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Société - Page 4

  • Loisirs & plaisirs

    Loisirs-Plezier Brussels 1920-1940, voilà le titre complet (et trilingue) de la nouvelle exposition organisée à la maison Autrique dans le cadre de 2025, année de l’Art Déco à Bruxelles. « C’est l’époque de la découverte de la vitesse automobile et des premières excursions aériennes, des joies du tourisme pour tous, mais aussi l’entrée en scène du cinéma parlant, le miracle de la radio qui envahit la maison, les clubs de jazz, dancings et music-halls qui ne désemplissent pas, le sport qui devient un art de vivre populaire… » (Carnet du visiteur) 

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    Dans les gares, des affiches invitent les Bruxellois à visiter d’autres villes ou régions du pays ; on en découvre dans l’entrée puis dans la cage d’escalier. Le parcours commence comme d’habitude au sous-sol. Des plaques émaillées vantant des marques de cigarettes ou de bière décorent la cuisine et l’office, de belles images aux couleurs joyeuses produites dans des émailleries bruxelloises. Un Pierrot rouge devient l’emblème des eaux de Spa, on comprend que la colombe de Cristal Chaudfontaine soit devenue un objet de collection.

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    Raymond Van Doren, Van Roy Wieze, 1935 [Coll. Dax Goolaerts]
     Jean-Paul Béguin dit Jean d’Ylen (d’après un dessin de),
    Cristal Chaudfontaine,
    1938 [Coll. Laurent Levaux]

    Au bel-étage, place à la danse, au spectacle, à la musique : parmi les affiches, sous lesquelles une petite vitrine contient une statuette de danseuse art Déco (Pierre le Faguays dit Fayral, Lysis, Max Le Verrier), j’en retiens deux de Magritte dans des styles très différents : « Primevère » (1926) pour une artiste de revue et « Gaity Bar » (1928) pour un cabaret-dancing, de composition beaucoup plus moderne. Vous trouverez dans le carnet du visiteur la description de chaque objet présenté à l’expo. Je me limiterai à un choix personnel.

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    De gauche à droite, 2e et 4e (cliquer pour agrandir) :
    René Magritte, Primevère, 1926 [Musée d’Ixelles]

    René Magritte, Gaity Bar, 1928 [Archives de la Ville de Bruxelles]

    Hubert Dupond (qui signe Hub Dup) dessine entre autres une magnifique affiche pour le 4e salon de la TSF au Cinquantenaire à Bruxelles. J’admire sa créativité et le contraste entre deux figures féminines de brochures publicitaires pour des radios : la première est de profil, une blonde tout en rondeur, les cheveux au vent, des notes de musique derrière l’oreille ; la brune aux cheveux plaqués à la mode d’alors est montrée presque de face, une radio en pendant d’oreille !

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    Hubert Dupond dit Hub. Dup., Bruxelles Cinquantenaire. 4e Salon de la TSF, 1932
    [Coll. Hub. Dup.] et dessins publicitaires pour les radios Howard et Brunswick, années 1930 

    Sur un palier d’escalier, une affiche pour la traversée Ostende – Douvres (1935) : on peut voir sur des dessins préliminaires de Lucien De Roeck divers dessins du navire, de personnages, des essais de composition jusqu’à cette formidable simplicité du grand « 3 » qui entoure le bateau, argument phare entre la destination et la durée.

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    Lucien De Roeck, Ostende Dover, 1935 [Coll. Anne De Roeck]

    Remarquable aussi, l’affiche pour la Côte belge dessinée par Leo Marfurt, un Suisse arrivé en Belgique en 1922 qui « va exercer une influence déterminante sur plusieurs générations de graphistes ». Reconnu en Belgique et à l’étranger, professeur invité à La Cambre, « Belgium The Coast » est une des affiches belges les plus connues dans le monde de l’art graphique.

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    Leo Marfurt, Belgium The Coast (détail), 1938 [Archives de la Ville de Bruxelles]

    Ces affiches, magazines, photographies permettent de découvrir comment le monde des loisirs s’est présenté aux Bruxellois durant l’entre-deux-guerres. Dans la chambre, ne manquez pas la pendule art Déco sur la cheminée, tout en découvrant des publicités pour de la lingerie (Le Gandukor !) ou pour des vêtements de sport (Van Schelle).

