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Bruxelles - Page 116

  • Fantaisies d'une fée

    Qu’y a-t-il qui rende plus optimiste que de rencontrer de jeunes talents ? Le monde dessiné par Valentine Iokem pétille et sourit de telle manière qu’il nous met de bonne humeur, une vraie cure de jeunesse. Cette illustratrice wallonne expose avec d'autres jeunes créateurs à la galerie-boutique « Il était une fois », près de la place Dumon à Stockel, bien connue pour son marché, ses commerces et sa foire, au bout de la ligne 1 du métro bruxellois.

     

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    iI était une fois © Valentine Iokem

    Valentine se présente comme une « croqueuse de fantaisies à pois, de petites fleurs etcetera…». Quelle fantaisie, en effet, chez cette fée espiègle de vingt-trois ans, pleine d’imagination et de joie de vivre ! Depuis l’enfance, elle se passionne pour la littérature enfantine et l’art de l’illustration. Elle donne vie sur le papier à un petit monde follement gai, plein d’amour et d’humour. Des cœurs s’envolent d’une page à l’autre, comme des papillons. Des fillettes s’élancent sur des balançoires. Des guirlandes de lettres se balancent. Il pleut des pétales de fleurs.

    Vous savez comme j’aime quand les mots se font images, quand les images s’ouvrent au texte. Valentine Iokem joue avec les lettres, avec les mots, mêle à ses papiers lumineux des calligraphies légères et dansantes. Ici tout le monde s’amuse, l’alphabet aussi. Les mots doux font son bonheur, et le nôtre.

     

    Voyez son logo-nuage, un flocon de neige. Les joies enfantines riment avec Valentine. Rien de mièvre, des tons vifs et frais. Les couleurs sont à la fête, le rose et le vert, et tout ce qui va du rose au rouge et du vert au bleu... Ses cartes illustrées déploient l'arc-en-ciel de son imaginaire dans un jardin peuplé de fleurs et de papillons, d'arbres et de « pioux-pioux », et même des « hibouchoux » – pour tous les goûts.

     

    Si vous n’en pouvez plus d’attendre le printemps, poussez la porte de « il était une fois ». Vous y trouverez en exposition-vente les créations d’une vingtaine de jeunes talents « 100% made in Belgium » dans des registres divers – céramique, tissus, bijoux, cuirs… – et quelques nouveaux noms du monde de l’illustration belge. Une sélection de Chantal Couture, « illustratrice et sculptrice de papier », qui a pris l’initiative du mouvement Il était une fois « dédicacé à l'enfant, l'ado mais aussi à l'adulte qui n'a pas oublié qu'un jour il était lui-même un enfant... » Au fond de la galerie-boutique, Valentine Iokem présente ses cartes d’inspirations diverses et un lumineux « bric à brac » : carnets, badges, tasses et boîtes à thé – comment résister ?

     

     

     

     

  • Bissextile

    Quel mot curieux, vous ne trouvez pas ?

     

    BI, qui convient aux deux sexes, figure dans l’Officiel du Scrabble depuis 1990.

    BIS ! Bravo ! Encore ! Et des bravi, et des brava, disait-on même autrefois.

    BISSE connaît deux genres : la bisse étant une couleuvre (héraldique), suivons plutôt le bisse, « canal de long parcours qui conduit l'eau d'un torrent ou d'un ruisseau de montagne jusqu'au-dessus des prés et des vignes qu'il irrigue » en Suisse romande. Cela fait quelques années que je me promène en juillet au pays des bisses, vous le savez peut-être.

    SEXTILE – qu’allez-vous imaginer ? Tous les quatre ans, dit encore le TLF, l'année républicaine comptait un sixième jour complémentaire en plus des cinq jours complémentaires ordinaires. Inconnu au Royaume de Belgique.

    BISSEXTILE, nous y voilà. Les mois, les semaines, les jours ont coulé avec l’eau du bisse, de 2008 à 2012. D’un 29 février à l’autre, 735 notes d’une Bruxelloise.

     

    Avec qui partager ce premier ou quatrième anniversaire, si ce n’est avec vous ?

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    Textes & Prétextes, quatre ans

     

     

  • Saisons

    « Je suis un peintre de l'ancienne école, qui est dépendant des choses perçues et vues, comme de la lumière qui l'entoure. Aussi mes tableaux changent selon que les saisons varient, un paysage d'automne ou une lumière d'été font des tableaux différents. »

     

    Per Kirkeby (Guy Duplat, La leçon de peinture de Per Kirkeby, La Libre Belgique, 20/12/2011)

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    R. Shiff, A.Borchardt-Hume, Per Kirkeby, Tate Publishing, 2009.

