Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Femmes et Sorcières

Mona Chollet s’attache dans Sorcières. La puissance invaincue des femmes (2018) à creuser ce que recouvre une telle désignation. L’image de la sorcière varie à travers les siècles. Si la « chasse aux sorcières » désigne couramment la mise à l’écart de ses opposants politiques par un gouvernement, n’oublions pas que les sorcières ont vraiment été chassées, condamnées, brûlées. Leur puissance faisait peur. Les féministes y voient les prémices de la violence masculine envers les femmes.

mona chollet,sorcières,la puissance invaincue des femmes,essai,littérature française,chasse aux sorcières,indépendance,maternité,vieillesse,vision du monde,féminisme,culture

Fascinée moins par la sorcière de Blanche-Neige que par Floppy Le Redoux (dans Le Château des enfants volés de Maria Gripe), Mona Chollet raconte comme elle était impressionnée par son aura, « faite de calme profond, de mystère, de clairvoyance ». Dans la frayeur délicieuse qui s’emparait d’elle et de ses camarades devant ces personnages imaginaires, elle percevait une promesse : « On sentait soudain que tout était possible, et peut-être aussi que la joliesse inoffensive, la gentillesse gazouillante n’étaient pas le seul destin féminin envisageable. »

« Sorcière » : il lui a fallu longtemps pour retrouver sous le mot « la pire des marques d’infamie, l’imputation mensongère qui avait valu la torture et la mort à des dizaines de milliers de femmes » en Europe, aux XVIe et XVIIe siècles. Le mythe de la sorcière naît peu après l’apparition de l’imprimerie avec la publication de l’œuvre de deux inquisiteurs en 1487 : Malleus maleficarum (Le Marteau des sorcières) d’Henri Institoris et Jakob Sprenger. « Réédité une quinzaine de fois, il fut diffusé à trente mille exemplaires dans toute l’Europe durant les grandes chasses. »

Les juges s’en serviront et le succès de l’ouvrage fera naître « d’autres vocations de démonologues ». Dans les procès pour sorcellerie, 80% des accusés et 85% des condamnés étaient des femmes. Magicienne ou guérisseuse, caractère fort ou de sexualité « un peu trop libre », « toute tête féminine qui dépassait pouvait susciter des vocations de chasseur de sorcières. » Le Marteau des sorcières affirmait qu’elles pouvaient faire disparaître les sexes masculins et même en faisaient collection ! L’américaine Anne L. Barstow juge aussi extraordinaire que ces événements « l’obstination mise par les historiens à nier que les chasses aux sorcières furent une « explosion de misogynie » ».

En 1968 est né à New York le mouvement WITCH (Women’s International Terrorist Conspiracy from Hell). Les féministes ont compris que sous le mot « sorcières », il fallait lire « femmes » et ont revendiqué d’en être – rappelez-vous la revue Sorcières ou encore la belle chanson d’Anne Sylvestre, Une sorcière comme les autres. Son champ d’étude étant très vaste, Mona Chollet développe quatre aspects associés aux sorcières : l’indépendance, l’absence d’enfantement, la vieillesse, une autre vision du monde.

Mener « une vie à soi » sans se marier ni devenir mère, c’est prendre le contrepied de l’idéal de la femme au foyer, un choix défendu par certaines féministes. Une enquête sociologique d’Erika Flahault (2009) a classé les femmes seules en trois catégories : « en manque » pour celles qui subissent cette situation et en souffrent, « en marche » pour celles qui apprennent à l’apprécier, « les apostates du conjugal » pour celles qui organisent volontairement « leur vie, leurs amours et leurs amitiés en dehors du cadre du couple ».

Faits d’histoire, films, livres, manuels de psychologie, séries télé, il ne manque pas d’exemples pour diaboliser la femme indépendante ou autonome. A l’opposé de ceux qui estiment que « le seul destin féminin concevable reste le don de soi », le collectif Les Chimères dénonce : « Une « vraie » femme, c’est un cimetière de désirs, de rêves manqués, d’illusions ». Celles qui choisissent de ne pas procréer suscitent le malaise. Mona Chollet en témoigne : « Ayant accumulé les problèmes de santé au cours de ma vie, j’éprouve un grand soulagement à ne pas avoir dû partager avec un enfant, en le portant d’abord dans mon ventre puis dans mes bras, les ressources physiques qu’il me restait. »

« L’inégalité entre les sexes liée à l’âge est à la fois l’une des plus faciles à constater et l’une des plus difficiles à contester. » La troisième partie de Sorcières explore la façon de voir ou de vivre le vieillissement, l’évolution des mentalités. Elle se termine sur une belle citation de Susan Sontag. De façon surprenante et sincère, Mona Chollet parle pour finir de sa « stupidité » et du sentiment d’incompétence qu’elle a souvent ressenti face aux explications masculines du monde.

Et pourtant, la maîtrise excessive de la nature peut être vue aujourd’hui comme responsable de grands désordres. En témoigne « la lente extension à toute la planète, à partir de l’Occident de la Renaissance, d’une logique marchande, froidement calculatrice, présentée à tort comme un sommet de rationalité » (Jean-François Billeter). Cette manière d’étrangler la nature ne serait-elle pas à rapprocher de la chasse aux sorcières ? Mona Chollet va jusqu’à débusquer « une hostilité foncière envers les femmes et un culte des attitudes viriles » chez certains médecins. Avec Sorcières, Mona Chollet décrypte des comportements d’hier et d’aujourd’hui.

Commentaires

  • Article intéressant; ma fille m'a parlé de ce l ivre qu'elle lisait la dernière fois, chez moi.
    J'avais lu aussi sous la plume d'une historienne que les médecins avaient confisqué le pouvoir des femmes en tentant de remplacer les sages -femmes par les gynécos. Le pouvoir des femmes, entre autres sur la vie, fait peur.
    J'aimerais tout lire; je n'y arrive pas, hélas!

