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Belgique - Page 43

  • Souvenir

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    « Je me souviens qu’un corps, c’est une manière de se mouvoir, d’exister dans l’espace. Nos habits nous habillent, mais c’est nous qui les habitons. »

    Lydia Flem, Je me souviens de l’imperméable rouge que je portais l’été de mes vingt ans

     

    © Eliane de Meuse, Jeune femme en robe bleue

  • Flem au fil du temps

    Qu’il est gai à lire, ce petit livre rouge ! Dans Je me souviens de l’imperméable rouge que je portais l’été de mes vingt ans, Lydia Flem emboîte le pas à Perec à qui elle dédie son texte en 479 fragments ; le premier lui a donné son titre. Elle se souvient « de Sami Frey en costume sur son vélo, jouant à l’Opéra-Comique, les quatre cent quatre-vingts « Je me souviens » de Georges Perec. »

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    Le titre annonce la couleur, toutes les couleurs : les verts, les bleus, les jaunes, les noirs, les rouges, les gris, et ces noms délicieux qui en disent les nuances. Mais l’imperméable de ses vingt ans n’est pas moins distributif. Le fil rouge de Lydia Flem, ce sont ces « mots merveilleux » que sa mère couturière prononçait, comme « crêpe de Chine, fil d’Ecosse, ciel de lit, ceinture coulissante, gros-grain, pattemouille ». Certains mots sont des bonbons d’enfance.

    « Je préférais les textes aux textiles. » Si elle reprend au Dictionnaire de l’Académie française l’exemple d’une vie « tissue de chagrins et d’infortunes », à Proust celui d’une prairie « tissue seulement avec des pétales de poiriers en fleurs » – participe passé de l’ancien verbe tistre (tisser)– c’est qu’ils sont textiles, autant visuels que tactiles, ses souvenirs de vêtements portés ou remarqués au fil du temps, qu’il s’agisse des siens ou de ceux des autres. Derrière le texte et le tissu, un même mot latin, « textus ».

    Des personnes élégantes s’y invitent : Inès de la Fressange, Julie Andrews dans Victor Victoria, Diane Keaton avec sa garde-robe masculine dans Annie Hall, Jack Lang, et aussi ses parents, sa mère avec sa collection de chemisiers allant du blanc à l’ivoire, son père aux costumes sur mesure lui laissant choisir sa cravate, elle-même écoutant le conseil de Grisélidis Réal en 1974 : « Osez l’élégance. »

    Le plus souvent, Lydia Flem tire les fils de son passé personnel, mais comme cette Bruxelloise & Parisienne est notre contemporaine, ses souvenirs croisent parfois les nôtres. On tombe, par exemple, sur le nom d’une boutique où on est déjà allée, ou sur « une robe en lin vert pomme » achetée à Milan avec ses parents : « ras du cou, sans manches, de forme trapèze » – la description exacte de cette robe en laine vert pomme que je portais, parfois au-dessus d’un fin col roulé, du temps de mes premiers bas nylon.

    Vous aussi, peut-être, vous avez porté « Rive gauche » de YSL ou une de ces « vestes afghanes brodées en mouton retourné » des années hippies ? La mienne prenait trop de place dans la garde-robe, je l’ai donnée un jour aux Petits Riens. Et ces « longs rubans à chapeau qui flottent dans le dos nommés : « suivez-moi-jeune-homme »Vous qui brodez, cousez, taillez, vous trouverez votre bonheur dans ce livre qui égrène les mots justes, les expressions précises pour désigner les étoffes, les plis, la forme d’une manche. Pour ArtisAnne, voici le souvenir 461 : « Je me souviens que parfois coudre c’est méditer. »

    150 « Je me souviens qu’on s’habille un peu pour soi et beaucoup pour les autres. » 175 « Je me souviens qu’un vêtement lorsqu’il est choisi est une arme de séduction et de pouvoir ; imposé, il devient la marque de l’infériorité et d’une insupportable soumission. » 180 « […] A ces trois motifs de protection, de pudeur et de parure, Barthes en a ajouté un quatrième : le port du vêtement comme un acte de signification, un acte profondément social ». »

    Entre autres associations de la mémoire, voilà un tailleur gris perle et un baisemain, un chemisier rose pâle et Ménie Grégoire, Colette en spartiates tropéziennes pour prononcer son discours de réception à l’Académie royale de Belgique, une robe en tissu Liberty et la Provence. Entre autres oppositions : le chic et le neuf, le bouton français cousu en parallèle et le bouton anglais cousu en croix.