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     Leo Marfurt, Brussel Internationale Messe, 1937 [Musée d’Ixelles]
    Leo Marfurt, 16e Foire commerciale Bruxelles, 1936 [Archives de la Ville de Bruxelles] 

    Dans la bibliothèque, on peut feuilleter des revues anciennes et regarder des films documentaires sur Bruxelles dans les années 1920-1940. Au second étage, place au train, à la voiture et aux petites voitures à pédales, à l’avion. Sous les affiches modernistes des expositions au Heysel dans les années 1930 (surtout l’Exposition universelle de 1935), des photos en noir et blanc illustrent l’atmosphère d’une époque joyeuse, avant que le ciel européen s’assombrisse et qu’un siècle plus tard, les excès de la consommation et du tourisme ne gâchent la fête. Une expo visible à la maison Autrique jusqu’en avril 2026.

  • Montagnes au loin

    Attention : livre fabuleux ! Orhan Pamuk (°1952) a longtemps rêvé d’être peintre. Dans Souvenirs des montagnes au loin, Carnets dessinés (traduit du turc par Julien Lapeyre de Cabanes), il a rassemblé une sélection de pages de ses carnets Moleskine de 2009 à 2022 : des doubles pages où le dessin et l’écriture manuscrite se côtoient. Dans ce beau livre aux pages de garde terracotta, la traduction française suit la disposition du texte original autour de la reproduction du carnet ouvert. Des couleurs et des mots, quel régal !

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    © Orhan Pamuk, Souvenirs des montagnes au loin, carnets dessinés, Gallimard, pp. 14-15

    La quatrième de couverture (à lire à la suite de l’extrait proposé en ligne) explique le rôle de ces carnets pour l’écrivain stambouliote. Une sorte de journal de bord d’un amoureux des montagnes, des îles, du spectacle des bateaux sur le Bosphore. Jusqu’à ses 22 ans, Pamuk croyait devenir peintre, puis il est devenu romancier. En 2009, il s’est mis à dessiner dans les carnets de notes qu’il emporte partout avec lui : « un monde à moi ». Parfois le texte précède le dessin, parfois c’est l’inverse. Ce sont quasi tous des croquis de paysages : « Le paysage est la base de tout. »

    A Istanbul, Orhan Pamuk vit à Cihangir, un quartier où la vie lui semble « plus humaine », où la vue du panorama donne l’impression « d’être protégé » à ce solitaire « qui se promène en ville sous escorte ». Ecrire et dessiner le rend heureux, et en particulier, depuis l’enfance, le fait de dessiner des bateaux – « Mais ce n’est pas l’enfance que j’ai en tête. Je veux partir loin. Un lieu lointain. Où est-il ce lieu lointain auquel tu penses ? Ici même, sur ce dessin. Mais où est-ce ? Là où la rêverie me transporte quand je déprime. »

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    © Orhan Pamuk, Souvenirs des montagnes au loin, carnets dessinés, Gallimard, pp. 16-17

    Ce qui déstabilise un peu à la lecture de Souvenirs des montagnes au loin, c’est l’ordre non chronologique choisi par l’auteur : « C’est pour comprendre ce paysage apparu en rêve que j’ai classé les pages illustrées des carnets non en fonction du temps, mais en fonction du sentiment. » L’année est indiquée en haut de page, ce qui donne tout de même un repère.

    L’aménagement du Musée de l’Innocence est un gros souci qui revient très souvent dans ses carnets, un chantier interminable : réunions, contretemps, lenteur, idées de présentation nouvelles… J’ai présenté ici le roman éponyme (qui date de 2008), une longue histoire où je m’étais perdue, je l’avoue, sans percevoir son véritable enjeu. Il a été conçu en même temps que le projet du musée (inauguré en 2012) : à travers les objets évoqués dans cette histoire d’amour, Pamuk voulait donner un aperçu de la vie stambouliote entre 1970 et le début du XXIe siècle. (Il dit par ailleurs lire les carnets de Joseph Cornell, l’artiste new-yorkais célèbre pour ses assemblages d’objets trouvés, aimé aussi de Chantal Thomas.)