  • Merci, Anne. J'ai lu beaucoup d'essais féministes dans les années 70-80, cela me réjouit que de nouvelles réflexions de ce genre paraissent et soient lues aujourd'hui.

  • oui de nombreuses études ont déjà attesté - malheureusement - de cette misogynie (parfois inconsciente) du corps médical

  • J'imagine qu'avec le nombre toujours croissant de femmes exerçant la médecine, cette misogynie devrait reculer. Encore faut-il qu'elles accèdent aux postes d'influence.

  • Si jamais ça te tente;-))


    Conseils donnés par une sorcière

    (À voix basse, avec un air épouvanté, à l’oreille du lecteur.)

    Retenez-vous de rire
    dans le petit matin !
    N’écoutez pas les arbres
    qui gardent les chemins !

    Ne dites votre nom
    à la terre endormie
    qu’après minuit sonné !
    A la neige, à la pluie
    ne tendez pas la main !

    N’ouvrez votre fenêtre
    qu’aux petites planètes
    que vous connaissez bien !

    Confidence pour confidence :
    Vous qui venez me consulter,
    méfiance, méfiance !
    On ne sait pas ce qui peut arriver.

    Jean TARDIEU

  • A ton oreille, je chuchote un merci pour ce poème, sorcière !

  • Le combat est loin d'être terminé : une de mes filles est médecin : que n'a-t-elle du essuyer dans ses débuts !
    Ouvrant la porte de sa salle d'attente , il y avait toujours un patient pour demander : " le docteur est absent ?"
    Jusqu'à sa grand-mère qui préfèrait s'adresser à ses frères , également médecins , pour une question de santé ...

  • Bonsoir,
    Deux heures après avoir accouché, on m'a remise dans la chambre avec mon nouveau né et la sage-femme est venu(e) causer avec moi ... (e) ???? la sage-femme était un homme ... décembre 97; ça m'a fait drôle je l'avoue !!!
    euh ? cette sage-femme-homme était-il sorcier ? intriguant ? moderne ? imposteur ? que sais-je encore ?
    réfléxion inenterrompue 22 ans après !!! ;-)

  • @ Béatrice : Les clichés ont la vie dure, oui. Tes enfants ont choisi un beau métier très exigeant.

    @ Annick SB : Bienvenue et merci pour ce témoignage sur ce sage homme ;-)

  • J'ai manqué tes articles depuis le début du mois, je survole celui-ci, la lecture de cet essai m'attend, j'espère que je n'en attends pas trop.

  • Bonne lecture & à bientôt, Marilyne.

  • Sujet assez peu étudié en fait mais si intéressant ! Les sorcières, premières féministes surement, ont tant payé de leur personne.... Et comme disait Michel Serres, ce n'était pas mieux avant. La misogynie recule même s'il persiste des irréductibles. Ils se lasseront. Les femmes sont de plus en plus reconnues dans des métiers autrefois dédiés aux hommes. Merci Tania pour cette découverte et belle journée.

  • Espérons-le. Malheureusement, cette misogynie se répand aussi sur la Toile, les médias et via les réseaux sociaux, où "une femme sera toujours plus exposée à la critique ou au commentaire" (dixit une prof d'université spécialiste des questions de genre).

  • Ah bon, pour une raison précise ? J'avais beaucoup aimé son essai précédent. Ici, elle se base sur de nombreuses études, elle cite abondamment. J'ai appris qu'en 2008, Anna Göldi, « la dernière sorcière » suisse, a été réhabilitée, un musée lui est même consacré.

  • Nous sommes obligé(e)s de faire confiance aux jeunes générations pour changer de paradigme ! Quand j'observe mes filles, j'ai beaucoup d'espoir, quand j'observe les médias, les réseaux sociaux,certaines religions, les gens au volant de leur automobile... je me dis que cela va être un peu long ! Je t'embrasse, merci Tania. brigitte

  • Je partage tout à fait ta réflexion, Brigitte. Nous avons beaucoup à faire encore pour soutenir ces changements positifs !

  • Mona Chollet aborde beaucoup d'aspects de la vie où nous pouvons nous reconnaître, en plus de nous rappeler qui étaient ces sorcières et pour quelles raisons on les redoutait.

  • Une histoire que l'on commence à bien connaître, et dont on peut constater les prolongements jusqu'à aujourd'hui, hélas. Je m'interroge aussi sur le comportement des femmes (dont je fais partie), si promptes à se dévaloriser, à accepter de fait le pouvoir masculin, dont elles mesurent pourtant tout le ridicule. Sans parler du conformisme vestimentaire qui transforme en poupées, tant d'entre nous et même les petites filles, parfois dès leur naissance. Il y a encore du travail !

  • Tu dis vrai, il reste du travail et dans la société et en nous-mêmes.

  • J'ai trouvé cet essai très intéressant. Je trouvais l'angle d'attaque originale de parler de la condition des femmes à travers cette figure historique. Mais il n'y a que la dernière partie sur la maladie justement où elle semble plus parler d'un problème personnel qu'elle a rencontré ( c'est moins documenté).

  • Ce qu'elle dit de l'évolution des conditions d'accouchement, des rapports entre sages-femmes et médecins obstétriciens m'a intéressée. Il ne m'a pas semblé que c'était moins documenté, mais j'ai l'impression, comme toi, que s'y mêle un ressenti personnel douloureux par rapport à la médecine hospitalière. Mona Chollet ne s'en cache pas, elle témoigne à plusieurs reprises de sa propre expérience.

Écrire un commentaire

Optionnel