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Passions - Page 377

  • Chemins intérieurs

    Le dernier roman de Michèle Lesbre, Chemins (2015), s’ouvre sur le plus vieux souvenir qu’une fillette a de son père : « J’ai trois ans. Un homme qui me paraît immense entre dans la minuscule cuisine de l’appartement rue du Souci à Poitiers, me prend dans ses bras, je ne l’ai jamais vu. Ma mère me demande de l’appeler papa. C’est mon père. » 

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    Spilliaert, Femme au pied de l'arbre

    Entre les étapes d’un voyage en France, les souvenirs intimes de cet « étranger » mort seul à cinquante ans sont le cœur du récit : « Aujourd’hui, cinquante ans plus tard, quelqu’un que je ne connais pas me remet sur son chemin. » Un homme en costume de velours et casquette de tweed qui lit, assis sur le trottoir, sous un réverbère, bien qu’il n’ait rien d’un vagabond, observé de la terrasse d’un café parisien tandis qu’il pose son livre et bourre sa pipe.

     

    La narratrice va se mettre en route à cause d’un couple d’amis : ils ont insisté pour lui prêter leur nouvelle maison en leur absence. Elle n’a pu refuser, alors qu’elle regrette tant l’ancienne qu’ils ont vendue, peut-être parce que la nouvelle maison se trouve près d’un canal – « J’ai souvent rêvé de vivre dans une de ces maisons d’éclusier qui semblent se tenir hors du temps. »


    Elle décide d’emporter Scènes de la vie de bohème, le livre d’Henry Murger que lisait l’inconnu et qui était la lecture préférée de son propre père, « un manifeste heureux » sur la vie « poétique et libre » de Murger et de ses amis dans laquelle, sans doute, il s’était projeté. Elle espère approcher ainsi « cette part de mystère et de douleur » chez l’homme qui lui a tant manqué. Dans son périple le long du canal, elle croisera d’autres inconnus qui le lui rappellent.

     

    Train, chambres d’hôtel, paysages… Les moments de contemplation et d’introspection alternent avec les rencontres de hasard, mais il est un autre fil conducteur, celui des lieux connus, aimés, quittés, qu’elle décide de revoir, autant de pauses où la mémoire s’appuie aux traces du passé. Sans oublier la lecture de Murger, où très vite elle comprend que son père a dû s’identifier à Rodolphe, le personnage où transparaît Murger lui-même.

     

    « L’amour est toujours différent de ce qu’on imagine. » Quel était celui de ses parents, avant que son père ne parte ? Quel était ce sentiment qu’elle-même avait pour Martin, un ami d’antan, son préféré dans leur joyeuse bande, et dont elle ne sait ce qu’il est devenu ? Quel est celui de ce couple complice qui l’accueille sur une péniche, et avec elle le chien qui a choisi de l’accompagner dans ses tours et détours ?

     

    Dans Chemins, le voyage ou plutôt la flânerie est prétexte à remuer des souvenirs, à revisiter des moments d’enfance, de jeunesse, à réinventer un père et une mère à présent invisibles, mais si présents. « Une bouleversante quête du père, et un très beau roman des origines », dit la quatrième de couverture. Michèle Lesbre s’y révèle à nouveau une romancière du mouvement, comme s’il fallait mettre ses pas ailleurs pour mieux réveiller le passé, l’intime, au cœur du temps qui passe.

     

    « Nostalgie, oui, mais pas seulement. Il y a dans les livres de Michèle Lesbre un élan vital, une qualité d’émerveillement, un humour diffus, une sorte de confiance qui comblent le lecteur : « C’est peut-être la dernière fois, mais quelle dernière fois ? Il y en a tant. » » (Eléonore Sulser, « Michèle Lesbre, sur les chemins buissonniers de la mémoire », Le Temps, 28/2/2015) Chemins conte aussi, avec une douce lenteur, sa traversée de la solitude.

  • Couleurs d'amour

    « Dans l’Art comme dans la vie tout est possible si, à la base, il y a l’Amour. » 

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    © Marc Chagall, Le Cantique des Cantiques IV, détail, 1958.

