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Passions - Page 378

  • Baigneuse

    Matisse baigneuse-dans-les-roseaux.jpg

    Lignes et formes en bleu : deux arcs pour encadrer, quelques horizontales entre lesquelles glissent deux poissons, deux verticales.

    Au centre, une femme assise, penchée, de profil. Toute en courbes : tête, bras, seins, torse, ventre, cuisse, mollet.


    C’est une baigneuse dans les roseaux, c’est un Matisse.

     

     

     

    Henri Matisse, Baigneuse dans les roseaux, 1952, papiers gouachés, découpés, collés et marouflés sur toile, 115 x 80 cm
    © Succession Henri Matisse / Musée Matisse, Nice.

     

     

     

     

     

  • Nice, musée Matisse

    Nice. Sur les hauteurs de Cimiez, pour se rendre au musée Matisse, on traverse un quartier de résidences et de villas belle époque, on passe devant le splendide Regina, avant de trouver, si on a de la chance, une place pour garer la voiture entre le cimetière et un jardin public en haut de la colline. On emprunte alors une allée du parc qui mène à une grande demeure du XVIIe siècle, rebaptisée Villa des Arènes 

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    Matisse a vécu plus de quarante ans à Nice, et en 1938, achète au Regina deux appartements au troisième étage. Ce « vaste lieu de vie et de travail, peuplé de vases, meubles, plantes, étoffes et tentures » sera sa dernière résidence. Il y décède en 1954. J’ignorais qu’il était enterré au cimetière de Cimiez, sinon j’y serais allée. (Sur la route de Matisse, brochure à télécharger sur le site du musée, Matisse et Nice). 

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    http://www.musees-mediterranee.org/portail/musee_fiche.php?menu=1&num_musee=112

    Le musée, qui contient la quasi-totalité de l’œuvre sculpté de Matisse a bénéficié de diverses donations, notamment d’objets lui ayant appartenu. Le site en donne un aperçu. Des peintures, et surtout des dessins, des œuvres graphiques, de beaux papiers découpés. De l’accueil, on descend dans un hall spacieux où sont présentés de grandes sculptures et les célèbres « Torses » en relief.

    Le parcours est thématique. Une des merveilles de Matisse, c’est son art de la ligne. On a réuni dans la salle suivante quelques visages de femmes : le pinceau a tracé le contour, les yeux, le nez, la bouche, et cela suffit à capter une physionomie. En regardant de plus près la « tache d’encre » qui fait l’œil ou la corolle des lèvres, on voit qu’il y a là quelque magie. 

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    Matisse, Nature morte aux livres, 1890 © Musée Matisse, Nice

    La danse (la grande toile de l’Ermitage est exposée actuellement au nouveau musée Vuitton), les corps en mouvement, inspirent Matisse tout au long de sa vie, comme on peut le voir ici. Près des études préparatoires pour la fresque du Dr Barnes – des groupes de danseurs – se trouve un bois cylindrique où Matisse avait déjà sculpté des danseuses. 

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    Matisse, Petite pianiste, 1924 © Musée Matisse, Nice

    Sa toute première peinture, dans une salle consacrée à sa première période, 1890-1897, est une Nature morte aux livres : ils sont posés en pile sur une nappe blanche qui contraste avec le fond noir de cette petite toile assez sombre. Il l’a signée d’une anagramme, « Essitam ». Ce sont les voyages qui vont lui révéler la lumière. Une Petite pianiste en robe bleue, de profil devant un papier peint rouge, datée de 1924, montre un peintre très différent, qui couvre sa toile de couleurs et de motifs. Matisse marie les imprimés et les rayures, les arabesques et les aplats colorés, comme dans l’Odalisque au coffret rouge (1926).

