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Culture - Page 171

  • Sa propre saison

    a chacune ses couleurs,couleurs,saisons,vêtements,dorothée bourguèsTous les jours nous choisissons les couleurs de nos vêtements. Pour certains, « il n’y a plus de saisons » et par conséquent, plus de couleurs d’été ou d’hiver, de printemps ou d’automne. A chacune ses couleurs (1997) est un petit livre que je garde dans ma garde-robe. Je ne sais plus qui m’a parlé pour la première fois des « saisons » telles que les explique Dorothée Bourguès dans le but, comme l’indique le sous-titre, de « déterminer les couleurs adaptées à votre type ».

    Ce petit guide pratique et illustré, bien sûr, part de l’idée que « les couleurs que nous portons parlent de nous aux autres. Et si nous les avons choisies, c’est pour nous sentir mieux dans notre peau. » Certaines nous rajeunissent ou nous font rayonner, d’autres nous « chiffonnent le teint » et nous vieillissent. Cela se vérifie aussi chez les hommes, amis lecteurs, quoique cet opuscule soit ostensiblement adressé aux femmes. Quelques tests (teint, couleur des yeux, des cheveux) permettent d’établir sa « tendance saisonnière » parmi huit nuanciers, de « printemps adouci » à « hiver intense », quelle que soit la mode. Amusant et léger.

  • Octobre

    Octobre a ramené tous les gris des ciels pluvieux mais aussi des couleurs dans mon jardin suspendu. Les cosmos (en pot) malingres tout l’été fleurissent généreusement, leurs corolles d’un rose violacé dansent au moindre souffle. Les feuilles pâlissantes du ginkgo biloba ne dansent pas, elles frémissent, elles s’accrochent, quelques-unes sont déjà à terre (façon de parler). La clématite, en face, est entrée dans la danse d’automne avec deux nouvelles fleurs.

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    Henri Le Roux, Jardin aux tournesols et potirons, 1922

    La tendance est ici au mauve – avec les asters et un pélargonium – tandis que les allègres dipladenias (mandevillas) trompettent en rose vif et que les bidens, tenaces depuis un an et demi, tiennent la note jaune citron. Les verts ? Douchés jour après jour, ils reprennent du poil de la bête, pour la plupart, avant de virer. Ils font notre bonheur de citadins haut perchés. Au pied de la clématite, derrière une petite plante grasse posée à son pied pour lui faire un peu d’ombre sur une terrasse où il n’y en a guère en été, voilà qu’une fougère s’impose parmi les sauvageonnes qui tapissent la terre. Une fougère, exposée au sud-ouest !

    Après Bleu, Noir, Vert, Rouge et Jaune, nous prépare-t-il l’histoire du blanc ? La conférence que Michel Pastoureau a donnée cette année à Lausanne permet de l’espérer. Si bien racontées par l’historien, les couleurs aident à vivre, les couleurs sont la vie. Les couleurs et leurs innombrables nuances. Aussi ai-je toujours eu un peu de mal avec les premières paroles d’Antigone, dans la pièce d’Anouilh, répondant à la nourrice : « De me promener, nourrice. C’était beau. Tout était gris. Maintenant, tu ne peux pas savoir, tout est déjà rose, jaune, vert. C’est devenu une carte postale. Il faut te lever plus tôt, nourrice, si tu veux voir un monde sans couleurs. »

    Le Jardin aux tournesols et potirons qui illustre ce billet est une huile sur toile d’un peintre belge, Henri Le Roux, datée de septembre 1922. Des couleurs chaudes et lumineuses. Pourquoi les masques jetables sont-ils bleus ? « Il s’agit de masques médicaux, aux couleurs assorties aux tenues du bloc opératoire, le bleu et le vert étant plus apaisants que d’autres couleurs », ai-je lu dans Libé. Le bleu est la  couleur préférée des Occidentaux, répète Michel Pastoureau dans chacun de ses livres. Pendant ces journées trop peu ensoleillées, il n’est pas interdit, en attendant de les voir disparaître pour de bon, d’imaginer que ces masques mettent sous les yeux de petits bouts de ciel bleu.

  • Etat de veille

    olga tokarczuk,récits ultimes,roman,littérature polonaise,solitude,crise,mort,culture« L’état de veille se distingue du sommeil par l’intensité des pensées. […]
    On ne sait pas au juste comment les pensées s’enchaînent, ni ce qui les unit, ni quel ordre régit tout ce processus, pas plus qu’elles-mêmes ne le savent. Elles n’ont, d’ailleurs, pas besoin d’ordre ; elles auraient plutôt tendance à le déjouer, en se cachant derrière un semblant d’ordre fait de configurations logiques instantanées, belles et éphémères comme des flocons de neige. »

    Olga Tokarczuk, Récits ultimes

  • Trois récits

    Son prix Nobel de littérature m’a fait connaître le nom d’Olga Tokarczuk, une écrivaine polonaise née en 1962. A la bibliothèque, j’ai emprunté Récits ultimes (2004, traduit du polonais par Grazyna Erhard en 2007), sans trop m’attarder sur l’épithète ni sur le dessin sur la couverture, tant mieux. La quatrième de couverture m’a accrochée :
    « Ida, Parka, Maya. Une femme mûre, une très vieille femme et une jeune mère, la femme d’aujourd’hui, affrontent chacune à sa manière le monstre du Temps. »

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    Dans les trois récits, Olga Tokarczuk réussit à rendre les glissements de la vie, d’une période à l’autre, en décrivant des situations très concrètes, à première vue ordinaires, qui se transforment insensiblement en autre chose. (Cela m’a rappelé parfois l’art de l’étrange d’un Jean Muno, dans Histoires singulières par exemple.)

