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couple - Page 7

  • Quatuor inquiet

    Quatuor inquiet – ou d’un monde inquiet –, c’est dans un avenir indéterminé mais proche qu’Anna Enquist situe l’histoire de quatre musiciens amateurs. Quatuor (Kwartet, 2014, traduit du néerlandais par Emmanuelle Tardif) est un roman sur la musique et l’amitié, sur le deuil et la souffrance, sur le lien social, qui ne touche pas d’emblée, qui fait parfois froid dans le dos. Elle y dessine à petites touches des vies de femmes et d’hommes qui habitent une ville d’eau, Amsterdam peut-être, et y travaillent. On les découvre l’un après l’autre, sans transition. Leurs rendez-vous musicaux apportent à chacun d’eux quelque chose d’essentiel.

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    Le récit s’ouvre sur un vieil homme à la fenêtre de son jardin qu’il néglige « Personne ne lui a encore fait de reproches, mais ce n’est qu’une question de temps. » Un genou mal en point le fait souffrir à chaque déplacement, mais il passe outre pour sortir le violoncelle de son étui : il attend son unique élève, Caroline. Finis les voyages et les concerts, les cours aux élèves les plus doués du conservatoire. A présent, toute l’énergie de ce violoncelliste renommé passe dans l’effort pour paraître encore dynamique, une condition nécessaire pour qu’on le laisse vivre seul dans sa maison. Quand il sort son sac-poubelle, un gamin souriant, dont il se méfie d’abord, lui vient en aide. Est-ce par simple gentillesse ?

    Heleen travaille comme infirmière dans un cabinet médical où son amie Caroline exerce son métier de médecin généraliste. Pleine d’énergie, Heleen veille à tout, au travail et à la maison, elle correspond aussi avec des détenus de longue durée (écrire aux demandeurs d’asile est désormais interdit). Daniel, l’autre médecin du cabinet, s’intéresse au quatuor à cordes dont Caroline et Heleen font partie, comme violoncelle et second violon. Le premier violon est un cousin d’Heleen, Hugo, qui dirige un centre culturel dans l’ancien Palais de la musique ; Jochem, le mari de Caroline, joue de l’alto.

    Daniel aime aussi la musique et parle avec Caroline du Quatuor des dissonances, « le plus beau quatuor de Mozart ». Caroline le connaît bien, elle ne peut se passer de musique classique – « Les mots la fatiguent, la musique lui apporte le repos ». Quel dommage que celle-ci ait perdu son importance, que les enfants ne l’apprennent plus. Heureusement Jochem a du travail à son atelier de luthier, peu pour des instruments neufs, beaucoup de restauration, ça lui va – « C’est de l’ouvrage. Et de l’ouvrage, il en a envie et besoin. Travailler l’aide à rester debout. »

    Au cabinet, ses collègues la ménagent, mais Caroline a le visage fermé quand elle rentre le soir, ne s’intéresse guère au plat que Jochem lui a réchauffé pour manger avant son cours de violoncelle chez Van Aalst, elle chipote avec la nourriture. Lui contient sa colère : « Il est préférable de rester courtois, en reconnaissant que chacun de nous fait son possible et qu’il existe des divergences entre nous. » Quand Caroline propose de donner un mini-concert surprise pour les cinquante ans de Daniel, il n’est pas emballé, mais finit par acquiescer, pour elle.

    Convoqué par l’adjointe au maire chargée de la Culture et des Affaires économiques, Hugo se rend à l’hôtel de ville à vélo. Le bilan d’occupation du Centre est problématique depuis qu’on a dissous les ensembles, l’Orchestre de la Capitale, etc. Les bureaux sont loués à des sociétés, des avocats, et maintenant l’adjointe veut faire du Centre un espace de prestige, un lieu d’accueil pour les missions économiques. Quand il lui promet un devis, elle l’arrête : cet édifice a été bâti par la ville, elle veut en disposer gratuitement. Hugo a compris et n’a plus qu’une envie, sortir de là. Encore un lieu perdu pour la musique.

