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Art - Page 57

  • L'aile bleue

    khnopff,catalogue,mrbab,2004,rétrospective,bruxelles,peinture,symbolisme,portrait,paysage,bruges,fosset,les xx,culture« Dans cette œuvre, une femme mi-ange mi-démon incarne l’idéal féminin qui hante l’artiste. C’est une étrange muse, une âme navrée. Est-ce la prêtresse d’Hypnos, le dieu du Sommeil à qui Khnopff dédia un autel domestique dans sa propre maison et qui aimait à dire : « Le sommeil est ce qu’il y a de plus parfait dans notre existence » ? »

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    khnopff,catalogue,mrbab,2004,rétrospective,bruxelles,peinture,symbolisme,portrait,paysage,bruges,fosset,les xx,culture« Cette tête du dieu du Sommeil apparaît pour la première fois en 1891, dans l’œuvre intitulée I lock my door upon myself inspirée d’un poème de Christina Georgina Rossetti. Ce même thème est repris, également en 1900, dans Une recluse, œuvre destinée à la collection d’Adolphe Stoclet à Bruxelles. »

    Catalogue Fernand Khnopff (1858-1921), Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles, 2004

    Fernand Knopff, Une aile bleue, 1894, huile sur toile, 88,5 x 28,5, Collection privée

  • Khnopff et le mystère

    En 2004, les Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique (MRBAB) ont présenté une très belle rétrospective Fernand Khnopff (1858-1921) à Bruxelles, avant Salzbourg puis Boston. Son catalogue au superbe détail sur la jaquette (ci-dessous, je vous en parlerai dans le prochain billet) a trouvé place près de celui de la première rétrospective que j’avais vue là en 1980 (après Paris, avant Hambourg), avec un détail de Des caresses en couverture.

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    Un des fondateurs du groupe des XX, souvent considéré comme le plus fameux des peintres symbolistes belges, Fernand Khnopff nous a laissé des images ineffaçables de son monde intérieur, même quand il peint des paysages. Grand portraitiste, des femmes et des enfants surtout (ci-dessous un portrait de sa mère), il les montre avec une finesse remarquable et en même temps, enveloppe leur présence de mystère et de silence.

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    Fernand Knopff, Portrait de Madame Edmond Knopff, 1882,
    huile sur toile, 36,3 x 28, Musée d’art moderne et d’art contemporain, Liège

    Ensor a été choqué en découvrant une de ses premières œuvres, En écoutant du Schumann, selon lui un plagiat de sa Musique russe (cette toile remarquable où l’on voit Finch écouter une pianiste dans un salon). Frederik Leen, dans le catalogue de 2004, décrit bien cette peinture de Khnopff qui fut très discutée : « elle parle de musique qu’il invite à écouter. Cela demande de la part du spectateur une faculté d’empathie avec la femme assise dans le fauteuil qui se trouve, non sans raison, au centre de la toile mise en page de façon symétrique. […] Il mobilise le regard sur la main de la dame qui écoute – main posée sur le front et dont le pouce est orienté vers l’oreille […] pour pouvoir se perdre corps et âme dans la musique. L’autre main est celle du pianiste qui est hors champ. » (Fernand Khnopff et le symbolisme)

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    Fernand Knopff, En écoutant du Schumann, 1883,
    huile sur toile, 101,5 x 116,5, MRBAB, Bruxelles

    Fernand Khnopff a l’art de structurer ses compositions, souvent énigmatiques, à travers des verticales et des horizontales. Il a conservé jusqu’à sa mort le célèbre et magnifique portrait de sa sœur en robe blanche devant une porte close, un chef-d’œuvre. C’est au spectateur de se poser des questions, de découvrir des correspondances ; le peintre n’explique rien, il montre. Sa vision mélancolique s’enracine dans ses souvenirs, sans proposer d’interprétation, mais « des formes que chacun peut lire ou vivre à sa façon » (F. Leen). Pas de signification cachée, pas de message – un support pour l’imaginaire.

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    Fernand Knopff, Portrait de Marguerite Khnopff, 1887,
    huile sur toile marouflée sur bois, 96 x 74,5,
    Fondation Roi Baudouin, prêt aux MRBAB, Bruxelles

    Avant ses célèbres vues de Bruges, où il avait vécu enfant, jusqu’au déménagement à Bruxelles en 1866, il a peint beaucoup de paysages de Fosset, un hameau de l’Ardenne belge où sa famille passait l’été dans sa maison de campagne. Le ciel y est souvent coupé, les personnages rares ou réduits à des silhouettes. Les paysages symbolistes de Khnopff sont méconnus ; Verhaeren espérait que le peintre ne les abandonnerait jamais. Ils représentent la nature « transformée en état d’âme ayant une signification symbolique » (Michel Draguet) : facture « cotonneuse », lumière indéfinie, contours vagues, « palette de couleurs restreintes d’ocres et de couleurs de terre, de verts, de gris et de blancs extrêmement raffinées » qui créent « une atmosphère d’intériorité retenue » (Dominique Marechal, Fernand Khnopff : de Bruges à Fosset)

