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sculpture - Page 36

  • Lire des images / 3

    « Tout portrait est, en quelque sens, un autoportrait qui réfléchit celui qui le regarde. Parce que « l’œil ne se rassasie pas de voir », nous prêtons à un portrait nos perceptions et notre expérience. Dans l’alchimie de l’acte créateur, tout portrait est un miroir. » Ainsi s’ouvre, dans Le Livre d’images de Manguel, Philoxène – L’image reflet, autour d’une mosaïque conservée à Naples, La bataille d’Issos, où l’on voit Alexandre se lancer à la poursuite de Darius, une mêlée de chevaux et de cavaliers – « Le ciel est une forêt de lances obliques. » Manguel, au départ d’une scène de guerre, remonte le temps et interroge l’art de montrer un visage. Les relations des Grecs avec leurs reflets dans un miroir, nos propres rapports avec nos traits qui évoluent, s’altèrent au cours de notre vie, les miroirs dans la peinture, les autoportraits de Rembrandt, l’essayiste ouvre de multiples voies à la réflexion.

     

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    La Femme qui pleure de Picasso – l’image violence, aujourd’hui conservée à la Tate Gallery (Londres), est « petite, de la taille d’un visage humain, elle brûle de couleurs complémentaires qui attirent l’œil dans des directions opposées : vert et rouge, violet et jaune, orange et bleu. » Comment, interroge Manguel, supporter de regarder « ce chagrin très privé » ? L’essayiste rappelle comment Picasso et Dora Maar se sont rencontrés, comment ils se querellaient, comment, lorsqu’elle fondait en larmes, Picasso sortait son carnet et son crayon. De ces portraits torturés, Dora Maar dira un jour : « Tous sont Picasso, pas un seul n’est Dora Maar. »

     

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    La première image sculptée, dans cet essai, est le Saint Pierre de L’Aleijadinho. « Comme les Français dans la pierre et les Italiens dans le marbre, les architectes du Portugal avaient trouvé dans le bois doré leur matériau idéal. » Au Brésil, dans l’Etat de Minas Gerais, pousse un cèdre brésilien dont la souplesse permet « de fines ciselures ». L’Aleijadinho, « le petit éclopé », fils de peintre, souffrait de diverses maladies affectant sa peau et ses articulations, puis sa vue, et se faisait assister par Mauricio, un esclave africain très doué. Devenu l’un des artistes « les plus renommés et les plus demandés au Minas Gerais », il réalise pour le sanctuaire de Congonhas « soixante-seize sculptures (…) parmi les plus puissantes et les plus spectaculaires de leur temps ».

     

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    Église du sanctuaire du Bon Jésus de Matosinhos à Congonhas, Minas Gerais, Brésil,
     avec les Prophètes sculptés par Aleijadinho,
    photographie de Eric Gaba (Sting - fr:Sting) sur Wikimedia Commons Images

    Manguel s’arrête aussi sur l’image architecturale (Claude Nicolas Ledoux – L’image philosophie), sur le monument du mémorial de l’Holocauste à Berlin (Peter Eisenman – L’image mémoire), sur la grande toile des Sept œuvres de la miséricorde signée Le Caravage pour l’église Pio Monte delle Misericordia à Naples. Pour conclure sur la richesse de ce Livre d’images où chaque lecteur devrait trouver son bonheur, voici ce qu’écrit Alberto Manguel dans sa conclusion : « Nous vivons dans l’illusion que nous sommes des créatures d’action ; il serait sans doute plus sage de nous considérer, ainsi que le suggère la philosophie hindoue appelée Sâmkhya, comme les spectateurs d’un éternel défilé d’images. »

    (entre-deux)

  • Un art heureux

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    Maison au pays basque (détail) © Joseph Gillain - www.jijé.org

    « Un art heureux, spontané, qui détonne à l’heure où le trash a si volontiers la cote auprès des galeristes, critiques et collectionneurs ! Joseph Gillain, il est vrai, s’avouait adversaire de la peinture « cafardeuse, engagée, porteuse de message ». »

     

    F. Matthys, Quand Jijé est Joseph Gillain, La Libre Belgique, 21 juin 2010.

  • Gillain le peintre

    Joseph Gillain (1914-1980) ? Moins connu que le dessinateur Jijé, « un des maîtres européens de la bande dessinée » (F. Matthys), son alter ego (J. G.) - l’inventeur de Blondin et Cirage, de Fantasio (le compagnon de Spirou), de Jerry Spring, entre autres -, Gillain est aussi peintre. Juste à côté de la Gare centrale, la Maison de la bande dessinée lui consacre une exposition, jusqu’au 17 octobre : des peintures et quelques sculptures, une soixantaine d’œuvres issues de collections privées. François Deneyer, directeur de la Maison, publie une monographie de l’artiste belge aux quelque cinq cents peintures et sculptures.