    « Les "vraies" peintures sont étonnamment fuyantes par la forme aussi bien que par le style. »

     

    Per Kirkeby et les "peintures interdites" de Kurt Schwitters

  • Kirkeby au Palais

    A peine fermées les portes d’Europalia Brésil, voilà le Danemark à l’honneur au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles (Bozar) pour cause de présidence de l’Union européenne. C’est l’occasion de découvrir le grand peintre danois Kirkeby (né en 1938) dans une ample rétrospective des années 60 à aujourd’hui : Per Kirkeby et les "peintures interdites" de Kurt SchwittersTrouverai-je les mots pour vous parler de cette exposition ? Les arts plastiques échappent pour une très large part au langage, le débordent. Kirkeby : « Je pense que l’art réalisé à la main peut produire quelque chose de différent et de plus que le langage. »

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    Per Kirkeby, Cossus ligniperda, 1989 © Aarhus Museum, Danemark

    Le jeudi 9 janvier, l’exposition était accessible à tous gratuitement, une belle initiative annoncée dans la presse, et de nombreux visiteurs la parcouraient déjà avec curiosité. La grande toile qui les accueille en haut des marches du hall Victor Horta, intitulée Beaucoup plus tard, avec ses couleurs puissantes, date de 1992, la période des grands formats, la plus somptueuse à mes yeux, qu’on retrouvera dans les dernières salles du parcours chronologique, un enchantement de couleurs et de rythmes.

    Après des études de géologie, Kirkeby a d’abord peint sur des panneaux de masonite, au format carré (122 x122), des œuvres très diverses influencées par le pop art et le minimalisme qu'il appelle lui-même des « collages peints ». Près d’une Composition rouge où j’imagine une scène de théâtre, Mata Hari se dédouble en silhouette brune (imper et chapeau) et nu jaune, plus loin ce sera B.B. ou Jeanne Moreau. Beaucoup de jaune dans cette première salle.  Un changement de style s’annonce avec Chaînes de montagnes mayas et deux ensembles de trois et quatre panneaux. 

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    Couverture du catalogue 

    Des Clôtures de Kirkeby sont posées à même le sol : entre leurs verticales bleues, un fouillis coloré dit son amour des jardins, de la nature. S’il n’a pas peint de paysages à proprement parler, il s’en inspire. Plus loin, une petite Composition de 1964, avec des éléments de silhouettes sur fond blanc, rappelle les papiers collés de Matisse.

     

    Dès la troisième salle, Kirkeby passe à la peinture sur toile et aux formats plus grands, multiplie les couches de peinture comme des strates géologiques. Beaucoup de Sans titre, un Crépuscule, et au milieu de la pièce, les premiers bronzes presque tous intitulés Tête ou Bras je suis incapable de vous les décrire, ces sculptures qui dressent leurs masses modelées, pétries à pleines mains, non figuratives. On devine dans les verticales des grandes toiles des arbres, des montagnes, des silhouettes, dans leurs horizontales des figures couchées et tout à coup un Cheval blanc à la crinière jaune – inspiré de Hans Baldung Grien, qu’on retrouvera à la fin du parcours en vert.

     

    Peintre et sculpteur, cinéaste aussi, Kirkeby est un passionné des livres, il en a écrit, il en a illustrés. Il est membre de l’Académie danoise de littérature. Une salle est consacrée à ses « Papiers » : des gouaches, des « surpeints », et des livres de lui sur de grands artistes des XIXe et XXe siècles. Il y a aussi ses propres journaux (Dagbog) et carnets aux couvertures peintes, dont un ravissant carnet de voyages, « Rejser », en bleu et blanc. Des collages mêlent dessins, photos, papiers divers, et même des feuilles mortes. Guy Duplat, qui a rendu visite à l’artiste dans sa maison des faubourgs de Copenhague en décembre dernier, a été frappé par la « superbe bibliothèque de 6000 livres d’art soigneusement rangés et régulièrement compulsés  et les innombrables tiroirs à dessins ».

     

    Sur ses « Tableaux noirs », le peintre a dessiné à la craie des figures animales récurrentes dans son oeuvre : dromadaire, lion, loup, ours… Des éléments d’architecture aussi, de châteaux-forts entre autres, à rapprocher d’une toile curieuse, Réflexion byzantine sur le retour au Pays, où une construction moderne est posée entre ciel et terre, avec jardins et sapins à l'avant-plan.

