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Culture - Page 212

  • Rêves d'ailleurs

    Depuis Mal de pierres (2007), Milena Agus a écrit diverses histoires grâce aux « trouvailles pleines d’esprit » de trois femmes qu’elle remercie au début de Terres promises, reconnaissant s’être « toujours dépêchée de les écrire, pour en conserver la malice et la gaieté ». Ce dernier roman paru tourne autour de trois pôles : la Sardaigne, la famille et un leit-motiv, « l’herbe est plus verte ailleurs », qui devient ici dans la bouche de ses personnages : « Comment peut-on vivre dans un endroit pareil ? »

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    Cela commence avec Ester, la fiancée de Raffaele, que son engagement volontaire dans la marine de guerre n’a pas découragée : elle sait qu’il n’était pas fasciste, mais fuyait une vie d’ouvrier, de berger ou de paysan. Emprisonné au camp pour avoir refusé de servir Hitler, il en est revenu avec l’amour du jazz, grâce à un trompettiste noir américain. Marin à Gênes, il n’a pas oublié Ester dont il est tombé amoureux « parce qu’elle était différente, blonde dans un monde de brunes, avec un petit visage fin et doux parmi toutes ces femmes à l’air sévère. »

    Felice, le frère d’Ester, au chômage après avoir fait la guerre en Afrique, ne supporte pas les Américains et leur préfère l’Union soviétique, ce qui provoque de nombreuses disputes avec Raffaele. Fragile du cœur, mal-aimé de sa mère, Felice finit par se jeter dans un puits. Quand la fille d’Ester et de Raffaele vient au monde – « l’épisode le plus facile de la vie d’Ester » –, elle reçoit le nom de Felicita et grâce à elle, la vie de sa mère devient plus gaie : « elle avait le sentiment d’être arrivé là où elle avait toujours désiré être. Parfois. »

    Son emploi perdu, Raffaele installe sa famille à Milan, « la grise, la brumeuse, la sans vent », dans un deux-pièces rien qu’à eux. Ni Felicita ni sa mère n’ont l’air sarde, la fillette rêve de cette île comme d’une « terre mystérieuse ». Quand elle va pour la première fois chez sa grand-mère maternelle, en deuil de son mari et de son fils, au perpétuel air mécontent, elle déchante. Felicita ne comprend pas que sa grand-mère qui n’a jamais vu la mer refuse même qu’on l’y emmène. Au village, mariée le même jour qu’Ester, Donna Dolorès, déjà veuve, habite la « somptueuse demeure des Sisternes » avec son fils, Pietro Maria : Felicita adore les voir passer en calèche et tombe amoureuse de « l’orphelin triste », enfant unique comme elle.

    A Milan, où ils retournent vivre dans leur HLM, Ester rêve de retourner vivre en Sardaigne, dans une maison avec un jardin. Quand elle tombe malade, Raffaele cède à son rêve, dans l’espoir qu’elle renaisse sur son île. « Une terre promise, allons donc ! On construisait partout des villages touristiques et on bitumait les routes menant aux plages. Sans répit, sans l’ombre d’un regard amoureux et respectueux de la nature. Ca déracinait, ça incendiait, réduisant en cendres des hectares et des hectares de maquis méditerranéen pour pouvoir bâtir. » Refusant de travailler pour la pétrochimie ou la construction, Raffaele cultive avec succès son potager et travaille la terre, avant d’être engagé dans une usine alimentaire.

    Le fils de Donna Dolores, contre toute attente, s’intéresse à Felicita, rencontrée à une fête où elle a apprécié son petit groupe de musiciens de jazz. Pietro Maria rêve d’un piano, mais sa mère n’en veut pas, alors il joue de la guitare. Leurs fiançailles font jaser – une communiste et un ennemi du peuple. Leur entente est surtout sexuelle, dans la voiture, loin du village. En réalité, son fiancé n’est pas vraiment amoureux d’elle, et Felicita, quoique enceinte, menace de tout annuler, malgré les préparatifs de mariage.

