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Passions - Page 520

  • A vous d'imaginer

    Pause estivale / 1    

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    Cet été, je vous mets à contribution. Si vous aimez jouer, imaginer, inventer…
    Vous fréquentez peut-être Petits papiers, papiers collés, le blog de Christine, qui a l’art de joindre à ses photographies des intitulés poétiques. Ou celui de Lali, la collectionneuse d’images : régulièrement, elle invite ses lecteurs à se laisser inspirer par une toile, c’est sa rubrique « En vos mots ».
    Voici donc une pause estivale en photos, à vous d’y mettre un titre, des mots, une légende, une histoire, une lettre…
    Comme vous voulez, si vous voulez.
    Rendez-vous en août !

    Tania

  • Chaque jour

    « C’est l’automne déjà. Et, après les dernières battues des gardes civils et le retour vers le sud des troupeaux transhumants, tout retrouve son ordre et son calme autour de nous : les provisions et le bois pour le feu accumulés tout au long de l’été, le cochon mis à fumer au fond de notre caverne – et de certaines cuisines anonymes de Pontedo et de La Llánava –, les sons de la vallée et des montagnes, la ronde monotone du soleil et de la lune, celle des relèves de la garde civile et notre interminable et ennuyeuse surveillance. Tout sauf nous, chaque jour plus seuls et plus désespérés, chaque jour plus hantés par l’hiver qui s’annonce, comme à l’accoutumée, interminable et féroce et qui, à nouveau, changera ce trou humide en une tanière infecte tout juste bonne pour des bêtes pestiférées. »

     

    Julio Llamazares, Lune de loups 

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  • Comme les loups

    De 1937 à 1946, Lune de loups (Luna de lobos, 1985, traduit de l’espagnol par Raphaël Carrasco et Claire Decaëns) nous fait revivre des années douloureuses pour l’Espagne sous Franco. Julio Llamazares raconte comment ceux qui avaient fui dans la montagne après la chute du front républicain des Asturies ont dû y rester pendant des années pour échapper à la traque des gardes civils, y survivre, s’en échapper parfois ou y mourir, à moins de réussir à passer la frontière et s’exiler. 

     

     

    Ils sont quatre à monter en automne vers le col d’Amarza : Ramiro et son frère Juan, Gildo et Ángel, le narrateur. Dans la vallée, au versant sud, une lumière s’allume dans une maison. « Bientôt il fera clair et pour lors il nous faudra être cachés. La lumière du soleil n’est pas bonne pour les morts. » Sous la menace de leurs armes, ils se font ouvrir la porte et donner à manger, ils n’ont plus rien avalé depuis cinq jours. « Le lait est chaud et épais. Il descend comme une flamme dans ma gorge. » Puis ils reprennent la marche à travers les montagnes, pour rejoindre leur contrée quittée un an plus tôt.

     

    Au-dessus des toitures de La Llánava, Ramiro signale une tache jaune sur un chemin : la sœur d’Ángel porte le foulard jaune offert par son frère pour mener les vaches au pré. Celui-ci descend lui annoncer leur arrivée cette nuit, mais cela l’effraie : « Ils vont te tuer. » Dans l’obscurité, ils s’introduisent dans la grange, apprennent que les gardes civils ont emmené le père. Même si sa sœur Juana le conjure de s’en aller, Ángel décide de rester, la grange a déjà été fouillée, mais les autres retournent dans la montagne. Quand son père revient, maigri, vieilli, il lui donne de l’argent pour passer dans l’autre zone, c’est trop dangereux par ici : « Ils recherchent tous ceux qui étaient aux Asturies »

     

    Le groupe décide alors de se cacher dans une mine abandonnée. Ramiro y a travaillé douze ans, de quinze à vingt-sept ans, avant la guerre civile. A la bergerie, ils emportent des fromages et une brebis, qu’Ángel paie au berger dont ils ont aussi pris la carabine. Gildo tue la bête, la vide, Juan sort les viscères puis donne l’alerte : quelqu’un là-haut l’a vu ! C’est un gamin de Vegavieja qui cherche une chèvre et les accuse de l’avoir volée avant de s’enfuir. Bientôt les gardes civils arrivent avec des soldats pour fouiller la mine, poussant deux prisonniers devant eux, qu’ils abattent. Les fuyards se sont réfugiés dans une grotte humide et glacée – « avant le printemps, nous ne pourrons pas nous échapper d’ici. »