    Reinier Van Aalst a été le professeur de Caroline pendant trois ans au Conservatoire, jusqu’à ce qu’elle se décide pour la médecine – option qui présentait plus de sécurité, plus d’utilité à ses yeux. Aucune des difficultés du vieil homme ne lui échappe quand il lui ouvre la porte, mais elle ne dit rien. Il la fait rire en lui demandant si elle croit réussir « à maigrir encore » et résume sa philosophie : « accepter les choses telles qu’elles sont ». Alors elle ose s’inquiéter de son mal au genou, des médicaments qu’il prend, avec la grille d’évaluation « d’autonomie fonctionnelle » en tête : « Capacité à effectuer les travaux ménagers, à faire les commissions, mobilité, gestion, productivité, hygiène. » Trop de cases vides et on procède au « transfert » du patient qu’on ne reverra plus. Aussi le vieux professeur veille à masquer son infirmité au maximum et préfère entamer la leçon.

    « On peut être à la fois grosse et belle », dit son mari à Heleen, qui prend plaisir à bien les nourrir, lui et ses trois fils. Elle se dit une fois de plus qu’elle devrait « juste éviter de suivre leur rythme » et manger moins, plus lentement. Quand ils partent s’entraîner au club de foot, elle en profite pour écrire des lettres, en suivant les consignes de discrétion en ce qui la concerne, tout en parlant de ce qu’elle fait.

    C’est à la première répétition du quatuor que les drames personnels se précisent : la petite fille d’Hugo, divorcé, est chez sa mère. Il la confie parfois à Caroline et Jochem, avec un peu d’inquiétude – ils ont perdu leurs deux enfants dans un accident de car et, dévastés par le deuil, n’arrivent plus à communiquer entre eux. Anna Enquist sait de quoi elle parle, elle a perdu sa fille dans un accident en 2001. « Ça pourrait être du Bergman. C’est du Bergman. Une intrigue infime, des silences lourds de sens, des chagrins indéracinables, des âmes nues titubant de chagrin… » écrit Florence Noiville dans Le Monde des livres.

    « Musicienne, pianiste concertiste, Anna Enquist est aussi psychothérapeute, spécialité qu’elle a longtemps exercée en milieu hospitalier. » (Quatrième de couverture) Axé sur les relations entre les personnages, Quatuor aborde sans fioritures les aléas de l’existence dans une société qui ne donne plus la priorité à l’humain, où les responsables politiques sont incapables ou corrompus, et où chacun s’efforce de résister à sa façon. Une fois le décor planté, la romancière confronte le quatuor à une épreuve inattendue et le climat romanesque bascule. C’est très « tenu » et d’autant plus violent, dramatique.  

  • Argent de poche

    Wiazemsky Un an après.jpg« Je parlais avec Rosier car j’étais inquiète de ce qui nous opposait souvent Jean-Luc et moi. Elle me rassurait : selon elle, tous les hommes traversaient une sévère remise en question aux approches de la quarantaine. Elle était sûre qu’il m’aimait même si la politique, pour l’instant, l’emportait sur le sentiment amoureux. Par contre, elle me trouvait trop dépendante. Quand elle apprit que je n’avais pas de compte en banque ni de carnet de chèques et que Jean-Luc me donnait quand je le souhaitais de l’« argent de poche », elle fut horrifiée. « Mais tu travailles, tu gagnes ta vie ! C’est lui qui touche tes chèques ? – Heu, je crois. » Elle me persuada de remédier à cette situation, je promis et n’en fis rien : au fond, cela me convenait. »

    Anne Wiazemsky, Un an après        

  • 68 par Wiazemsky

    Anne Wiazemsky a raconté ses débuts au cinéma dans Jeune fille, sa rencontre avec Jean-Luc Godard dans Une année studieuse. Un an après commence quand elle s’installe avec le réalisateur devenu son mari dans le Quartier Latin (son rêve d’adolescente) au 17 de la rue Saint-Jacques. C’est juste en face de l’église Saint-Séverin, ce qui enchante son grand-père, François Mauriac. 

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    Anonimo : Anne Wiazemsky et Jean-Luc Godard. Fotografia scattata durante le riprese del film One plus one, 1968 © Galerie Obsis

    Depuis la fin de l’été 1967, « Rosier et Bambam » sont entrés dans la vie du couple Godard, elle, une grande styliste, et lui, Jean-Pierre Bamberger, directeur d’une usine de textile. Quand ils sont à Paris, ils se voient souvent, dans leur appartement rue de Tournon ou à la brasserie Balzar. Godard et sa femme font la tournée des universités américaines pour présenter La Chinoise et en débattre avec les étudiants, ce qu’apprécie le cinéaste mais pas elle, que cela ennuie vite. 