    Dans un entretien au Point, Milena Agus confiait ceci : « J’ai grandi à Milan, mais je devais pour des raisons de santé me rendre au bord de la mer et séjourner chez des personnes âgées à Gênes. Je leur posais sans arrêt des questions sur leur passé, je voulais les connaître, le seul moment présent ne me suffisait pas. Tout ce qui concerne la bourgade familiale de Sanluri et plus généralement la Sardaigne, c’est à ma mère que je le dois car elle m’en racontait tout. Et pour en savoir plus, je demandais à mes tantes, et à toute la famille, de tout me dire sur nos origines. »

    Les aventures de Felicita, bien en chair et au bon caractère, consituent le noyau du roman. Sa vie n’est pas facile, mais amie de tous, avec son prénom prédestiné, elle est vraiment douée pour le bonheur. Le trouvera-t-elle ? Milena Agus suit les rêves d’ailleurs de ses personnages et place autour d’eux des êtres parfois attachants, souvent excessifs, « farouchement décalés » (Christine Ferniot, Télérama). Terres promises balance entre vérité psychologique, approche réaliste, humour et tendresse ; j’ai eu l’impression que la romancière, envers et contre tout, voulait en faire un conte divertissant.

    * * *

    Bonnes lectures de septembre & au plaisir de découvrir
    vos commentaires à mon retour de vacances. 

    Tania

     

  • Trésor

    Le Clézio L'Africain.jpg« Alors les jours d’Ogoja étaient devenus mon trésor, le passé lumineux que je ne pouvais pas perdre. Je me souvenais de l’éclat sur la terre rouge, le soleil qui fissurait les routes, la course pieds nus à travers la savane jusqu’aux forteresses des termitières, la montée de l’orage le soir, les nuits bruyantes, criantes, notre chatte qui faisait l’amour avec les tigrillos sur le toit de tôle, la torpeur qui suivait la fièvre, à l’aube, dans le froid qui entrait sous le rideau de la moustiquaire. Toute cette chaleur, cette brûlure, ce frisson. »

    J.M.G Le Clézio, L’Africain

  • L'Afrique en lui

    Dès le début de L’Africain, cela se produit avec certains livres, on sent qu’on entre de plain-pied chez un grand écrivain. Le Clézio a reçu le prix Nobel de littérature – ce n’est pas cela, mais un ton, un style. Il a écrit ce « petit livre » (une centaine de pages) à la mémoire de son enfance, de son père surtout : un retour en arrière pour « recommencer, essayer de comprendre ». Quand son père, retraité, est revenu vivre avec eux en France, il a découvert que « c’était lui l’Africain. »

    Le Clézio case.jpg
    Banso (photo provenant des archives de l’auteur)

    Le Clézio a longtemps ignoré ou évité son propre visage, les miroirs, les photos. Le corps, celui des autres, le sien, ne lui est vraiment apparu que vers l’âge de huit ans, quand avec sa mère et son frère, il a vécu avec son père médecin en Afrique de l’Ouest, au Nigeria, dans une région où ils étaient les seuls Européens parmi les Ibos et les Yoroubas. « En Afrique, l’impudeur des corps était magnifique. Elle donnait du champ, de la profondeur, elle multipliait les sensations, elle tendait un réseau humain autour de moi. »

    A Ogoja, « le présent africain effaçait tout ce qui l’avait précédé » : la guerre (Le Clézio est né en 1940), le petit appartement de Nice où ils vivaient, sa mère, son frère et lui, confinés avec les grands-parents. L’enfant découvre une vie « sauvage, libre, presque dangereuse », sans école ni club. « Désormais, pour moi, il y aurait avant et après l’Afrique. »

    Devant la case et le jardin « commençait la grande plaine d’herbes qui s’étendait jusqu’à la rivière Aiya ». Les deux garçons font connaissance avec la discipline inflexible de leur père matin et soir – seul médecin dans un rayon de soixante kilomètres. Après les leçons données par leur mère, ils explorent en toute liberté la savane, démolissent les termitières, apprennent à se protéger des fourmis rouges, des scorpions, des vagues d’insectes nocturnes.

    Le père est arrivé en Afrique en 1926, d’abord médecin sur les fleuves en Guyane pendant deux ans, puis « en brousse » jusque dans les années 50. En 1948, quand sa famille vient le rejoindre, c’est un homme usé, vieilli prématurément, irritable, amer. La guerre l’a séparé de ses proches. Après ses études de médecine tropicale à Londres, il avait demandé son affectation au ministère des Colonies. Orgueil ? goût de l’aventure ? Le Clézio tente de comprendre ce père tout en « raideur britannique » qu’il affuble de lorgnons – sans doute plutôt de fines lunettes rondes comme en portait Joyce.

