Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

couple - Page 9

  • Ceux de Sunset Park

    Pourquoi Miles Heller est-il parti de chez lui ? Dans Sunset Park (traduit de l’américain par Pierre Furlan cette fois, et non plus par Christine Le Bœuf qui suivait Paul Auster depuis ses débuts en français), le personnage principal, 28 ans, travaille en Floride pour une entreprise chargée d’enlever les rebuts dans les maisons récupérées par les banques locales, le plus souvent dans un terrible état d’abandon et de saleté. Miles vit de petits boulots depuis qu’il a quitté New-York, ses parents, l’université, il y a sept ans et demi, sans explications. Depuis il s’efforce de vivre sans projet, sans désir, frugalement, au jour le jour.

    auster,sunset park,roman,littérature américaine,etats-unis,new york,amour,amitié,crise,couple,culture

    Alors qu’il songe à repartir, il fait connaissance dans un parc, où ils sont tous deux occupés à lire la même édition de Gatsby, avec une jeune femme de dix-sept ans, Pilar Sanchez. Miles lui dit que ses parents sont morts, elle parle de la maison qu’elle partage avec ses trois sœurs. Sa curiosité de lectrice, son vocabulaire, son intelligence, sa beauté, tout lui plaît chez Pilar, mais elle est mineure. Et quand elle s’installe chez lui (il a soudoyé ses sœurs en imitant pour une fois ses collègues qui ne se gênent pas pour dérober des objets de valeur), ils font très attention pour ne pas être remarqués ensemble en public.

    Miles n’a raconté à personne les circonstances exactes de la mort de son jeune demi-frère. Miles est le fils de Morris Heller, des éditions Heller Books (fondées par lui) et de Mary-Lee Swann, actrice, qui les a quittés six mois après sa naissance. Bobby était le fils du premier mariage de Willa, sa belle-mère. Miles et lui se disputaient souvent.  Le premier était brillant dans les études, Bobby le « bad boy ». Le jour de l’accident, ils étaient tombés en panne de voiture dans un endroit isolé, Bobby avait oublié de faire le plein. Furieux de ce n-ième signe de désinvolture, Miles s’était bagarré avec lui, l’avait fait tomber sur la route – geste fatal : une voiture l’avait fauché, écrasant « toute vie en lui, changeant ainsi à jamais leur vie à tous. » Après les funérailles de Bobby, Miles s’est muré dans le silence et le jour où il a entendu ses parents déplorer entre eux sa froideur, sa dérive, il a choisi de partir sans laisser d’adresse. 

    auster,sunset park,roman,littérature américaine,etats-unis,new york,amour,amitié,crise,couple,culture

    Avec Pilar, Miles s’amuse à lire l’Encyclopédie du base-ball, son sport préféré et celui de son père, passionné comme lui par les destins chanceux ou malchanceux des joueurs vedettes. Son seul lien avec son ancienne vie, c’est Bing Nathan, ils s’écrivent une fois par mois. Son ami lui annonce avoir trouvé une maison à Sunset Park (Brooklyn) : avec d'autres, il l’a remise en ordre et une chambre du squat est réservée pour lui. Miles a toujours refusé les invitations de Bing à revenir, mais sa situation se complique quand Angela, une sœur de Pilar, exige qu’il lui rapporte à nouveau « de jolies choses ». Miles refuse, elle menace alors de le dénoncer à la police pour relation illicite avec une mineure. Pilar et Miles ont compris qu’il a intérêt à quitter l’Etat au plus vite, elle le rejoindra à New York dès qu’elle sera majeure.

    La suite du roman se déroule à New York. Miles lit dans le journal que sa mère va bientôt y jouer Oh les beaux jours « un hasard extraordinaire dans un monde de hasards extraordinaires et de désordre sans fin. » En 1980, elle l’avait laissé à une nourrice jamaïcaine pour commencer une carrière au cinéma et une nouvelle vie de couple à Los Angeles. Après un second divorce, sa mère s’était remariée. Il lui avait rendu visite de temps en temps.