    « Se réveiller ensemble et se retrouver le soir étaient à ses yeux l’essentiel » ; elle note dans son journal : « Aimer m’enlève toute mon indépendance. » Les propositions se succèdent au cinéma : elle se charge de la photo pour Michel Cournot (Les Gauloises bleues), joue pour Pasolini (Théorème). Début 1968, elle accompagne Godard à La Havane, où elle se sent gênée par l’attitude de « dévotion » des officiels du cinéma cubain envers lui.

     

    A Paris, on s’agite : Truffaut a télégraphié à Godard pour qu’il rentre après que le président de la Cinémathèque, Henri Langlois, a été remplacé « sur décision gouvernementale ». La défense de Langlois s’organise. Le 14 février, ils participent à une manifestation pour réclamer la démission de Malraux, ministre de la culture, et la réouverture de la Cinémathèque. Quand ils veulent faire ouvrir ses portes de force et aussi celles du TNP, la police réplique à coups de matraque, le choc est violent.

     

    Le 3 mai 1968, elle a cette journée en tête en rentrant chez elle : « Il régnait une atmosphère d’émeute aux abords de la Sorbonne. » Un meeting doit s’y tenir le soir, on a fermé l’université de Nanterre. Quand tout à coup des étudiants affluent de partout, la bousculent, elle reste paralysée de peur jusqu’à ce que l’un d’entre eux la gifle : « Ne reste pas ici, connasse. » Elle court alors jusque chez elle, hébétée. Godard, inquiet, lui téléphone et conseille d’écouter la radio sur Europe numéro 1.

     

    A partir de là se déroule l’histoire des Godard en plein mai 68, alternant tournages, manifestations, rencontres, discussions. Jean-Luc ramène à leur appartement Jean-Jock, un jeune homme aux cheveux longs et sales, convaincu qu’ils sont « à la veille du Grand Soir ». Il tutoie Anne, l’appelle « camarade », elle s’en irrite mais s’amuse de ses airs de « petit garçon » et surtout, elle sent que Godard est séduit par sa jeunesse et son enthousiasme.

     

    C’est avec eux et leurs amis du cinéma qu’on revit les péripéties parisiennes, les affrontements, les débats qui les opposent – Godard est souvent en désaccord même avec ses amis les plus proches. Il ne veut plus manger dans un restaurant « bourgeois », sa seule préoccupation est de se joindre au mouvement, de rencontrer les étudiants et les lycéens, de remettre le système en question.

     

    L’atmosphère est parfois bon enfant, mais plus le temps passe, plus elle devient violente. La famille d’Anne s’inquiète, pour elle et pour son frère Pierre qui accompagne partout les étudiants et photographie les événements. De leurs fenêtres rue Saint Jacques, ils peuvent observer les charges et les attaques, le va-et-vient des ambulances. Godard, passionné, déclare qu’il ne veut plus faire du cinéma comme avant et lance à Cournot : « le cinéma dont tu parles est mort ! »

     

    Anne Wiazemsky ne dissimule pas son irritation devant les débordements, le radicalisme de Godard, et accepte avec plaisir l’invitation de Rosier et Bambam qui partent pour le Midi : dans la belle villa de Pierre et Hélène Lazareff (mère de Rosier) au bout d’une presqu’île, c’est l’éblouissement, le calme, il ne lui manque que la présence de Godard. Une chatte blanche et rousse saute dans sa chambre et lui tient compagnie. Anne va se baigner nue dans la mer, se sent véritablement en vacances, savoure la détente.

     

    Quand Godard vient les rejoindre – Truffaut l’a appelé de Cannes pour arrêter le festival –, il  critique tout : cette chambre luxueuse, son bronzage de vulgaire starlette, son refus de l’accompagner à Cannes. Rosier parvient à le calmer, Anne est déçue par la tension qu’il a provoquée dès son arrivée. Avec Rosier qui estime que « le génie n’excuse pas tout », elle peut en parler – « L’enfant, c’est lui, pas toi », leur amie la rassure. Bien sûr, ils vont se réconcilier, Godard lui déclarer à nouveau son amour et puis, ils rentrent à Paris en voiture, grâce aux pleins d’essence assurés par des amis en cours de route, les stations étant fermées.

