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Bruxelles - Page 118

  • Choc

    « Le spectacle du ciel me bouleverse. »

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    Miró © 2007 Art Point France

     

    « Je commence mes tableaux sous l’effet d’un choc que je ressens et qui me fait échapper à la réalité. La cause de ce choc peut être un petit fil qui se détache de la toile, une goutte d’eau qui tombe, cette empreinte que laisse mon doigt sur la surface brillante de cette table. De toute façon, il me faut un point de départ, ne serait-ce qu’un grain de poussière ou un éclat de lumière. Cette forme crée une série de choses, une chose faisant naître une autre chose. »

    Miró, Je travaille comme un jardinier (cité par Roland Penrose, Joan Miró, Thames & Hudson, 1990.)

  • Miró peintre poète

    Le dimanche 19 juin, l’exposition « Joan Miró peintre poète » fermera ses portes à l’Espace Culturel ING, sur la Place Royale à Bruxelles. Ne la manquez pas, il vous reste une semaine. Ce sont 120 peintures, gravures, sculptures et dessins où la fantaisie créatrice de l’artiste catalan s’en donne à cœur joie, ce qui n’exclut pas le noir de sa palette, où priment souvent les couleurs primaires. Les œuvres proviennent des Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique et surtout de la Fondation Joan Miró de Barcelone. Voici l'affiche.

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    Déjà La danseuse espagnole, Olée, en début de parcours, signale et l’esprit facétieux du peintre et la présence des mots dans sa peinture. « J’ai beaucoup fréquenté les poètes, car je pensais qu’il fallait dépasser la « chose plastique » pour atteindre la poésie… Vivre avec la dignité d’un poète » déclare Miró (1893-1983) dont l’atelier parisien voisinait avec celui du peintre surréaliste André Masson. Il rencontre alors Reverdy, Tristan Tzara, Max Jacob, Artaud, Michel Leiris…

    Louis Marcoussis grave un Portrait de Miró à la pointe sèche en 1938, présenté en quatre états successifs : son modèle le complète, ajoute ici une araignée, là une étoile, y inscrit « Pluie de lyres » et « Cirques de mélancolie » jusqu’à une quatrième version où son visage se couvre de lignes et de signes. Quelques collages esquissent une façon de faire : sur la page blanche, Miró éparpille de petites illustrations d’objets découpées dans des magazines, sans rapport apparent. Il procèdera de même dans ses « poèmes-tableaux » ou « dessins-poèmes » comme Tête de fumeur, à la manière d’un rébus. Sur une photo de son atelier à Palma de Majorque, les murs aussi portent ses hiéroglyphes.

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    Miró, Chiffres et constellations amoureux d’une femme
    © Miró successió / Sabam Belgium

    Au cœur de cette exposition, disposées sur un arc de cercle, les 22 fameuses « Constellations » peintes en 1940-1941, d’abord à Varengeville-sur-mer (Normandie) puis à Palma et à Montroig. Les gouaches originales ont été dispersées, mais on peut les découvrir grâce à ces reproductions rehaussées au pochoir rassemblées dans un album avec un texte d’André Breton : « Le lever du soleil », « L’échelle de l’évasion »… Des aplats noirs, des couleurs primaires, des formes stylisées. Tout un bestiaire – araignée, chenille, escargot, chat, poisson, tortue, baleine – flotte dans les ciels de Miró où les étoiles, la lune s’offrent à l’œil grand ouvert qui les contemple au milieu de cercles, flèches et autres diabolos noirs.

    Un titre sur deux, il m’a semblé, contient le mot « femme », souvent associé à « oiseau ». Peindre, pour Miró, c’est peupler l’espace. J’entends quelqu’un dire « c’est enfantin », puis se reprendre : « c’est poétique », et je laisse résonner en moi ces deux qualificatifs. Il y a tant à voir dans ces Constellations, comme dans un tapis d’Orient aux multiples motifs, avec leurs variantes, que les grandes toiles à l’acrylique, par contraste, semblent lourdes, brutales. 