    Un « index subjectif » très détaillé (une trentaine de pages) – une coquetterie ? – permet de retrouver un sujet ou l’autre et d’observer des occurrences (et toute une page de titres de films). Enfin, la liste des livres de Lydia Flem traduits (en une vingtaine de langues), à retrouver sur son blog, montre l’énorme succès de Comment j’ai vidé la maison de mes parents et aussi des essais sur Freud et Casanova.

    En plus des tenues et des tissus, Lydia Flem se souvient bien sûr des accessoires – chaussures, turbans,  ceintures – auxquels elle attribue certaines vertus toutes personnelles : « Je me souviens que nous accordons de la magie à certains vêtements, foulards, bijoux. Avec le secret espoir que ces talismans puissent infléchir le destin. » Cela vous arrive-t-il ?

  • Une chute

    catherine meeùs,olga,ou la fragilité de l'insouciance,roman,littérature française,écrivain belge,culture« Ils squattaient un ancien entrepôt de tissus, c’était plutôt accueillant, après ce que j’avais connu au pensionnat. Il suffisait de se choisir une chute à son goût, couleurs, texture, et de se faire un petit coin douillet. J’étais heureuse de découvrir la vie à leurs côtés, c’était ça de pris sur mon programme, je méritais bien de commencer par les vacances, après mes années de douleur. Je m’inquiéterais de la suite à donner à mon existence quand je serais prête. »

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  • Olga, une disparition

    « Celui qui lutte contre les monstres doit veiller à ne pas le devenir lui-même. Or quand ton regard pénètre aussi longtemps au fond d’un abîme, l’abîme lui aussi pénètre en toi. » (Frédéric Nietzsche, Par-delà le bien et le mal) Avec l’épigraphe d’Olga, ou la fragilité de l’insouciance (2021), Catherine Meeùs, qui se partage entre la musique, l’édition et l’écriture, donne un avertissement à prendre au sérieux.

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    Ce premier roman a de quoi troubler. Il aurait pu s’intituler Olga ou la lutte contre les monstres. Catherine Meeùs le dédie à la mémoire de sa grand-mère féministe, Marie Denis, dont elle a par ailleurs adapté le roman Des jours trop longs au théâtre, avec Eléonore Meeùs et Stéphanie Van Vyve, sur le thème des sentiments contradictoires que peut susciter une grossesse. Dans le roman de Marie Denis, chez une mère de famille nombreuse qui se découvre enceinte à trente-deux ans, en 1961 ; dans la pièce, chez une femme de trente-deux ans qui ne veut pas d’enfant, en 2011. Ce sera aussi le choix d’Olga.

    Dans le prologue (à lire en ligne), Hanne découvre dans le journal l’avis de disparition depuis deux mois d’Olga, 24 ans, et reconnaît immédiatement sur la photo celle qu’elle appelait intérieurement Blandine, « ce petit être éthéré, ce paquet d’os emballé dans du papier à cigarettes, cet oisillon tombé du nid » dont elle n’aurait pu donner l’âge et dont elle ne savait rien, sauf qu’elle avait fait « irruption dans sa vie à plusieurs reprises ».

    « Hanne avait toujours été préoccupée par ce qui nous survit. Notre vie n’a de sens que si elle jette ses amarres au-delà du temps qui nous est imparti (…) » A chaque apparition fortuite de Blandine-Olga, « sa vie avait ensuite pris un nouveau tournant. » Aussi décide-t-elle de conter son histoire, de lui offrir « une trace ». « Mieux valait avoir une histoire que l’on n’avait pas vécue que pas d’histoire du tout » pour continuer à exister « dans la mémoire collective ».

