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La folie des temps

C’est en avançant dans Numéro 11, le dernier roman de Jonathan Coe (2015, traduit de l’anglais par Josée Kamoun) que l’on prend la mesure de son sous-titre – « Quelques contes sur la folie des temps » – et de l’autocitation en épigraphe, tirée de Testament à l’anglaise, dont j’extrais cette phrase : « il arrive un moment où la rapacité et la folie deviennent impossibles à distinguer ».

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Rachel et son frère Nicholas sont à la campagne chez leurs grands-parents. Juste avant le crépuscule, en se dirigeant vers la grande église de Beverley qu’ils voudraient visiter, ils aperçoivent deux personnes étranges, l’une en fauteuil roulant, l’autre un faucon sur le bras, et suivent leur jeu avec l’oiseau qui pique et repique vers un leurre, avant d’être chassés par celle qu’ils appelleront « la Folle à l’oiseau », aux impressionnants tatouages bleu vert dans le cou.

« Tel est le paradoxe : pour ne pas perdre la raison, j’en suis réduite à me dire que je deviens folle. » Ce sont les mots de Rachel, des années plus tard, quand elle se met à écrire pour éviter l’ennui et surtout échapper à ses chimères. Une amie lui a conseillé de commencer par le commencement, et Rachel raconte d’abord le séjour qu’elle a fait à Beverley avec Alison, durant l’été 2003.

Alison et elle ne se connaissaient pas tellement, c’étaient leurs mères qui étaient amies ; elles s’amusaient à grimper dans un prunier. Rachel avait alors dix ans et ne comprenait pas grand-chose aux commentaires de ses grands-parents sur la mort du Dr David Kelly, ancien inspecteur de l’ONU en Irak. On avait découvert son cadavre dans un bois voisin et conclu à un suicide.

Quand Alison ramène du bois une drôle de carte à jouer ornée d’une horrible araignée, qu’elle a ramassée près d’un cadavre, prétend-elle, elles décident d’y retourner : aucun cadavre, mais bien une autre carte que quelqu’un attrape avant que Rachel puisse s’en emparer – c’est la Folle, qui leur intime de dégager. La grand-mère de Rachel dit que cette femme a hérité de la maison de la vieille dame. Alison, qui ne manque ni d’audace ni d’imagination, persuade Rachel d’aller y jeter un coup d’œil. Ce sera l’occasion de nouvelles frayeurs et de découvertes inattendues.

On découvrira plus tard la mère de Rachel, le malentendu qui brise l’amitié entre Rachel et Alison – celle-ci a choisi des cours d’art, Rachel va étudier à Oxford – et comment une émission de téléréalité entre dans leurs vies. C’est à Oxford que Rachel fait la connaissance de Laura, un professeur qui s’intéresse au monstre du Loch Ness et à la commercialisation de la peur.

« Le jardin de cristal », « Le prix Winshaw », Jonathan Coe ouvre de nouvelles pistes dans les récits qui composent Numéro 11 et attise la curiosité des lecteurs en reliant ce qu’on prend d’abord pour une digression à l’intrigue principale, ou plutôt à sa protagoniste, Rachel Wells, et sa famille, ses amies, sa vie. Il y mêle une enquête policière où l’on s’amuse à suivre un duo bien connu, le chef qui plastronne et le policier discret dont « l’analyse des contextes » porte ses fruits.

Engagée grâce à Laura par une famille richissime qui cherche une préceptrice pour ses enfants, Rachel va découvrir le confort et les dérives de l’hyperluxe dans un quartier chic où les résidences s’agrandissent par le sous-sol. Un monde où certains prennent l’avion comme d’autres l’autobus. Tandis qu’elle essaie de donner de temps à autre à ses élèves une idée du monde réel en les sortant de leur cocon, c’est elle-même qui glisse peu à peu dans une réalité étrange et menaçante.

Numéro 11 – au titre polyvalent – est une formidable extrapolation de la société anglaise contemporaine (la nôtre) : clandestins, minorités, esclavage moderne, médecine à deux vitesses, coupes dans les services publics, réseaux sociaux, médiatisation, communication politique, estimation financière des émotions, optimisation fiscale… « C’est l’argent lui-même qui s’est mis à vampiriser cette belle ville. » Même si le recours au fantastique pour régler des comptes m’a semblé frustrant, le roman de Jonathan Coe divertit et passionne, avec beaucoup d’intelligence.

Commentaires

  • Je garde un bon souvenir des précédents livres de Jonathan Coe. Alors pourquoi pas celui-ci, le seul problème restant la hauteur de la pile !

  • @ Keisha : Je suis allée relire ton billet, j'ajoute le lien ici : http://enlisantenvoyageant.blogspot.be/2017/01/numero-11.html

    @ Adrienne : Oui, oui, un bon roman.

    @ Annie : Ce titre était noté depuis un certain temps et, tu vois, son heure a fini par arriver.

  • Des titres en attente, ce n'est pas un problème, ce sont de délicieuses réserves, non ? Bonne journée, Aifelle.

  • Ah, dis donc, c'est tentant tout cela !!! Je ne connais pas du tout cet auteur... "une délicieuse réserve" (j'aime beaucoup ce propos) notée sur mon calepin. Merci Tania, bises ensoleillées et mistraleuses. brigitte

  • @ Plumes d'Anges : Merci pour ce soleil, même accompagné de mistral !
    Bonne soirée, Brigitte, bises.

    @ Dominique : Des intrigues diverses qui finalement se relient, la construction romanesque est originale et, en effet, l'auteur aborde beaucoup de questions contemporaines.

  • Un grand plaisir à la lecture, il y a une quinzaine de mois. Cela se met en place, on suit Coe avec confiance et ça marche ☺

  • @ K : J'avais ce titre en ligne de mire depuis votre liste de cette année-là, bien d'accord avec votre avis.

    @ Claudialucia : Un roman qui m'a captivée - bonne lecture, Claudialucia.

  • voilà un certain temps déjà qu'il m'attend dans ma pile à lire - je crois que cela va beaucoup me plaire :)

  • J'avais beaucoup aimé Testament à l'anglaise mais je n'ai aps tout aimé les COe, je note celui-là mais j'en ai encore deux dans ma PAL ( Expo 58 et bienvenue au club). Je sais que je continuerai de lire cet auteur

  • Tu es donc prête pour la suite, "Numéro 11" prolongeant d'une certaine manière "Testament à l'anglaise" que je n'ai pas encore lu pour ma part.
    "L’unique enfant apparaissant dans "Testament à l’anglaise" est Josephine Winshaw, la fille d’Hilary, ce qui ne me laissait pas d’autre choix que d’en faire un personnage important de "Numéro 11"" (dixit l'auteur dans un entretien).

  • Je suis allée relire ton billet sur "Numéro 11" (pas dans l'index des auteurs), je rejoins ta lecture - et l'excellent extrait sur la "valeur hédonique" (je reprends le lien). Bon dimanche, Lewerentz.
    http://nezdanslivres.blogspot.be/2016/11/numero-11-jonathan-coe.html

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