« Me voici donc à Paris. J’ai dix-huit ans, un passé dont le temps finira bien par effacer la hantise, du courage, peu de besoins et de l’estomac : pourquoi l’avenir ne m’appartiendrait-il pas ?
Je vois sur ma table la photographie de l’être que j’étais à ce lever de ma vie d’homme, et, sous la toison de boucles brunes, jadis orgueil de ma mère, mais déjà bien assagies, je distingue un profil assez fin. Un front égal, un œil pâle, bien placé, mais sans éclat sous des paupières maladives, un nez court et busqué, une lèvre supérieure proéminente, où pointent les prémices d’une moustache retardataire, une bouche aux lèvres épaisses, volontiers entrouvertes sur des dents assez belles, mais écartées, et, subitement, la fuite d’un tout petit menton raté, d’un mauvais petit menton de hasard, qui entache l’ensemble et le tare de sa défaillance. »
Félix Vallotton, La vie meurtrière
Félix Vallotton, Autoportrait à vingt ans, 1885, Lausanne, Musée cantonal des Beaux-Arts
Commentaires
C'est bien une petite citation pour nous donner encore plus envie de lire ce livre :-)
Et de quoi vérifier qu'il a bien prêté quelques-uns de ses traits au personnage du roman.
C'est vrai que c'est bien vu; ce petit menton lui fait un air enfantin, sans courage...
Mais l'aspect est-il signifiant?
Bon week-end Tania; ici, c'est l'été ou presque.
Plus tard, Vallotton se laissera pousser un bouc, pour compenser ce petit menton, j'imagine.
Bon week-end par ce beau temps, Anne.
MERCI!MERCI! Je savais Vallotton un peintre génial qui me comble depuis des années, mais de le savoir aussi bon écrivain, me comble presque autant. Merci, Tania
Bienvenue, Liliane & bonne lecture !
Merci pour cette découverte ! Le peintre était donc aussi un écrivain, un écrivain étonnamment moderne à en juger par cet extrait !
"Des critiques d'art et des essais, des pièces de théâtre et deux romans", dixit l'éditeur.
Un portait de lui-même sans aucune auto-complaisance,..
Je retiens . un passé dont le temps finira bien par effacer la hantise.
Merci, bon dimanche.
Oui, les "accidents" de l'enfance ont marqué son personnage et lui-même était plutôt pessimiste. Bon dimanche, Colo.
Il ne se fait pas de cadeaux le pauvre... Tu me donnes envie d'aller vers ces tableaux. Bisous. brigitte
Il y a plus d'œuvres de lui dans les musées suisses qu'en France, semble-t-il, et aussi dans des collections particulières. Voici un lien pour en découvrir en grand format et bien commentées, si ça te tente : http://www.slate.fr/grand-format/vallotton-78362
Merci pour cet extrait Tania,
Il est très sévère avec lui même, mais le portrait qu'il fait est sensible et touchant...
C'est l'autoportrait de son personnage, mais je n'ai pas résisté à faire le rapprochement.