Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

68 par Wiazemsky

Anne Wiazemsky a raconté ses débuts au cinéma dans Jeune fille, sa rencontre avec Jean-Luc Godard dans Une année studieuse. Un an après commence quand elle s’installe avec le réalisateur devenu son mari dans le Quartier Latin (son rêve d’adolescente) au 17 de la rue Saint-Jacques. C’est juste en face de l’église Saint-Séverin, ce qui enchante son grand-père, François Mauriac. 

wiazemsky,anne,un an après,roman,littérature française,mai 68,godard,cinéma,politique,culture
Anonimo : Anne Wiazemsky et Jean-Luc Godard. Fotografia scattata durante le riprese del film One plus one, 1968 © Galerie Obsis

Depuis la fin de l’été 1967, « Rosier et Bambam » sont entrés dans la vie du couple Godard, elle, une grande styliste, et lui, Jean-Pierre Bamberger, directeur d’une usine de textile. Quand ils sont à Paris, ils se voient souvent, dans leur appartement rue de Tournon ou à la brasserie Balzar. Godard et sa femme font la tournée des universités américaines pour présenter La Chinoise et en débattre avec les étudiants, ce qu’apprécie le cinéaste mais pas elle, que cela ennuie vite. 

« Se réveiller ensemble et se retrouver le soir étaient à ses yeux l’essentiel » ; elle note dans son journal : « Aimer m’enlève toute mon indépendance. » Les propositions se succèdent au cinéma : elle se charge de la photo pour Michel Cournot (Les Gauloises bleues), joue pour Pasolini (Théorème). Début 1968, elle accompagne Godard à La Havane, où elle se sent gênée par l’attitude de « dévotion » des officiels du cinéma cubain envers lui.

 

A Paris, on s’agite : Truffaut a télégraphié à Godard pour qu’il rentre après que le président de la Cinémathèque, Henri Langlois, a été remplacé « sur décision gouvernementale ». La défense de Langlois s’organise. Le 14 février, ils participent à une manifestation pour réclamer la démission de Malraux, ministre de la culture, et la réouverture de la Cinémathèque. Quand ils veulent faire ouvrir ses portes de force et aussi celles du TNP, la police réplique à coups de matraque, le choc est violent.

 

Le 3 mai 1968, elle a cette journée en tête en rentrant chez elle : « Il régnait une atmosphère d’émeute aux abords de la Sorbonne. » Un meeting doit s’y tenir le soir, on a fermé l’université de Nanterre. Quand tout à coup des étudiants affluent de partout, la bousculent, elle reste paralysée de peur jusqu’à ce que l’un d’entre eux la gifle : « Ne reste pas ici, connasse. » Elle court alors jusque chez elle, hébétée. Godard, inquiet, lui téléphone et conseille d’écouter la radio sur Europe numéro 1.

 

A partir de là se déroule l’histoire des Godard en plein mai 68, alternant tournages, manifestations, rencontres, discussions. Jean-Luc ramène à leur appartement Jean-Jock, un jeune homme aux cheveux longs et sales, convaincu qu’ils sont « à la veille du Grand Soir ». Il tutoie Anne, l’appelle « camarade », elle s’en irrite mais s’amuse de ses airs de « petit garçon » et surtout, elle sent que Godard est séduit par sa jeunesse et son enthousiasme.

 

C’est avec eux et leurs amis du cinéma qu’on revit les péripéties parisiennes, les affrontements, les débats qui les opposent – Godard est souvent en désaccord même avec ses amis les plus proches. Il ne veut plus manger dans un restaurant « bourgeois », sa seule préoccupation est de se joindre au mouvement, de rencontrer les étudiants et les lycéens, de remettre le système en question.

 

L’atmosphère est parfois bon enfant, mais plus le temps passe, plus elle devient violente. La famille d’Anne s’inquiète, pour elle et pour son frère Pierre qui accompagne partout les étudiants et photographie les événements. De leurs fenêtres rue Saint Jacques, ils peuvent observer les charges et les attaques, le va-et-vient des ambulances. Godard, passionné, déclare qu’il ne veut plus faire du cinéma comme avant et lance à Cournot : « le cinéma dont tu parles est mort ! »

 

Anne Wiazemsky ne dissimule pas son irritation devant les débordements, le radicalisme de Godard, et accepte avec plaisir l’invitation de Rosier et Bambam qui partent pour le Midi : dans la belle villa de Pierre et Hélène Lazareff (mère de Rosier) au bout d’une presqu’île, c’est l’éblouissement, le calme, il ne lui manque que la présence de Godard. Une chatte blanche et rousse saute dans sa chambre et lui tient compagnie. Anne va se baigner nue dans la mer, se sent véritablement en vacances, savoure la détente.

