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  • Dans Le Carnet

    Le Carnet & les Instants, la revue des Lettres belges de langue française (présentée ici il y a dix ans déjà) offre dans son numéro 206 du premier trimestre 2021 quelques sujets que j’ai envie de partager avec vous : un nouveau portail littéraire, un secteur de l’édition belge et un bel article sur Dominique Rolin. 

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    Nausicaa Dewez, rédactrice en chef du Carnet, présente Objectif plumes : « le portail des littératures belges » rassemble différents sites existants qui couvrent aussi bien la littérature générale que la littérature jeunesse, la bande dessinée, les littératures régionales. « Une diversité qui s’inscrit dans le nom même du portail. Objectif plumes renvoie en effet à la fois à Objectif lune, album emblématique des aventures de Tintin, et à Plume, personnage d’Henri Michaux. Le pluriel choisi pour le mot « plumes » insiste si besoin sur cette diversité. Laquelle sera donc désormais accessible à partir d’un lieu unique – d’où le singulier d’« Objectif ». (Le Carnet & les Instants, blog)

    Sous le bandeau, il suffit de saisir le nom d’un auteur ou le titre d’une œuvre pour se voir proposer du contenu en relation. J’ai testé la recherche : voici les résultats pour « Nys-Mazure » et pour « Chaque aurore… », c’est très clair. Les utilisateurs peuvent même y déposer un commentaire, à condition d’ouvrir un compte (gratuit) et de s’y connecter. Peut-être à faire désormais chaque fois que j’aborderai une œuvre d’un écrivain belge ? Annuaire, dossiers pédagogiques, Objectif plumes est un riche outil de référence pour tous, sans inscription préalable.

    le carnet & les instants,n° 206,objectif plumes,littératures belges,littérature,édition,poche,rolin,cultureLe Livre de poche français est né en 1953. Dans « Le Poche en Belgique : des territoires encore à explorer », Anne-Lise Remacle examine comment les éditeurs belges se sont intéressés à ce format, poche ou semi-poche. Le pionnier, dès 1949, c’est Marabout, inspiré par les Penguin books, avec des collections littéraires et des livres pratiques, puis des livres pour adolescents (dont les Bob Morane de Henri Vernes et les Sylvie de René Philippe que je dévorais l’un après l’autre dans les années soixante).

    Espace Nord, la collection phare de notre patrimoine littéraire belge, née en 1983 aux éditions Labor, a été rachetée par la Fédération Wallonie-Bruxelles. Elle donne à tous et aux élèves en particulier un accès aux classiques belges en langue française, avec chaque fois un précieux dossier critique à la fin du livre. L’article du Carnet m’a fait découvrir des éditions plus récentes : Les Poches belges (Genèse), Alice jeunesse et sa collection Poche, Onlit éditions... Pour info, Anne (Des mots et des notes) en cite beaucoup d’autres pour lancer le « Mois belge » en avril prochain.

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    Enfin, je vous invite au plaisir de lire en ligne le délicieux article de Christophe Meurée et Maxime Thiry à propos de Dominique Rolin et de ses cartes postales conservées dans une boîte à chaussures (taille 38) : celle-ci fait partie des objets de son bureau reconstitué aux Archives & Musée de la littérature et que je ne suis pas encore allée voir. En lui rendant hommage ici, je m’étais engagée à la relire, ce que je n’ai pas encore fait, le goût de la nouveauté (non de l’actualité littéraire mais d’un titre jamais lu) l’emportant le plus souvent.

    Le Carnet et les Instants remplit bien sa mission au service des Lettres belges. Savez-vous qu’en plus des ressources du blog de la revue, vous pouvez aussi feuilleter d’anciens numéros (2011-2019) en ligne ?