    La vie avec son père met fin au « paradis anarchique » des premières années auprès de ses grands-parents et de sa mère, qui, elle, est « la fantaisie et le charme ». En même temps cessent ses crises de rage et ses migraines d’enfant aux cheveux longs « comme ceux d’un petit Breton », aussitôt coupés : « L’arrivée en Afrique a été pour moi l’entrée dans l’antichambre du monde adulte. »

    L’écrivain remonte le temps : son père mauricien a quitté l’île « après l’expulsion de sa famille de la maison natale » à Moka, décidé à ne plus jamais y revenir. Etudiant boursier à Londres, il fréquentait un oncle à Paris et sa cousine germaine, qu’il épouserait. Détestant le conformisme et l’atmosphère coloniale, il a choisi de mener parmi les Africains la guerre aux microbes et au manque d’hygiène.

    Au début du livre, qui contient une quinzaine de photos d’archives, se trouve une carte de Banso (Cameroun) où ce père médecin a indiqué les distances entre les villages non en kilomètres mais en jours et heures de marche. Le Clezio suit ses traces de Georgetown à Victoria, à Bamenda, à Banso où son père arrive en 1932 pour y créer un hôpital. Pendant plus de quinze ans, il exerce dans ce pays prospère d’agriculteurs et d’éleveurs. Ses parents y vivent heureux, sa mère accompagne son père à cheval, c’est pour eux le « temps de la jeunesse, de l’aventure ».

    « Ogoja de rage » : ce titre de chapitre annonce la cassure de la guerre qui les sépare. Sa mère rentre en Bretagne pour accoucher en 1938, son père retourne en Afrique après son congé, juste avant la déclaration de guerre. Sans nouvelles d’eux, tentant en vain de les rejoindre, il reste piégé à Ogoja, poste avancé de la colonie anglaise, dans une maison moderne où on étouffe l’après-midi. Une Ford V8 au lieu d’un cheval, trop de malades à l’hôpital pour pouvoir écouter et parler, une atmosphère de violence en place de la douceur et de l’humour rencontrés jusqu’alors, « la désespérante usure des jours » à côtoyer la souffrance et l’agonie – « Quel homme est-on quand on a vécu cela ? »

    Le Clézio a manqué le rendez-vous avec ce père taciturne, autoritaire, brutal, « presque un ennemi ». Tout en allant ici à sa rencontre, il prend conscience de ce qu’il doit à l’Afrique où il a été conçu. Lisez L’Africain, où l’écrivain explore une part intime de lui-même.

  • Boutiques

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    Les Galeries Royales Saint-Hubert, juste à côté de la Grand-Place, honoraient aussi le tapis de fleurs, en exposant des photos des tapis précédents sous la grande verrière de l’architecte Jean-Pierre Cluysenaar. Ces Galeries ont fêté l’année dernière leurs 170 ans et on y célébrera en septembre leur jumelage avec la galerie Vivienne.

    C’est un de mes endroits préférés à Bruxelles. J’en ai même rêvé.

    Avec le temps, les boutiques changent, de plus en plus de chocolatiers belges réputés veulent attirer les millions de passants qui y flânent à toutes les saisons.

     

     

     

    bruxelles,galeries royales saint-hubert,boutiques,librairie,tropismes,galerie des princes,patrimoine,cultureCorné, devenu Corné Port-Royal, y occupe un bel emplacement dans la Galerie de la Reine (ci-contre), mais ce n’est pas le plus ancien : vous trouverez Neuhaus, fondé en 1857, fournisseur de la Cour de Belgique, un peu plus loin dans la même galerie.

     

     

    bruxelles,galeries royales saint-hubert,boutiques,librairie,tropismes,galerie des princes,patrimoine,cultureL’an dernier, les gardiens du patrimoine se sont émus du démontage d’étagères anciennes (1900) qui étaient classées. Une nouvelle boutique de la maison Dandoy de la rue au Beurre (célèbre fabricant belge de biscuits et de spéculoos) s’est installée au début de la Galerie du Roi, avec un très beau décor.