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    Fernand Khnopff, A Fosset, Un soir, 1886,
    huile sur toile, 40 x 58, Hearn Family Trust

    Un Hortensia, peint à l’âge de 26 ans, sans doute à Fosset, illustre déjà son art du cadrage très moderne. De la plante dont le haut est coupé, posée sur une nappe blanche aux rosaces bleues, le regard passe à la lectrice élégante à l’arrière. Le peintre a posé une fleur rouge sur la table devant elle. Sa mère ? Sa sœur ? Mystère. Atmosphère feutrée, silence, bonheur de vivre, indique la notice du catalogue près de cette composition audacieuse.

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    Fernand Khnopff, Un Hortensia, 1884,
    huile sur toile, 46,5 x 57,8, Collection privée, Bruxelles

    En plus de la peinture à l’huile, Knopff a merveilleusement utilisé le pastel et les crayons de couleur, voire la craie. Influencé entre autres par les Préraphaélites, Burne-Jones et Rossetti, il a peint de nombreuses têtes de femmes aux cheveux roux et vaporeux, prêtresses d’un culte secret. En rehaussant parfois leur regard de bleu, sa couleur préférée, il donne à leurs yeux l’éclat de pierres précieuses.

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    Fernand Khnopff, Portrait de femme, vers 1899,
    sanguine et crayons de couleur sur papier, 23 x 13,7, Collection privée

    Quand il peint sept femmes sur un court de tennis – Memories (Lawn Tennis) – aucune de ces « monades » ne regarde dans la même direction. On a retrouvé six photographies de sa sœur dans des poses correspondantes, seule la première à gauche, sans chapeau, est une autre femme, même si elle porte la robe blanche du portrait de Marguerite. Photographe, Khnopff a souvent utilisé la photographie dans sa création. Il fut aussi sculpteur et graveur.

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    Fernand Knopff, Memories (Lawn Tennis), 1889,
    pastel sur papier marouflé sur toile, 127 x 200, MRBAB, Bruxelles

    Quel bonheur de revoir les portraits illustrés dans ce catalogue de 2004, celui du jeune Jules Philipsson droit comme un i, de ces fillettes à l’air sérieux – Jeanne de Bauer, Mlle Van der Hecht, Jeanne Kéfer… La grande bourgeoisie et l’aristocratie raffolaient de ces portraits d’enfants bien habillés, dans un décor soigné, l’air sérieux et concentré. Celui des enfants de Louis Nève qui s’échelonnent sur l’escalier est une merveille de composition en blanc, rouge et noir où seule la petite fille, en robe bleue, rêve un peu à l’écart, la tête penchée sur la rampe.

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    Fernand Knopff, Portrait des enfants de Louis Nève, 1893,
    huile sur panneau, 49,5 x 40, Collection privée

    Il peint le Portrait de Marie Monnom, deux ans avant qu’elle n’épouse Van Rysselberghe, ami intime de Khnopff. De biais, le visage inexpressif, plongée dans ses pensées, elle est assise dans un fauteuil devant un mur où luit un cercle doré, le même que celui du Portrait de Marguerite Khnopff. La forme circulaire, qui renvoie à la perfection et à l’infini, symbolise aussi l’intimité (le « cercle fermé »). Fernand Khnopff fut également illustrateur. Il a créé le logo des XX, réalisé l’affiche de leur huitième exposition, composé des ex-libris.

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    Fernand Knopff, I lock my door upon myself, 1891,
    huile sur toile, 72 x 140, Neue Pinakothek, Munich

    Je ne peux terminer ce billet sans vous montrer l’œuvre pour moi la plus fascinante de cet artiste, I lock my door upon myself, dont l’analyse prend plusieurs pages dans le catalogue de cette rétrospective. Son titre est un vers de la poétesse Christina G. Rossetti, sœur du peintre préraphaélite, tiré de Who shall deliver me ?