     

    Deux ans plus tard, Ángel et ses compagnons arrêtent au col un autocar qui va au marché de León. A l’abri de leurs passe-montagnes, ils prennent l’argent des passagers sous la menace de leurs mitraillettes. Ángel passe deux jours et deux nuits chez son amie María ; de la fenêtre de sa chambre, il surveille un tablier à carreaux bleus pendu dans le jardin, qui signale la présence de gardes civils autour de la maison familiale. « Tu sens les bois, tu sens comme les loups », lui dit la jeune femme. A cinq heures du matin, le tablier a disparu, il peut se glisser chez lui. Sa sœur a été battue par les gardes civils, elle remet du sang. Ángel : « comment lui dire que je souffre davantage pour eux que pour moi. Sans savoir comment mettre un terme à ce cercle sanglant et interminable. »

     

    Son père lui avait dit un soir en rentrant chez eux : « Regarde, mon fils, regarde la lune ; c’est le soleil des morts. » Et c’est ainsi que se sentent les fugitifs, comme des morts, comme des loups. Toujours sur la défensive, toujours prêts à fuir ailleurs, à tuer pour ne pas être tués. Se déplaçant au clair de lune. La possibilité d’un retour s’éloigne chaque jour, y compris pour Gildo qu’attendent une femme et un fils. Des échappatoires se révèlent souvent des pièges meurtriers, et il faut beaucoup d’argent pour passer à l’étranger. Les villageois sont partagés entre la compassion – certains les aident – et « la peur, chaque jour plus grande, des représailles ». Connaîtront-ils tous les quatre, l’un après l’autre, le sort des loups traqués et abattus ?

    Nous suivons jusqu’en 1946 les pas d’Ángel, l’ex-instituteur de La Llera, qui d’année en année, à travers des hivers terribles, se sent devenir une véritable bête qui effraie les gens, et même les siens. Dans Lune de loups, Julio Llamazares décrit avec une intensité remarquable le destin de ces maquisards condamnés à épouser la montagne dans toute sa rigueur et toute sa beauté intransigeante. Toujours à deux doigts de la mort. Vivant comme des loups.

  • Conversation

    « Le genre de bien-être que fait éprouver une conversation animée ne consiste pas précisément dans le sujet de cette conversation ; les idées et les connaissances qu’on peut y développer n’en sont pas le principal intérêt ; c’est une certaine manière d’agir les uns sur les autres, de se faire plaisir réciproquement et avec rapidité, de parler aussitôt qu’on pense, de jouir à l’instant de soi-même, d’être applaudi dans son travail, de manifester son esprit dans toutes les nuances par l’accent, le geste, le regard, enfin de produire à volonté comme une sorte d’électricité qui fait jaillir des étincelles, soulage les uns de l’excès même de leur vivacité, et réveille les autres d’une apathie pénible. »

    Mme de Staël, De l’esprit de conversation (De l’Allemagne)

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  • Femmes d'esprit

    Dans la même collection, sur fond de ciel bleu, un Bouvreuil sur une branche de cerisier en fleurs (Hokusaï) annonce L’esprit de conversation de Chantal Thomas. Essayiste (Comment supporter sa liberté, 1998) ou romancière (Le Testament d’Olympe, 2010) cette spécialiste du XVIIe siècle donne ici une centaine de pages sur l’art de converser. Swift, déjà, déplorait que la conversation soit tombée si bas alors que la plupart des hommes pourraient être agréables s’ils ne se laissaient mener par leur orgueil, vanité, mauvais caractère et autres vices « résultant d’une mauvaise éducation ». « Mais, remarque Chantal Thomas, la conversation, les formes de politesse, la délicatesse, ne sont-elles pas des choses que, depuis toujours, on n’évoque qu’au passé ? »