    Tempête à Nice (1919-20) est tout mouvement : les couleurs ici sont lavées par la pluie, mais le paysage entier – terre, mer et ciel – est pris par les bourrasques. Des hachures glissent dans le ciel gris du bleu, du rose ; les crêtes sombres des vagues conduisent l’œil aux montagnes, tout au bout, vers lesquelles convergent le parapet de la promenade, l’allée de pins parasols où s’interposent deux grands palmiers, la route où nous apercevons, en contrebas d’une balustrade à peine évoquée dans l’angle inférieur droit de la toile, une silhouette en noir sous un grand parapluie. 

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    A l’étage sont exposés de nombreux objets légués par la famille de Matisse à la ville de Nice : des vases, des pichets, quelques meubles, une très jolie coupe en bois de forme ogivale, qu’on dirait aujourd’hui très « design ». Celle-ci tient compagnie à deux grandes sérigraphies : Océanie, le ciel et Océanie, la mer – splendides. 

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    Matisse, Torse debout, 1909  © Musée Matisse, Nice

    La prédilection de l’artiste pour l’infinie variété des visages s’illustre à nouveau dans une série d’eaux-fortes intitulées tantôt « Chinoise », tantôt « Martiniquaise ». Puis c’est le thème du nu qui se décline, en gravures et en sculptures. Un petit Torse debout (1909) n’a ni tête ni bras, mais dans ce torse et ces jambes, il y a le mouvement, la vie.

    En 2012, une donation a permis au musée de s’enrichir d’éléments découpés non utilisés par Matisse, restés dans son atelier. Un meuble original à charnières permet de les regarder, chaque élément sous verre dans un cadre, regroupés par couleur, un alphabet de peintre.

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    http://www.ceastudyabroadblog.com/?p=8399

    Dans la nouvelle aile, jusqu’au 17 mai, l’exposition « Henri Matisse : Regards sur la collection, une palette d’objets » présente des œuvres, des variantes autour d’un motif : par exemple, une nature morte, un bouquet près d’une petite tasse fleurie, celle en vitrine juste à côté. Matisse passe du format horizontal au vertical, puis essaye plusieurs compositions où la petite tasse change un peu de forme à chaque fois. Aux murs, des photos en noir et blanc des objets de Matisse dans sa villa Le Rêve à Vence, prises par Hélène Adant.  

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    La Piscine - Collection Musée Matisse, Nice - Don de Claude et Barbara Duthuit, 2011.
    http://www.nice-premium.com/cultures-spectacles,1/arts,39/la-piscine-un-chef-d-oeuvre-de-matisse-a-la-ville-de-nice,7185.html

    Un étonnant fauteuil vénitien et son guéridon assorti sont installés plus bas, dans le grand patio où une large baie vitrée éclaire un festival de couleurs et de formes : Fleurs et fruits, une de ses dernières œuvres (1952-1953), très grand format, près de neuf mètres de long, en gouaches découpées. 

    Avant la sortie, une autre donation récente met une très belle touche finale à la visite : La Piscine. Sur un bandeau blanc, des silhouettes de nageuses, des formes stylisées, composent la fresque bleue dessinée par Matisse pour la piscine du Regina tout proche. Une création par laquelle il voulait produire de la « fraîcheur mentale » qui agirait comme un « calmant cérébral ». 

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    C’est sur cette impression lumineuse que j’ai quitté le musée Matisse et retrouvé le bleu du ciel au-dessus de Cimiez. J’espérais trouver davantage de peintures dans ce musée niçois, mais j’y ai appris à mieux connaître l’univers de l’artiste. A dix-sept ans, en découvrant ses toiles au musée de l’Orangerie, j’étais très déconcertée par sa manière de peindre. Ici, à Nice, je me suis souvenue d’un échange avec ma titulaire de rhéto, qui m’avait dit alors : « Vous verrez, Matisse, c’est très beau. »

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • Petits aménagements

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    « Regardez-moi. Ne suis-je pas un bavard et un simple commerçant ? Non, non, permettez-moi de le dire à présent. Hier, j’étais le fils d’un pacha… Me fais-je bien comprendre ? Mon regretté père disait que chez nous, les grands changements ne sont pas très frappants parce qu’ils résultent toujours de perpétuels petits aménagements… Que dites-vous de cette idée ? Oui, des aménagements… Ce sont de petits et intelligents petits aménagements qui ont permis le cours silencieux de l’histoire ! Voici ce que disait mon père. »

