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Icônes et art

L’exposition en cours à la Villa Empain, « Icônes », donne à voir et à réfléchir. On y montre des icônes anciennes (Europe, Russie), des œuvres du XIXe et du XXe où l’artiste « explore la composition frontale et sans profondeur » qui caractérise l’icône, et « l’utilisation que font les artistes contemporains du langage iconographique » (Site de la Villa Empain). De la peinture religieuse à la fabrication d’images, ce parcours invite à s’interroger sur les rapports entre icônes et art.

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© Pierre et Gilles, La Madone au cœur blessé – Lio (détail), 1991 – Pinault Collection

La madone de Pierre & Gilles, une photographie peinte contrecollée sur aluminium (1991) présentée dans une niche à l’entrée du grand hall, en donne le ton : « Lio devient, dans son épais cadre doré, une Madone au cœur blessé, visage fragile et douloureux à l’impassibilité de cire et avec tout l’appareil d’une Vierge latine, assurément une icône que l’on verrait vénérée à la lumière des cierges » écrit Henri Loyrette, commissaire de l’exposition, dans l’introduction du guide offert aux visiteurs (source des citations, sauf mention contraire).

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© Duane Hanson, Window Washer, 1984,
bronze polychromé et matériaux mixtes, Avec l'autorisation de la Gagosian Gallery, New York

Un rideau de pluie s’abat sur le jardin derrière le Laveur de vitres de Duane Hanson, sculpteur hyperréaliste : ses personnages « à taille humaine » sont moulés sur des modèles et habillés de vêtements de récupération. « Mon travail traite de gens qui vivent dans un désespoir silencieux. » Ouvriers ou sans-abri modelés deviennent-ils pour autant « de nouvelles icônes de notre modernité » ? N’est-ce pas confondre représentation et spiritualité ?

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© Yan Pei-Ming, Deng Xiaoping, 2021

Les œuvres exposées dans les salons de part et d’autre accentuent l’impression de « postmodernité ». A gauche, un immense portrait de Deng Xiaoping par Yan Pei-Ming en guise d’hommage. A droite Wim Delvoye, « connu pour son humour », s’est amusé à placer un vitrail dans un but et de revêtir des images, détournées d’un clip, d’ornements ouvragés à la manière des icônes byzantines ornées d’or ou d’argent. Commentant le refus d’exposer ce « clin d’œil aux icônes » essuyé à Moscou, Delvoye s’étonne : « pour une fois », dit-il, il n’y avait aucune ironie dans son travail.

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© Annette Messager, Icone, 2013,
Avec l'autorisation de l’artiste et de la Marian Goodman Gallery, NY/Paris/Londres

Dans l’escalier, Icone (sans accent) d’Annette Messager, en fil de fer et filet noir, dénonce la cruauté des stéréotypes sexistes par les déchirures, la chute – des lambeaux. Impression forte de noirceur. A l’opposé des icônes véritables exposées à l’étage, lumineuses. Impressionnante, La Sainte Face du Christ sur le voile de Véronique (1649), une gravure sur cuivre de Claude Mellan, considérée comme son chef-d’œuvre,  a été « réalisée en un seul sillon creusé en spirale, dont les épaississements créent l’image ». Non loin sont accrochées des œuvres de Sarkis (Sarkis Zabunyan), un artiste plasticien d’origine arménienne très présent dans l’exposition.

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Claude Mellan (1598-1688), Sainte Face du Christ sur le voile de Véronique, 1649,
gravure sur papier, The Phoebus Collection, Anvers

Des citations sont inscrites sur les murs, comme celle-ci : « Ce que le livre est aux gens instruits, l’image l’est pour les analphabètes ; et ce que la parole est à l’ouïe, l’image l’est à la vue » (Jean de Damas dans son discours « Défense des icônes », quand apparaît l’iconoclasme au VIIIe siècle). La pièce suivante présente des icônes religieuses anciennes de toute beauté, de « Paraskeva », patronne des femmes, à « Déisis » où le Christ est représenté entre la Vierge Marie et Saint Jean-Baptiste.

