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Culture - Page 209

  • Voyage né d’une chute

    Sur les chemins noirs de Sylvain Tesson raconte sa traversée de la France à pied, du Sud-Est jusqu’au Cotentin, du 24 août au 8 novembre 2015, une marche en guise de rééducation qu’il s’était promis d’entreprendre s’il s’en sortait. Le livre s’ouvre sur deux cartes – celle de la France « hyper-rurale », celle de son itinéraire (ci-dessous) – et un avant-propos qui résume deux chocs survenus dans sa famille où « la vie ressemblait à un tableau de Bonnard » : sa mère était morte – « et moi, pris de boisson, je m’étais cassé la gueule d’un toit où je faisais le pitre ».

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    Après quatre mois d’hôpital, il a réchappé d’une chute de huit mètres qui l’a abimé physiquement et a laissé intact son goût de la route buissonnière. « Pas n’importe quelle route : je voulais m’en aller par les chemins cachés, bordés de haies, par les sous-bois de ronces et les pistes à ornières reliant les villages abandonnés. » Le train, à une allure qu’il juge folle (« la vitesse chassait le paysage »), l’amène à Nice puis à la gare de Tende, son point de départ.

    Avant de monter vers le col de Tende, comme les Russes qui « s’asseyent quelques secondes » avant de partir en voyage, font le vide, pensent à ceux qu’ils quittent, il s’assied, puis se met en route. Les pins noirs sur la crête du Mercantour le font penser à la Chine, mais il se rappelle l’injonction de Pessoa : « De la plante, je dis « c’est une plante », / De moi je dis « c’est moi ». / Et je ne dis rien de plus. / Qu’y a-t-il à dire de plus ? » Résolution difficile à tenir : comment regarder les choses sans laisser monter les souvenirs, sans se rappeler ses peintres ou écrivains de prédilection ?

    « Je plaçais mon salut dans le mouvement. » En quelques pages journalières, Sylvain Tesson raconte sa progression, du concret et des rêveries, sa jouissance de revenir au « temps des bivouacs ». Au début, il se traîne, le dos souffre. Pour soulager son corps de la nuit sous tente, il cherche de temps à autre un gîte. Pas facile d’échapper à l’administration de la « ruralité » au sens du rapport Ayrault-Valls : « Ce que nous autres, pauvres cloches, tenions pour une clef du paradis sur Terre – l’ensauvagement, la préservation, l’isolement – était considéré dans ces pages comme des catégories du sous-développement. »  

    Sur les chemins noirs est le récit d’une marche forcée volontaire hors des sentiers battus, autant que possible à distance des aménagements du territoire, le temps d’une prise de conscience. Pourquoi passer sa vie à cavaler ? Comment font ces gens qui s’enracinent quelque part pour la vie ? Où vivre librement sans trop de pression sociale ? « L’évitement me paraissait le mariage de la force avec l’élégance. » Sylvain Tesson n’est ni ermite ni asocial. De temps à autre, un ami, une sœur viennent marcher un peu avec lui. Il parle avec ceux qu’il rencontre en chemin, partage son pain avec des chats maigres. Le silence est son allié. L’amélioration physique est notable, mais il doit composer avec les médicaments, les douleurs, les faiblesses, les réactions parfois étranges devant sa nouvelle apparence.

    Un livre court (170 pages) pour un long itinéraire à l’aide des merveilleuses cartes d’état-major de l’IGN. Les descriptions sont rapides, les paysages sentis plus que photographiés. Il y est question de « l’époque », la nôtre ; elle lui paraît tout sauf glorieuse, livrée aux bureaucrates et au commerce, envahissante. « Récemment, le chef de l’Etat français s’était piqué d’infléchir le climat mondial quand il n’était même pas capable de protéger sa faune d’abeilles et de papillons (Fabre en aurait pleuré). »

    « Certains hommes espéraient entrer dans l’Histoire. Nous étions quelques-uns à préférer disparaître dans la géographie. » L’écrivain a le goût de la formule, du calembour – « Oraison, funèbre endroit. » Il fait au lecteur le plaisir de ne pas s’appesantir. Les paysages ne lui sont pas simplement le « décor du passage », le marcheur va à leur rencontre, écoute leur histoire, découvre « le trésor des proximités ».

