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Peinture - Page 8

  • A la Brafa 2022

    En visitant la Brafa au début de l’année 2020, nous ignorions les perturbations qui allaient suivre et aussi que ce serait la dernière « Brussels Art Fair » à Tour & Taxis. Après l’édition 2021 en ligne et dans les galeries, la Brafa 2022 a rouvert ses portes en changeant de lieu et de saison. Elle s’est tenue à Brussels Expo (au Heysel) du 19 au 26 juin.

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    On marche toujours beaucoup à la Brafa, forcément, si l’on veut voir un maximum de stands. Ici, du parking C jusqu’à l’entrée, on fait déjà une petite marche d’entraînement (si on ne recourt pas au service de navette automobile). Une fois passé le portail de sécurité (utile – voir le vol à la Tefaf récemment), on retrouve de belles allées couvertes de moquette et parées de verdure.

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    © François -Xavier LALANNE (1927- 2008), Tortue Topiaire II, 1992, Bronze

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    A la galerie Mathivet, miroirs et tables en bronze doré de Franck Evennou

    Art ancien et art moderne, de plus en plus d’art contemporain, le mélange des genres et des époques fait les délices des curieux. Cela dit, ce qu’on apprécie en découvrant un stand, c’est la cohérence et l’harmonie. Deux exemples très réussis : la galerie Mathivet (Paris), où on était accueilli par une grande tortue « topiaire » (1992) de François-Xavier Lalanne, exposait de beaux meubles et miroirs en bronze doré de Franck Evennou (°1958) ; le marchand d’art viennois Florian Kolhammer avait réuni des objets autour de 1900 et présentait une fascinante Forêt de bouleaux (1894) du peintre Karl Mediz.

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    Karl Mediz (Vienna 1868-1945 Dresden), The Birch Forest, oil on canvas, 1894

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    Otto Prutscher, Service à café pour 12 personnes, Ernst Wahliss Wien, vers 1910,
    sur une table "Elefantenrüsseltisch" d'Adolf Loos, vers 1900

    Sculpture phare de la Brafa cette année, malgré sa petitesse, une terre cuite de Maillol, Léda, à la galerie Dina Vierny (fondée par le dernier modèle du sculpteur en 1947). Sa version en bronze est au Metropolitan de New York. Quant au Belge Francis Maere, il présentait un spectaculaire « Atelier Eugène Dodeigne » (portraits et sculptures) en prolongement de son stand (tour virtuel proposé en ligne).

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    Aristide Maillol (1861-1944), Léda, 1900, White terracotta
    H 27.5 x W 12.8 x D 12.5 cm

    En juin 1902, Maillol fait sa première exposition individuelle à la galerie de Vollard. Trente-trois œuvres, dont des sculptures, des céramiques, des tapisseries et des meubles, ont été exposées. Octave Mirbeau, écrivain de renom âgé de 56 ans, a trouvé Maillol à l’exposition et a acheté « Leda ». Mirbeau l’a montrée à Rodin, et a écrit sur la réaction de Rodin dans sa lettre à Maillol :
    « Il a pris votre Leda, comme je l’avais fait, et l’a regardée attentivement, l’examinant sous tous les angles, la tournant dans toutes les directions. C’est très beau, dit-il, quel artiste! Il l’a regardée de nouveau et a ajouté : « Savez-vous pourquoi elle est si belle et pourquoi on peut passer des heures à la regarder ? » C’est parce qu’il ne cherche pas à éveiller la curiosité. » Et il y avait un regard mélancolique dans ses yeux. Je ne sais pas, je jure que je ne connais aucune sculpture moderne qui soit d’une telle beauté absolue, et d’une pureté absolue, si évidemment un chef-d’œuvre. (Rewald 1939, p. 13)
    Source : Aristide Maillol, Léda (ledamaillol.blogspot.com)
     / traduction Reverso

    Le décor floral, toujours remarquable, était magnifié par les éclairages. Quant aux installations d’Arne Quinze, artiste belge inspiré par la nature, l’invité d'honneur de cette édition 2022,  elles étaient spectaculairesChez Meessen-De Clercq, deux peintures très décoratives, d’inspiration végétale sur des fonds lumineux, un peu japonisantes, m’ont fait découvrir un autre artiste belge, Benoît Platéus (°1972, Liège). Surprise, elles sont datées de 2022 ! Comme les portraits de dormeuses de Khalif Thompson, un jeune peintre new-yorkais (°1995) à la galerie Zidoun Bossuyt.

