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rencontres - Page 7

  • Paula et Stein

    L’affaire Pavel Stein de Gérald Tenenbaum est le roman d’une rencontre essentielle – un thème déjà présent dans Les Harmoniques et surtout dans Reflets des jours mauves. Chez cet écrivain et chercheur en mathématiques pures, il n’est pas de rencontre par hasard ou alors ce serait un hasard né d’un calcul de probabilités.

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    Ce roman court est le récit d’une femme, Paula. Elle se décide à l’écrire une vingtaine d’années après les faits, pour une raison qu’on ne découvre qu’à la fin. C’était « juste avant le tournant du millénaire, alors que l’on attendait un séisme, un bouleversement, peut-être même la fin du monde ». Elle a ses règles le jour où elle s’habille pour assister à une projection promotionnelle d’un film de Pavel Stein – un détail inhabituel qui surprend de même que sa manière de choisir ce qu’elle portera pour la circonstance. L’auteur a ses raisons et son personnage, ses humeurs.

    Elle n’a pas trop envie d’aller s’enfermer dans une salle obscure. Mais Stein est incontournable dans les médias : cet « écrivain, cinéaste, homme de théâtre et de communication » est devenu « le Monsieur Mémoire du monde médiatique – et la bonne mauvaise conscience du monde occidental tout entier. » Né en Russie, il a grandi en Israël pendant la guerre, puis a fait le voyage en sens inverse de beaucoup de Juifs en s’installant en Europe de l’Ouest.

    Son petit livre original sur le vide ou le manque, d’abord refusé par les éditeurs, a séduit un producteur américain. Il lui fallait respecter une clause particulière : de son vivant, seul l’auteur pourrait en réaliser l’adaptation. Le succès du film l’avait propulsé à l’avant-plan sur la scène médiatique et Stein a su conserver cette place.

    Paula pense souvent à sa mère qui n’est plus là – « Il y a peu de certitudes dans l’existence. L’amour d’une mère en est une. En disparaissant, une certitude laisse un gouffre. Ou un maelström. » Depuis deux ans, Paula tient la rubrique « cinéma-théâtre sur J-Médias ». « Le regard de Paula Goldmann » commente des spectacles susceptibles « d’interpeller le public d’origine ashkénaze ou séfarade dans sa recherche identitaire ».

    La réflexion de Stein sur le mal, son « fonds de commerce », échappera-t-il au politiquement correct dans son film Les cent vingt jours de Sodome, « une allégorie biblique, sans référence, d’après lui, au regretté Pasolini » ?  Il a réalisé dix-neuf films en dix-neuf ans – « belle addition pour un spécialiste du manque ! »

    Comme un code sous-jacent, les nombres premiers s’invitent à tout propos dans ce roman : le studio quatre-vingt-dix-sept où a lieu la projection rappelle à Paula l’année de son voyage en Egypte avec Selim et de leur rupture. « Selim, à l’envers, ça donne Miles. C’est vrai qu’il m’avait fait faire un sacré bout de chemin, celui-là. » Les lettres, autre code dans L’affaire Pavel Stein. « PS », cela correspond aussi à Paula et S. Un signe ?

    Si le film projeté n’est pas génial, Paula trouve quelque chose de poignant à cette transposition du génocide nazi dans « une description actualisée de la destruction de Sodome et Gomorrhe », bien qu’elle craigne qu’il fasse plus de mal que de bien, « entre les journalistes simplificateurs et les nouveaux riches de l’holocauste ». Elle semble prête à le défendre, mais dans le brouhaha des questions posées par les journalistes une fois la lumière rallumée, la sienne récolte une réponse qui la consterne. Prise d’une colère subite, elle s’en va et décide d’aller voir sa tante, une survivante d’Auschwitz.

    L’autre personne chez qui Paula trouve toujours un appui, c’est Antoine, son meilleur ami, gay et « perpétuel amoureux », alors avec Samir, un Libanais qui lui a proposé de l’accompagner au Moyen-Orient, dans une « villa de famille ». La première fois qu’elle rencontre Samir, elle observe son regard, ses mains – quelque chose ne va pas avec le portrait qu’Antoine avait fait de lui.