    En lisant Sur les chemins noirs de Sylvain Tesson, j’ai aimé sa façon de partager cette traversée inédite faite d’efforts et de plaisirs, de questions sur le monde et sur soi. Un cadeau d’un écrivain-voyageur pour qui le voyage, même dans son propre pays, est toujours aussi cheminement intérieur et quête de lumière.

  • Château Delune

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    A l’angle de l’avenue Franklin Roosevelt et de l’avenue des Phalènes, cette superbe villa de style Art nouveau, attribuée à l’architecte Léon Delune, est surnommée le « Château Delune ». Bien restaurée, elle a retrouvé ses boiseries vert pâle et gris beige.

    Cette maison joue un rôle majeur dans le roman de Jacqueline Harpman, Le bonheur dans le crime (1993). Vous en trouverez l’histoire et la description sur le site de l’Inventaire du patrimoine architectural. Actuellement, elle abrite une ambassade.

     

  • Devant la glace

    chefs-d'oeuvre du guggenheim,de manet à picasso,la collection thannhauser,exposition,aix-en-provence,hôtel de caumont,peinture,art moderne,cultureScène intime. Une femme tire sur le lacet de son corset devant un miroir. Sur le site du musée Guggenheim de Bilbao, je lis ceci : « Manet fut l’un des artistes à aborder la mode de l’époque, mais il décrivait aussi avec audace l’espace privé. Son modèle, à moitié habillée dont on voit la peau, est une représentation qui subvertit le nu classique. »

    Ce serait le portrait d’une prostituée, d’une facture beaucoup plus libre que celui de Nana, dont on le rapproche. Femme à sa toilette de Berthe Morisot pourrait y répondre : on y voit une femme devant un miroir, la main dans les cheveux – pour se coiffer ou défaire sa coiffure avant de se déshabiller ?

    Femme au miroir : un beau thème pour traverser l’histoire de la peinture et de la représentation féminine, vous ne trouvez pas ?

    Manet, Devant la glace, 1876
    (Solomon R. Guggenheim museum, New York, Thannhauser Collection)

  • Collection Thannhauser

    A Aix-en-Provence, l’Hôtel de Caumont présente une belle exposition : « Chefs-d’œuvre du Guggenheim. De Manet à Picasso, la collection Thannhauser ». Dès l’ouverture de sa Moderne Galerie à Munich en 1909, Heinrich Thannhauser a pris l’option de « l’audace artistique » en montrant « de nouveaux talents et des artistes expérimentaux » (les citations sont extraites du catalogue). Son fils Justin, son successeur, a fait une donation importante de 75 tableaux de sa collection au musée Guggenheim en 1963, après avoir perdu ses deux fils puis sa femme. Ainsi, selon lui, « l’œuvre de [sa] vie trouvait enfin son sens. »

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    Seurat, Paysanne assise dans l’herbe, 1883 (Solomon R. Guggenheim museum, New York)

    Dès l’entrée de l’exposition, j’ai été touchée par les trois toiles lumineuses et paisibles de Seurat : Paysanne assise dans l’herbe, Paysannes au travail, Paysan à la houe. Encore sous influence impressionniste en 1882-1883, il peint déjà par petites touches de couleurs complémentaires (vert, bleu, jaune). Leur atmosphère contraste avec un portrait de Cézanne, Homme aux bras croisés, mis à l’honneur dans sa ville.