    « Si toute la vie va inévitablement vers sa fin, nous devons durant la nôtre, la colorier avec nos couleurs d’amour et d’espoir. »

     

    Marc Chagall (Discours d’inauguration du musée, 7 juillet 1973)

  • Musée Chagall, Nice

    Au bas de la colline de Cimiez, le Musée national Marc Chagall est un bâtiment clair et moderne niché dans un jardin où, cela tombe bien, une cafétéria propose de quoi reprendre des forces en terrasse ou sous une gloriette blanche – pourquoi pas une salade, niçoise par exemple ? Il y a du monde ici, plus qu’au musée Matisse vu le matin, des autocars, des groupes scolaires, mais les espaces du musée sont vastes et nous pourrons le visiter bien à l’aise. 

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    D’abord une exposition temporaire : « Marc Chagall Œuvres tissées » permet d’apprécier le travail d’Yvette Cauquil-Prince, qui a reproduit des œuvres du peintre en veillant à rendre fidèlement ses couleurs, le passage de l’une à l’autre, dans des tapisseries de basse lisse. Le garçon dans les fleurs (1955, collection particulière), une scène joyeuse dans les tons roses et verts, a été choisi pour l’affiche. La Tapisserie pour l’entrée, dite aussi Paysage méditerranéen, y est exposée (on l’a déplacée à l’ombre pour la protéger). 

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    © Marc Chagall, Le garçon dans les fleurs, gouache sur papier, 1955.

    Au bout de cette galerie, un grand auditorium sert de salle de concert. La dernière projection d’un film sur Chagall débutait à quatorze heures et nous n’en voyons que la fin. A gauche de l’écran, la lumière révèle le bleu des splendides vitraux sur La Création du monde (Chagall & Charles Marq). C’est une donation exceptionnelle de Marc et Valentina Chagall, du vivant de l’artiste et centrée sur le « Message biblique », qui est à l’origine de ce musée inauguré en 1973. L’architecte André Hermant l’a conçu comme une « maison » pour mettre en valeur les œuvres qu’elle allait accueillir. 

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    Marc Chagall, tapisserie d'après "Le Garçon dans les fleurs" (détail), 1955. Maître d'oeuvre Yvette Cauquil-Prince © Adagp, Paris 2015

    Au départ, les douze grandes peintures à l’huile illustrant la Genèse et l’Exode étaient destinées aux murs de la chapelle du Rosaire à Vence, et les cinq plus petites inspirées du Cantique des Cantiques pour la sacristie. En avançant dans son travail, « l’expression la plus achevée de sa peinture religieuse » (catalogue), Chagall a préféré « mettre l’accent sur la portée humaniste de ses œuvres » et les offrir à l’Etat français. Ces dix-sept peintures sont exposées en permanence dans le musée, c’est le cœur de la collection permanente. 

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    © Marc Chagall, Abraham et les trois anges (détail), huile sur toile, 1960-1966.

    J’ai admiré longuement Abraham et les trois anges (j’en avais vu une petite esquisse au Mucem). Trois anges sont attablés, deux portent de somptueuses ailes blanches, le troisième des ailes jaunes (couleur divine pour Chagall). De face, près de la table, Abraham se tient debout, vêtu de bleu, sa femme Sarah à côté de lui apporte un plat. Toute la scène – les anges annoncent au vieux couple étonné qu’ils vont avoir un fils, Isaac – baigne dans un rouge profond traversé de lignes et dans le haut à droite, un autre épisode de cette rencontre est évoqué dans une bulle. 

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    © Marc Chagall, Le Cantique des Cantiques II (détail), huile sur toile, 1957.

    Le buisson ardent, le déluge, l’échelle de Jacob… Même si l’on connaît peu ces épisodes de l’Ancien Testament, on est époustouflé par l’extraordinaire richesse et des couleurs et de la composition. Chagall est ici à son apogée. Que dire alors de la salle consacrée au Cantique des Cantiques, ce chant d’amour interprété par le peintre dans toutes les nuances du rouge et du rose. Un extrait au-dessus de chaque tableau en indique le thème. Une plaquette reprend la dédicace du peintre : « A Vava ma femme, ma joie et mon allégresse ». 

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    Marc Chagall, Le prophète Elie, mosaïque, 1971.

    Projet de vitrail, bas-reliefs, œuvres sur papier, toutes les facettes de son art sont illustrées dans ce musée dont l’architecture s’ouvre soudain sur un bassin, sous une mosaïque monumentale réalisée avec le mosaïste Lino Melano. On y voit le prophète Elie enlevé au ciel sur son char de feu, entouré des constellations du zodiaque. Devant la baie vitrée qui lui fait face, une banquette permet aux visiteurs de s’imprégner, de goûter la sérénité de cette « vision cosmique, baignée par la lumière méditerranéenne ». 

