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  • Envie d'apprendre

    coe,billy wilder et moi,roman,littérature anglaise,billy wilder,cinéma,tournage,fedora,musique de film,roman d'apprentissage,culture« J’avais envie d’apprendre tout ce que je pouvais sur Billy Wilder, bien sûr, mais ce n’était pas facile. Parfois, quand mes filles étaient beaucoup plus jeunes et que j’avais vraiment envie de leur flanquer la frousse, je leur racontais la vie dans les années 1970 : le nombre ridicule de chaînes de télé et de stations de radio, qui pour la plupart ne diffusaient que quelques heure par jour ; pas d’Internet, pas de réseaux sociaux ; pas de portables, pas de tablettes, pas moyen de revoir un film s’il ne passait pas au cinéma ou à la télé, ni d’écouter sa musique n’importe où, pas de téléchargements, pas de streaming. Leurs petits yeux s’écarquillaient et leur respect et leur admiration pour Geofffrey et moi étaient décuplés par le fait de savoir qu’on avait traversé ces années de privation, survécu à l’absence de ce qu’elles considéraient comme les droits humains les plus fondamentaux. »

    Jonathan Coe, Billy Wilder et moi

  • Coe & Billy Wilder

    La presse anglaise s’est montrée très positive pour le dernier roman de Jonathan Coe, Billy Wilder et moi (Mr Wilder and Me, 2020, traduit de l’anglais par Marguerite Capelle, 2021). Le début m’a beaucoup plu, ensuite je l’ai trouvé longuet, même s’il reste sous les trois cents pages. Ce roman diffère de ceux de l’écrivain que j’avais déjà lus, raison de plus de m’y intéresser.

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    L’intrigue débute à Londres, en 2013, quand la vue d’une mère et de sa fille se donnant la main sur un escalator rappelle à Calista (l’héroïne et la narratrice) comment réagissaient ses deux jumelles à cet âge de sept ou huit ans où « le simple fait de marcher ne leur suffisait pas toujours », ce qui les faisait sautiller ou bondir pour le plaisir du mouvement. Le lendemain, Ariane, son aînée, prendra l’avion pour Sidney, les laissant seuls, Geoffrey et elle, avec « le cas Fran », leur autre fille passée « de façon brutale et spectaculaire (…) du statut d’enfant à celui de problème ».

    Au bar de la Bafta, Calista reconnaît Mark, la soixantaine, qui depuis des années n’arrive pas à faire aboutir son projet de film. Ils parlent de cinéma, comme toujours. Mark a vu le film récent dont elle lui parle, il cite « un jeune compositeur de musique de film et d’illustration, à la renommée grandissante » et nommé aux Oscars – en ignorant que « le petit motif joué au marimba », qui a marqué tout le monde, était d’elle, en réalité.

    Pour l’instant, elle travaille sur « une petite suite, pour orchestre de chambre » qui s’intitulera « Billy ». Calista est non seulement fan de Billy Wilder, mais elle était présente sur le tournage de « Fedora », « l’histoire d’un producteur de cinéma vieillissant, qui essaie de faire un film complètement en décalage avec son époque ». Elle n’est pas loin d’y voir un rapport avec sa propre situation : elle a été une bonne compositrice et une bonne mère et « maintenant, voilà qu’en gros, on [lui] dit qu’on n’a plus besoin de ces deux compétences. »

    Ariane envolée, voilà sa mère plongée dans ses souvenirs de juillet 1976, quand elle avait quitté sa propre mère pour faire le tour de l’Amérique en bus durant trois semaines, sac au dos. Assez vite, elle avait fait connaissance avec Gill, une jeune Anglaise d’à peu près son âge (vingt et un ans), puis de Stephen, dont Gill était tombée amoureuse. A Los Angeles, Gill était censée dîner avec Billy, un ami de son père à Beverley Hills, sans trop savoir comment celui-ci avait connu ce réalisateur de cinéma plutôt âgé.

    Leurs shorts en jean raccourci et leurs tee-shirts minables n’avaient pas plu au portier du restaurant où elles étaient attendues, mais Gill avait insisté, donné son nom, et finalement elles étaient arrivées à une table où deux sièges les attendaient, face à face, entre deux couples, Billy Wilder et son épouse Audrey, et, plus élégants, Mr Diamond et sa femme Barbara.

    Toute cette scène du restaurant est formidable, très réussie, avec une conversation sur le cinéma, forcément. A cette époque, Calista n’y connaissait rien, ni Gill qui cite « Les Dents de la mer », ce qui provoque chez Billy Wilder et son co-scénariste moult commentaires et soupirs. Gill finit par les planter là pour aller rejoindre Stephen. Quant à Calista, elle boit trop de vin ; le lendemain matin, elle se réveille dans l’appartement des Wilder qui l’ont ramenée chez eux après qu’elle s’est évanouie au restaurant.