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    Miró, Partie de campagne

    A côté, deux beaux ensembles en vis-à-vis : « Archipel sauvage », six gravures au ciel nocturne, et « Partie de campagne » (1967), cinq autres, à l’eau-forte et aquatinte : sur un fond clair, des taches de couleurs s’étendent, comme si elles venaient de se poser, du vert surtout, mais aussi du jaune, du rouge, et dialoguent avec les lignes et les formes. C’est simple, léger, paradisiaque. « Je travaille comme un jardinier. Les formes s’engendrent en se transformant. »

    Miró voulait « détruire tout ce qui existe en peinture », seul « l’esprit pur » l’intéressait. Apprécié comme illustrateur – l'exposition propose des pages de Parler seul de Tristan Tzara, d' A toute épreuve d’Eluard –, Miró aime « dire avec la ligne », comme dans la série « Haïku ». Et quand le pinceau ou la plume se taisent, il bricole avec des boites de conserve, des cartons à œufs, toutes sortes d’objets de récupération. Coulées dans le bronze, ce sont ses sculptures, à nouveau des « femmes » , le plus souvent. Ou une étonnante « Tête de taureau ».

    « Conquérir la liberté, c’est conquérir la simplicité » : ces mots résument bien la trajectoire de Joan Miró, peintre et poète. Cet homme qui éprouvait le « besoin d’échapper au côté tragique » de son tempérament, reste l’inventeur d’une nouvelle calligraphie où les choses les plus simples, reconnaissables ou non, par la grâce du geste pictural, entrent dans la danse.

  • Espèces

    Le canard colvert, souvent croisé avec le canard domestique, est au nombre des cent deux espèces d’oiseaux répertoriées au Moeraske. Sur la liste proposée par la Commission de l’Environnement de Bruxelles et Environs, il est le premier cité des quarante « nicheurs certains ». Parmi les oiseaux classés « présents », l’alouette des champs voit son habitat menacé par de nouvelles constructions dans une zone non protégée. « Estivante », l’hirondelle de fenêtre qui niche en colonie sur une minoterie de Haren, un peu plus loin, trisse dans le ciel de notre îlot les soirs de beau temps.

    Je n’ai jamais compris que les noms d’oiseaux soient devenus des insultes, pour moi ils ont un charme singulier, quasi exotique. Que les ornithologues et autres passionnés des plumes pardonnent mon ignorance, mais j’aimerais faire connaissance avec le chevalier culblanc, le jaseur boréal et le traquet motteux. Et d’abord m’acheter des jumelles.

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  • Vert Moeraske

    2 juin 2011. Jeudi de l’Ascension, plein soleil. Du temps pour se promener le long des voies ferrées près de la gare de triage de Schaerbeek, et plonger dans la verdure du Moeraske. Il ne reste pas beaucoup de traces visibles de la Senne à Bruxelles, ce « petit marais » au fond de la vallée en est une. Cette fois, j’emporte l’appareil photo, il y a tant à voir en chemin.

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    Devant les maisons de maître schaerbeekoises, aujourd’hui de plus en plus souvent divisées en appartements, les jardinets vivent des fortunes variables. Certains offrent encore de beaux bouquets de roses, d’autres ont pris l'allure plus sauvage d'un fouillis végétal, et c’est mieux que ceux qu’on a fait disparaître sous les dalles, pour supprimer la corvée de jardinage. Cà et là, un agencement inédit, de subtiles alliances composent sur quelques mètres carrés un véritable jardin d’agrément.

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    Quand on descend vers cette bande verte qui flanque le chemin de fer, très vite, on oublie la ville. Le long des voies, des potagers bien tenus alignent salades et légumes, un cabanon se plaît sous des rosiers grimpants. Ensuite, plus de lignes, plus d’ordonnancement : nous voilà dans la réserve naturelle du Moeraske. Dans le marais, des roseaux en abondance. Il faut que l’œil s’habitue à tout ce vert qui habille même la surface des eaux – par ici coule le Kerkebeek – pour discerner canards et poules d’eau près des rives.