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    © Thompson, Red Velvet, 2022,
    oil on canvas, handmade paper, papyrus, velvet, fabric, leather on canvas, 198,1 x 167, 6 cm

    En comparaison, Geer Van Velde fait figure d’ancien. Il était représenté chez divers exposants avec des toiles d’une même période, m’a-t-il semblé, dans le style de cette Composition de 1957 exposée chez Brame & Lorenceau. Dans sa peinture abstraite, « la pâte, légère, se fond en lumières d’aube, un peu comme si l'on était au début de toute couleur et qu’on la saisissait avant qu’elle ne s’épanouisse vraiment » (Wikipedia).

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    © Geer Van Velde, Composition, 1957, huile sur toile, 135 x 123 cm

    Encres de Rik Wouters, miniatures persanes et indiennes, sièges design, que de belles choses à admirer à la Brafa ! Je reviens à la sculpture avec trois noms, un connu et deux inconnus pour moi. D’abord Diego Giacometti (sculpteur-décorateur, le frère de Giacometti) avec son charmant Chat maître d’hôtel et un tapis qui s’intitule joliment La Rencontre, à la Galerie Berès. Je ne sais plus qui exposait la Diane de Reinhold Kuebart (1879-1937) dans sa course, toute en mouvement.

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    © Diego Giacometti, La rencontre, 1984, Ed.16/100,
    tissé au métier, au point et à l'aiguille, à la main, laine et trame coton, 275 - 175 cm

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    Reinhold Kuebart, Sculpture monumentale de Diane, 1920, bronze à patine verte, H. 213 cm

    Et puis, après avoir remarqué d’abord chez Douwes Fine Art une sculpture originale près d’une magnifique gravure de Rembrandt (La résurrection de Lazare), je retrouve à la galerie Boon plusieurs autres œuvres de Pablo Atchugarry. Cette belle série de « White Composition » en marbre de Carrare m’a fait chercher plus de renseignements sur ce grand sculpteur uruguayen, né à Montevideo en 1954. Son parcours est bien résumé sur le site de la galerie monégasque Adriano Ribolzi.

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    © Pablo Atchugarry, White Composition III, 2022, marbre blanc de Carrare, 44 x 25,5 x 18 cm

    Pas encore d’artiste femme dans cet aperçu ! J’ai aimé la sérénité yogique de Birth Bath (vers 1921), signé Janet Scudder (1869-1940), une sculptrice américaine connue pour ses œuvres destinées à décorer les jardins, selon le Metropolitan Museum. Je ne me souviens plus à quel stand, désolée.

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    Janet Scudder, Birth Bath, vers 1921, pierre marbrière, 88 x 73 x 36 cm

    Chez Kálmán Makláry Fine Arts, j’ai découvert l’étonnant « univers de graines » d’Ilwha Kim, une artiste sud-coréenne (°1967) qui travaille le papier de mûrier séché, puis l’enroule de façon à créer une graine rigide. En assemblant ces « graines », elle compose ensuite « des paysages entre peinture et sculpture ». Trois quarts de siècle après ce Parc peint par Utrillo, exposé à la galerie Willow.

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    © Ilhwa Kim, Piano song, 2015, hand dyed hanji, 164 x 132 x 13 cm

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    Maurice Utrillo, Le Parc de M. et Mme Utrillo au Vésinet, 1940,
    huile sur toile, 97 x 131 cm

    Luxembourgeoise, Su-Mei Tse (°1972) photographie une plante qui se presse contre la vitre pour recevoir un maximum de lumière. Attentive au « toucher » des plantes, elle « visualise la poésie de l’existence quotidienne », comme lu sur une notice de la galerie Nosbaum Reding, qui expose deux de ses Plants and shades (2017), où le flou modifie la perception. Ce n’est pas comparable, mais je l’associe pour terminer à un coup de cœur, chez Alexis Pentcheff : La petite fenêtre de Bonnard, ouverte sur son jardin du Cannet.

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    © Su-Mei Tse, Plants and shades, 2017, photographies couleur sur dibond

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    Pierre Bonnard, La petite fenêtre, 1946, huile sur toile, 58 x 45 cm

    Ce que je vous montre ici de la Brafa 2022 est très peu de chose, vous vous en doutez, parmi tant de pièces remarquables et de chefs-d’œuvre que vous pouvez découvrir dans le catalogue en ligne. Une question pour conclure, basée sur ma propre perception : tant d’art actuel ne risque-t-il pas d’y faire de l’ombre aux anciens et même aux modernes ?