 

Quand Godard vient les rejoindre – Truffaut l’a appelé de Cannes pour arrêter le festival –, il  critique tout : cette chambre luxueuse, son bronzage de vulgaire starlette, son refus de l’accompagner à Cannes. Rosier parvient à le calmer, Anne est déçue par la tension qu’il a provoquée dès son arrivée. Avec Rosier qui estime que « le génie n’excuse pas tout », elle peut en parler – « L’enfant, c’est lui, pas toi », leur amie la rassure. Bien sûr, ils vont se réconcilier, Godard lui déclarer à nouveau son amour et puis, ils rentrent à Paris en voiture, grâce aux pleins d’essence assurés par des amis en cours de route, les stations étant fermées.

 

A mi-lecture dans Un an après, quasi tous les éléments du récit – sous-titré « roman »  sont en place. Anne Wiazemsky décrit les bons moments et les autres, les grandes rencontres et les petits côtés d’une vie de couple où, malgré l’admiration mutuelle, on sent poindre un désenchantement. Mai 68, année de libération ?

 

A la fin d’un entretien publié sur le site de l’éditeur, elle précise : « Mais là, même si ce n’est pas compréhensible tout de suite pour l’héroïne, le conte de fées se fissure. C’est à la toute fin de l’écriture que j’ai décidé de mettre les choses au point. Si l’histoire ne s’arrête pas là dans les faits, elle s’arrête quand je cesse d’être ce témoin privilégié. En dire plus, c’était m’éloigner du noyau du livre, qui est l’histoire de « ces deux-là », d’Anne et Jean-Luc, qu’il fallait terminer. Pour reprendre une phrase de Truffaut, je n’ai pas dit toute la vérité, mais je n’ai dit que des choses vraies – et c’est aussi valable pour les sentiments que pour la révolution ! »

Commentaires

  • je pense que voilà un livre qui m'intéresserait - figure toi que vu mes problèmes de vision j'avais d'abord lu en titre "BB par Wiazemsky" - inutile de te dire que ma confusion m'a bien fait rire, surtout que rien n'est plus opposé selon moi que BB et anne wiazemsky ;)

  • J'avais assisté à une rencontre avec l'auteure à la sortie du livre et je n'avais pas été très intéressée. Est-ce parce que tout ce qu'elle décrivait est tellement éloigné de ce que j'ai vécu moi-même en 68 (et autrement) ? Je n'ai jamais beaucoup aimé Godard non plus. Bref, un livre qui ne semble pas être pour moi.

  • Godart! Il est tellement adulé qu'il est infatué de lui-même et se prend pour un Dieu! Effectivement,j'imagine que ce ne doit pas être facile d'être sa compagne!

  • J'ai ajouté un mot ici sur Tolstoï mais il a disparu; il est peut-être en attente? Dis-moi si tu l'as reçu.

  • Après avoir lu tes billets sur Tolstoï, je viens de lire ce que tu avais écrit sur Hamlet et j'aime beaucoup. C'est dommage que les commentaires soient fermés!

  • ça a l'air intéressant surtout comme tranche d'histoire (enfin, pour moi, je veux dire ;-))

  • Une lecture qui permettrait de capter un peu de l'air de ce temps-là ?

  • @ Niki : Amusante confusion ! Bonne lecture, Niki.

    @ Aifelle : Son récit ne flatte pas Godard, ni elle-même d'ailleurs. Anne Wiazemsky rend les choses avec honnêteté, c'est l'impression qu'elle me donne. On n'apprend pas grand-chose sur mai 68, davantage sur sa vie de femme et d'actrice.

    @ Claudialucia : Je ne vois pas ton commentaire sur Tolstoï, non, désolée.
    Pour le reste, je ne me souviens pas d'avoir fermé des commentaires, je vais aller corriger ça.