     

    A mi-lecture dans Un an après, quasi tous les éléments du récit – sous-titré « roman »  sont en place. Anne Wiazemsky décrit les bons moments et les autres, les grandes rencontres et les petits côtés d’une vie de couple où, malgré l’admiration mutuelle, on sent poindre un désenchantement. Mai 68, année de libération ?

     

    A la fin d’un entretien publié sur le site de l’éditeur, elle précise : « Mais là, même si ce n’est pas compréhensible tout de suite pour l’héroïne, le conte de fées se fissure. C’est à la toute fin de l’écriture que j’ai décidé de mettre les choses au point. Si l’histoire ne s’arrête pas là dans les faits, elle s’arrête quand je cesse d’être ce témoin privilégié. En dire plus, c’était m’éloigner du noyau du livre, qui est l’histoire de « ces deux-là », d’Anne et Jean-Luc, qu’il fallait terminer. Pour reprendre une phrase de Truffaut, je n’ai pas dit toute la vérité, mais je n’ai dit que des choses vraies – et c’est aussi valable pour les sentiments que pour la révolution ! »

  • Fasciné

    Tuil couverture Poche.jpg« On vit bien dans le non-dit, personne ne demande où est le père. Le mensonge, les perspectives d’intégration et d’évolution qu’il offre. La vie comme une fiction à vivre au jour le jour. Le roman dont il est le héros. Ces possessions qu’il s’invente. Et sa capacité à esquiver les coups, quelle que soit la violence de l’attaque. Une telle aptitude au rebond, ça l’épate lui-même. Avec une imagination pareille, il pourrait être écrivain, mais déjà, à quinze ans, il est trop fasciné par l’argent et la liberté qu’il procure pour se limiter à une carrière artistique dont il pressent qu’elle l’encagerait. Il pense : je vais/je veux réussir, fût-ce sur les fondements d’une histoire créée de toutes pièces. »

     

    Karine Tuil, L’invention de nos vies

     

  • Sam, Samuel et Nina

    Karine Tuil raconte dans L’invention de nos vies l’histoire de Sam, Samuel et Nina. Variation contemporaine sur le trio amoureux, entre Paris et New York, mais pas seulement : l’identité, la culture, le couple, le mensonge, le sexe, les relations sociales, l’écriture, l’ambition et beaucoup de thèmes d’actualité nourrissent ce roman à suspense.

     

    tuil,karine,l'invention de nos vies,roman,littérature française,trio,amour,couple,identité,mensonge,réussite sociale,écriture,culture© http://www.parisnewyork.info/

    Samuel Baron, éducateur social à Clichy-sous-Bois, n’en revient pas de reconnaître sur CNN son ami de la fac de droit, Samir Tahar, devenu un virtuose du barreau new-yorkais, très séduisant dans un costume sur mesure. Défenseur des familles de deux soldats morts en Afghanistan, il affiche « la morgue et l’assurance d’un homme politique en campagne ».

     

    Nina les a aimés tous les deux, quand elle avait vingt ans, dans les années 1980. Elle était déjà en couple avec Samuel, « un homme dont toute l’existence était une somme de névroses et dont l’ambition – la seule – était de faire de cette souffrance mentale la matière d’un grand livre ». A ses dix-huit ans, ses parents français d’origine juive, communistes, profs de lettres, avaient appris à Samuel que sa mère polonaise l’avait abandonné après sa naissance, et qu’ils l’avaient adopté.

     

    A la consternation de ses amis, son père avait choisi de l’appeler Samuel, de le faire circoncire, « alors qu’il ne l’était pas lui-même », et de changer son propre prénom Jacques en Jacob en renouant avec ses racines juives. Quand tout cela lui est révélé, Samuel quitte la maison de ses parents pour toujours. Seule compte pour lui Nina dont il est fou amoureux. Très belle, elle aussi vit « sans confiance » et « sans repères », sa mère est partie quand elle avait sept ans, son père militaire s’est mis à boire.