    « Blanche contrée », d’une centaine de pages, commence sur une route enneigée, au sud-ouest de la Pologne. Dans une forte descente, un virage, « un brusque coup de volant » : la voiture d’Ida continue tout droit et s’envole par-dessus le remblai. « Sa tête heurte le volant », un bruit de craquement, « tout cela n’a duré que le souffle d’un instant. » Revenue à elle, la conductrice arrive à s’extraire de la voiture, rejoint la chaussée dans la nuit pleine d’étoiles où elle reconnaît sa constellation préférée, la Chevelure de Bérénice.

    Aucune voiture ne passe. Elle marche vers le faubourg jusqu’à une maison aux fenêtres éclairées, où un gros chien blanc lui montre l’entrée. Une petite femme, Olga, et un homme d’un certain âge l’accueillent sans façon quand elle explique son accident. Olga essuie le sang sur son visage et propose à Ida de passer la nuit chez eux ; ils attendent leur petit-fils vétérinaire le lendemain, qui pourra l’examiner. Ida tombe de sommeil et sombre entre pensées de veille et souvenirs de toutes sortes dans cette maison où, elle va le découvrir, l’on est habitué à recueillir des éclopés, des animaux surtout. Elle va y rester plus de temps qu’elle ne pensait.

    « Paraskewia, la Parque » – le thème de la mort est cette fois explicite – se déroule dans une petite maison de montagne bloquée par la neige chaque hiver, où vit un vieux couple. Parka a la passion des fleurs, Petro celle des légumes. Mais le vieil homme vient de mourir et sa femme qui n’a aucun moyen de contact extérieur se décide à pousser son lit dans la véranda qu’il avait construite sur le côté nord de la maison. Comment prévenir ceux d’en bas ?

    Parka se rend compte que pas grand-chose ne change, au fond, à part que Petro n’erre plus comme une âme en peine à geindre et à marmonner. C’est elle à présent qui tourne en rond. Elle s’habille chaudement pour sortir dans la neige et fait rentrer leur chèvre dans la cuisine. Tout en s’affairant, elle se lance dans un bilan de sa vie, de leur couple : Parka (en fait, la mère d’Ida) est une Ukrainienne exilée en Pologne.

    Enfin, « L’illusionniste » raconte le séjour de Maya en Malaisie avec son fils. Ida a travaillé comme guide culturelle, Maya (sa fille) recueille des renseignements touristiques. « Elle ne fuyait pas, non. La route était sa maison, elle habitait dans le voyage. Or le voyage n’est pas une ligne droite reliant deux points dans l’espace – le voyage, c’est une autre dimension, un autre état. » Du bungalow qu’elle occupe avec son fils sur une île à l’apparence paradisiaque, elle observe les autres occupants de l’hôtel et s’inquiète de l’attirance de son garçon pour un vieil illusionniste malade, venu là pour se reposer.

    Voilà quelques points de repère pour situer ces récits d’Olga Tokarczuk, récompensée par le Nobel pour « une imagination narrative qui, avec une passion encyclopédique, symbolise le dépassement des frontières comme forme de vie ». On y entre, chaque fois, dans le tumulte des pensées d’une femme solitaire, même au contact des autres, aux prises avec une situation de crise. Les voilà livrées aux « vertigineuses probabilités événementielles que nous réserve la vie », obligées de faire le point. Récits ultimes, où on retrouve des thèmes de Sur les ossements des morts (pas encore lu), introduit le lecteur dans un univers troublant, où le cours des pensées s’appuie sur les gestes du quotidien, sur une observation précise des faits, mais dérive vers l’inconnu, où la raison se frotte à ses limites.

  • Silence

    graham swift,j'aimerais tant que tu sois là,roman,littérature anglaise,famille,couple,mort,culture« Il avait essuyé ses larmes et les yeux d’Ellie étaient restés secs. Puis un silence s’était installé entre eux, un silence dans lequel l’expression du visage d’Ellie avait semblé dire : Ne rends pas les choses difficiles, Jack. C’est une nouvelle pénible, ne la rends pas plus pénible. Et il pouvait même voir, alors, que cela aurait pu être plus pénible encore. Tom aurait pu revenir dans une chaise roulante. Il aurait pu revenir comme un gros bébé impotent.
    Puis Ellie était partie remplir la bouilloire. Il y avait des moments dans la vie qui exigeaient, semblait-il, qu’on remplît une bouilloire. Des bouilloires étaient remplies quotidiennement, sans arrière-pensée, plusieurs fois de suite. Il y avait néanmoins des moments à part. »

    Graham Swift, J’aimerais tellement que tu sois là