     

    Orhan Pamuk, Cevdet Bey et ses fils

  • Cevdet Bey & co

    Le premier roman d’Orhan Pamuk, Cevdet Bey et ses fils (1982, enfin traduit du turc par Valérie Gay-Aksoy, 2014), raconte le destin d’un commerçant d’Istanbul et l’histoire de sa famille sur trois générations, de 1905 à 1970. Ce récit plein de questions sur le sens de la vie et sur l’évolution de la Turquie compte quelque 750 pages. 

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    Le prologue montre le jeune Cevdet Bey au réveil – dans son cauchemar, une fois de plus, il se sentait différent et seul –, le jour de la troisième rencontre prévue avec sa fiancée, fille de pacha, au konak de son père. Le jeune homme s’est habillé avec soin, a loué une voiture, mais dans son magasin, une quincaillerie spécialisée dans l’éclairage, on lui apporte une lettre l’appelant au chevet de son frère.

    A son arrivée, Nusret, médecin militaire devenu « Jeune-Turc » à Paris, tuberculeux comme l’était leur mère, est furieux qu’on l’ait appelé, mais il va très mal. Cevdet Bey lui cherche un médecin, puis ramène son neveu Ziya confié à des parents qui habitent encore le quartier pauvre d’Haseki. La tension entre les deux frères est palpable. Nusret méprise le métier de Cevdet Bey, quant à lui fier d’être le seul commerçant musulman dans sa rue, au milieu des Juifs, Grecs et Arméniens.

     

    Trois jours après un attentat à la bombe contre le sultan, c’est le principal sujet de conversation au club où il déjeune avec son ami Fuat Bey, commerçant de Salonique, un juif converti à l’islam. Celui-ci l’a introduit dans ce Cercle d’Orient où on apprend beaucoup grâce aux discussions et aux ragots aussi. Fuat Bey l’interroge sur le père de sa fiancée et lui conseille de s’intéresser davantage à la politique :

     

    « Pourquoi vivons-nous, en fin de compte ? Uniquement pour faire du commerce et gagner de l’argent ? Non ! Pour fonder une famille, avoir une maison, des enfants ? Oui, bien sûr, mais tant qu’il n’y a pas de liberté, tout cela reste très limité. Quel mal y aurait-il à ce que tout soit aussi libre que là-bas, en Europe ? Nos femmes vivent comme des esclaves, celui qui ne fait pas le jeûne du ramadan finit au tribunal… »

     

    Ces questions parcourent tout le roman, le désir de révolution ou du moins de réformes, l’aspiration à une société plus moderne. Son futur beau-père interroge aussi Cevdet Bey sur l’attentat avant de lui parler de ses enfants, de ses ennuis d’argent. Il est si bavard que le fiancé peut à peine entrevoir l’épouse du pacha qui sort avec ses filles, sans avoir pu parler à Nigân, sa future femme.

     

    En chemin, Cevdet Bey revisite une maison en vente dans le quartier bourgeois de Nisantasi, regarde les tilleuls, les marronniers, le jardin bien entretenu – « C’est ici que je vivrai. » Chez son frère qui tient des discours exaltés mais se sait condamné, il ressent le prix de la vie et décide d’en profiter davantage, d’être joyeux, de rire, de boire et de manger, même si c’est souvent difficile à concilier avec le magasin.

     

    Trente ans plus tard, le jour de la fête du Sacrifice, toute la famille est réunie chez Cevdet Bey et Nigân Hanim : Osman, leur fils aîné, et son frère Refik sont mariés ; leur fille Ayse, seize ans, chipote à table. Après le repas, Cevdet Bey somnole à l’écart des conversations, jusqu’à l’arrivée de son ami Fuat Bey avec sa femme et leur fils Remzi.