    L’histoire d’Olga se déroule en quatre actes et trois intermèdes. Le premier se déroule au village de son enfance – où le vétérinaire l’a mise au monde, faute de médecin dans les environs. Dans ce village « perdu dans les montagnes », on vit loin de toute modernisation : on mange ce qu’on cultive, seul le directeur de l’école a le téléphone. L’épicier y est un peu le « chef de tribu », se rend en ville avec sa camionnette, un homme « gentil, doux et modeste ».

    Olga vit avec sa mère qui cultive des pommes de terre – leur nourriture quasi exclusive – et sa grand-mère mutique ; elles portent toutes les trois le même prénom. Elle ne connaît pas son père, a juste des soupçons. Seuls les magazines féminins entassés à l’étage lui donnent une idée de la vie ailleurs, des émotions, de la mer qu’elle rêve de voir en vrai. Elle aimerait devenir infirmière « ou bien ange du ciel ». « Un jour, il m’apparaîtrait que la vie avait choisi pour moi et que le ciel m’attendrait encore un moment. » A l’école, Olga Faucheleux découvre que sa drôle de voix fait hurler de rire. Ce n’est pas encourageant pour ce « petit animal farouche ».

    Un jeune homme apparaît dans sa vie, Emilio – rêve ou réalité ? La frontière entre les deux n’est pas claire dans ce roman. Olga ira dans un pensionnat sordide tenu par « quelques femmes perdues pour l’amour » et y fera connaissance avec l’insomnie, les démons qui l’assaillent la nuit. Puis viendront les premières expériences sexuelles et on devine qu’Olga, bien que résolue à ne pas avoir de descendance, risque fort de se retrouver enceinte tôt ou tard. « Mon enfance est remplie de peut-être. Ma tête aussi. De questions restées ouvertes qui font comme un gouffre béant au creux de mon ventre, un hurlement silencieux qui s’écrase sur le mur qui se dresse au bout de mes pieds. »

    Catherine Meeùs laisse dans le flou bien des aspects de la vie d’Olga – telle que Hanne l’imagine – et met en relief sa solitude, le danger de mauvaises rencontres, de « forces obscures » menant à la déchéance. On finira par comprendre en quoi consiste sa « disparition ». La fragile Olga a-t-elle jamais connu « l’insouciance » qu’elle pleurera un jour ? Elle paraît si désarmée. Ce premier roman parfois déroutant a des tonalités très sombres, il montre aussi à quel point la bonté d’un regard peut compter, pour qui a grandi sans « chaleur humaine ».

  • Un autre monde

    stefan hertmans,guerre et térébenthine,littérature néerlandaise,belgique,famille,grand-père,guerre 14-18,peinture,gand,travail,société,culture« C’est sa vie qu’il me demandait de décrire en me confiant ces cahiers. Une vie se déroulant sur près d’un siècle et commençant dans un autre monde. Un monde de villages, de chemins à travers champs, de voitures à cheval, de lampes à gaz, de bassines à linge, d’images pieuses, de vieux placards, une époque où les femmes étaient âgées à quarante ans, une époque de prêtres tout-puissants sentant le cigare et les sous-vêtements sales, de jeunes bourgeoises rebelles placées dans des couvents, une époque de grands séminaires, de décrets épiscopaux et impériaux, une époque qui commença sa longue agonie en 1914, quand Gavrilo Princip, petit Serbe douteux, tira sans même bien viser un coup de feu qui pulvérisa la belle illusion de la vieille Europe, provoquant la catastrophe qui allait le toucher lui, mon petit grand-père aux yeux bleus, et dominer définitivement sa vie. »

    Stefan Hertmans, Guerre et Térébenthine

    Photo : le soldat Urbain Martien (une des photos intégrées dans le récit de Stefan Hertmans)