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D'une vie à l'autre

Parisa Reza a donné un beau titre à son premier roman : Les jardins de consolation. Née à Téhéran en 1965, arrivée en France à dix-sept ans, elle écrit en français. L’histoire de Talla et Sardar, un couple de paysans, puis de leur fils Bahram, se déroule entre 1920 et 1953. Parisa Reza utilise dans son récit le calendrier iranien. En 1299, à douze ans, Talla quitte son village natal, Ghamsar, sur le dos d’un âne, avec son mari qui marche à ses côtés.

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Festival de la rose à Ghamsar-Kashan (Synotrip)

A Ghamsar, « le bout du paradis, tombé du ciel », pousse la rose de Perse, dont quelques familles extraient « la plus odorante essence de rose ». « Ce n’est pas sans raison que le paradis est né dans le désert. Aucun être entouré de verdure n’aurait imaginé le paradis. Lorsque les gens de la région disent que Ghamsar est un paradis, ils reconnaissent en lui un improbable objet de désir : un jardin de fleurs et de fruits. »

Les femmes ne sortent pas du village. Talla travaille dans le verger, cueille les roses, s’occupe des poules, trait les brebis et fait le beurre, le fromage et le yaourt. A vingt ans, Sardar vend ses terres, il veut quitter Ghamsar, souvent la proie de pillards, et vivre ailleurs. Talla, neuf ans, travailleuse, sera une bonne épouse. Pour une fille, c’est l’âge de se marier. Le père de Talla lui accorde sa main, mais prudent, décide que le mariage ne sera célébré et consommé qu’au retour de Sardar.

Si elle souhaite devenir une femme, Talla est encore une enfant qui s’épanouit en plein air, aux champs, dans le verger. Dans cette famille nombreuse, elle a pris en charge sa sœur cadette, Havva, qu’elle emmène partout avec elle. Mais la petite est fragile, mouille encore sa couche à quatre ans ; le père, exaspéré, la bat et cause un jour sa mort, horriblement. Sardar revient, trois ans plus tard, heureux de voir à Talla une silhouette de femme. A son bonjour, elle répond par une gifle « retentissante ». Il lui explique qu’il lui a fallu ce temps pour sortir de la misère. Talla ne veut pas divorcer, elle veut partir, rapidement.

Elle a peur de franchir les montagnes. Ils traverseront le désert pour arriver à Kashan, puis ils iront vers le nord, deux cent cinquante kilomètres à parcourir pour atteindre la capitale. Au village, les femmes ne portent le tchador blanc ou coloré que pour la prière, sinon elles se contentent d’un foulard noué derrière la tête. Sardar lui a rapporté de Téhéran un tchador noir et un « roubandeh » (voile) blanc comme en portent les habitantes de Téhéran, Talla accepte de les porter pour entrer dans son nouveau monde, elle s’y sent à l’abri.

Installés d’abord dans un faubourg de Téhéran (une simple pièce dans la cour du maître), ils subissent un ordre social inconnu à Ghamsar où ne régnait aucun khan, où chacun possédait sa maison et ses terres. Ici le paysan craint le maître. La vie paisible y est à peine troublée par le coup d’Etat de Reza Khan. L’été, la transhumance les emmène vers le nord, à Shemiran. Talla aime ces collines qui lui rappellent son pays natal.

Enceinte une première fois à treize ans, elle perd une petite fille à six mois de grossesse. A quinze ans, elle accouche d’un fils, qui ne vivra pas longtemps. Elle se croit maudite. Sardar ne lui reproche rien, mais les gens la critiquent. Quand Reza Khan devient Reza Shah (roi d’Iran) et annonce de grands changements pour le pays, ils vont s’installer à Shemiran, où Talla retrouve « vigueur et espoir ». On y vit sans peur.

Enfin naît le fils tant attendu, sept ans après le précédent : Bahram (« un prince vaillant et grand chasseur de fauves ») Amir (le nom de son père). Sardar, berger analphabète, possède à présent un nom de famille, une carte d’identité, le droit de vote, grâce à la révolution constitutionnelle. Les gens doivent s’habiller à l’européenne, le tchador est interdit. Sardar croit en Dieu et son Prophète, mais il ne va pas à la mosquée. Talla, indifférente aux nouveaux droits des femmes, heureuse d’être mère, se contente d’être maîtresse chez elle.

