« Celui qui sait tout ne peut pas écrire. Celui qui sait tout perd la faculté de vivre, parce que c’est le doute qui pousse l’être humain à aller de l’avant. Le doute, la peur, la solitude et le désir. Sans oublier le paradoxe. Vous ne savez pas grand-chose, en effet, mais quand vous écrivez, votre regard a le pouvoir de traverser les murs, les montagnes et les collines. Vous assistez à la division des cellules, vous voyez le président des Etats-Unis trahir sa nation, vous entendez les mots d’amour murmurés à l’autre bout du pays, les sanglots qu’on verse dans un autre quartier de la ville. Vous voyez une femme quitter son mari, et un mari tromper sa femme. Vous entendez le sanglot du monde. C’est votre paradoxe, votre responsabilité et votre contrat. Vous ne pouvez pas vous y soustraire et vous n’avez d’autre choix que de continuer.
A écrire ?
Oui, quoi d’autre ? Ecrivez, et vous pourrez aller à cette fête donnée en l’honneur de Pall d’Odi, d’Elvis et pour célébrer la vie.
Ecrivez. Et nous n’oublierons pas.
Ecrivez. Et nous ne serons pas oubliés.
Ecrivez. Parce que la mort n’est qu’un simple synonyme de l’oubli. »
Jón Kalman Stefánsson, Ton absence n’est que ténèbres
* * *
Un extrait qui aurait dû être mis en ligne la semaine dernière.
Mieux vaut tard que jamais.
Tania
Commentaires
J'aime beaucoup cet auteur que j'avais découvert avec "D'ailleurs les poissons n'ont pas de pied". J'ai bien entendu noté celui-ci pour le lire quand il sera disponible à la médiathèque. Merci pour ce bel extrait
J'en viendrai sans doute à ce roman-là, dont je n'aime pas trop le titre et qui a récolté tant d'éloges, maintenant que je suis bien entrée dans l'univers de Stefansson.
Oh la la, je ne voulais pas toucher à cette lecture à venir (que je garde comme un bonbon à savourer) mais ce qu'il dit de l'écriture est si essentiel; je vais aussi en recopier des extraits. Cela me touche, car (avant, c'était tous les jours, mais maintenant, cela reste souvent) j'écris, pour moi, pour fixer mes ressentis, MAIS je me dis que ces cahiers un jour, seront lus par un de mes enfants et qu'ainsi un peu, je (re)vivrai. "Nous ne serons pas oubliés"...
Il y a aurait tant à dire sur ce sujet....Merci, une fois encore, Tania!
Ce magnifique passage touche au cœur l'art de cet écrivain islandais qui sait établir une grande connivence avec ses lecteurs.
Oui, écrire laisse des traces de soi, sans savoir si quelqu'un suivra la piste ou non, et permet en tout cas de retrouver des moments de sa vie.
Tu as choisi, parmi d'autres, un magnifique extrait, merci, ça me fait grand plaisir de le relire.
Je relirais bien le livre entier, là, juste maintenant:-)
Avec plaisir, Colo. Quand j'ai découvert ce passage, il s'est imposé illico pour ce billet complémentaire.
Un extrait magnifique. J'avais noté ces lignes également. Merci.
Un tel encouragement à écrire ne peut que séduire qui s'engage comme toi dans l'écriture, jour après jour ! J'ai pensé à toi en le lisant.
Je joins ma voix au concert d'admiration sur ce passage. Oui, écrire est, entre autres, une façon de maintenir le lien entre générations. Dans les familles, mais pas seulement. C'est aussi le lien entre générations de penseurs, d'artistes, qui avancent à travers les siècles dans une sorte de course de relais (j'emprunte la métaphore à Montaigne qui lui même l'emprunte à un auteur antique je ne sais plus lequel). J'ajoute que j'apprécie aussi dans ce passage l'éloge du doute, moteur de tant de progrès. (S'il est bien sûr conjugué à l'écoute). Merci donc, Tania, pour la partage de ces lectures si vivifiantes.
Les textes sont des passerelles, ceux qui écrivent des passeurs,. Ce passage nous inspire - merci d'avoir écrit en passant, Ariane.