  • Ce dieu nommé Temps

    « Comment définir ce que j’entends, moi, par futur immédiat ? J’imagine que ce dieu nommé Temps nous en jette à la figure, seconde après seconde, avec l’insolence d’un maître primordial ? Je prouverai le ridicule des aphorismes dont il se sert pour nous berner : le temps passe, le temps me pèse, je n’ai pas le temps, j’ai perdu mon temps, le temps me manque, j’ai gagné du temps, j’ai tué le temps. Cette criminelle orgie de mensonges débusque avec orgueil, dégoût ou satisfaction notre inaptitude à vivre. Rien que ça. Et personne n’ose en parler.

    Je fourbirai mes armes. »

     

    Dominique Rolin, Le Futur immédiat (2002)

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    Photo BibliObs

     

     

     

     

  • Pour Dominique Rolin

    « C’est la pluie, Dora est malade, beaucoup de fièvre, un peu de délire, le jeune médecin la drague avec humour. On reste sur les lits, la ville est inondée, on achète des bottes, on marche sur des tréteaux sur les quais, je glisse, je tombe, on rit. Tout est gris-noir, le vent souffle en tempête, on n’aurait jamais dû venir à Venise en cette saison, mais si, justement. J’écris dans un coin de la chambre, Dora dort ou fait semblant. « Tu ne t’ennuies pas ? – Question idiote. – Des corps mortels ne devraient jamais s’ennuyer. – Mais on est morts. – Et toujours là. – Tu te souviens de notre passage sur terre ? – Oui, c’était pas mal, un peu confus. – J’essaye de mettre de l’ordre. – Tu y arrives ? – Par moments, je crois. » (Philippe Sollers, Passion fixe, 2000)

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    Photo BibliObs

    Dominique Rolin et Philippe Sollers n’iront plus à Venise ensemble. Dominique Rolin est décédée le 15 mai dernier. Ce n’est pas la première fois. En 1982, dans Le gâteau des morts, elle racontait le malaise qui la frapperait le 5 août de l’an 2000, et son agonie avec Jim auprès d’elle – « Car le temps, le temps, le temps s’est arrêté depuis que Jim et moi existons l’un par l’autre. » (Le gâteau des morts)

    Il est peu de livres dédicacés dans ma bibliothèque, mais celui-là porte la signature de Dominique Rolin. Le 10 février 1982 (il y a trente ans, vous imaginez ? J’ignorais alors qui était le Jim qu’elle célébrera dans Trente ans d’amour fou (1988) et Journal amoureux (2000), ce qui nous fut révélé par Bernard Pivot dans un mémorable Bouillon de Culture), elle était l’invitée du Théâtre-Poème à Bruxelles, en compagnie de Marion Hänsel, Ginette Michaux, Jacques De Decker et Frans De Haes.

     

    Pierre Mertens a commenté Le gâteau des morts dans Le Soir : « On dirait que les mots les plus simples, restaurés, ravalés, rendus enfin à leur première jeunesse, lui appartiennent comme jamais. Elle les épèle avec amour, gourmandise, une jubilation secrète. Une insolite alacrité. L’effervescence cocasse qui précède la chute dans le néant. Dans le gâteau des morts (ou des mots ?) elle mord à belles dents… Elle mesure comment en elle le verbe s’est fait chair et de quelle façon la chair va retourner sous peu – non au néant – mais au verbe. Celui qu’elle inspirera encore à titre posthume. »

     

    La mort de l’autre, Rolin l’avait déjà portée souvent, souvent écrite. Dans Le Lit (1960), magnifique récit par Eva de la fin de son mari, Martin, une histoire d’amour et de mort inspirée par la maladie et la mort du sculpteur Bernard Milleret, avec qui l’écrivaine belge avait vécu dix ans. Dans L’Enragé, où elle fait raconter par Pieter Bruegel sa propre agonie, faisant défiler sa vie de peintre. Dans Dulle Griet qui commence par ces mots : « Je t’écris, donc je vis. »

     