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    Devant La Création de l’homme, un groupe d’élèves assis par terre écoutent attentivement la conférencière qui aide à regarder, à apprécier. Il faudrait rester ainsi, longuement, devant chacun des chefs-d’œuvre réunis dans ce musée.

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    S’attarder sur les détails, comme ces arbres ou buissons lumineux, floraisons de couleurs vives (Adam et Eve chassés du Paradis, Le Cantique des cantiques V et III).  

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    Je m’étais promis de visiter un jour ce musée Chagall de Nice tant vanté, la rétrospective de Bruxelles avait sonné le rappel. En sortant dans le jardin conçu par Henri Fisch, magnifié sous un ciel d’azur, on retrouve les arbres que Chagall aimait tant. Un eucalyptus impressionnant domine le site, planté de palmiers, oliviers, cyprès – on n’a pas envie de quitter ce bel endroit.

  • Fête partout

    « Dans la campagne, loin des routes, qui sont empestées par les ruisseaux noirs et gras des moulins à huile d’olive, les collines étaient embaumées par les siméthides délicates, par les buissons de cythise épineux et de coronille-jonc, et par les tapis de coris rose, cette jolie plante méridionale qui ressemble au thym, mais qui sent la primevère, souche de sa famille. sand,george,tamaris,roman,littérature française,provence,toulon,amour,amitié,romantisme,cultureDes abeilles, butinant sur ces parfums sauvages, remplissaient l’air de leur joie. Des lins charmants de toutes couleurs, des géraniums rustiques, des liserons-mauves d’une rare beauté, de gigantesques euphorbes, de luxuriantes saponaires ocymoïdes, des silènes galliques de toutes les variétés et des papilionacées à l’infini s’emparaient de toutes les roches, de toutes les grèves, de tous les champs et de tous les fossés. C’était fête partout et fête effrénée, car elle est courte en Provence, la fête du printemps ! entre les tempêtes de mars-avril et les chaleurs de mai-juin, tout s’épanouit et s’enivre à la fois d’une vie exubérante et rapide. »

     

    George Sand, Tamaris

     

  • Le Tamaris de Sand

    C’est l’association Livres en Seyne (La Seyne-sur-mer) qui a republié Tamaris (1862), roman inspiré à George Sand par son séjour à Tamaris en 1861. Ce beau quartier sur la Corniche qui suit la baie du Lazaret et où s’arrête le bateau navette qui relie Les Sablettes de La Seyne-sur-mer à Toulon, elle l’avait choisi alors pour « se refaire une santé » dans un endroit moins cher que Nice.  

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    Corniche de Tamaris (source)

    François Trucy, qui signe la préface, précise que son bisaïeul lui avait loué pour trois mois la belle bastide rurale qu’il n’occupait que l’été. Les Trucy ne louaient que le premier étage, mais lui ont permis de disposer aussi de tout le rez-de-chaussée et laissé leur chienne pour garder la maison pendant les « interminables excursions » de George Sand « infatigable et curieuse » qui marchait, visitait, parlait aux Provençaux « chaque jour quel que soit le temps ». 

    Un jeune médecin en est le narrateur : « En mars 1860, je venais d’accompagner de Naples à Nice, en qualité de médecin, le baron de la Rive, un ami de mon père, un second père pour moi. » Comme celui-ci achève sa convalescence à Nice avant de rentrer à Paris, il décide de s’arrêter quelque temps à Toulon pour régler une petite succession pour le compte de ses parents.

     

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    Première édition de Tamaris

    Il  y a déjà séjourné et apprend avec plaisir que son ami la Florade, 28 ans, « Provençal de la tête aux pieds », une personnalité « riante », y est à présent lieutenant de vaisseau. Le terrain dont le jeune médecin a hérité et qu’il souhaite vendre se trouve à Tamaris, où il rend visite à un voisin « entre deux âges », M. Pasquali, parrain de la Florade.

