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Passions - Page 471

  • New York, 1935

    Les années 1930 n’ont pas fini d’inspirer les écrivains. Un monde vacillant de Cynthia Ozick (Heir to the Glimmering World, 2004, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Jacqueline Huet et Jean-Pierre Carasso, 2005) décrit le monde d’une jeune femme de dix-huit ans que la mort de son père va laisser sans famille, à l’exception d’un lointain cousin ; celui d’une famille juive qui a réussi en 1933 à quitter Berlin pour les Etats-Unis ; celui de James qui va changer leur destin à tous. 

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    July 14, 1935: Connecting Manhattan, Queens and the Bronx, the Triborough Bridge (Photo: The New York Times)

    En 1935, en réponse à une petite annonce, Rose entre au service du professeur Mitwisser, « spécialiste universitaire du karaïsme », sans savoir précisément ce qu’on attend d’elle. Elsa, son épouse, l’accueille dans une petite maison sombre. Elle sera nourrie, logée, mal payée, explique cette femme qui parle très mal et recourt sans cesse à l’allemand. Son mari a étudié en Angleterre, c’est lui qui a besoin d’aide, et non les enfants, comme Rose l’avait cru d’abord.

    Lui semble un géant aux yeux de Rose, un homme « habitué à dicter ses conditions » : « mon travail porte entre autres sur ce qui s’oppose précisément à l’arrogance des idées reçues ». Rose a grandi sans mère et s’est rebellée très jeune contre son père, un affabulateur et un escroc. Elle a appris la dactylographie par elle-même et puis a trouvé refuge chez son cousin Bertram, pharmacien en hôpital, pendant ses études à l’école de formation des maîtres. Bertram est soigneux, rassurant, mais leur vie harmonieuse sera troublée par son amour fou pour une communiste radicale, Ninel (prénom choisi en l’honneur de Lénine).

    Le monde des Mitwisser est étrange et mystérieux. Anneliese, la fille aînée, charge d’abord Rose d’emballer les livres du professeur en vue de leur déménagement à New York, où son père fera des recherches à la grande bibliothèque. Rose les trie par forme et par taille ! Anneliese doit tous les remettre dans l’ordre et Rose se retrouve à garder la petite dernière, Waltraut.

    Dans la maison à deux étages du Bronx où ils s’installent, Elsa Mitwisser est perdue. Elle refuse de quitter sa chambre. Rose apprend peu à peu dans quelles circonstances cette famille a quitté Berlin, après des journées à rouler en voiture pour échapper aux rafles. Là-bas, ils étaient riches et servis, respectés. Ici ils ne sont plus rien. 

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    Rose est la secrétaire de Mitwisser, mais il n’y a pas d’argent pour remplacer le ruban usé de la machine à écrire et quand la jeune femme veut puiser dans l’enveloppe que lui a donnée son cousin pour viatique, elle ne la trouve plus. Elle provoque alors un « grand barouf ». Anneliese récupère l’enveloppe sous le matelas de sa mère, obsédée par l’achat de nouveaux souliers (elle n’en a qu’une paire). « Quand James viendra… » : la première fois que ce personnage-clé est mentionné, c’est à propos d’argent. Les Mitwisser dépendent complètement de ce que leur donne cet homme.

    « La rébellion ardente était le sujet de Mitwisser. » Un soir où il a invité chez lui d’autres spécialistes, Rose entend qu’on le traite de renégat. Les karaïtes refusent toutes les interprétations rabbiniques pour s’en tenir aux seules Ecritures, ils sont accusés de littéralisme par les partisans du Talmud. Les soirées de travail prennent fin quand le professeur décide d’instruire lui-même Anneliese qui refuse d’aller au lycée, contrairement aux garçons. Ses journées, il les passe à la bibliothèque.