    C’est dans Crime et châtiment de Dostoïevski qu’elle a choisi l’épigraphe du Gâteau des morts : « A ces occasions, ils emportaient toujours sur un plat enveloppé d’une serviette le gâteau des morts où la croix était figurée par des raisins secs. » Dans un entretien pour La Libre Belgique (10 mars 1982), Monique Verdussen, qui vient de lui rendre un très bel hommage – « Rolin, le dernier souffle », l’interrogeait sur ce roman. L’avait-elle écrit par provocation, par fascination ou par une sorte d’accord naturel ? « Plutôt un accord »,           avait-elle répondu avant d’ajouter : « Les morts d’enfants me révoltent ». A cette volonté d’inscrire sa mort « dans un cérémonial d’ordre et de beauté » (M. Verdussen) qu'elle disait enracinée dans son pays natal et surtout dans l’enfance, elle donnerait une suite en explorant « l’autre côté » dans La voyageuse (1988).

     

    Mais revenons à cet entretien de 1982 : « J’adore la nuit, mais je me lève tôt le matin parce que j’aime ça. J’adore le bonheur et j’adore la volonté du bonheur. Il y a des êtres qui disent : « Je n’ai pas eu de chance » et qui ne savent pas saisir le bonheur quand il passe. En même temps que cette faculté de bonheur, j’ai néanmoins une sorte de terreur continuelle vis-à-vis de moi-même : je ne m’aime pas du tout, je ne me suis jamais aimée. Je me suis toujours détestée physiquement. J’ai toujours eu l’épouvante de terminer comme une clocharde. D’où cet excès assez ridicule pour l’habillement, les bijoux, la parure. Encore une fois, ça vient de mon enfance. Quand j’étais petite, mon père me disait souvent : « Tu es laide, tu louches ». J’ai constamment le désir de donner une seconde peau à quelque chose que je n’aime pas. J’ai un œil impitoyable. » (« Quand Dominique Rolin partage « Le gâteau des morts », entretien avec Monique Verdussen, La Libre Belgique, 10/3/1982)

     

    Avant de relire en entier ce roman et les autres, en commençant sans doute par Les Marais (1942), le premier, j’aimerais partager avec vous, avec Dominique Rolin dont je garde un souvenir radieux, un morceau de ce gâteau-livre.

     

    « Le sens unique de ma vie se renverse avec éclat.

    Je tremble de joie, soulevée par une certitude que je peux qualifier de luxueuse. Moi qui déclarais, il y a quelques heures à peine : « Je ne veux pas mourir, je ne mourrai jamais », me voici projetée dans le rayon d’un revirement complet. Bien que la nuit soit hermétiquement silencieuse, le vent de la mort pénètre ici pour la première fois comme un cyclone. Un cyclone ardemment désiré sans qu’on sache rien de lui pourtant. Un cyclone qu’on supposait opaque. Aussi quelle stupeur est la mienne à la minute où son tourbillon m’emporte ! Je m’attendais à du lugubre, du pourri, du visqueux obscur, je redoutais un souffle empesté, des mains froides arrachant mes habits d’abord puis ma peau, des frôlements de chairs ignobles cassant mes gestes, bouchant mes trous, rongeant mes organes, j’imaginais des vers glissés dans l’étui de mes os les plus menus – et plus particulièrement ceux de ma main droite, ma main de travail, ma main d’amour, ma main de bonheur soudain détruite ! Et voilà que c’est tout le contraire qui se produit. Le vent de la mort, d’une somptueuse violence, m’avertit que l’ailleurs se prépare à entrer chez moi, un ailleurs spécial auquel j’aurai libre accès à condition de m’y fondre avec la même somptuosité, à condition de rejeter les vieux axiomes qui font de la mort un mensonge, une haine, une trahison majeure, à condition d’aborder d’instinct le vivifiant espace d’une réalité jusqu’ici repoussée…

    Oh, ma crétine, me dis-je tendrement à moi-même en réprimant le plus gourmand des rires. »