     

    Lui occupe une bastide près de la plage, à l’abri du mistral, mais comme le Parisien déplore l’absence de vue, Pasquali l’emmène au sommet de la colline, à proximité d’une « maison basse assez grande et assez jolie pour le pays », d’où son visiteur peut admirer « une des plus belles marines » qu’il ait jamais vues : au nord, une colline boisée que surmonte au loin la masse du Coudon, à l’est, « des côtes ocreuses et chaudes festonnées de vieux forts », l’entrée de la petite rade de Toulon, la grande rade avec à l’horizon « les lignes indécises de la presqu’île de Giens et les masses vaporeuses des îles d’Hyères ». 

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    Villa George Sand à Tamaris, côté nord, dessin de Maurice Sand, 2 mars 1861
    Villa George Sand à Tamaris, côté sud, dessin de Maurice Sand, 14 avril 1861
    http://jcautran.free.fr/archives_familiales/forum/george_sand.html#1

    Pasquali lui parle de Mme Martin, la jeune veuve qui a loué pour la saison cette maison si bien située et de son enfant malade, à qui le climat rude et sain semble convenir. Lorsqu’elle apparaît et les invite à s’approcher, cette « beauté adorable » impressionne immédiatement le jeune homme, qui lui offre gracieusement ses services et examine Paul, huit ans, de physique délicat, mais en assez bonne forme. 

    Une certaine Mlle Roque, fille naturelle de son vieux parent dont elle hérite pour moitié, se révèle être sans ressources, ce qui complique les affaires. Elle occupe sur le terrain une « horrible masure » avec une vieille Africaine presque aveugle. De mère indienne, c’est une « très-belle femme » qui a la réputation d’être une originale. Elle reçoit le médecin dans un joli salon à l’orientale, lui confie que son père s’est suicidé, ce qui a été caché à tous. Elle veut bien vendre, mais pas quitter la bastide, n’ayant jamais vécu ailleurs. 

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    Nouvelle édition (Livres en Seyne)

    On saura bientôt que la Florade a dans la région une réputation de séducteur, qu’on l’a vu rôder près de la bastide Roque, que la douce Mme Martin, en réalité marquise d’Elmeval, a choisi la discrétion pour son séjour dans le Midi, et que le médecin en est déjà éperdument amoureux, sentiment contre lequel il lutte – « Pourquoi l’aimer, moi qui à trente ans avais su me défendre de tout ce qui pouvait me distraire de mes devoirs et entamer ma persévérance et ma raison ? »

     

    N’empêche qu’il saisit chaque occasion de revoir la marquise et, sous le couvert de son goût pour la botanique, de la rejoindre comme par hasard dans ses promenades – il veille à la réputation de la jeune veuve. Elle lui fait découvrir les beaux endroits de la région, ils s’entendent à merveille. Un jour, ils rencontrent une femme singulière, qui se dit très malade et veut être examinée, c’est la femme du brigadier qu’on surnomme « la Gênoise » et qu’on dit méchante, battant ses enfants.  

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    Le pavillon Roustan à Tamaris, ancienne maison de gardien de la villa George Sand, aujourd'hui détruite

    Bientôt le médecin, à qui chacun, chacune se confie, comprend que la Florade s’intéresse de près à toutes les jolies femmes qu’il croise sur son chemin et laisse derrière lui bien des chagrins, ne s’engageant jamais. Il finit par le soupçonner de vouloir aussi se rapprocher de la marquise, et en souffre.

     

    George Sand conte dans Tamaris une histoire romantique, mêlée à une description enthousiaste de ce coin de Provence, de son climat, de ses paysages, des gens, de l’habitat, de la flore… Les végétaux sont désignés avec précision, comme le tamarix narbonnais qui croît en abondance sur le rivage et a donné son nom au quartier : « L’arbre n’est pas beau : battu par le vent et tordu par le flot, il est bas, noueux, rampant, échevelé ; mais, au printemps, son feuillage grêle, assez semblable d’aspect à celui du cyprès, se couvre de grappes de petites fleurs d’un blanc rosé qui rappellent le port des bruyères et qui exhalent une odeur très-douce. » 

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    Cette édition a repris l’orthographe et la ponctuation de l’édition originale, comme ces traits d’union que George Sand met toujours entre « très » et l’adjectif. Au début de chaque chapitre, des cartes postales anciennes permettent de se figurer les lieux à l’époque. Si l’intrigue connaît bien des rebondissements sentimentaux, pour qui connaît un peu la région, c’est de voir évoluer les personnages à Tamaris et dans les paysages de Provence qui fait le plaisir de cette lecture.