    Place alors à « Bing Nathan et Compagnie ». Le fidèle ami de Miles a des convictions très fortes contre « l’état actuel des choses », la société du jetable, la dérive technologique. Convaincu de la seule réalité du « tangible », Bing a créé un Hôpital des objets cassés où il répare tout ce qui peut l’être. Grand ours débraillé et barbu, un clou en or à l’oreille, il est le batteur des Mob Rule. A Sunset Park, il a invité d’abord Ellen Brice qui travaille dans une agence immobilière et qui peint, puis Alice Bergstrom, doctorante à Columbia (le studio de son petit ami écrivain est trop petit pour deux).

    auster,sunset park,roman,littérature américaine,etats-unis,new york,amour,amitié,crise,couple,culture

    Même si la maison est inconfortable quand il fait froid, cela leur permet à tous des économies appréciables. Alice a été étonnée de l’absence de réaction des voisins, qui ont cru Bing quand il leur a dit l’avoir achetée à bon compte. Sa relation avec Jake bat de l’aile, elle grossit, et elle se raccroche à sa thèse sur les relations et les conflits entre hommes et femmes dans les livres et les films de 1945 à 1947. Elle ne cesse de visionner Les plus belles années de notre vie de Wyler, un film à succès dont elle ne se lasse pas de noter les détails significatifs.

    Ellen a d’abord eu du mal à s’habituer à leur vie en commun, mais s’efforce de ne plus prendre de médicaments contre l’angoisse. Les corps, le sexe l’obsèdent. Huit ans plus tôt, en 2000, elle s’est retrouvée enceinte d’un garçon de seize ans, un des enfants d’un professeur qu’elle gardait pendant les vacances. Après avoir avorté, elle a tenté de se suicider, mais l’amitié d’Alice et la peinture l’ont sauvée. Les critiques d’une ex-petite amie de Bing sur ses « vues urbaines » l’ont persuadée de revenir à la figure humaine, elle aimerait qu’Alice pose pour elle, nue. Voilà ceux de Sunset Park. Bing, qui admire Miles depuis qu’il le connaît (non sans trouble), l’y accueille très chaleureusement.

    Le récit se tourne alors vers Morris Heller, le père, rentré précipitamment de Londres où il tentait de se rapprocher de Willa (elle ne se remet pas de la mort de son fils et en veut à Miles) pour assister aux funérailles de la fille d’un de ses auteurs fidèles, qui vient de se suicider à 23 ans, « une vie disloquée par les trop et les trop peu de ce monde ». Avec son ami Renzo, écrivain toujours entre deux déprimes, parrain de Miles, il va ensuite dans un Delicatessen où ils parlent de sa maison d’édition qui subit la crise mais résiste, du retour de Miles à Brooklyn sans qu’ils se soient revus. Dès qu’il a eu des nouvelles de Floride, Bing a tenu les parents de Miles au courant de la vie que leur fils menait là-bas (Miles l’ignore) et il espère qu’à présent, l’heure des retrouvailles est venue.

    auster,sunset park,roman,littérature américaine,etats-unis,new york,amour,amitié,crise,couple,culture

    Son père « sait pourquoi Miles est parti », blessé par leurs paroles. A 62 ans, il fait le bilan de sa vie – les raisons du départ de Mary-Lee, les reproches de Willa qui, à la suite d’une infection sexuelle, a appris un « écart idiot » de son mari et le repousse. Il remonte le cours du temps passé avec son fils, se rappelle une phrase dans un devoir de lecture qui l’avait bouleversé quand il l’avait lue, tant elle montrait de maturité et de clairvoyance littéraire chez son enfant : « Tant qu’on n’est pas blessé, on ne peut pas devenir un homme. »

    Sunset Park est le roman de ces vies blessées, de ces relations toujours problématiques qui font les couples, les familles, les solitudes, dans un monde en crise. Paul Auster éclaire tour à tour les jeunes et les vieux, les femmes et les hommes. Les allusions littéraires sont nombreuses, il y a de belles pages sur l’art, le cinéma, le théâtre.

    Comment ceux qui s’étaient perdus vont-ils se retrouver ? Pilar tiendra-t-elle le choc en découvrant New York et la vérité sur Miles ? Combien de temps reste-t-il aux squatteurs de Sunset Park ? Le roman semble parfois bancal, certaines pages artificielles (anaphores soudaines sur la joie, le corps), mais le romancier américain nous touche quand il se tient au plus près des souffrances et du cœur. 