    « Jamais je n’aurais imaginé que Stein vivait seul. » Sur un coup de tête, Paula l’a appelé et « le grand homme » a accepté qu’elle vienne l’interviewer chez lui. Elle trouve sa maison « un peu à l’abandon » comme lui, à cinquante-neuf ans. Elle veut l’interroger sur ce qui le motive, sans prétendre percer l’homme à jour. Pendant qu’il prépare du thé, elle remarque « un story-board ouvert sur le divan », son « film de papier », dit Stein, dont il lui demande de ne rien dire.

    C’est ce jour-là que naît entre eux une relation amoureuse inédite. Stein s’absente souvent, Paula ne l’accompagne pas partout. Ils ne partagent pas le même temps. « En fait, moi qui comptais pour le plaisir, je savais combien je comptais pour lui et, au fond, il n’y avait que cela qui comptait. Je l’attendais donc sans compter. » Quand Stein lui offre un aller-retour pour Lhassa, elle dit oui.

    Kabbale et histoire, cinéma, littérature et yoga, de nombreuses pistes se croisent dans L’affaire Pavel Stein, de façon littérale ou allusive. Dans cette histoire d’amour où les corps se rencontrent, la réflexion, les idées, les questions de conscience comptent considérablement.

  • Continent inconnu




    « La montagne, aujourd’hui, c’est un lieu de résistance à la globalisation. »

    « Le continent inconnu, pour moi, c’étaient les Apennins. »

    Paolo Rumiz

     

    Ecoutez, si vous voulez, Paolo Rumiz interrogé par François Busnel à La Grande Librairie (15/12/2017) à propos de La légende des montagnes qui naviguent(La vidéo dure une dizaine de minutes. Il y parle des Apennins à partir de la quatrième.)

  • L’Italie en Topolino

    Après avoir raconté sa traversée des Alpes d’est en ouest, Paolo Rumiz continue La légende des montagnes qui naviguent (2007, traduit de l’italien par Béatrice Vierne, 2017) avec l’exploration en profondeur des Apennins. Son article enthousiaste dans la Reppublica sur le chantier du tunnel ferroviaire pour la ligne à grande vitesse (Turin - Milan - Bologne -Florence - Rome - Naples – Salerne) lui a valu plein de protestations.

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    Apennins — Wikipédia (wikipedia.org)

    « Sources privées d’eau, torrents vides, nappes phréatiques à sec, bref, une saignée qui, en quelques années à peine, avait volé aux Apennins cent vingt millions de mètres  cubes d’eau, soit cinquante litres à la seconde. […] On me citait des ouvrages ferroviaires gigantesques, désormais abandonnés, et qu’on laissait dévaster le territoire. […] Désormais, tout était clair. Je devais revenir sur mes pas, naviguer sur les Apennins, encore plus en profondeur que je n’avais fait sur les Alpes. »

    Une fois sa « montagne de notes » reportées sur les côtés de sa carte d’Italie, il lui faut trouver l’engin idéal. Ce sera une « petite chèvre mécanique » italienne, une Topolino de 1953, décapotable, qu’un Bolognais, Righi, met à sa disposition – « Le nec plus ultra. » Elle s’appelle Nerina, elle est bleue, « une petite bête nerveuse, taquine », affirme son propriétaire. Rumiz réapprend à la conduire avant de commencer son « voyage tout en courbes, dans le ventre mou du pays ».

    Des dizaines de lettres lui ont signalé des endroits à voir, des adresses où loger, Righi y ajoute celles d’amateurs de Fiat au cas où l’arsenal des pièces de rechange ne lui suffirait pas. Les Apennins sont méconnus. « Et pourtant, les Alpes ne sont que la corniche extérieure du pays. Alors que les Apennins, eux, en sont l’âme, l’estomac, la colonne vertébrale. » Comme dans la première partie de son livre, Rumiz raconte son voyage, de Savone au Capo Sud, en huit chapitres.

    En route donc pour l’Italie en Topolino. Albano Marcarini, « le meilleur navigateur du pays », accompagne « l’ouverture » en lisant un guide de 1896. Quand il a débarqué du train à Savone, il a déclaré, pour être bien clair, que leur voyage va les lancer « à la recherche des routes perdues ». Départ sous les nuages et dans le vent. Montées, descentes. Soleil, brouillard. Tout le monde s’arrête pour regarder passer la mythique Topolino. Dans « un crépuscule couleur de mandarine », ils descendent dans un hameau où l’auberge est tenue par le curé, Luciano. En 1952, « quand ils ont fait la route », raconte celui-ci, l’asphalte a entraîné les gens ailleurs, « un aspirateur omnivore qui a balayé tout un monde ».