    Une autre surprise, ce sera, en mai 1977, l’appel de la production grecque pour le tournage de « Fedora » – Wilder a fait engager Calista pour « services d’interprétation ». A Corfou, en arrivant à l’hôtel où a lieu le dîner de l’équipe, elle réalise qu’elle est de nouveau à côté du code vestimentaire, trop habillée cette fois. Mais ses connaissances sur Billy Wilder ont nettement progressé grâce à la lecture attentive d’anthologies de cinéma.

    Jonathan Coe s’est abondamment documenté pour raconter le tournage  de « Fedora », il donne ses sources à la fin du livre. On suit donc les aléas d’un tournage en Grèce, avant d’aller à Munich – une séquence très importante sous la forme d’un synopsis, où on découvre les racines européennes du cinéaste – puis à Paris et enfin à Londres, où la fille cadette de Calista hésite encore à prendre une décision importante.

    La musique de film est largement présente dans Billy Wilder et moi, « testament hollywoodien » (Le Monde)  qui a de quoi ravir les cinéphiles et divertir les lecteurs. Pas étonnée de lire sur Wikipedia l’annonce d’une adaptation cinématographique par Stephen Frears du roman, adapté par Christopher Hampton. La classe !

  • L'interview

    Coe Le coeur de l'Angleterre.jpg« L’interview parut quatre jours plus tard. Philip et Benjamin s’étaient donné rendez-vous pour boire un café chez Woodlands, afin d’évaluer les dégâts.
    « Bah… c’aurait pu être pire », dit Philip.
    Le journal était étalé sur la table entre eux. Benjamin ne répondit rien.
    « Elle aurait pu te dézinguer pour de bon. »
    Benjamin ne répondit pas davantage. Il prit le journal et regarda de nouveau le titre. Il avait bien dû le lire quarante ou cinquante fois mais son incrédulité restait entière.
    BENJAMIN TROTTER, L’ILLUSTRE INCONNU QUI CONNAÎT DU BEAU MONDE
    « C’est malhonnête, dit-il. Cette façon de tourner ce que j’ai dit. Quelle mauvaise foi ! »

    [...]

    « Philip prit le journal des mains tremblantes de son ami et lut : « Depuis le confort de sa retraite le long de la Severn, au cœur de la campagne anglaise, Trotter déclare que le "multiculturalisme est un phénomène urbain. J’ai quitté Londres pour échapper à tout ça." » Ce sont tes propres termes ? »
    Benjamin en bredouillait d’indignation : « Mes propres termes plus ou moins, oui, sauf qu’il y en avait des tas d’autres avant, à savoir que je voulais échapper au bruit et à la cohue, au stress.
    – La citation tronquée, c’est tout un art. »

    Jonathan Coe, Le cœur de l’Angleterre

  • L'Angleterre profonde

    Publié en 2018, Le cœur de l’Angleterre de Jonathan Coe (Middle England, traduit de l’anglais par Josée Kamoun, 2019) est une chronique des années 2010 jusqu’au Brexit. Par ses personnages principaux, Benjamin Rotter et Douglas Anderton, elle remonte aux années 1970 ; tous deux sont de la promotion 78 du Collège King William à Birmingham. Vous aurez peut-être reconnu les amis de Bienvenue au Club (The Rotter's Club) et du Cercle fermé (réunis sous le titre Les enfants de Longbridge), mais il n’est pas du tout nécessaire de les connaître pour apprécier ce roman.

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    En avril 2010, Benjamin et son père quittent sans dire au revoir le pub où ils se sont réunis après l’enterrement de sa mère. Comme son père n’a pas envie de se retrouver seul, Benjamin l’emmène chez lui, dans le moulin sur la Severn qu’il a acheté après avoir très bien vendu son trois-pièces londonien. Ils y sont bientôt rejoints par Lois, sa sœur bibliothécaire, et sa fille Sophie, inquiètes qu’il ne réponde pas (il avait éteint son portable), puis son ami Doug. A son frère Paul, revenu de Tokyo, Benjamin n’a pas dit un mot, ils ne se parlent plus depuis six ans.

    A cinquante ans, Benjamin vit seul dans cette grande demeure, où il rêvait de passer ses vieux jours avec Cicely Boyd, l’amour de sa vie. Celle-ci, atteinte de sclérose en plaques, est partie en Australie pour un traitement qui a bien réussi et y est restée – tombée amoureuse d’un médecin. Doug et Benjamin évoquent la situation sociale (Doug est commentateur politique), sa femme (qui ne dort plus avec lui) et leur fille Coriandre. Quand il se retrouve dans sa chambre, Benjamin peut enfin écouter une chanson de Shirley Collins (Adieu to Old England) qu’il écoutait avec sa mère, partie en quelques semaines, et pleurer tout son saoul.