Deux ans après la naissance de Bahram, ses parents deviennent enfin propriétaires d’une maison et d’une bergerie entourées d’un grand jardin, à Gholhak. Sardar a réalisé son rêve. Même si Talla est d’humeur changeante, le couple tient bon. Insensiblement, Bahram devient le héros du récit : il est beau, intelligent, volontaire. Ses succès scolaires ravissent son père.

D’une vie à l’autre, Les jardins de consolation racontent l’histoire d’une famille, le destin d’un garçon doué – peut-être trop aimé par sa mère pour aimer vraiment une autre femme un jour –, et l’évolution d’un pays. Des jardins de Ghamsar aux jardins de Shemiran, Parisa Reza décrit la vie du foyer et celle au dehors. C’est tout un pan de l’histoire iranienne qu’elle nous fait traverser, entre rêves amoureux et péripéties politiques. Un très beau premier roman, prix Senghor 2015, qui donne envie de lire le suivant, Le parfum de l’innocence.

Commentaires

  • J'ai eu une amie iranienne, envoyée de Teheran dans le même pensionnat que moi : sa mère était en chaise roulante et, étant la seule fille, elle devait s'en occuper. Pour échapper à cette situation (avec l'amour de sa mère et des ses tantes) et aux critiques, on l'avait envoyée en Belgique, où elle a subi une opération au dos, très endommagé par les soins portés à sa mère. L'amour.. elle aimait, était aimée, mais autant elle que lui étaient "promis" à d'autres, et se sont inclinés....

  • Merci pour ce témoignage, Edmée, qui nous fait mesurer à quel point notre liberté de choix est précieuse.

  • Je l'ai ressenti aussi et je continuerai à lire cette romancière.

  • J'aime beaucoup lire ces histoires de familles dans l'Histoire de leur pays, qui, même romancées, nous apprennent tant...et nous font mesurer notre immense chance!

  • Aussi je te recommande cette romancière qui relie très bien ces deux plans. Bonne après-midi, Colo.

  • C'est un univers qui semble à la fois différent et familier, ça me donne envie de le lire!

  • Bonne lecture si tu ouvres ce roman, Anne.

  • belle et émouvante conte d'un autre monde sur notre terre. J'aime ta façon de nous la raconter.

  • Un autre monde et en même temps, cet amour des arbres, des jardins, qui est universel. Merci, Binh An.

  • Avec plaisir, Adrienne.

  • Rien qu'à lire ta présentation, je voyage... et me réjouis de ce que nous avons, ici, en matière de liberté et d'égalité, et dont nous oublions parfois que ce n'est pas une évidence pour tout le monde.

  • Et nous oublions parfois aussi que ces droits et libertés ont été obtenus par les femmes occidentales il y a moins d'un siècle.

  • Ce livre me semble très beau. Connaissez vous Azar Nafisi, Tania?
    Je ne l'ai pas où trouvée dans votre liste par auteur. Une auteure iranienne (Lire Lolita à Téhéran) qui s'est exilée aux Etats-Unis puis est revenue, puis repartie, exil politique chaque fois. Un autre univers bien-sûr mais qui nous fait sinon comprendre, en tout cas approcher ce pays fascinant.

  • Merci de me rappeler ce titre, Zoë. On en a beaucoup parlé, mais je ne l'ai pas encore lu. Je vérifie tout de suite s'il est encore noté dans ma liste (quelques soucis avec OneNote).

  • "Le parfum de l'innocence" que tu évoques à la fin reprend-t'il l'histoire de la même famille ? Ce qui est intéressant ici, c'est la période évoquée. Les romans qui paraissent actuellement sont plutôt postérieurs à la révolution islamique.

  • Il me semble que c'est bien une suite, d'après la notice de l'éditeur : "Dans les années 70, Bahram, professeur d’université…"

  • Je note immédiatement ce titre, Tania, car je suis très intéressée par la vie des femmes en Iran et le raffinement de ce monde. Merci à toi pour cette belle découverte.

  • Ce roman pourrait donc te plaire, il me semble.

  • Bonne rencontre avec Parisa Reza quand tu la liras.

  • Merci , merci Tania, ton récit passionnant nous transporte dans cet Iran en pleine mutation. Je note les deux titres, Bon week end à toi.

  • Merci & bon week-end, Claudie.

  • Ils sont terribles ces pays sans liberté, nous avons une chance ÉNORME et semblons si souvent l'oublier... Merci pour ce titre et cette auteure Tania, doux week end à toi. brigitte

  • Bon dimanche à toi, Brigitte. Il débute ici sous une pluie battante.

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