  • Encre

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    Tôhaku Hasegawa (1530-1610), partie droite du Shôrin-zu (Bois de pins),
    encre sur papier, XVIe siècle, Musée national de Tôkyô, Japon

    « Le fond brumeux, traversé par une pâle lumière hivernale, entraîne le spectateur dans les profondeurs de la forêt, peut-être en direction du sommet enneigé visible sur la droite, ou dans les méandres d’invisibles sentiers entre les arbres. Cette brume sans contours n’est pas dessinée : elle est uniquement suggérée par les différentes dilutions de l’encre qui a tracé les pins. Pourtant elle envahit tout le tableau, pèse sur le frêle édifice des branches, les fait ployer – ou est-ce le vent ? »

    Corinne Atlan, Petit éloge des brumes

  • S'embrumer de mots

    Petit éloge des brumes offre tout ce qu’il faut pour s’embrumer de mots et d’images, de livres et de lieux ; on y retrouve la prédilection de Corinne Atlan pour la culture japonaise qui lui a inspiré le bel Automne à Kyoto. Dans son avant-propos, elle rappelle que le mot « brume » désigne d’abord en latin le jour le plus court de l’année, le solstice d’hiver, puis toute la saison hivernale, les brouillards de mer, enfin le brouillard léger : « seule la distance de visibilité sépare la brume du brouillard ».

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    © Antoine

    Voici les trois parties de ce petit essai délicieux, pour vous mettre en appétit : « Apprentissage des brouillards », « Nuées du souvenir », « L’archipel des brumes ». Corinne Atlan remonte aux sources personnelles de sa « préférence pour le vague », le rêve en regardant les nuages, pour le fluide, le flou, « les paysages à demi réels des contes ». C’est peut-être cela qui lui a fait choisir le métier de traductrice – bien qu’« à la recherche des correspondances les plus exactes possible entre une langue et une autre » – et son pays d’adoption, « où la brume, les phénomènes évanescents, l’ombre et les rêves sont rois, et où pourtant les trains partent et arrivent à l’heure. »

    Beaucoup de lectures, de films, d’œuvres d’art, participent à cette évocation des brumes, avec un moment clé dans sa jeunesse, durant les vacances d’été en Normandie : la première fois qu’elle assiste à une aube, après une nuit où un cauchemar l’a tenue éveillée – « Je faisais l’expérience pour la première fois de ce lien entre la beauté du monde et l’envie irrépressible d’aller vers l’horizon. »

    Dix ans d’enseignement du français au Népal font surgir de sa mémoire, « brouillard percé de soudaines trouées et de longs corridors aux parois impalpables », des impressions de Katmandou, de marches dans la forêt sacrée de Shivapuri, la lecture d’écrivains voyageurs, le goût de la langue japonaise, sans savoir encore qu’elle en ferait un métier.

    « L’archipel des brumes », c’est le Japon où elle vit une bonne partie de l’année. Corinne Atlan partage avec les Asiatiques « le culte des montagnes » : « Au Japon comme en Chine, l’écriture même associe la montagne à la recherche de la vérité dans les solitudes sauvages, faisant des vallées le lieu des occupations humaines ordinaires. » Nuages et brumes y sont omniprésents dans la poésie, la peinture, la langue même liant « l’errance, les forêts, les montagnes, la pluie, les brumes et les larmes ».

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    © Casey Yee, Mononoke forest, Yakushima island

    J’ai particulièrement aimé les pages sur l’île de Yakushima, « île-brume, île-pluie », sur sa forêt millénaire où « on perd très vite tout repère » : « les énormes branches moussues aux formes fantasmagoriques, les fumerolles qui montent de l’humus, ce vert quasi surnaturel des mousses quand la pluie s’interrompt et qu’un rayon de soleil perce les futaies sombres, nous incitant à poursuivre toujours plus loin. »

    Dans le train qui la ramène à Kyoto, elle lit Oreiller d’herbe [sic] de Sôseki, le roman « à la fois « le plus brumeux » et le plus éclairant » qu’elle connaisse, réflexion sur l’art et ode à la brume. S’ensuit l’évocation de différents paysages de grands peintres japonais, des encres sur papier qui illustrent de façon sublime ce voile brumeux propre au climat japonais. Haïkus, cinéma, tout l’art nippon en est imprégné.

    Petit éloge des brumes est un texte précieux de Corinne Atlan, un inédit publié dans la collection Folio 2€ – qui donc en a parlé récemment, que je puisse l’en remercier ? « Nous qui pensons être faits de matière solide sommes traversés depuis notre venue au monde par une multitude de paroles, lectures, images, rencontres, influences et expériences qui nous fondent. Nous sommes en réalité de la même pâte malléable que les nuages et les brumes. »

  • Paysage

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    Des jardins, des jets d’eau pleurant dans les albâtres,
    Des baisers, des oiseaux chantant soir et matin,
    Et tout ce que l’Idylle a de plus enfantin.
    L’Emeute, tempêtant vainement à ma vitre,
    Ne fera pas lever mon front de mon pupitre ;
    Car je serai plongé dans cette volupté
    D’évoquer le Printemps avec ma volonté,
    De tirer un soleil de mon cœur et de faire
    De mes pensers brûlants une tiède atmosphère.

    Charles Baudelaire, Paysage (Tableaux parisiens)

    Constant Montald, Bord de rivière, 1913