  • Femmes

    Dans la seconde partie de l’exposition Léon Navez. Une peinture de l’âme au Rouge-Cloître, j’ai été frappée par la sérénité qui émane des figures féminines telles qu’il les a peintes dans les années soixante. En voici trois exemples aux tons particulièrement solaires (que mes photos rendent très imparfaitement).

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    © Léon Navez, La Martiniquaise, 1960, huile sur toile, 65 x 98 cm, Collection privée

    La Martiniquaise est drapée dans un grand tissu jaune. Les courbes du visage, du torse et des mains contrastent avec les plis droits du paréo. Les bandes larges du châssis de fenêtre derrière elle tranchent avec les lignes fines qui la dessinent.

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    © Léon Navez, Femmes sur la digue, 1960, huile sur toile, 81 x 100 cm, Collection privée

    La composition de Femmes sur la digue présente le même contraste entre le traitement de la figure humaine et celui du décor. Les aplats de couleur leur confèrent une immobilité tranquille, alors que le ciel et la mer sont en mouvement.

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    © Léon Navez, Goûter sous le parasol, 1962, huile sur toile, 81 x 100 cm, Collection privée

    Si le duo étonne – l’une est nue, l’autre habillée – que dire de Goûter sous le parasol qui m’a fait bien rire, au fur et à mesure que j’observais le jeu des contrastes (couleurs & formes) de haut en bas de la toile. Amusant, non ?

    Léon Navez. Une peinture de l’âme, Centre d’art du Rouge-Cloître
    > 17 juillet 2022.

  • Peintre de l'âme

    Au Centre d’art du Rouge-Cloître, une belle rétrospective permet de découvrir le parcours artistique de Léon Navez (1900-1967), « Une peinture de l’âme ». Il fut un des fondateurs du groupe Nervia que le musée d’Ixelles avait confronté en 2015 au premier groupe de Laethem-Saint-Martin : Navez y était bien présent mais la force des œuvres d’Anto Carte (son maître et protecteur) ou de Gustave Van de Woestyne m’avait rendue moins attentive à ce peintre plus discret.

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    L’exposition actuelle présente exclusivement des peintures issues de collections privées, en deux temps : au rez-de-chaussée les débuts, la période Nervia, les influences diverses ; à l’étage, des œuvres d’après 1950, sa dernière période – une découverte pour moi : un art plus lumineux, plus graphique, où la pureté de la ligne et les aplats de couleur prennent le pas sur la peinture de l’intériorité.

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    © Léon Navez, Autoportrait, 1927, huile sur toile, 64 x 53 cm, Collection privée

    L’affiche montre la prédilection de Navez pour le portrait à toutes les périodes de sa vie, entre autres avec le puissant autoportrait de 1927 : « Intense et halluciné, saisissant, le tableau incarne la volonté de Navez de se regarder en face au risque de perdre pied. Assujettissant la forme au fond, il s’interroge d’une manière un peu folle qui fait violence à son tempérament feutré. » (Danièle Gillemon, Une peinture de l’âme – extrait du catalogue)

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    © Léon Navez, La vieille, 1928, huile sur toile, 130 x 90 cm, Collection privée
    (comparaison intéressante avec L'aïeule d'Anto Carte, illustrée à côté)

    Navez, né à Mons, fonde avec d’autres peintres wallons le groupe Nervia en 1928, comme le rappelle « Les trois Léon » de Désiré Haine à l’entrée : un portrait de Léon Eeckman, assureur et administrateur du groupe, devant deux toiles de ses amis Léon Devos (poissons) et Léon Navez (nature morte fleurie). Sa fille, Françoise Eeckman, exprime dans un entretien à la fin du catalogue son désir de « raconter ici ce que les livres ne disent pas et faire en sorte que le souvenir de Léon Navez […] demeure, apportant à chacun une connaissance plus proche de l’artiste. » (L’homme raconté, interview par Nicolas Delvaulx)

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    © Léon Navez, L'homme au chat (autoportrait), 1930, huile sur toile, 125 x 100 cm, Collection privée

    Elle rappelle la mort des parents du peintre quand il n’avait que vingt ans. Recueilli par une tante, Léon Navez était plutôt taiseux, enclin à la mélancolie. Mais il a pu toute sa vie compter sur des amitiés solides dans ce trio auquel s’était joint Taf Wallet. Anto Carte, avec qui il a voyagé en Italie grâce à une bourse (prix Godecharle) en 1925, l’a hébergé chez lui durant deux ans. Fort influencé par son protecteur au début, Navez a fait la rencontre de Léon Devos à l’Académie de Bruxelles, a connu la dèche à Paris et y a rencontré sa première épouse, Lulu (Lucienne Jouanneau), au caractère plutôt sérieux et morose comme le sien ;  leur fils Serge naît en 1928.