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Paraskeva, XVIe siècle, tempera sur bois, collection privée, Bruxelles

Puis l’on passe aux artistes des XIXe et XXe siècles qui ont repris à l’icône la frontalité des visages, le refus de l’accessoire et « toujours quelque trace du sacré ». Dans l’ancienne salle de bain bleue de la Villa Empain, deux beaux petits dessins au crayon et à la gouache, Christ au brin de bruyère et Madone aux deux hermines, prêtés par le musée des Beaux-Arts de Quimper, m’ont fait découvrir la peinture mystique et décorative de Charles Filiger.

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© Charles Filiger, Madone aux hermines, vers 1903,
crayon et gouache sur papier, Musée des Beaux-Arts de Quimper

Le Portrait de Max Elskamp (1884) par Henry Van de Velde le représente « telle une figure solaire ou christique ». Elskamp, poète flamand d’expression française, célébrait une Flandre « heureuse, animée par la piété ». Dans la même chambre, « La dame blanche » d’Octave Landuyt, peintre gantois, est plutôt inquiétante avec ses figures figées. Les deux hommes devant cette dame sont-ils de bons ou de mauvais anges ?

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© Titus Kaphar, Created in his Likeness, 2020, peinture à l’huile et goudron sur toile,
Fondation CommA, avec l’autorisation de la galerie Maruani Mercier, Bruxelles

J’en resterai là bien que le parcours, très divers, ne soit pas terminé. Parmi les œuvres contemporaines (voir la liste des artistes sur le site de la Villa Empain), une salle rassemble plusieurs œuvres de la série « IKON » de Sarkis, dont un étonnant « Retable » en vitrail et leds. J’ai trouvé très interpellante la peinture à l’huile et au goudron de Titus Kaphar, « Created in his Likeness » (Créé à son image, 2020), ouverte à de multiples interprétations. Une exposition à voir jusqu’au 24 octobre.

Commentaires

  • Voilà une exposition vraiment passionnante, merci pour cette présentation. En effet la dernière photo interroge et pour ma part me renvoie à nombre de textes bibliques ou autres. Je vais explorer le site, à défaut de pouvoir aller à l'expo !

  • Voici la conclusion de Gwennaëlle Gribaumont dans La Libre du 7 mai dernier :
    "Quand Magritte légende ‘Ceci n’est pas une pipe’ sous l’objet peint, il souligne que l’image qu’il en donne est différente par nature de ce qui est représenté. L’icône, au contraire, proclame : cette image est Christ, cette image est Marie ; elle est offerte à votre vénération." (Henri Loyrette) Et c’est bien la leçon de cette exposition : l’icône n’est pas une œuvre d’art. C’est un médium dont l’unique présence offre une porte d’entrée vers le sacré.

  • Vraiment intéressant!
    Je connais Pierre et gilles, je suis sceptique à l'égard de leur "art". En revanche, j'ai déjà vu des œuvres de Duane Lanson. J'ai été bluffée!! Ce que tu écrit de Claude Mellan est aussi intéressant. Bref, un article à lire et relire un peu plus tard: merci!!!

  • PS1: Non, "l'icône n'est pas une œuvre d'art"; il s'agit bien d'un médium.
    PS2: « Ce que le livre est aux gens instruits, l’image l’est pour les analphabètes"...Ce n'eset même pas sûr; les analphabètes, et bien d'autres encore....ne savent pas VOIR, déchiffrer; dans les expos, on est très surpris par des défilés de gens si peu curieux, si peu sensibles, si fermés à l'image... Je préfère l'attitude de ma fille par exemple qui exerce un métier critique dans l'art qui, dans un musée, va choisir ce qui l'interpelle afin de se planter devant une œuvre et y rester longuement pour l'interroger.

  • Notre perception des peintures et sculptures religieuses est très différente de celle qu'on en avait au Moyen Age, certainement. Je suis frappée d'observer que tant d'artistes contemporains s'en inspirent aujourd'hui pour les détourner d'une manière ou d'une autre. Par exemple, cette peinture au goudron qui peut choquer a priori m'a retenue longuement. Oui, s'arrêter devant une œuvre, s'en imprégner, c'est nécessaire. Je reconnais qu'en général, il faut tout de même qu'elle sache retenir l'attention : je n'ai pas eu cette patience devant le travail de Delvoye, par exemple.