     

     

     

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    Elle occupe l’ancien emplacement de la Librairie des Galeries, librairie d’art qui a dû fermer. Il reste aux amoureux des livres – et encore pour très longtemps, j’espère – l’excellente librairie Tropismes, dans la Galerie des Princes, où l’on découvre, feuillette et achète des livres dans une atmosphère incomparable. Irrésistible.

  • Un tapis de fleurs

    Les touristes étaient encore plus nombreux que d’habitude sur la Grand-Place de Bruxelles le 17 août dernier : depuis 1971, le tapis de fleurs y est un événement bisannuel très apprécié. On le réalise aux alentours de l’Assomption (celui-ci du 16 au 19 août 2018). Près d’un million de bégonias sont mis en place en quatre heures environ. Cette année, le dessin était d’inspiration mexicaine, aux couleurs de Guanajuato.

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    Rue du Marché aux Herbes : à droite, entrée des Galeries royales Saint-Hubert ;
    1e rue à gauche, rue de la Colline, menant à la Grand-Place de Bruxelles

    En entrant sur la Grand-Place par la rue de la Colline, où les commerces de souvenirs et pour touristes grignotent année après année les vitrines disponibles, on découvre aux pieds de l’Hôtel de Ville (XVe siècle) le grand tapis de fleurs (77 mètres sur 24) que chacun veut regarder de près : commentaires, photos et selfies vont bon train.

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    L'Hôtel de Ville, Grand-Place de Bruxelles

    Peut-être avez-vous l’occasion d’admirer ce genre d’installation éphémère près de chez vous ? La Grand-Place de Bruxelles, inscrite depuis 1998 au Patrimoine mondial de l’Unesco, fournit un magnifique écrin au tapis de fleurs et les Bruxellois aussi ne manquent pas d’en faire le tour pour admirer le dessin du tapis sous tous les angles et en même temps lever les yeux vers les belles façades tout autour. Une entrée payante permet de l’admirer du haut du balcon de l’Hôtel de Ville, paré de décorations florales pour l’occasion.

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    De face, 1 à 7, Grand-Place de Bruxelles

    Depuis leur restauration, les façades des maisons 1 à 7, du « Roy d’Espagne » au « Renard » – chacune de ces anciennes maisons de corporation porte un nom – ont retrouvé leur splendeur : « Plus de 30.000 feuilles d’or ont été déposées par des artisans pour redonner aux statues, médaillons et autres éléments décoratifs leur brillance originelle. » (BrusselsLife.be)

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    En haut du Roy d'Espagne, Grand-Place de Bruxelles

    Seule façade de la Grand-Place sans pignon, la « Maison du Roy d’Espagne » est surmontée d’une balustrade portant des statues de personnages mythologiques, devant une tour-lanterne octogonale. Se détachant sur un beau ciel d’azur et de nuages, la jeune femme jouant de la trompette tout au-dessus a fière allure.

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    La Maison du Roi, Grand-Place de Bruxelles

    Dos à l’Hôtel de Ville, on a un beau point de vue sur la « Maison du Roi », reconstruite au XIXe siècle dans le style néo-gothique. Des bannières reprenant quelques affiches « Belle époque » (dont « L’abeille d’or » admirée à Flora’s Feast) invitent à visiter l’exposition actuelle du Musée de la Ville de Bruxelles, situé dans cette maison prestigieuse : une collection particulière d’affiches cédées aux archives de la Ville en 1934 (des originaux et des fac-similés, à voir jusqu’au 3 septembre).

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    En montant sur un des perrons de la « Maison des Ducs de Brabant » (en réalité, on compte sept maisons derrière cette façade baroque monumentale du XVIIe siècle), on a une belle vue de la Grand-Place et de son tapis de fleurs – certains n’hésitent pas à y grimper sur le garde-fou en pierre bleue pour prendre une meilleure photo d’ensemble (comme l’auteur de celle-ci) avant de la quitter.

    Deux jours plus tard, deux activistes ont fait irruption sur le tapis de fleurs, à la manière des Femen, pour protester contre l’enfermement d’enfants dans le nouveau centre fermé pour familles en situation irrégulière à Steenokkerzeel.