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    © Léon Navez, L'enfant au caban, 1940, huile sur toile, 100 x 80 cm, Collection privée

    Lulu meurt de maladie en 1950. Quatre ans plus tard, Navez se remarie avec Annie Deronne, très gaie, dont la joie de vivre lui rend le sourire ; ils s’installent à Auderghem. Les souvenirs de Françoise Eeckman sur l’homme qu’il était – elle a passé deux semaines de vacances avec eux au Zoute et le peintre était un ami de ses parents – dessinent sa personnalité toujours un peu réservée, son application à créer, sans cesse en recherche, en pratiquant diverses techniques.

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    © Léon Navez, Jeune fille au chapeau, 1940, Collection privée

    Le caractère introverti de Léon Navez a sans doute contribué à la qualité de ses portraits, à la fois habités et mystérieux, qu’il s’agisse d’adultes ou d’enfants : La vieille, L’homme au chat, La visite« Avant de peindre il faut savoir dessiner » disait-il : cela se voit bien notamment dans la Jeune fille au chapeau. Son trait sûr et fin rappelle parfois l’art de Foujita.

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    Vue partielle de la suite de l'exposition à l'étage (après 1950)

    Influences et recherches rapprochent le peintre du cubisme (Le jardinier), de l’expressionnisme (Rouge-Cloître en hiver m’a fait penser à certains paysages brabançons de Taf Wallet), du symbolisme. Ses paysages de Chiny (Cour de ferme) où il avait une maison portent encore l’influence de la peinture toscane qu’il admirait. Engagé dans la Résistance durant la seconde guerre mondiale, il peint assez traditionnellement une réunion de l’équipe du Faux Soir, et, à la manière de Guernica, la tragédie d’Oradour sur Glane.

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    © Léon Navez, L'élève / Intérieur avec chevalet et chaise, 1960, Collection privée

    A l’étage, place à la lumière ! Remarié, revenu du Congo où il a peint sobrement des femmes au bord de l’eau, optant pour la ligne claire et des compositions presque japonisantes, c’est la nouvelle et dernière phase de la peinture de Léon Navez qu’on découvre là. Plus décorative, stylisée, plus contemporaine, allègre. Le chevalet souvent géométrise l’espace, rappelle l’enjeu pictural, et même s’il semble d’abord qu’il soit moins question d’âme ici, j’ai ressenti dans cette salle à l’accrochage très réussi une persistance de l’intime, du silence, de l’âme contemplative du peintre – aussi dans la grande pudeur des nus.

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    © Léon Navez, Petite fille au bocal, 1960, Collection privée

    Ne manquez pas Léon Navez, une peinture de l’âme, au Centre d’art du Rouge-Cloître : du mercredi au dimanche de 14h à 17h (18h le week-end). Entrée à 3 € !

  • Bleu divin

    arditi,l'homme qui peignait les âmes,roman,littérature française,iconographie,religion,peinture,sensualité,spiritualité,xie siècle,proche-orient,culture« De toutes les icônes exposées, la sienne était la seule à ne pas être recouverte d’or, à l’exception de l’auréole du Christ, marquée par un fin cercle. Le reste du fond était un bleu ciel exceptionnel d’éclat et de profondeur, qu’il avait obtenu grâce à une pierre trouvée sur les hauteurs de Mar Saba, et qu’il avait appelé Bleu divin.
    Sa découverte était due au hasard. Un jour qu’il remontait en direction de Bethléem, un reflet jaillit d’un rocher, qui le frappa par sa brillance. Il s’approcha de la pierre et constata qu’elle contenait des cristaux bleutés. Il en détacha quelques fragments et, à son retour à l’atelier, pulvérisa l’un d’eux avant de le mélanger à de l’huile de lin. La teinte obtenue sur une couche de levkas l’avait laissé sans voix. »

    Metin Arditi, L’homme qui peignait les âmes

  • Les icônes d'Avner

    Le dernier roman de Metin Arditi, L’homme qui peignait les âmes, conte une histoire née d’un questionnement : qui fut l’auteur véritable de l’icône dite du Christ guerrier, conservée au monastère de Mar Saba, à une vingtaine de kilomètres au sud de Bethléem ? Une analyse récente a remis en question son attribution.