     

    « Couleur et ombre » : voilà les grands formats. Pas de couleurs primaires ici, mais des demi-tons, des nuances subtiles. Deux toiles verticales se répondent de part et d'autre du seuil, Avenue 2 offre une coulée de couleurs claires entre des masses sombres où j’ai cru voir, sur le côté, un couple de passants. Une série hivernale, variation de couleurs près d’un même tronc d’arbre, couvre toute la longueur d'un mur.

     

    En face, trois grandes toiles horizontales fascinantes, une peinture assez sombre entre deux peintures paradisiaques : à droite, Beatus-Apokalypse (1989), avec de l’orange, du rouge, du mauve, et à gauche, Cossus ligniperda, avec son aplat de couleur bleu turquoise comme un lac de montagne au-dessus de bandes d’ocre au milieu des bleus sombres et des verts – c'est l’affiche de l’exposition (illustrée ci-dessus). Elle est sur la couverture du petit « Guide du visiteur » (disponible en trois langues) qui reprend le texte des panneaux, salle par salle, et, tête-bêche, des extraits de Ludwig Wittgenstein, Remarques sur les couleurs et un article sur Wittgenstein & Kirkeby : une filiation posthume.

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    Kurt Schwitters, Parti fra Skodje ved Ålesund (Partial View from Skodje near Ålesund), 1940
    ©
    Kurt und Ernst Schwitters Foundation, Hannover 

    C’est juste après cette grande salle que l’on présente les toiles « interdites » de Schwitters (1887-1948), connu pour ses collages et assemblages dadaïstes et revenu au paysage figuratif à la fin de sa vie, dans une belle indépendance d’esprit qu’admire Kirkeby. Celui-ci en possède deux : « Elles sont accrochées à mon mur comme des icônes qui veillent à ce que je n’oublie jamais la bénédiction de « l’absence de style »» . Dans cette salle plus intime, en contraste et pourtant en complicité avec les grands Kirkeby par la touche libre et les effets de matière comme par leur sujet, des paysages norvégiens peints sur le motif par l’artiste allemand en exil (des photos noir et blanc correspondantes, de la collection Kurt & Ernst Schwitters, sont exposées dans une vitrine-table).

     

    Place à l’architecture ensuite. Kirkeby a choisi la brique, matériau prépondérant au Danemark avant l’ère du béton et du verre, pour ses constructions dépourvues de fonction utilitaire, qu’il appelle sculptures. On peut en voir une au Middelheim d’Anvers. D’inattendus petits bronzes, comme des maquettes, témoignent de son intérêt pour les portes, les passages, les ouvertures, les murs, les labyrinthes. Un jeu sur le plein et le vide.

     

    Je les ai laissées derrière moi pour entrer dans le royaume de la couleur et du rythme : les dernières salles enchantent par « une connaissance et une intime compréhension des couleurs, de la masse, de la texture et de la ligne » (Jean-Marie Wynants). Les grandes peintures de Kirkeby, lumineuses et « illisibles », comme dit l'artiste, appartiennent à l’univers non verbal et parlent d’un  monde « hors du temps » où le geste de peindre atteint sa plénitude.

  • Schirren coloriste

    Chacun aime cultiver son jardin secret, dans l’intimité. Quelle fête quand un artiste nous invite à la promenade, à la découverte, quand il nous laisse franchir le seuil de son atelier ou expose – et s’expose. Parfois, le jardin secret d’un peintre est un véritable jardin, parfois c’est un rêve, l’exploration d’un monde intérieur. « Ferdinand Schirren en ses jardins imaginaires », ainsi s'intitule une petite exposition qu’on peut encore visiter à Bruxelles jusqu’au 4 mars 2012. 

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    "Au jardin" de Ferdinand Schirren (1906) MRBAB-KMSKB, Bruxelles © Sabam Belgium 2011
    (Un meilleur rendu des couleurs sur Arts et Lettres)

    Ferdinand Schirren (1872-1944) : ceux qui connaissent son nom reconnaissent aussi ses couleurs, qu’on retrouve de portrait en paysage, de nature morte en bouquet de fleurs. Riches de nouvelles acquisitions, les Musées Royaux des Beaux-Arts ont rassemblé dans deux salles du musée d’Art ancien toutes les œuvres du peintre et sculpteur  belge en leur possession. (Cela ne console pas de la fermeture du musée d’art moderne, actuellement en travaux pour se métamorphoser en musée « fin de siècle » dont l'ouverture est prévue pour le mois prochain. Michel Draguet, son directeur actuel, n’offre jusqu’à présent pas d’avenir aux autres collections du XXe siècle, retournées en réserve ou montrées çà et là, un scandale qui ne semble pas émouvoir nos pouvoirs politiques en ces temps de crise. Les vicissitudes de la culture à Bruxelles, une histoire belge.)