     

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    Le déjeuner des dames (école d’Abraham Bosse)

     

    A Kyoto, en décembre, pour échapper à la musique de Noël « sirupeuse » des grands magasins, il suffit de s’éloigner du centre, de marcher dans les ruelles moins éclairées pour retrouver la nuit et entendre « le son feutré des pas, le tintement léger des bicyclettes, un chat qui miaule… » De même, nos messages rapides, inachevés, télégraphiques, nous tiennent à distance du « lent polissage d’un art parfait de s’exprimer. »

     

    Chantal Thomas examine d’abord ce qu’il en est aujourd’hui des « bonheurs de conversation », « échappées belles hors des emprises mortifères de l’ennui, de la bêtise, de l’agressivité. » Quel plaisir quand la conversation « fait naître tout à coup les idées » (Claudel) ! Quel gâchis, « le volume sonore d’un imbécile dont la bêtise triomphale devient identique à l’air qu’on respire » ! Certes, les « discoureurs impénitents » ou les radoteuses nous lassent, mais « il suffit d’une personne avec laquelle une entente privilégiée s’installe, et l’on perd toute notion du temps et du contexte. »

     

    Comment était-ce dans ces salons d’autrefois où résonnaient « des voix qui, un jour, furent vivantes et dont nous ne savons désormais rien » ? Pour s’en rapprocher, Chantal Thomas en évoque trois, du XVIIe au XIXe siècle, avec la marquise de Rambouillet, Mme du Deffand, Mme de Staël. Catherine de Vivonne (1588-1665), marquise de Rambouillet, de santé fragile, reçoit dans sa « Chambre bleue », couleur nouvelle pour l’époque, où elle aime lire, son occupation préférée. Les habitués de son salon « jouent à se donner des noms, à reprendre des situations romanesques, à en développer de nouveaux épisodes. » C’est une sorte de théâtre où on aime avec plus de douceur et de délicatesse que dans la vie réelle, un lieu à l’antithèse de l’espace conjugal, où ses amis tressent pour sa fille préférée La Guirlande de Julie.

     

    Dans le salon de Mme du Deffand, « tendu d’une moire piquée de nœuds rouges », de petits chiens courent un peu partout. A cinquante ans, vers le milieu du XVIIIe siècle, elle a quitté le libertinage pour « commencer une nouvelle vie », convaincue que, la jeunesse finie, on se doit de « posséder son propre espace et ne plus dépendre de la générosité de quiconque. » Tout ennuie Mme du Deffand devenue aveugle, pessimiste invétérée. « Tout sauf le bonheur de la langue, écrite ou parlée. » C’est pourquoi sa société choisie est une drogue qui la sauve du mal de vivre.

     

    Le quatrième chapitre est le plus long, consacré à « Mme de Staël ou le génie de la conversation ». Dans son roman Delphine (1802), celle-ci dresse de ses personnages des portraits « en conversation » : Delphine y brille « spirituellement et verbalement » – c’est, écrit Chantal Thomas, « dans la littérature française, une des premières fois où la puissance intellectuelle d’une femme est davantage soulignée que sa beauté. » Sa trop grande énergie à discuter est jugée inconvenante, comme sera considérée « trop libre » l’étincelante Corinne (Corinne ou l’Italie, 1807).

     

    « Le don de recueillir et d’exalter les idées, un équilibre entre sens de l’écoute et enthousiasme, timidité et audace, justesse de repartie et chaleur oratoire », telles sont les qualités accordées par Mme de Staël à l’esprit d’une femme. La société sanctionne alors cette passion, cette ardeur, ces « germes de rébellion ». Napoléon l’a condamnée à l’exil, elle tente de recréer à Coppet son salon parisien. C’est là que Benjamin Constant fait sa connaissance en 1794 – elle a vingt-sept ans, lui vingt-six – et c’est le coup de foudre pour « Minette » et ces conversations heureuses où on se sent « devenir plus rapide, plus intelligent, plus désirable », une « musique d’amour ».