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De Menton à Trieste

« A ski, nous poursuivions un rêve d’enfant : l’école buissonnière géante. » « Nous », ce sont Sylvain Tesson, l’auteur, et Daniel du Lac, un grimpeur et un guide sûr en haute montagne. Blanc raconte leur traversée des Alpes en quatre hivers, de 2018 à 2021 (vers mars-avril). Une carte au début du livre retrace leur périple, de Menton à Trieste.

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Photo Skibylletour

Départ le 8 mars 2018 : « De Menton à Olivetta par le col du Berceau, 13 kilomètres et 1300 mètres de montée. » En tête du récit de chaque journée (85 au total), le chemin parcouru est ainsi délimité, puis commenté en peu de pages. Le rendez-vous avec la neige a lieu le deuxième jour, à 1600 mètres. Le troisième, Tesson laisse tomber son bâton « dans les rochers, 100 mètres en contrebas » ; du Lac le lui ramène – « quinze ans que nous courions les montagnes ensemble ». Ils pratiquent l’escalade comme « meilleure échappée à l’ennui. » – « Le mouvement résout tout. »

Le septième jour, le duo de départ rencontre un skieur de haute taille dans un refuge. Philippe Rémoville, parti de Nice une semaine plus tôt, se présente. Il  traverse les Alpes, seul, et ajoute : « J’ai appelé mon voyage « Sur les chemins blancs » en hommage à un type qui a traversé la France à pied et écrit un récit : Sur les chemins noirs.
– C’est moi, dis-je.
– C’est drôle, dit du Lac.
– C’est fou, dit Rémoville. » Ils seront désormais trois « dans le Blanc ».

Pour Sylvain Tesson, le Blanc est une « substance », leur traversée « le voyage absolu, une flottaison dans une idée de paysage. » Cela demande des ressources intérieures : réciter des poèmes, se rappeler des visages, des peintures, chanter… Et de l’humilité mêlée à la persévérance : il connaît ses limites physiques et ses douleurs. Depuis son accident à Chamonix, il ne boit plus d’alcool, il a moins d’équilibre. « Le Blanc unifiait le monde, désagrégeait le moi, anesthésiait l’angoisse, augmentait l’espace, évanouissait les heures. » Au refuge, prendre le soleil, se réchauffer de thé noir, fumer un cigare Toscano, ouvrir un livre dont quelqu’un s’est délesté, se reconstituer après l’effort – ce sera leur rituel.

« Les skis coupaient la soie. » En général, c’est du Lac qui « trace », d’instinct, tandis que Rémoville, ingénieur, « calcule ». Ils se complètent. Montées, descentes, le rythme exerce une sorte d’hypnose. Quand ils apprennent la mort du Dr Cauchy, urgentiste emporté par une avalanche, ils s’octroient un jour de repos, vu l’accumulation de neige trop dangereuse. Il leur faudrait composer davantage avec les aléas de la météo – le vent, le brouillard, le froid, la tempête même –, mais ce sont des obstinés et rares sont les renoncements, quitte à faire demi-tour.

Repartis de Val d’Isère en 2019, ils retrouvent les épreuves et les beautés de la piste, « par les pentes et par les crêtes ». Dans son carnet, Tesson s’invente un blason en quatre mots : « substance, patience, tempérance, alternance. » A Chamonix, ils s’équipent de couteaux, de crampons pour la glace. Un jour, il leur faut descendre 200 mètres en rappel, avec une corde de 60 mètres. Sentiment de gratitude ensuite : « La montagne nous avait laissés vivre. »

Certaines rencontres sont fortes : l’humilité du chanoine Raphaël qui sert la soupe à l’hospice du Grand-Saint-Bernard interpelle Tesson. Au refuge Nacamuli, quelqu’un se mêle à leur conversation sur la montagne dans la peinture : Pierre Starobinski, fils de Jean Starobinski, guide de haute montagne et galeriste, publie aussi des livres d’art. « Ainsi réalisait-il ce mariage auquel j’aspirais tant entre le muscle et l’âme, la vie sauvage et les raffinements de l’esprit. »