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    © Orhan Pamuk, Souvenirs des montagnes au loin, carnets dessinés, Gallimard, pp. 18-19

    Sur ses doubles pages, l’écrivain revient souvent sur son amour d’Istanbul et sur son désir de garder les traces de cette époque. Beauté de la ville sous la neige, de la lumière du soir sur les minarets, du matin sur les collines (« désormais bétonnées »)… « Le plus fort désir de Monsieur le Peintre est de voir d’une façon entièrement neuve ce qu’il a toujours vu. S’il y parvient, la vie quotidienne deviendra une Vie Nouvelle. Mais pour cela, il faut être un homme nouveau. C’est ce que cherche le Peintre en peignant et repeignant sans cesse la même vue. » (2014)

    Même s’il voyage, donne des cours, des conférences, écrit des préfaces ou des articles, Orhan Pamuk revient constamment au roman en cours dans ses carnets (surtout Cette chose étrange en moi puis Les nuits de la peste), tantôt optimiste quand il a bien avancé, tantôt découragé de n’avoir pu écrire à cause d’une insomnie, d’un dérangement, d’obligations. Il lit et relit ses écrivains préférés, souvent des « diaristes » : Tolstoï, Thoreau, Virginia Woolf…

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    © Orhan Pamuk, Souvenirs des montagnes au loin, carnets dessinés, Gallimard, pp. 28-29

    Les carnets dessinés évoquent aussi son amitié pour des écrivains contemporains qu’il lit, qu’il rencontre. Ce livre ouvre des fenêtres sur ses voyages et sur la vie qu’il mène dans son propre pays, en butte à l’hostilité du régime actuel pour l’avoir critiqué. Il l’a dédié à Asli, son épouse depuis 2022, rencontrée après sa rupture avec Kiran Desai, une écrivaine indienne.

    Bien sûr,  ces notes journalières (réflexions, faits, observations, aphorismes…) parleront davantage à ceux qui ont lu et suivent l’œuvre du romancier turc prix Nobel de littérature, mais il me semble que les dessins d’Orhan Pamuk, leurs couleurs, révèlent si bien par eux-mêmes ses émotions devant les paysages de Turquie ou d’ailleurs qu’ils font de Souvenirs des montagnes au loin un livre à garder sous la main, sous les yeux ou dans sa bibliothèque, pour voyager dans ses paysages.

  • Question

    ferney,l'intimité,roman,littérature française,désir d'enfant,maternité,accouchement,choix de vie,vie de couple,célibat,sexualité,culture« Quelle femme accueillerait Sophie ? Souvent, le soir, quand la petite fille dormait, il [Alexandre] se posait cette question. Il se la posait même à voix haute. Quelle femme adoptera Sophie comme sa propre fille ? C’était ce qu’il voulait, pas de demi-mesure. Aussitôt il pensait à sa tendresse pour Nicolas : lui-même avait accueilli le fils de Bernard. Mais jusqu’à quel point ? Il avait aussi désiré son enfant. Sophie avait comblé un manque. Les femmes n’étaient-elles pas plus folles encore au sujet de leur progéniture ? Au lieu d’être rassuré, il s’inquiétait davantage, pensant : une jeune compagne réclamera un enfant à elle, une autre plus mûre aura déjà les siens, alors qui ? Et c’était ainsi que son attention se portait sur Sandra : parce qu’il voyait l’affection qu’elle donnait à Sophie, sa voisine devenait pour lui l’amante idéale. »

    Alice Ferney, L’Intimité

  • Dans L'Intimité

    Dans L’intimité (2020), Alice Ferney construit une intrigue romanesque autour du désir d’enfant (ou non), du choix de vivre en couple (ou non), de ce qui motive les femmes et les hommes à se lier (ou non). Parmi les cinq prénoms de femme qui servent de titre à chaque partie, Sandra Mollière est le personnage féminin principal, la voisine d’immeuble d’Alexandre et Ada, un couple d’architectes parisiens.