     

    Le soir, les trois amis de l’école d’ingénieurs, Refik, Ömer et Muhittin qui place la poésie avant toute chose, se retrouvent chez Refik pour boire et discuter de leurs projets. Ömer le conquérant – « Il faut faire quelque chose dans cette vie » – déplore la routine bourgeoise de Refik, qui travaille avec son frère dans le commerce de famille. Lui nourrit de grandes ambitions, veut devenir riche, admiré. Cevdet Bey se joint à eux un moment et leur répète son credo : « Il faut travailler, aimer, manger, boire et rire ! »

     

    Ömer a convaincu sa tante de vendre des biens de famille afin d’investir dans la construction d’un tunnel pour la ligne de chemin de fer. C’est là qu’il va travailler dans l’équipe d’un ingénieur allemand, de là qu’il écrit sa demande en mariage à Nazli, fille d’un riche pacha, une nouvelle qui déçoit Muhittin, nostalgique de leurs idéaux d’étudiants hostiles à la vie ordinaire. Comment vivre ? Que faut-il faire ? Lui n’a pas encore trouvé de réponse claire, mais s’est donné un ultimatum : être un bon poète à trente ans ou se suicider.

     

    Orhan Pamuk décrit la vie et les états d’âme de ce petit monde que vient troubler la mort de Cevdet Bey, après « un demi-siècle de commerce ». Osman assure la relève, tandis que Refik, peu motivé au travail, se sent de plus en plus perdu même si sa femme a donné naissance à une fille. Devant Muhittin, dont le premier recueil publié n’a guère de succès, Refik avoue que sa vie déraille, que seule l’intéresse à présent la lecture des philosophes français, et surtout des Confessions de Rousseau.

     

    Une mauvaise grippe le plonge dans une quasi dépression. Au bout de quarante jours, il accepte de retourner au bureau et de se couper la barbe. Mais un « sentiment de catastrophe » le rattrape bientôt : après une dispute avec sa femme, Refik fait sa valise pour rejoindre Ömer sur son chantier et voir du pays. L’Europe entre alors dans une période sombre. Après dix ans en Turquie, l’ingénieur allemand avec qui ils jouent aux échecs le soir dans leur baraquement n’envisage plus de rentrer au pays – Hitler a annexé l’Autriche.

     

    Comment ces jeunes hommes vont-ils faire leur chemin ? Que deviendra Ayse, éprise d’un jeune violoniste qui n’est pas de leur milieu ? Les enfants de Cevdet Bey ne se satisfont pas du mode de vie traditionnel de leurs parents. Le désir d’une Turquie qui se développe à l’européenne se heurte aux réalités sociales, à l’essor du nationalisme turc et à l’individualisme.

     

    Cevdet Bey et ses fils raconte comment la famille, les amis font face aux changements. C’est long, répétitif – la lenteur orientale ? Orhan Pamuk, trente ans quand il l’écrit, force le lecteur à s’imprégner des doutes existentiels qui obsèdent les personnages. Le roman trouve son épilogue en 1970, quand le fils de Refik, peintre, cherche à son tour une voie dans l’existence, au dernier étage de l’immeuble familial qui a fini par remplacer la maison de ses grands-parents.

  • L'âme humaine

    Mucem (1).jpgL’homme en tant qu’individu

    Fait d’os et de chair,

    De moelle et de nerfs,

    De peau recouverte de poils et de cheveux,

    Se nourrit d’aliments et de boissons ;

    Mais son « âme », son esprit vit de trois choses :

    Voir ce qu’il a envie de voir,

    Dire ce qu’il a envie de dire

    Et faire ce qu’il a envie de faire ;

    Si une seule de ces choses venait à manquer à l’âme humaine,

    Elle en souffrirait

    Et s’étiolerait sûrement.

     

    Extrait de la charte de la confrérie des chasseurs mandingues, Empire du Mali, XIIIe siècle.

    Texte publié par Youssouf Tata Cissé dans « Soundjata, la Gloire du Mali », Karthala-ARSAN, 1991 (cité au MuCEM, Galerie de la Méditerranée).