  • Méconnaissable

    « Je rentrai chez moi au beau milieu de l’après-midi : l’endroit était méconnaissable. De toute évidence, Carlotta avait fait un excellent travail si tant est que vous souhaitez un changement de look radical, et que vous affectionnez les tons pastel, les rideaux de mousseline et les coussins aux couleurs criardes. Cela n’était tout simplement pas moi. Ce n’était plus ma maison. Et jusqu’à mon fauteuil qui, recouvert de toile gris taupe, était devenu un étranger. »

    Angela Huth, De toutes les couleurs 

    huth,de toutes les couleurs,roman,littérature anglaise,amour,amitié,couple,culture


  • Sans y toucher

    Loin de la vie de bohème, les personnages d’Angela Huth, dans De toutes les couleurs (Colouring in, 2004), tiennent à leurs habitudes. Isabel et Dan Grant forment un « couple sympa » sans histoire aux yeux de leur fille, Sylvie, comme de Gwen, leur femme de ménage. Isabel vient d’avoir quarante ans et n’aime pas qu’on perturbe son « train-train quotidien ». Sylvie et Dan partis, elle monte à son atelier sans parler à qui que ce soit, elle n’y a pas de téléphone, pendant que Gwen commence à passer l’aspirateur en bas. 

    huth,de toutes les couleurs,roman,littérature anglaise,amour,amitié,couple,culture
    http://orlane.artblog.fr/737392/masque-venitien/

    Dans le grenier, toute la matinée, Isabel confectionne des masques, les commandes ne manquent pas. Il suffit d’un message sur le répondeur pour l’agacer : Dan a invité Bert Bailey à dîner et ils tombent d’accord pour proposer à Carlotta, une amie d’enfance, trente-six ans et célibataire, de se joindre à eux. Dan se réjouit de revoir son vieil ami qui a travaillé à l’étranger, d’abord pour l’armée, puis pour une compagnie pétrolière, sans jamais se marier. Il vient de rentrer de New York pour se réinstaller à Londres. S’il gagne bien sa vie dans l’import-export, Dan cultive une autre passion dont il aime parler avec Bert : le théâtre. Sa première pièce a remporté un succès inattendu, mais depuis, il en a écrit plein d’autres dont personne ne veut.

    Pour faire entendre le point de vue de ces six personnages, Angela Huth leur donne la parole tour à tour, comme si chacun tenait une sorte de journal. Les impressions de Gwen, qui adore travailler chez les Grant – elle ne se sent nulle part ailleurs aussi bien que dans leur maison où elle travaille depuis neuf ans – donnent un aperçu extérieur de cette famille bourgeoise : une femme posée, aimable, parfois un peu dans la lune ; un homme digne et charmant, courtois ; une fille « bonne fille, mais lunatique et têtue comme une mule ».

    La mise en situation est assez lente, le temps de présenter les uns et les autres. Le bonheur serait-il de trouver une place, un endroit où l’on se sente bien ? Pour Isabel, c’est très clairement son atelier – « mes plumes, les perles, tous ces bouts de tissus sont toute la couleur qu’il me faut. » Pour Bert, heureux de retrouver l’Angleterre, ce n’est sans doute plus sa maison londonienne qui a grand besoin d’être rafraîchie. Carlotta lui propose ses services, elle a été décoratrice d’intérieur avant de se lancer dans le marketing. Elle l’agace, mais il n’ose refuser.

    Carlotta va-t-elle réussir à séduire Bert ? Cette question récurrente dans la première partie du roman va peu à peu s’insinuer dans les rapports entre les quatre amis. Carlotta sent qu’Isabel la discrète, la fidèle épouse, la femme secrète, ne lui dit pas tout à propos de ses contacts avec Bert. Quant à Dan, il n’est pas tout à fait insensible aux provocations de la tapageuse amie de son épouse bien-aimée.

    De toutes les couleurs suit surtout cette trame sentimentale. A l’opposé des ambiances feutrées, on découvre aussi les problèmes de Gwen, harcelée par un homme avec qui elle s’est liée un certain temps, et qu’elle craint à tout moment de retrouver sur ses pas. Il  l’espionne partout, se campe même parfois en face de la maison des Grant. Elle n’ose en parler à personne.