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    La belle Ada, enceinte, a déjà un garçon, Nicolas, cinq ans. A l’approche de l’accouchement, elle a confié à Sandra, sa voisine libraire, les peurs qui pourtant l’envahissaient : même si les femmes qui meurent en couches sont beaucoup moins nombreuses qu’aux siècles précédents, cela arrive encore. Quand ses parents partent à la maternité, Nicolas entre pour la première fois chez Sandra, « attentif à tout – les livres, les meubles, les tableaux, les photographies » et « l’intellectuelle militante de trente-huit ans » est « encore plus contente qu’épatée par cette personnalité qu’il avait. »

    Pourquoi elle n’a pas d’enfant, pourquoi elle vit seule, l’enfant ose toutes les questions. Elle le trouve intelligent et émouvant par ses remarques sur la petite sœur qu’il est impatient de choyer. Son père tardant à rentrer, il s’endort sur le canapé. A voir Alexandre Perthuis « silencieux et sombre » à son retour, Sandra comprend tout de suite qu’un drame a eu lieu. Une petite sœur est née, Sophie, mais sa mère n’a pas survécu.

    « C’est ainsi que Sandra Mollière devint l’amie intime de son voisin veuf et du jeune Nicolas, une confidente pour l’homme sans femme, une présence par le souvenir associé à la mère. Un fanal, une égérie, un témoin, un point de ralliement. » Alexandre se sent coupable, Ada ayant résisté puis cédé à son désir d’avoir un enfant à lui. Il souhaite rencontrer une femme prête à devenir la mère de la petite Sophie.

    L’Intimité est un roman, mais au fur et à mesure que l’intrigue progresse – à propos de la relation entre Alexandre et Sandra ; entre Alexandre, le compagnon d’Ada et son ex-mari, le père de Nicolas ; entre Alexandre et la famille d’Ada, etc. –, Alice Ferney nourrit le récit de multiples éclairages sur les choix de vie dans une société où les femmes ne se projettent pas toutes dans le modèle maternel de la famille idéale, où les hommes ne s’investissent pas forcément dans leur rôle de père. Sandra Mollière tient une librairie féministe : les livres et la défense des droits des femmes sont au cœur de sa vie.

    Sites de rencontre, sites spécialisés pour venir en aide à la procréation, mères porteuses, célibat, liberté sexuelle, asexualité… Des sites en ligne informent sur les multiples façons de faire des choix intimes, d’obtenir une aide médicale, et les offres commerciales prospèrent autour de ces questions. Il m’a parfois semblé que la romancière cherchait à couvrir complètement le champ de l’intimité, quitte à faire patienter ses lecteurs en ce qui concerne l’avenir de ses personnages. « Alice Ferney ausculte le droit à l’enfant », titre le Nouvel Obs, qui parle carrément de « livre à thèse », sans doute vu sa critique de la gestation pour autrui (GPA).

    Cette exploration des liens qu’établissent entre eux les femmes et les hommes est un thème de prédilection d’Alice Ferney : dans Les autres, sur la manière de se comporter avec autrui ; dans Paradis conjugal et dans Cherchez la femme, sur le mariage ; dans Deux Innocents, sur l’élève amoureux de son enseignante. L’Intimité a inspiré L’Attachement, un film réalisé par Carine Tardieu, sorti en 2024.

  • Ironique

    banks,voyager,récits de voyage,littérature américaine,autobiographie,caraïbes,culture,tourisme« Ce qu’il y a de plus tristement ironique, dans les Caraïbes, c’est que sans tourisme de masse les gens des îles meurent de faim, mais qu’avec ce tourisme ils détruisent cela même dont ils font la promotion et qu’ils vendent : les plages, les récifs coralliens, la faune et la flore, les forêts pluviales des montagnes, les paysages désertiques, toutes ces merveilles naturelles qui, depuis des millénaires, depuis que les premiers êtres humains partis du bassin de l’Orénoque ont pagayé vers le nord le long de cette chaîne d’îles, remplissent les visiteurs d’un émerveillement proche de l’effroi religieux. L’archipel dans son ensemble, depuis les Antilles néerlandaises proches des côtes d’Amérique du Sud jusqu’aux îles Vierges des Etats-Unis, est un système écologique extrêmement complexe et fragile. La vitalité et la chaleur de ses peuples, ainsi que la beauté de la terre, de la mer et du ciel, voilà ce qui nous y attire et nous guérit. »

    Russell Banks, Voyager

    Photo source, détail (Le Globetrotteur)