     

    Schirren a commencé par sculpter, vers 1900, mais une profonde dépression l’a poussé à détruire de nombreuses œuvres, avant de se mettre au dessin et à la peinture. Quelques plâtres sont exposés, dont un étonnant Buste de Mme Blavatsky, une tête plus grande que nature, très expressive, à l’entrée de la grande salle. Les sculptures présentées sont très variées, deux bronzes m’ont paru remarquables : La servante, aux contours lisses, comme stylisée, et une intéressante Eve à la pomme. Cette Eve sans pieds ni tête tient dans la main gauche, le bras replié sur la poitrine, une pomme qui évoque explicitement le sein que ce mouvement dissimule. Juste à côté de la sculpture, à une hauteur invraisemblable (pour dissuader les voleurs de s’en emparer ?), une petite toile, La cheminée, montre une version en plâtre de cette sculpture, posée sur une cheminée en marbre devant un miroir, entre des vases et des pots – de délicates couleurs nacrées.

     

    C’est dans l’aquarelle que Schirren est le plus réputé, c’est par là qu’il a commencé, mais ses huiles qui évoluent « d’un colorisme poussé à un animisme tempéré » enchantent aussi le regard de tous ceux qui aiment les couleurs des « fauves brabançons » dont il fut un précurseur. La figure féminine l’inspire – Maternité, Nus au divan ou devant la fenêtre – moins pour la représenter que pour magnifier le champ coloré de l’espace autour d’elle. Schirren ose ici toute la gamme du rose sans être mièvre, parcourt ailleurs tout le prisme de la lumière.

     

    D’une collection privée, voici L’atelier (huile sur papier) : quelques meubles définissent l’espace peint, une table, deux chaises, un guéridon occupent l’avant-plan, surfaces colorées sur lesquelles l’œil glisse pour se fixer enfin sur le peintre debout à son chevalet. Cette très belle œuvre respire par les blancs que Schirren a laissés entre les choses, entre les couleurs, comme le fera son ami Rik Wouters, de dix ans plus jeune que lui.

     

    Au fond de la grande salle, deux toiles impressionnantes : la plus connue de Schirren, La femme au piano, aux couleurs somptueuses, et La femme en bleu, scène d’intérieur parfaitement construite. Mais il a peint aussi des paysages où quelques troncs parmi des taches de couleur suffisent à évoquer un sous-bois, les lignes de deux maisons entre les arbres, un Paysage brabançon.

     

    Schirren explore les effets du flou, dans un Nu féminin ou dans une Nature morte au vase, toujours avec un agencement très particulier des couleurs – le bleu turquoise d’une coupe non loin d’un bleu outremer. Rêve d’une femme, en rose et bleu, est sans doute l’œuvre exposée ici qui va le plus loin dans cette voie.

     

    Dans la petite salle, les deux aquarelles intitulées Au jardin sont d’une légèreté incroyable. L’une sert d’affiche à l’exposition. Plus loin, La dame au samovar illustre parfaitement la manière dont Schirren sait suggérer sans montrer : la femme est à peine esquissée dans le fauteuil près de la table où trône un samovar, et cela suffit – c’est l’heure du thé.

     

    Cette salle réserve quelques surprises : d’abord, un pastel énigmatique, Intérieur symboliste, où l’on voit un rectangle dans un rectangle, une toile sans doute devant lequel un personnage assis nous tourne le dos – le peintre au travail ? Des objets quasi « art nouveau » signés Schirren : un encrier, un cache-pot. Trois grands fusains de toute beauté : Portrait de femme, Les couseuses, Femme au repos. Et enfin deux petites huiles très claires, Le port d’Ostende et, merveille de lumière, Sur le sable : de dos, un transat où quelqu’un est assis, de face, une femme en blouse blanche et jupe bleue – et nous voilà au cœur d’une conversation au soleil.

     

    P.S. Grâce à Gérard, ce lien vers l'excellent reportage-vidéo  de Stéphanie Triest et Anaïs Letiexhe pour TéléBruxelles (13/1/2012).