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    La lumière matinale joue dans les arbres, dessus, dessous. Enchevêtrement de feuillages, seuls les troncs balisent l’espace. Sur le chemin, l’un ou l’autre cycliste, quelques familles en promenade, des gens qui baladent leurs chiens. Un lapin traverse, aussitôt à l’abri dans les fourrés. Cris d’oiseaux : il faudrait apprendre à les reconnaître tous, plein d’espèces nichent dans ce biotope naturel. Une pie, tout un temps, sautille, nous devance de quelques mètres, pas farouche.

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    Sentier de droite ? de gauche ? Celui-ci mène dans les orties ; plutôt que de rebrousser chemin, nous grimpons sur le talus glissant, où les arbres offrent heureusement quelque appui plus solide. Changement de décor, un bosquet de bouleaux, puis une prairie fraîchement fauchée, des maisons : nous sommes à Evere, la commune voisine, et bientôt nous sortons de tout ce vert pour traverser la place en travaux près de la vieille et charmante église Saint Vincent. 

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    Un peu plus loin, sur le chemin du retour, un spectacle inattendu : comme chaque année à l’Ascension, c’est ici que se retrouvent les archers du pays pour leur championnat national. Du monde pour cette compétition, les sportifs, les équipes, et tout l’équipement : arcs et appareils photos sur des trépieds, jumelles, cibles au bout du terrain, intendance. Le geste est lent, sûr, précis. Envol de flèches… Pas facile de les suivre à l’œil nu ! Du beau monde, nous dit-on : la championne de Belgique, championne olympique de tir à l’arc est là, sur la gauche, en survêtement bleu. Fête du tir à l'arc.

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    Le vert Moeraske est un de ces poumons qui améliorent la vie en ville et préservent la biodiversité urbaine. Comme l’illustre le beau projet « sauvages de ma rue » en région parisienne, « les espaces verts tempèrent les canicules, participent à l’absorption des gaz à effet de serre, aident à la dépollution de l’eau et du sol et sont également essentiels au bien-être et à la santé des habitants. De plus, leurs rôles culturels et récréatifs participent au plaisir d’habiter les villes. » Et c’est en effet un plaisir particulier, très différent de celui qu’on ressent dans les parcs et jardins bruxellois, d’arpenter ce type de territoire où la nature a retrouvé sa liberté.

  • Primo Levi, une expo

    « Du cri à l’écrit ». Ce 27 avril, à l’invitation du Centre Scolaire des Dames de Marie, j’ai participé à une soirée passionnante consacrée à Primo Levi, le vernissage d’une exposition de la Fondation Auschwitz intitulée « Primo Levi : de la survie à l’œuvre ». Lire la littérature étrangère est une activité phare du cours de français en rhétorique dans cette école secondaire bruxelloise (qui a fêté en 2006 ses 150 ans). En lien avec les cours de religion et d’histoire, ses élèves viennent de visiter le siège de la Fondation et puis le Fort de Breendonk. En mai, d’autres rencontres sont programmées, et aussi une projection de Nuit et Brouillard d’Alain Resnais.

     

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    Lire Primo Levi est une expérience au-delà de la littérature, d’un autre ordre. Après Auschwitz, celui-ci s’est donné comme but de témoigner, afin qu’une chose pareille n’arrive plus jamais. Dans sa biographie Primo Levi ou la tragédie d’un optimiste, Myriam Anissimov rappelle que rien ne prédisposait à la littérature ce jeune chimiste judéo-piémontais agnostique passionné par la science, qui, après l’indicible expérience concentrationnaire, n’a cessé de dire et d’écrire. Il est de ceux « qui ont su surmonter la tentation d’évacuer l’horreur et la douleur, en mettant leur intelligence, leur honnêteté, leur sensibilité au service de l’humanité. Pour l’avenir. » (René de Ceccaty, Le Monde, 21.1.2005)

