Nice. Sur les hauteurs de Cimiez, pour se rendre au musée Matisse, on traverse un quartier de résidences et de villas belle époque, on passe devant le splendide Regina, avant de trouver, si on a de la chance, une place pour garer la voiture entre le cimetière et un jardin public en haut de la colline. On emprunte alors une allée du parc qui mène à une grande demeure du XVIIe siècle, rebaptisée Villa des Arènes.
Matisse a vécu plus de quarante ans à Nice, et en 1938, achète au Regina deux appartements au troisième étage. Ce « vaste lieu de vie et de travail, peuplé de vases, meubles, plantes, étoffes et tentures » sera sa dernière résidence. Il y décède en 1954. J’ignorais qu’il était enterré au cimetière de Cimiez, sinon j’y serais allée. (Sur la route de Matisse, brochure à télécharger sur le site du musée, Matisse et Nice).
http://www.musees-mediterranee.org/portail/musee_fiche.php?menu=1&num_musee=112
Le musée, qui contient la quasi-totalité de l’œuvre sculpté de Matisse a bénéficié de diverses donations, notamment d’objets lui ayant appartenu. Le site en donne un aperçu. Des peintures, et surtout des dessins, des œuvres graphiques, de beaux papiers découpés. De l’accueil, on descend dans un hall spacieux où sont présentés de grandes sculptures et les célèbres « Torses » en relief.
Le parcours est thématique. Une des merveilles de Matisse, c’est son art de la ligne. On a réuni dans la salle suivante quelques visages de femmes : le pinceau a tracé le contour, les yeux, le nez, la bouche, et cela suffit à capter une physionomie. En regardant de plus près la « tache d’encre » qui fait l’œil ou la corolle des lèvres, on voit qu’il y a là quelque magie.
Matisse, Nature morte aux livres, 1890 © Musée Matisse, Nice
La danse (la grande toile de l’Ermitage est exposée actuellement au nouveau musée Vuitton), les corps en mouvement, inspirent Matisse tout au long de sa vie, comme on peut le voir ici. Près des études préparatoires pour la fresque du Dr Barnes – des groupes de danseurs – se trouve un bois cylindrique où Matisse avait déjà sculpté des danseuses.
Matisse, Petite pianiste, 1924 © Musée Matisse, Nice
Sa toute première peinture, dans une salle consacrée à sa première période, 1890-1897, est une Nature morte aux livres : ils sont posés en pile sur une nappe blanche qui contraste avec le fond noir de cette petite toile assez sombre. Il l’a signée d’une anagramme, « Essitam ». Ce sont les voyages qui vont lui révéler la lumière. Une Petite pianiste en robe bleue, de profil devant un papier peint rouge, datée de 1924, montre un peintre très différent, qui couvre sa toile de couleurs et de motifs. Matisse marie les imprimés et les rayures, les arabesques et les aplats colorés, comme dans l’Odalisque au coffret rouge (1926).
Tempête à Nice (1919-20) est tout mouvement : les couleurs ici sont lavées par la pluie, mais le paysage entier – terre, mer et ciel – est pris par les bourrasques. Des hachures glissent dans le ciel gris du bleu, du rose ; les crêtes sombres des vagues conduisent l’œil aux montagnes, tout au bout, vers lesquelles convergent le parapet de la promenade, l’allée de pins parasols où s’interposent deux grands palmiers, la route où nous apercevons, en contrebas d’une balustrade à peine évoquée dans l’angle inférieur droit de la toile, une silhouette en noir sous un grand parapluie.
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A l’étage sont exposés de nombreux objets légués par la famille de Matisse à la ville de Nice : des vases, des pichets, quelques meubles, une très jolie coupe en bois de forme ogivale, qu’on dirait aujourd’hui très « design ». Celle-ci tient compagnie à deux grandes sérigraphies : Océanie, le ciel et Océanie, la mer – splendides.
Matisse, Torse debout, 1909 © Musée Matisse, Nice
La prédilection de l’artiste pour l’infinie variété des visages s’illustre à nouveau dans une série d’eaux-fortes intitulées tantôt « Chinoise », tantôt « Martiniquaise ». Puis c’est le thème du nu qui se décline, en gravures et en sculptures. Un petit Torse debout (1909) n’a ni tête ni bras, mais dans ce torse et ces jambes, il y a le mouvement, la vie.
En 2012, une donation a permis au musée de s’enrichir d’éléments découpés non utilisés par Matisse, restés dans son atelier. Un meuble original à charnières permet de les regarder, chaque élément sous verre dans un cadre, regroupés par couleur, un alphabet de peintre.
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Dans la nouvelle aile, jusqu’au 17 mai, l’exposition « Henri Matisse : Regards sur la collection, une palette d’objets » présente des œuvres, des variantes autour d’un motif : par exemple, une nature morte, un bouquet près d’une petite tasse fleurie, celle en vitrine juste à côté. Matisse passe du format horizontal au vertical, puis essaye plusieurs compositions où la petite tasse change un peu de forme à chaque fois. Aux murs, des photos en noir et blanc des objets de Matisse dans sa villa Le Rêve à Vence, prises par Hélène Adant.
La Piscine - Collection Musée Matisse, Nice - Don de Claude et Barbara Duthuit, 2011.
http://www.nice-premium.com/cultures-spectacles,1/arts,39/la-piscine-un-chef-d-oeuvre-de-matisse-a-la-ville-de-nice,7185.html
Un étonnant fauteuil vénitien et son guéridon assorti sont installés plus bas, dans le grand patio où une large baie vitrée éclaire un festival de couleurs et de formes : Fleurs et fruits, une de ses dernières œuvres (1952-1953), très grand format, près de neuf mètres de long, en gouaches découpées.
Avant la sortie, une autre donation récente met une très belle touche finale à la visite : La Piscine. Sur un bandeau blanc, des silhouettes de nageuses, des formes stylisées, composent la fresque bleue dessinée par Matisse pour la piscine du Regina tout proche. Une création par laquelle il voulait produire de la « fraîcheur mentale » qui agirait comme un « calmant cérébral ».
C’est sur cette impression lumineuse que j’ai quitté le musée Matisse et retrouvé le bleu du ciel au-dessus de Cimiez. J’espérais trouver davantage de peintures dans ce musée niçois, mais j’y ai appris à mieux connaître l’univers de l’artiste. A dix-sept ans, en découvrant ses toiles au musée de l’Orangerie, j’étais très déconcertée par sa manière de peindre. Ici, à Nice, je me suis souvenue d’un échange avec ma titulaire de rhéto, qui m’avait dit alors : « Vous verrez, Matisse, c’est très beau. »