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    © Joseph Gillain - www.jijé.org

    Après quelques planches originales des années ’50, c’est une succession de paysages, de portraits, d’intérieurs. Gillain a peint partout, chez lui ou en voyage : La moisson à Overijse, La chambre jaune à Cassis, L’arbre mort ou Le mistral à Aix. Coins de Bruxelles ou de Paris. « Vie heureuse d’un homme au talent étourdissant, qu’ensoleillait l’amour de son épouse, de leurs cinq enfants et nombreux petits-enfants », écrit Francis Matthys (La Libre Belgique, 21 juin 2010).

     

    Les couleurs intenses sont au rendez-vous, les influences aussi, surtout du côté du fauvisme. Annie à la jupe rayée, assise une cigarette à la main devant une porte vitrée, fait penser à un Matisse : rideaux souples retenus par des embrasses,
    balustrade et feuillages derrière les vitres, bouquet dans un grand vase bleu sur un guéridon, tapis à motifs. La jeune femme porte un corsage blanc sur une jupe à
    rayures vives, le rouge de ses lèvres répond à celui des embrasses, en contraste avec le mur ocre. C’est pimpant, c’est gai. On retrouvera Annie, l’épouse du peintre, plus loin, sur un canapé rose, entre autres.
     

     

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    Vent d'orage dans le Connecticut (détail) © Joseph Gillain - www.jijé.org

     

    A quoi tient le charme de Juliette et sa poupée ? Derrière un gros bouquet rose et bleu posé sur un coin de table, la fillette regarde vers nous – vers le peintre – de ses grands yeux bruns. Jolie frimousse. A-t-elle pris la pose, bien sage sur sa chaise, pour figurer sur une toile comme la poupée représentée au mur près d’elle, coiffée d’un chapeau cloche ? La plupart des sculptures présentées un peu bas dans des vitrines sont des bustes d’enfants, une tête de Benoît Gillain en terre cuite esquisse un beau sourire.

     

    A plusieurs reprises, Joseph Gillain a campé son chevalet devant une maison noyée dans la verdure : Maison au pays basque – toits orangés, ciel et ombres bleues sous les arbres – une peinture légère à la Dufy. Vent d’orage sur le Connecticut est beaucoup plus mouvementé : l’herbe et les arbres y tourbillonnent ; d’un fauteuil blanc à l’avant-plan, le regard glisse sur une barrière en bois avant de découvrir le haut d’une maison enfouie dans la végétation. Ailleurs une table dressée près d’un arbre avec ses chaises en fer forgé (Repas dans le parc), un arrosoir bleu vif dans l’allée sinueuse d’un jardin entre des plates-bandes bien fleuries. 

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    © Joseph Gillain - www.jijé.org

     

    F. Matthys, dont l’article enthousiaste m’a décidée à visiter cette exposition, a choisi Fantasme sur canapé pour l’illustrer, un des beaux nus aux cimaises de la Maison de la bande dessinée. Plusieurs d’entre eux sont curieusement intitulés « Nu privé », un autre, tout en rondeurs, Les sept collines de Rome ! Ce serait trop long de vous décrire ces citronniers du Mexique ou encore ce paysage ardennais sauvage, structuré comme un Raty mais dans de tout autres tons que le Liégeois, toute la gamme du  bleu foncé et du vert.

     

    Sans prétention mais avec un art très assuré, Gillain peint la beauté du monde et des êtres. De nombreuses photographies le montrent à l’œuvre. Je ne regrette pas de m’être déplacée spécialement pour cette rétrospective, sur la foi d’une critique d’art qui attendait depuis quelques semaines sur mon bureau. Les bédéphiles retrouveront Jijé au Centre belge de la bande dessinée qui propose jusqu’à la fin de l'année une grande exposition sur L’atelier de Franquin, Jijé, Morris et Will et même à Jambes où on lui rend aussi hommage. En outre, ils peuvent revoir ici, sur la petite mezzanine au fond de la salle, une vidéo (Bande à part avec Jijé) où Jijé-Gillain, installé dans sa camionnette au milieu des bois, répond aux questions sur son travail de dessinateur.
    En toute simplicité.

  • Une porte

    « Je suis allé chercher un avis. Il m’a ouvert une porte, une très belle porte. » (Massimo Tamone à propos de Léonard Gianadda)

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    Yves Dana, Stèle III

     « Etroubles voulait monter un musée de sculptures en plein air pour stimuler son tourisme d’été. Léonard Gianadda s’enthousiasme pour le projet qui compte déjà l’appui de nombreux artistes italiens. Il ouvre son carnet d’adresses, à commencer par l’ami Hans Erni. Aujourd’hui le musée de plein air d’Etroubles attire 20000 visiteurs par an. »

    (VR, Un été culturel à Etroubles, Val d’Aoste, Supplément Le Nouvelliste du 16 juin 2010, cahier consacré à l’exposition Nicolas de Staël à la Fondation Pierre Gianadda)

  • Etape à Etroubles

    Sur la formidable route du Col du Grand-Saint-Bernard, cette excursion en haute montagne de la Suisse vers l’Italie où, à l’abri du froid et sans effort (sinon de conduite sur lacets), les automobilistes peuvent jouir de paysages spectaculaires, des fleurs alpines au bord de la route, et au col, du fameux Hospice et de son lac (le Musée vaut la visite, et pas seulement pour ses fameux chiens), il y a une belle étape à ne pas manquer, dans la descente vers Aoste : Etroubles.