    @ Adrienne : Leur appartement est situé dans le quartier des affrontements, ils sont aux premières loges.

    @ K : C'est cela, avec la vie d'un couple en plus, qui réagit aux événements en sens divers.

  • Vérification faite, les commentaires se ferment automatiquement après six mois, c'est la durée la plus longue autorisée par la gestion du blog - dommage. On peut toujours réagir à un billet plus ancien via un billet récent, faute de mieux. Merci tout de même.

  • Je découvre là ce que j'avais soupçonné jusqu'alors. Tout ce "petit" monde très cultivé et intéressant par certains côtés avait des préoccupations bien éloignées de celles de la "France d'en bas" d'alors.
    Nous nous précipitions pour voir les films de Pasolini , de Fellini et de Godard aussi , même si du haut de nos 20 ans nous ne comprenions pas tout , nous les considérions alors comme des "génies" qui disaient tout haut ce que nous étions supposés penser tout bas.
    Mais lorsque le soufflé est retombé, que les nantis de cette planète se sont mis à leur tour à battre le pavé (chanteurs , écrivains, acteurs et autres "people" bien en vue à l'époque) , j'ai compris "qu'à partir de dorénavant ce serait comme d'habitude, que rien, et encore moins un film ne pourrait changer la loi du plus cynique et plus intéressé que moi tu meurs".
    Et nous en avons encore le bel exemple aujourd'hui avec la montée en France ( mais partout en Europe aussi) de l'extrême droite, du racisme, de la xénophobie et surtout celle de l'individualisme le plus forcené.

    Pardon Tania si je vous choque mais l'espoir était si fort et la désillusion si grande que j'ai encore du mal à m'exprimer autrement ( même en essayant d'y mettre un peu d'humour) .
    Et pardon aussi de ne pas m'intéresser plus que cela aux écrits d'Anne Wiazemsky , même s'ils restent un témoignage (par le petit bout de la lorgnette) de cette époque.
    Très beau week-end Tania

  • @ Gérard : Ne vous excusez surtout pas, Gérard, merci de réagir avec fougue à ces désenchantements. Le petit bout de la lorgnette, sans doute ; Anne Wiazemsky décrit tout cela sans arrogance, ce qui n'est pas si fréquent.
    Très beau week-end à vous, l'automne nous dispensera peut-être de ses lumières magiques, de ses couleurs changeantes certainement.

  • Dommage dommage mais le personnage de Godard m'agace au plus au point alors je vais faire là une jolie impasse de lecture

  • J'avais lu autrefois un livre d'Anne Wiazemsky qui ne m'a pas laissé un grand souvenir. Elle a eu la chance d'être la petite fille... de. Tant d'auteurs de valeur n'ont pas cette chance-là. Quant à mai 68, c'était déjà la mini révolution des bobos qui amorçait la lente dégradation des valeurs.

  • @ Dominique : Entre-temps, j'ai lu cette critique qui met ce récit plus en valeur : http://drorlof.over-blog.com/2015/04/le-mai-68-d-anne-et-jean-luc.html

    @ Armelle B. : Son style est simple, c'est vrai, mais je suis moins sévère que vous à son égard.

  • Le cinéma de Godart ne figure parmi mes favoris, et je ne suis pas cinéphile. Je ne sais si je serai captivé par le livre de Anne W., pourtant les témoignages sur cette période m'intéressent. Même si c'est un roman.
    Je ne crois pas non plus qu'il faille rester calé sur le désenchantement que peuvent susciter les espoirs déçus de 68. Le monde est un défi permanent pour ceux qui le voient changer.

  • Vous l'avez compris, ce n'est pas un chef-d'œuvre littéraire, mais un roman témoignage sur la vie d'un couple de cinéma en mai 68.
    On était loin alors de penser à quel point la société de consommation allait pousser encore plus loin le matérialisme et l'individualisme parfois forcené, mais j'en retiens pour ma part aussi un aspect très positif : l'émergence d'une parole féministe.

  • Des univers très différents. Elle fait de temps à autre allusion à Mauriac dans ses récits-romans-souvenirs, uniquement du point de vue familial.

Écrire un commentaire

Optionnel