    « C’est une chose de vivre seul quand vous êtes dévoré par une passion telle que la peinture, l’écriture, la musique ou autre – mais c’est tout autre chose quand vous n’avez rien de particulier à faire », remarque Rosie, une vieille et sympathique artiste-peintre qui habite une « petite maison de silex et de briques » près des marais à Norfolk ; enfant, Bert jouait dans son jardin, qu’elle a considérablement embelli.

    Est-ce la structure fragmentée du roman ? la manière dont l’auteur aborde les émotions, sans y toucher vraiment ? Je suis restée à distance de ces chassés croisés amoureux, mêlés ici aux tournants de l’âge. A relire quelques-uns de ses titres – L’invitation à la vie conjugale (1991), Une folle passion (1994), Tendres silences (1999) –, on comprend qu’Angela Huth a choisi les affaires de cœur comme thème de prédilection.

    Mais voici le résumé de Pierre Maury, plus enthousiaste : « Cachotteries : le titre d'une pièce que Dan commence à écrire. Inspiré, pour une fois, par sa vie réelle. Car les six personnages du roman ont tous quelque chose à cacher aux autres. Alors qu'ils ne sont pas coupables. Autour de petites tentations sans importance, Angela Huth déstabilise des existences tranquilles. Les questions que chacun se pose prennent des dimensions inattendues. Et on observe cette danse du désir avec un sourire au coin des lèvres tant elle est plaisante. » (Le Soir, 27/10/2006)

  • En même temps

    cunningham,crépuscule,roman,littérature américaine,art,couple,homosexualité,désir,mort,culture« C’est un chaud après-midi d’avril baigné d’une brillante lumière grise. Peter remonte à pied les quelques blocs qui le séparent de la station de métro de Spring Street. Il porte de vieilles boots de daim, un jean marine et une chemise froissée bleu clair sous une veste de cuir couleur d’étain. Vous essayez de ne pas avoir l’air trop apprêté, mais vous avez rendez-vous dans un restaurant branché uptown et vous ne voulez – pauvre crétin – paraître ni trop visiblement « downtown » (pathétique chez un homme de votre âge), ni endimanché. Avec le temps, Peter a fait des progrès pour s’habiller comme l’homme jouant le rôle de l’homme qu’il est en réalité. Cependant, il y a des jours où il ne peut s’empêcher de penser qu’il a tout faux. C’est absurde, naturellement, de se préoccuper de son apparence, et en même temps presque impossible à éviter. »

     

    Michael Cunningham, Crépuscule

     

     

  • Mizzy entre eux

    Michael Cunningham qui nous avait tant impressionnés avec Les Heures, inspiré par Virginia Woolf, cite Rilke en épigraphe à Crépuscule (By Nigtfall, 2010), son dernier roman qui vient d’être traduit en français : « Car le beau n’est que le commencement du terrible. »

    cunningham,crépuscule,roman,littérature américaine,art,couple,homosexualité,désir,mort,culture
    Rodin, L’âge d’airain (Musée d’Orsay)

    Une réception, c’est une présence obligée pour Peter et Rebecca Harris, la quarantaine, tous deux actifs dans le milieu de l’art new-yorkais. Peter dirige une galerie, Rebecca une revue. Bloqués dans un taxi au milieu des embouteillages, ils parlent de Mizzy, Ethan de son vrai nom, aussi appelé « The Mistake » dans la famille de Rebecca. Le petit frère, grand sujet de préoccupation de ses trois soeurs, s’est annoncé, il ne touche plus à la drogue depuis un an et voudrait faire « Quelque Chose dans le Domaine Artistique ».

    Après la soirée chez Elena Petrova, brillante et vulgaire, qui sert à ses invités de la vodka spécialement importée de Russie, Peter et Rebecca, mariés depuis vingt et un ans, retrouvent leurs habitudes du soir : un peu de télévision au lit, puis l’amour à la mode de l’un ou de l’autre. Ils habitent un loft à Soho, meublé et décoré avec raffinement mais sans excès, de bon ton. A trois heures du matin, comme d’habitude aussi, Peter, insomniaque, se réveille, se lève et regarde par la fenêtre. Comment sortir de cette routine, repartir à zéro ?