  • j'ai vu l'exposition et j'avoue avoir un avis assez mitigé sur la question - je suis restée quelque peu sur ma fin, et je reconnais ne pas trop savoir pourquoi - je devrais peut-être y retourner

  • Je te comprends, Niki. Moi aussi, j'ai d'abord eu l'impression d'un "trop peu", surtout au rez-de-chaussée. A priori, je m'attendais à voir plus de belles peintures ou sculptures de visages.
    A l'étage, les icônes anciennes m'ont éblouie, le reste m'a diversement intéressée. En relisant le guide chez moi, je suis mieux entrée dans le thème de l'exposition finalement.

  • J'aimerais pouvoir voir cette exposition.
    J'ai un ami qui restaure des icônes dans les églises orthodoxes russes.

  • C'est un beau travail de restaurer des icônes, Jane.

  • Pour moi, l'iconographie religieuse russe est un sommet. De l'art, oui, mais elle est davantage encore la pointe aigüe de la spiritualité. Que des artistes contemporains reprennent l'idée de l'icône, cela prouve qu'elle a su les interroger, mais ils font autre chose.

  • La part de l'esthétique est indéniable quand on regarde une icône, mais sa fonction va bien au-delà, en effet.

  • Je crois que je me focaliserais surtout sur les icônes anciennes qui me fascinent. Je ne connais pas du tout Charles Diliger, c'est intéressant ce qu'il fait.

  • Tu auras vu d'autres œuvres de Filiger sur Wikimedia, je suppose. Il y en a au musée d'Orsay.

  • je trouve qu'ils ont toujours un angle intéressant pour aborder l'art, dans cette fondation! et en effet, beaucoup d'oeuvres modernes sont très 'iconiques' ou jouent sur ce statut d''icône'

  • Oui, la Fondation Boghossian fait du bon travail dans ce "centre d’art et de dialogue entre les cultures d’Orient et d’Occident".

  • j'ai eu la chance il y a vingt ans à peu près de voir une exposition d'icônes magnifiques, c'était en Italie et depuis je me suis intéressée à cet art magnifique
    pour moi l'incroyante il n'y a là que de l'art mais on y sent toute la force de la ferveur des peintres

  • A Moscou, la galerie Tretiakov en possède de très belles, dont je n'ai vu que les plus fameuses - le guide avait tant à nous montrer dans ce merveilleux musée.

  • Paraskeva est absolument magnifique. Je n'ai jamais vu des couleurs aussi belles. Ceci dit, que fait Mr Deng Xiao Ping là ? J'adore l'absence exceptionnelle d'ironie de Delvoye, qui a été regrettée.

  • Bonjour, Binh An. Oui, cette icône est magnifique, heureuse que tu le perçoives malgré les défauts de la photo (vitre de protection).
    Oui, Yang Pei-Ming et Delvoye font la paire, si je puis dire ;-).

  • Que de sujets dans cette exposition ! Je me suis passionnée pour les icônes à une époque, elles m'impressionnent toujours beaucoup. Il ne faut pas oublier que dans les temps anciens elles étaient vues à la lumière de bougies, les ors brillaient de mille feux permettant de graver l'image dans les esprits, les églises pouvaient dominer le peuple... L’œuvre de Charles Filiger m'a toujours émerveillée et je suis heureuse de savoir qu'elle voyage et passe les frontières. Je découvre cette tête de Christ de Claude Mellan, c'est époustouflant, merci Tania, douce journée à toi. brigitte

  • Chère Brigitte, j'ai eu l'occasion de voir comme ces icônes sont éclairées et vénérées dans les églises russes, c'est impressionnant. Merci & belle semaine. Ici le soleil brille - difficiles lendemains d'un désastre pour tant de gens. Bises.

  • J'ai manqué nombre de tes intéressants articles cet été. Cette exposition, notamment. J'aime beaucoup les icônes religieuses, leur beauté me touche. Ce regard tradition-contemporain, ce " détournement ", me fascine.

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