A maintes reprises, Sylvain Tesson décrit comment « la neige sert de réflecteur à l’Imaginaire », véritable « réservoir hypnotique ». Il « voit », par exemple, le visage d’une fille « blanche blonde et bleue » (celle à qui il dédie le livre). Le jour où, au dernier col, il aperçoit le Cervin, il admire sa perfection avant de descendre à Zermatt. Là ils vont s’incliner sur la tombe de Whymper, « le plus grand alpiniste du XIXe siècle » puis, à l’auberge, chercher des réponses à la grande question qui les habite : « Pourquoi grimper sur les montagnes ? »

En 2020 et 2021, les revoilà – « les mêmes, au même endroit, un peu plus tard », une didascalie de Feydeau – avec la pandémie en trouble-fête. Lutte quotidienne contre la douleur, l’angoisse, la fatigue. Joie de les surmonter, de découvrir les Alpes d’en haut, par-dessus les frontières, et enfin, d’arriver au but, à Trieste (la ville de Paolo Rumiz, qui a traversé l’Europe à la verticale et, en zigzag, les Alpes et les Apennins).

Les familiers de la haute montagne se régaleront des aléas sportifs de l’entreprise. De jour en jour, même si le paysage change, Blanc suit un schéma forcément répétitif, dans l’action comme dans la réflexion. Tout en me sentant très éloignée de ce goût de l’effort à tout prix et de jugements de Sylvain Tesson parfois aussi raides que certaines pentes, j’ai lu ce récit, moins inspiré dans l’ensemble, avec curiosité et goûté ses observations et ses digressions.

Commentaires

  • Je suis toujours très partagée lorsque je lis un livre de Tesson. Souvent il m'agace je le reconnais...mais j'avais bien aimé "la panthère des neiges" autant le livre que le film d'ailleurs pour une fois...Mais je reconnais qu'il est un exemple de courage quand je vois tout ce qu'il fait pour continuer ses explorations coûte que coûte. Merci de ta chronique je n'avais pas encore entendu parler de ce titre.

  • Il a une bonne plume pour partager ses voyages et certainement du courage, oui. Je lis qu'il essuie de plus en plus de critiques en France, elles me semblent parfois caricaturales, mais je connais peu l'homme.

  • « la neige sert de réflecteur à l’Imaginaire »....un peu comme les nuages je pense.

  • Peut-être... Ici ils ont envahi le ciel, qui a viré au gris. Bonne fin d'après-midi, Colo.

  • Si tu aimes la montagne, certainement.

  • Je suis plutôt réservée sur Sylvain Tesson. Je ne peux guère parler de ses livres, je n'en ai lu qu'un "les chemins noirs" qui m'a moyennement intéressée. Par ailleurs, le personnage médiatique me dérange pour différentes raisons.

  • Il peut être dérangeant et provocateur, j'imagine bien. Pour ma part, j'ai apprécié ses passages à La Grande Librairie. Vue d'ici, la polémique autour du Printemps des poètes semble avant tout politique, dommage pour cette édition 2024 sur le thème de la grâce - espérons qu'elle reprendra le dessus. Et dommage pour la liberté d'expression.

  • Si j'ai bien compris, en ce qui concerne le Printemps des Poètes, au delà de Sylvain Tesson, c'est l'institution elle-même qui était visée, principalement sa gestion. D'ailleurs, sa responsable a démissionné dans la foulée. Il faut espérer que les manifestations prévues dans toute la France auront bien lieu en mars. Je pense que oui, on ne peut pas arrêter comme cela des évènements préparés tout au cours de l'année.

  • Oui, la presse belge a relayé tout cela. J'espère avec toi que ça se passera bien tout de même. Bonne journée, Aifelle.

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