Improvisation III) mais à Paul Klee : « La couleur me possède. Point n’est besoin de chercher à la saisir. Elle me possède, je le sais. Voilà le sens du moment heureux : la couleur et moi sommes un. Je suis peintre. »

  • La couleur

    « Loin de tout, sur l’île de Tahiti, Paul Gauguin écrivait en 1891 que, puisque la couleur elle-même était mystérieuse dans les sensations qu’elle procurait, on pouvait en toute logique en jouir, non comme dessin mais comme source de sensations dérivées de sa nature propre, de sa force intérieure mystérieuse et énigmatique. »

     

    Alberto Manguel, Le Livre d'images

     

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