    Et c’est parti : rencontres, histoire, légendes, musique, plats goûteux et arrosés, hébergement… Albano laisse la place à un nouveau guide, un bibliothécaire passionné d’histoire locale et aussi d’Hannibal. Il faut aussi trouver de l’aide quand la voiture a « une fuite », chez le beau-père d’un ami, ou téléphoner à Righi – pas de dynamo de secours, il faudra attendre que la pièce arrive. « Je n’ai pas encore compris que les haltes forcées sont la bénédiction du voyageur. »

    Une femme l’emmène dans sa Jeep voir le Val Nure, lui montre toute la beauté de cette région où elle vit et où ses cendres seront dispersées – « la vallée resplendit et révèle un réseau complexe de campaniles, de villages, de parois, de bois de hêtres, de petits éboulis. » Au retour, la dynamo est arrivée mais pas encore en place. La Topolino attire et on se parle.

    Des femmes élèvent des troupeaux pour perpétuer la tradition de l’agneau de Zeri et résister à l’indifférence des instances politiques, aux jalousies, à « la honte imbécile des beaufs italiens vis-à-vis de leurs origines paysannes », à la grande distribution. Il leur faut tenir le loup à l’œil. La plupart des femmes rencontrées par Rumiz dans les campagnes viennent des pays de l’Est. Ce sont les « auxiliaires de vie », les seules qui se déplacent à pied – « En Italie, il n’y a que les étrangers qui marchent. » Les Apennins « sont une institution de soins et, sans les douces demoiselles de l’Est, ils deviendraient un cimetière. »

    A chaque étape, la carte étalée sur une table facilite les rencontres. On lui indique un hameau, un ermitage, un détour se dessine. Les problèmes se précisent : l’eau, l’ours, l’abandon des campagnes surtout, dans l’indifférence voire le mépris de ses propres richesses – les « tratturi » (routes des troupeaux) ont été remises en état grâce aux fonds européens puis négligées. Il ne reste que des panneaux.

    Quand on croise une Ape, conduite par un vieux, on s’arrête. L’homme partage son pique-nique. « Autour de nous, le silence et les petits oiseaux. Des moments parfaits, qui valent un voyage. » Nicolas Bouvier a écrit L’usage du monde en 1953-1954, la plupart du temps dans une Topolino. Un des livres de chevet de Paolo Rumiz, devenu à son tour une « âme sans frontières ».

  • Col du Brenner

    la légende des montagnes qui navuguent,récit,littérature italienne,alpes,slovénie,croatie,italie,suisse,france,montagne,marche,vélo,histoire,rencontres,culture,rumiz« Le Brenner, arrêt pour changer de locomotive ; l’engin écarlate des chemins de fer autrichiens ronronne déjà sur la voie de dégagement. J’ai toujours aimé cet endroit. Les gares des grandes lignes me plaisent ; elles ne cherchent pas à se faire passer pour ce qu’elles ne sont pas. Au Tyrol du Sud, le Brenner, avec ses auberges pour routiers et ses chasse-neige déjà prêts au mois d’août, est le lieu qui échappe mieux qu’un autre à la préciosité monotone des villages de la région. Ortisei, Caldaro, Dobbiaco, Castelrotto : je ne les aime plus. Trop de saunas, trop de géraniums aux balcons. Au col du Brenner, en revanche, je me sens bien. Tout est resté pareil, imprégné de légende. Avec la vieille route de Goethe, qui serpente sur les deux versants, extraordinairement vide grâce à la proximité de l’autoroute.

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    Les maisons des cheminots sont restées les mêmes, à la lisière de la forêt. Nous y venions en vacances, quand j’étais petit, et le matin je partais cueillir des champignons avec un cheminot originaire de la Romagne, Secondo Zanarini. C’était un grand gaillard, toujours très ému avant de cueillir avec le plus grand soin un bel exemplaire d’oronge, de bolet ou de cèpe. »

    Paolo Rumiz, La légende des montagnes qui naviguent