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    Cézanne, Bibémus, vers 1894-1895 (Solomon R. Guggenheim museum, New York, Thannhauser Collection)

    Les peintures suivantes, de Manet et de Renoir, sont antérieures ; de grands peintres se côtoient ici avec bonheur. Des paysages de Cézanne retrouvent leur région natale, comme Bibémus, affiche de l’exposition, accompagnés de natures mortes aux fruits et objets mis en valeur sur une nappe blanche. Celles-ci font l’objet d’une intéressante analyse dans le catalogue, « Le pouvoir d’étonner » par Sasha Kalter-Wasserman.

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    Va, Gogh, Montagnes à Saint-Rémy, 1889 (Solomon R. Guggenheim museum, New York, Thannhauser Collection)

    Van Gogh est bien représenté avec trois toiles : Le Viaduc (Asnières, 1887), Paysage enneigé (Arles, 1888) et surtout Montagnes à Saint-Rémy (1889). Sur trois ans, quelle évolution ! Après avoir quitté Paris pour Arles en février 1888, ses couleurs changent, sa palette devient « nettement plus colorée », comme il l’écrit à son frère Théo. L’année suivante, à la suite de plusieurs crises, Vincent trouve refuge à l’asile de Saint-Rémy-de-Provence et y peint des paysages tourbillonnants. Il faut s’attarder devant ces montagnes mouvementées, ces arbres et cette maison à leur pied, ces fleurs au bord du chemin – comment ne pas s’émouvoir ? Un beau Gauguin est accroché non loin, Haere Mai.

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    De nombreuses photographies en noir et blanc sont présentées tout au long du parcours, on y voit les membres de la famille Thannhauser et des documents, des vues d’expositions où figuraient les artistes exposés. Certaines photos en grand format donnent l’impression de côtoyer les visiteurs d’alors, la scénographie est soignée. On en trouve plus encore dans le catalogue, pour un tiers consacré à l’histoire du galeriste et de la collection. Dans une vitrine, près de trois petites danseuses de Degas en bronze, j’ai aimé cette petite sculpture de Maillol, Femme au crabe.

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    Maillol, La Femme au crabe, vers 1902-1905 (Solomon R. Guggenheim museum, New York, Thannhauser Collection)

    Un portrait de Mistinguett par Picabia, des Picasso du début –Justin K. Thannhauser a été en relation étroite avec l’artiste espagnol, dont trente œuvres ont été léguées au Guggenheim – font la transition vers la seconde partie de l’exposition à l’étage supérieur. Coup de cœur pour La montagne bleue de Kandinsky, un festival de couleurs dans ce paysage et les tenues des cavaliers ! L’énorme Vache jaune de Franz Marc explose aussi de vitalité, en contraste avec une belle toile de Robert Delaunay, La Ville, aux petites touches rouges, bleues, turquoises, entre les gris et les beiges de ce beau paysage urbain.

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    Kandinsky, La montagne bleue (détail), 1908-1909 (Solomon R. Guggenheim museum, New York)

    Sans pouvoir ni vouloir tout énumérer, je vous signale les très amusants Joueurs de football d’Henri Rousseau qui lancent un ballon ovale, des joueurs de rugby en fait. Place au cubisme ensuite, avec de beaux Juan Gris comme Les Cerises. De Braque, je ne connaissais pas ce goût des couleurs chaudes révélé dans Théière sur fond jaune, une peinture plus tardive.

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    Picasso, Femme aux cheveux jaunes, 1931(Solomon R. Guggenheim museum, New York, Thannhauser Collection)

    Le parcours se termine avec une belle série de Picasso, notamment une toile malicieuse offerte à Justin et à sa femme pour leur mariage, Le Homard et le Chat. Femme aux cheveux jaunes est un merveilleux portrait de Marie-Thérèse, d’une grande douceur. Cette cinquantaine de Chefs-d’œuvre du Guggenheim ont quitté pour la première fois le musée Guggenheim de New-York. Après Bilbao et avant Milan, ils sont exposés à Aix-en-Provence jusqu’au 29 septembre.