     

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    Nous avons l’habitude de nous y arrêter par gourmandise, juste après son grand tournant : La Croix blanche (spacieuse terrasse avec vue) propose de succulentes viandes grillées sur pierre. Cette année, alléchés par l’affiche annonçant des « Sculptures de Degas à Picasso », nous avons prolongé notre passage dans « uno dei Borghi più belli d’Italia », le beau village d’Etroubles à mi-hauteur dans la vallée du Grand-Saint-Bernard, sur la « via francigena » (chemin des Francs) qui reliait au Moyen Age Canterbury à Rome, à travers l’Europe.

     

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    Au centre d’exposition, presque en face du restaurant, sont rassemblées jusqu’au 12 septembre une quarantaine d’œuvres issues de la collection Pierre Gianadda. Citoyen d’honneur de la commune d’Etroubles depuis 2005, Léonard Gianadda, en belle complicité avec le syndic du village, Massimo Tamone, y organise depuis quelques étés d’intéressantes expositions qui attirent quelque cent mille visiteurs. De plus, le Musée en plein air invite les passants à parcourir les rues du vieux bourg valdôtain aux noms français (rue des Moulins, rue des Bergers, ruelle Trottechien…).

     

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    Autour du fameux Arlequin, Tête de fou, de Picasso, des vitrines retracent l’histoire de la sculpture du XIXe au XXe siècle : après Le Bourgeois en promenade de Daumier, une Danseuse agrafant l’épaulette de son corsage de Degas, plusieurs bronzes de Rodin, bien représenté dans la collection Gianadda avec entre autres un Balzac en robe de dominicain, Le baiser, La Danaïde, ou, moins connues, La Prière, une Petite tête de Jean de Fiennes avec main. A côté, trois Camille Claudel de toute beauté : Le Sakountala, La Fortune, La Suppliante. Contrairement aux sculptures de grand format du Jardin de la Fondation Gianadda à Martigny, ce sont ici de petits ou moyens formats, des sculptures qu’on aurait sans doute aimé regarder plus éloignées les unes des autres. Mais leur écrin de verre et leurs supports d’un beau rouge les rendent précieuses comme des bijoux d’exception.

     

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    Deux oiseaux, pièces uniques taillées dans le marbre blanc par Chagall pour une fontaine. Même matériau pour une fascinante Composition n°1 du Suisse Gidon Graetz. Très présent dans la collection Gianadda, Sam Szafran dont vous connaissez peut-être les aquarelles végétales ou les dessins d'escaliers montrés à Martigny, est aussi sculpteur ; son Cheval de bronze voisine avec de petits bustes. Giacometti est
    au rendez-vous d’Etroubles avec quelques œuvres dont un Petit buste de Silvio sur double socle et une Tête de femme, près d’un Petit homme debout de son frère Diego, un bronze doré. Monumentale même en format réduit, Ailée n° 5 d’Alicia Penalba (Argentine) occupe magistralement l’espace. Découverte, une belle Femme
    à genoux
    sans tête (ne pensez pas à mal), de l’Espagnol Baltasar Lobo.

     

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    Plus récents, Le Grand Couple d’André Raboud, franco-suisse, ou la tête de Toro du céramiste espagnol Joan Gardy Artigas. Pour quel endroit Michel Favre, de Lausanne, a-t-il conçu Synergie du Bourg, une colonne interrompue par une ronde de personnages ? C’est la transition parfaite vers l’exploration d’Etroubles dont le charme d’ensemble vient d’abord des toitures de lauzes arrondies qui lui donnent son unité.

     

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    De l’autre côté de la route, sous un ciel où les nuages ont pris pour l’occasion des formes organiques à la Hans Arp, commence à la Bibliothèque communale (belle fontaine à l’arbre de métal) un parcours numéroté dans les rues du vieux bourg :  21 œuvres, sculptures et peintures jalonnent l’itinéraire à découvrir à l’aide d’un plan numéroté. Le vieux village lui-même suffit à nourrir le regard par ses beaux murs de pierre, son lavoir fleuri, la maison où Napoléon a logé lors du fameux passage du col en 1800, l’enseigne ancienne d’une trattoria…

     

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    Le clocher roman, rustique, contraste avec l’église d’Etroubles dont la façade (mais pas les autres murs) est peinte en couleurs pastel. Magnifique boiserie d'entrée aux vitres ciselées. L’intérieur est baroque, je n’ai pas percé le mystère d’une grande toile qui représente dans une robe d’un rouge somptueux une sainte surmontée d’anges musiciens, la couronne d’épines du Christ sur les genoux, entre ciel et terre, plus exactement au-dessus d’un vaste panorama de la vallée du Grand-Saint-Bernard.

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    Près de la maison communale, une sculpture bleu vif d'Italo Gambale, Il Viaggio,
    offre un point de vue qui conclura cette flânerie dans le Musée en plein air d’Etroubles, où un cadran solaire rappelle : « Ami, regarde l’heure ».