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    Mar Saba, monastère chrétien orthodoxe oriental surplombant la vallée du Cédron
    à mi-chemin entre la vieille ville de Jérusalem et la mer Morte (Wikimedia)

    L’histoire d’Avner commence à Acre en l’an 1079. Le gamin juif, quatorze ans, livre du poisson au monastère de la Sainte-Trinité et chaque fois, Thomas, qui aime sa compagnie et connaît sa gourmandise, lui prépare alors un en-cas. Cette fois, il l’agrémente de quatre petites figues cueillies sur le figuier sauvage près de l’église : Avner aime s’installer sous cet arbre, il a baptisé cet endroit Le Petit Paradis.

    Son père lui a bien ordonné de rester à distance de l’église, mais le garçon aime se laisser bercer par les chants liturgiques, respirer la brise et les senteurs, observer les papillons… Quand il dessine un jour une esquisse du « Roi des Rois », un grand papillon doré, il est puni par son père qui lui rappelle l’interdit de la représentation, qu’Avner ne comprend pas : célébrer la beauté, n’est-ce pas honorer le Créateur ?

    De même, quand ses parents l’envoient dormir dans la même chambre que sa cousine Myriam qu’ils ont recueillie, il ne peut résister à son invitation de s’étendre sur elle. Myriam, qui garde les moutons, est devenue sa complice en sensualité. Il lui a montré le figuier sauvage, il lui raconte tout, notamment sa rencontre avec le frère Anastase qui portait une icône. Le fond d’or a ébloui Avner, à tel point qu’un jour, le moine le fait entrer dans l’église pour admirer l’iconostase « qui sépare le monde des vivants de celui de l’Esprit ».

    Fasciné, Avner se met à fréquenter l’atelier d’Anastase, avec un grand désir de peindre lui aussi de telles images. « Pas peindre, corrigea Anastase, écrire. J’en commence une. Regarde. » Si le garçon veut devenir iconographe, cela implique un chemin très long, l’apprentissage, l’étude des Textes et une conversion sincère au christianisme. C’est chez Anastase qu’Avner fait la connaissance de Mansour, un marchand ambulant qui voyage avec une chamelle, un mulet et une ânesse et lui fournit des pierres rares pour les couleurs, de la feuille d’or.

    Jour après jour, le garçon apprend les techniques, le traitement du bois, la préparation des pigments, la cuisson de la colle. Un an plus tard, il reçoit le baptême et prend le même prénom qu’Anastase, qui signifie Résurrection. Les textes et l’enseignement reçu l’ont ébloui, il a décidé de passer outre le fait qu’il ne croit pas à la Révélation – sans l’avouer. Quand son père décide de marier Myriam, Avner lui montre la belle icône où il l’a représentée avec un agneau dans les bras : elle est choquée de voir la petite croix peinte sur son front et le trahit. Son père le chasse de la maison.

    Avner a beau se sentir coupable de s’être détaché des siens, de son peuple, il ne peut faire autrement que poursuivre dans la voie qu’il a choisie. Anastase le confie alors à Mansour pour qu’il aille à Mar Saba, là où les moines rivalisent pour créer les plus belles icônes. En voyage, il apprend beaucoup du marchand musulman qui lui raconte ses aventures, sa vie. Il prie avec lui comme un fils.

    Dix ans plus tard, au monastère de Mar Saba, les icônes d’Avner suscitent l’admiration de tous et aussi des jalousies. Les figures du jeune iconographe sont incroyablement vivantes et quand on l’accuse de s’écarter des canons traditionnels, il l’admet volontiers, au risque d’être expulsé : « La seule chose que je souhaite, c’est d’écrire la joie de vivre ».

    Metin Arditi rend hommage à l’art sacré de l’icône à travers ce personnage d’artiste attachant pour qui, qu’on soit juif, chrétien ou musulman, ce qui importe, c’est de célébrer la beauté du monde, comme l’annonçait l’épigraphe du roman : « Les joies du monde sont notre seule nourriture » (Giono). Ce récit, riche en rencontres fortes dans le Proche-Orient du XIe siècle, campe des personnages attachants et complexes. En sortant des conventions de son art, à l’écart des violences de son temps, Avner se donne une mission inédite et pacificatrice : peindre les âmes, révéler ce qu’il y a de meilleur dans l’être humain.