     

    Samir, fils d’immigrés tunisiens, est « l’électron libre » de la petite bande, jusqu’au drame : les parents de Samuel meurent dans un accident de voiture. Samuel ne peut échapper à son rôle de fils et accompagne leurs corps en Israël, confiant Nina à son meilleur ami. Mais jamais Samir ne résiste à ses désirs, il couche avec elle, tombe amoureux, la somme après quelques mois de liaison secrète de choisir entre Samuel et lui. Nina hésite, une tentative de suicide de Samuel la retient.

     

    Ils ont renoncé alors tous les deux aux études de droit, Samuel a suivi des études de lettres par correspondance et Nina a fait des petits boulots avant de devenir mannequin pour les catalogues de grandes enseignes commerciales. C’est pourquoi ils restent « pétrifiés » devant la réussite sociale de Samir, vingt ans plus tard.

     

    Mais ce n’est pas Samir qui fête ses quarante ans, c’est Sam. Ce n’est pas le « bon musulman » que sa mère espère, comme elle le lui écrit dans une lettre qu’il prend soin de détruire, mais le mari juif de Ruth, « la fille de Rahm Berg ». Son père, « l’une des plus grosses fortunes des Etats-Unis, le client le plus important du cabinet », l’a pris pour un juif séfarade, a fait confiance à Pierre Lévy, un célèbre avocat français qui a mis Sam Tahar à la tête de la succursale new-yorkaise. Celui-ci ne les a détrompés ni l’un ni l’autre.

     

    Samuel et Nina, en cherchant des informations, tombent sur un un portrait de Sam Tahar dans le Times. Déjà éberlués d’apprendre que Sam est juif à présent, Nina et Samuel n’en reviennent pas : dans l’article, c’est le passé de Samuel que raconte Sam Tahar, l’accident de ses parents comme si c’étaient les siens, il prétend même s’appeler Samuel – il lui a volé son histoire.

     

    Ils avaient cru oublier Samir, mais à présent il les obsède, ils ne peuvent plus vivre comme avant. Samuel veut que Nina reprenne contact avec lui, pour le démasquer. Nina refuse d’abord puis cède, « elle accepte alors qu’elle sait, au fond, que c’est elle qui sera piégée. » Elle n’a pas oublié Samir, elle pourrait encore l’aimer. Ensemble, ils vont tenter de le mystifier.

     

    Une fausse identité, c’est encore trop peu pour Sam Tahar. Incapable de résister aux jolies femmes, il prend des risques, les attire dans sa garçonnière, persuadé de ne pas éveiller le moindre soupçon chez Ruth, la mère de ses deux enfants. Elle l’a bien cru, et son père aussi, quand il a prétendu ne plus avoir de famille. Ruth ignore tout de l’existence de sa belle-mère Nawel, du demi-frère de Sam, fils d’un notable dont elle était la femme de ménage.

     

    L’engrenage fatal se met en branle : « Nina Roche a appelé », annonce sa secrétaire à Sam Tahar, et l’homme « parfait » qui s’est « composé un personnage comme un auteur crée son double narratif » ne peut que céder à son envie de l’appeler, de la revoir, et de prendre l’avion sous le prétexte d’une affaire à régler à Paris.

     

    On en est à la centième page, au cinquième du roman, et la vie du trio va connaître bien des rebondissements. Sam est le plus fort au jeu du paraître, Samuel le plus en souffrance, et Nina la plus faible – le moins crédible des trois personnages. La romancière ne craint pas la caricature et l’invraisemblance, mais son thriller tient tout de même en haleine, avec « efficacité » – le mot est de Bernard Pivot, enthousiaste.

     

    Le titre, L’invention de nos vies, annonce aussi, disséminée dans l’intrigue, une réflexion sur l’écriture et l’invention romanesque. Le texte est très rythmé, avec un usage inattendu de la barre oblique et des notes en bas de page. « Chaque homme doit inventer son chemin », écrivait Sartre. Ici, c’est l’interaction entre les trois membres du trio, sans oublier les personnages secondaires et les contextes sociaux, qui fait avancer le récit et exploser le drame, forcément.