    La nouvelle charge de Rose consiste à empêcher Mme Mitwisser de chanter et de parler en allemand, langue bannie de la maison par le professeur. En lui lisant Raison et sentiments, Rose réussit à l’apaiser et à lui donner le goût de la langue anglaise. C’est alors que James revient, chargé de cadeaux : tous l’accueillent chaleureusement, même le professeur que Rose entend rire pour la première fois – à l’exception de la mère qui dans sa fureur a découpé en petits bouts de papier le roman de Jane Austen.

    Rose dispose grâce à James d’une nouvelle machine à écrire et reçoit enfin son premier salaire. Anneliese sort plus souvent, Rose en profite pour suivre Mitwisser et l’observer à la bibliothèque. La famille ne manque à présent plus de rien, les enfants vont mieux, seule la mère – l’amère – sombre dans une sorte de folie qui l’éloigne de tous sauf de Rose. « James avait apporté la santé et la maladie dans la maison. »

    Le jour où un des garçons, en son absence, s’est emparé d’un des seuls biens de Rose, un exemplaire du « Bear Boy » hérité de son père, la valeur du livre est soudain révélée : cet original vaut très cher, même avec la couverture déchirée, il appartenait à James, qui l’a perdu en jouant aux dés avec le père de Rose. De son côté, Elsa Mitwisser, laissée seule, a découpé l’oreiller de James en petits morceaux. Rose est rappelée à l’ordre. Bizarrement, cet épisode les rapproche : Mme Mitwisser lui parle de son ancienne vie de grande bourgeoise et de physicienne.

    On découvre que James est, était le « Bear Boy » ! C’était lui, le petit garçon « dans un chapeau » que son père a pris pour modèle et qui a fait sa fortune. Le personnage a connu un succès fulgurant dans la littérature enfantine, mais le petit Jimmy s’est mis à étouffer sous l’emprise du héros qu’il était devenu malgré lui. Adulte, il a voyagé et cherché partout une autre identité que celle-là. Lorsqu’il a croisé cette famille juive en exil, il a su quoi faire de son argent, attiré aussi par la fille aînée, Anneliese, belle et hautaine.

    Sort des réfugiés juifs. Place des pères. Rôle des femmes. Un monde vacillant nous introduit pas à pas dans ces destinées complexes, tourmentées, où chaque personnage cherche son équilibre. L’argent de James les rassure, mais quel en sera le prix ? Cynthia Ozick, née à New York en 1928, réussit à donner à l’histoire de cette famille une véritable épaisseur, par les détails concrets de leur existence et à travers les confidences que leur arrachent les incidents de la vie, les balbutiements d’Elsa la clairvoyante, les envolées du professeur, les préoccupations du cousin Bertram. Il ne sera pas facile à Rose de décider elle-même de la route à prendre.

  • Air terre mer

    Vu la semaine dernière dans le Var. 

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    Le nouveau bassin du parc Braudel, un réaménagement longuement attendu à La Seyne sur Mer et très réussi. Une des allées du parc porte à présent le nom de Danielle Mitterand.

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    A Sanary, un rassemblement de pigeons dans le port – jaloux des pointus qui attirent irrésistiblement les photographes ?

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    Les anciennes embarcations qui contribuent à la beauté du lieu arboraient fièrement le drapeau de leur centenaire. Leurs jolis noms et leurs photos sur le site des Pointus de Sanary.

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    Partout sur la Côte varoise, des palmiers atteints par des papillons ravageurs et le charançon rouge. Sur certains, des dispositifs destinés à les sauver de la destruction.

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    Les arbres avaient ce jour-là fort à faire avec le mistral.

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    Pour le plaisir des yeux enfin, ces superbes acanthes – « Dans le langage des fleurs, acanthe signifie « Amour de l'art. Rien ne pourra nous séparer. » (Wikipedia) » – et un oiseau de paradis. 

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  • Lumineuse et sombre

    La Drôme provençale en mai ? D’abord le plaisir de retrouver une petite maison de charme que des mains amies embellissent d’année en année. Le temps un peu frais pour la saison mais propice aux balades – sans pluie. 