    Avec l’évolution de la société et de la politique anglaises, la vie de couple et la famille, la musique et l’écriture sont les principaux thèmes du roman. Sophie, la nièce de Benjamin, a connu plusieurs déceptions sentimentales ; elle rejoint souvent à Londres son ami gay, Sohan, sa seule relation stable. Décidée à rencontrer un type bien bâti qui la change des universitaires, elle aura le coup de foudre pour Ian qui anime avec Naheed des stages de sensibilisation à la bonne conduite automobile, rencontré après un excès de vitesse (58 en zone 50).

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    De nouvelles nominations à Downing Street amènent Doug à des contacts réguliers avec Nigel Ives, attaché de presse pour David Cameron. Quant à Benjamin, il rencontre Philip Chase, un ami devenu éditeur de sujets historiques, à la grande jardinerie Woodlands (on y trouve de tout et même un restaurant), leur lieu de rendez-vous à mi-distance entre eux. Ils s’y entretiennent avec un auteur qui a écrit un texte refusé partout à propos d’un projet d’Etat paneuropéen où « l’homme à venir serait métissé ». La question de l’immigration est un autre leitmotiv du récit.

    Quand Sophie s’est installée chez Ian, elle l’accompagne voir sa mère qui est veuve, Helena. Ian lui rend visite tous les dimanches. Sophie trouve Helena, grande femme de 71 ans, « redoutable ». Elle se plaint des petits commerces d’antan qui ont disparu, s’étonne du sujet de la thèse de Sophie, une étude des portraits d’écrivains européens noirs au dix-neuvième siècle comme Pouchkine, Dumas.

    Quant à Coriandre, la fille de Doug, elle est bouleversée par la mort d’Amy Winehouse. A quatorze ans, elle est en crise, ne supporte ni son père de gauche ni sa mère qui s’occupe d’œuvres de bienfaisance,  ni l’école privée où l’ils ont inscrite. Quand des émeutes éclatent à la suite du meurtre d’un Noir par la police, elle y prend part, attirée par « le goût vivifiant de la colère ».

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    Une succession d’affrontements liés au racisme ou au refus de la mondialisation révèlent la « ligne de fracture abyssale dans la société britannique ». Au mariage de Sophie et Ian, les seules personnes de couleur sont Sohan et Naheed, assis l’un près de l’autre. Quand sa collègue Naheed aura droit à la promotion que Ian espérait, à part Sophie, tout son entourage mettra cela sur le compte du pouvoir croissant des minorités et du politiquement correct.

    Depuis des années, Benjamin écrit une fresque de l’histoire européenne depuis l’entrée de la Grande-Bretagne dans l’Union en 1973 et compile des fichiers musicaux qui l’accompagnent. Sur les conseils de son ami éditeur, il renonce aux considérations « historico-politiques » et accepte de ne publier que l’histoire de son amour pour Cicely, sous le titre « Rose sans épine ». Benjamin est resté très proche de sa sœur Lois, qui a vécu un drame dans sa jeunesse, et il l’aide à prendre soin de leur père.

    Voilà les principaux ingrédients que fait mijoter Jonathan Coe dans Le cœur de l’Angleterre, un roman savoureux, riche en réflexions, en rencontres des corps, des cœurs et des esprits, avec l’un ou l’autre intermède à Marseille ou en croisière sur la Baltique. A travers l’éloignement entre Londres et l’Angleterre profonde, entre les élites et le peuple, attisé par les médias, on perçoit comment le Brexit s’est imposé au Royaume-Uni et l’a profondément divisé. On y reconnaît notre époque que l’écrivain décrit avec ce qu’il faut d’ironie pour ne pas verser dans trop de mélancolie. (Un seul regret : n’avoir pas pris note de tous les morceaux musicaux cités, comme cet émouvant Envol de l’alouette de Ralph Vaughan Williams.)

  • Bien sûr

    Coe Nr 11.jpg« Rachel se prenait d’amitié pour Livia. Elle était musicienne de formation et jouait dans un quatuor à cordes qui donnait parfois des récitals à Londres, ce qui, bien sûr, ne lui rapportait rien. C’était son activité de promeneuse de chiens qui lui garantissait un maigre revenu. Elle jouait du violoncelle, et sa voix évoquait cet instrument par sa profondeur sonore et sa richesse mélancolique. Elle parlait lentement et avec soin ; son accent roumain très prononcé la rendait parfois difficile à comprendre. »

    Jonathan Coe, Numéro 11