     

    La Fondation Auschwitz, comme l’a rappelé son secrétaire général, Henri Goldberg, enfant caché, s’est constituée en 1980 à partir de l’Amicale des Ex-Prisonniers politiques d’Auschwitz-Birkenau, Camps et Prisons de Silésie, pour perpétuer la mémoire des crimes et génocides nazis et, tournée vers les jeunes, promouvoir une éducation, une formation et une recherche qui éclairent la conscience collective contemporaine. Voyage d’études annuel à Auschwitz-Birkenau, visite à Breendonk, concours de dissertation, bibliothèque, photothèque, prix, les nombreuses activités de la Fondation permettent aussi, au sein des écoles, d’organiser des conférences et des expositions.

     

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    L’exposé de Philippe Mesnard, directeur de la Fondation, avait pour thème : « La Trêve a-t-elle eu un sens pour Primo Levi ? » Centré sur Primo Levi le témoin, il a montré comment cet Italien de Turin qui savait à peine, avant la guerre, qu’il était juif, a survécu à Auschwitz en écrivant, devoir de mémoire pour celui qui en était sorti vivant. Ses premiers textes pour Si c’est un homme ne trouvent pas d’éditeur, l’Italie en a assez des horreurs de la guerre, et Primo Levi ne sera finalement publié que grâce à l’appui de déportés, dans une petite maison d’édition, en 1947, sans grand écho. Mais Se questo è un uomo est réédité chez Giulio Einaudi en 1958 et dès lors, traduit, commenté, lu et relu, devient ce texte majeur de la littérature concentrationnaire pour le monde entier.

     

    Après avoir restitué, étape par étape, les circonstances d’une vie et les préoccupations qui sous-tendent l’engagement de l’écrivain italien, le conférencier a commenté deux extraits. D’abord « La zone grise » (Les Naufragés et les Rescapés. Quarante ans après Auschwitz, 1986) qui s’ouvre sur cette question : « Avons-nous été capables, nous qui sommes rentrés, de comprendre et de faire comprendre nos expériences ? » Puis un passage de La Trêve (1963), le récit du retour (après l’arrivée des Russes au camp où seuls les malades n’avaient pas été évacués, il lui faudra attendre neuf mois pour rentrer chez lui à Turin) – « la maison était toujours debout, toute ma famille, vivante, personne ne m’attendait. »

     

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    Malgré « la joie libératrice de raconter », il mettra des mois à se réhabituer à un lit moelleux, à perdre l’obsession de la nourriture. Mais un rêve terrible le visite toujours, où tout s’écroule, où le chaos l’environne, où il se retrouve à Auschwitz. Invité dans les lycées italiens, Primo Levi a exercé trois métiers : chimiste, écrivain et « présentateur-commentateur de moi-même, ou plutôt, écrit-il en 1976, de cet autre et lointain moi-même qui avait vécu l’épisode d’Auschwitz et l’avait raconté. » Témoigner par l’écrit, témoigner par la parole. En 1987, il se donne la mort dans la cage d’escalier de son immeuble.

     

    L’exposition « Primo Levi : de la survie à l’œuvre » est présentée dans la belle bibliothèque du Centre Scolaire des Dames de Marie, installée dans l’ancienne chapelle néo-gothique. Trente panneaux richement illustrés présentent un homme « aux multiples facettes » et son œuvre, ainsi que l’histoire de la Déportation, les camps d’Auschwitz, l’univers concentrationnaire.  Des documents filmés sont projetés, près de l’escalier qui mène à la mezzanine. La direction, Mme El Akel et ses élèves du troisième degré ont accueilli le public avec beaucoup de gentillesse, encore merci. L’exposition est ouverte au public sur rendez-vous, jusqu’au 5 mai.