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    Rendez-vous lumineux : le jaune des genêts et des cytises, l’écume rougeoyante des jeunes feuilles sur les abricotiers, et partout des valérianes en fleurs, des iris, des roses. Inattendus, de fascinants orchis pourpres au détour des chemins.

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    Villages perchés, vieilles ruelles, plantes en pots. Apéros en terrasse, restos,  thés, glaces. Brocante, ateliers d’artisans, grand marché hebdomadaire.

    Drôme

    Et surtout le bonheur de marcher ensemble : s’imprégner du paysage, s’arrêter pour prendre une photo, boire un peu d’eau, identifier une plante, un arbre, s’éloigner, s’attendre, raconter, pique-niquer sur une crête à l’abri du vent.

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    Au village, rassurer de la voix des chats craintifs, flatter de la main les familiers qui ont l’air de n’attendre que vous – une boule de chaton roux ne se laissera pourtant pas approcher. Couper le vieux pain et les croûtes de fromage pour les oiseaux. Porter des feuilles de salade aux poules. Retrouver ses vingt ans dans un fou-rire inextinguible au hasard d’une question de Trivial Pursuit. Faire la vaisselle. Faire la sieste.

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    Puis le voile noir de l’angoisse : l’un d’entre nous fait une très mauvaise chute. Tout change avec une brutalité sans nom. La vie est soudain si fragile, le jour si sombre.

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    Maintenant que le corps et l’esprit, doucement, se réparent, cette semaine en Drôme retrouve peu à peu ses couleurs et sa saveur : le goût de l’amitié.

  • Déjeuner de soleil

    Lire avec Marthe Robert / 8          

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    « Déjeuner de soleil » par exemple ne laissait pas de m’intriguer, parce que ma mère en parlait avec prédilection, à propos d’objets et de situations dont le lien n’était pas toujours apparent. Comme elle avait un parler bien à elle dont j’ignorais le plus souvent l’origine, je rangeai d’abord « déjeuner de soleil » parmi ses créations personnelles ; et naturellement j’en comprenais la signification, mais l’expression ne me paraissait pas très bien venue, je trouvais le « de » incorrect, car qui aurait pu se nourrir de soleil, ou si l’on prenait la chose à l’envers, de quoi le soleil aurait-il pu se sustenter ? Je me trompais sur tous les points, « déjeuner de soleil » existe bel et bien et le génitif y est parfaitement justifié, seulement on ne l’utilisait pas en toutes les occasions que ma mère jugeait appropriées, il ne s’appliquait qu’aux tissus de mauvais teint dont la couleur passait à la lumière et dont le soleil ne faisait effectivement qu’une bouchée.

    Marthe Robert, Le Puits de Babel, Grasset & Fasquelle, 1987 / Biblio essais, 1988.

  • Mots perdus

    Lire avec Marthe Robert  / 7     

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    Deuil et mélancolie des mots perdus. – Qu’est-ce qui les a chassés du discours quotidien, où ils marquaient pourtant le besoin de la nuance, de la différence, et, au physique comme au moral, l’inépuisable variété des phénomènes humains ? Où sont partis le débonnaire, l’affable, le bonhomme ou le bonasse, l’atrabilaire ou le chafouin ? Où, le chenapan, le papelard, le doucereux ? Le salace, le graveleux, le salé ont complètement succombé au porno ; l’acrimonieux et le sarcastique s’abolissent dans l’agressif ; le piquant cède la place à l’intéressant, tandis que la charmeuse ou la sorcière, la sainte-nitouche ou la virago, et combien d’autres mots si propres à diversifier choses et gens, tombent dans le néant créé en hâte par notre rage de nivellement (comme si de tout fourrer dans la grisaille de l’uniforme avançait le règne de l’égalité). (…)

    Marthe Robert, La vérité littéraire, Grasset & Fasquelle, 1981 / Biblio essais, 1983.