     

    L’appel de son amie Bette Rice, soixante-cinq ans, un dimanche matin, est de mauvais augure : elle voudrait déjeuner avec lui, n’en dit pas plus, mais cela suffit à inquiéter Peter et Rebecca. Ils se souviennent de sa mère morte d’un cancer du sein, évoquent le frère de Peter, mort du sida, en viennent à se confier leurs préférences musicales pour une crémation. Et, en effet, Bette est très malade, elle va fermer sa galerie et propose à Peter de s’occuper d’un jeune artiste très prometteur, le sculpteur Rupert Groff. Ensemble ils vont au Met, où Peter s’arrête, sous le charme, près de L’âge d’airain de Rodin, avant d’aller observer avec son amie le fameux requin de Damien Hirst, la gueule ouverte, dans son aquarium de formol.

     

    Mizzy est arrivé chez eux entretemps. Quand Peter rentre et croit trouver Rebecca sous la douche, plus jeune tout à coup, c’est son frère qui se retourne, pas du tout gêné de se montrer nu. Il n’avait que quatre ans lorsque Rebecca a emmené Peter pour la première fois chez les Taylor à Richmond – une maison, une famille d'intellectuels, un rêve pour Peter originaire de Milwaukee. Chez lui, c’était « ordre, sobriété et culte de la propreté qui décape l’âme ». Son frère (Matthew était gay) s’était d'ailleurs enfui deux jours après le bac pour vivre sa vie à New-York.

     

    Mizzy, l’incorrigible beau garçon, rentre d’un séjour au Japon où il s’est exercé à la contemplation dans un monastère shintoïste. Il voudrait étudier pour devenir conservateur. Sa jeunesse réveille en Peter une autre préoccupation : il s’en fait pour leur fille Bea qui s’est terriblement éloignée de lui ; elle a abandonné ses études et travaille comme employée de bar dans un hôtel de Boston.

     

    Même à la galerie, Peter Harris traverse une sorte de crise existentielle. Il aime son travail, mais d’accrochage en accrochage, doute de plus en plus – « mon Dieu, envoyez-moi quelque chose à adorer. » Une riche cliente lui téléphone : elle ne s’habitue pas à la sculpture installée dans son jardin, voudrait qu’il la reprenne et lui trouve autre chose. Il ne faudra pas la faire attendre trop longtemps, une œuvre de Groff, peut-être ?

     

    A l’appartement, Peter trouve son jeune beau-frère endormi dans un canapé, torse nu, et revoilà l’émotion de l’autre jour devant le Rodin, devant le corps de Mizzy si semblable à Rebecca jeune. Peter, quarante-trois ans, ne sait plus trop où il en est. Le charme troublant de Mizzy se mêle aux souvenirs de son frère aîné, Matthew, dont la beauté l’éblouissait tant, à jamais inaccessible. Lorsque Mizzy réalise que Peter sait qu’il se drogue à nouveau et qu’il va sans doute le dire à Rebecca, ce qui lui mettra toute la famille sur le dos, il l'implore de ne pas le trahir, de lui laisser deux mois pour revenir « à la normale ». Peter, subjugué, cède.

     

    Crépuscule raconte l’histoire d’un couple qu’un trublion vient perturber lors d’un passage à vide. La jeunesse, la beauté, la liberté hors normes de Mizzy fascinent ses proches, quoiqu’ils en pressentent les dangers. Cunningham le montre à travers le désarroi et le désir de Peter, inquiet de son attirance pour Mizzy mais obsédé par lui. Jusqu’où ira-t-il ? Et quand parlera-t-il vraiment à Rebecca ?

     

    Bien que l’homosexualité ne soit pas forcément une clé pour lire son œuvre, on ne peut s’empêcher de penser que Michael Cunningham, en mettant Mizzy entre eux, questionne ses personnages aussi sur ce plan, un révélateur. Dommage que l’intrigue soit trop prévisible et les situations fort conventionnelles. Reste une évocation de l’art (surtout du marché de l’art) et de la littérature – loin des subtilités de Thomas Mann dans La Mort à Venise, entre autres citations – par un écrivain qui aurait aimé peindre et dessine ici des états d’âme, des émotions, les non-dits des rapports humains. Il s’en dégage une romance plutôt qu’un roman.