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Nature - Page 7

  • Aussitôt que la vie

    « Marcher, c’est écouter, suivre une trace, sentir la douceur de la terre ou l’arête des pierres, boucler une boucle, aller en ligne droite ou faire un détour, chercher le chemin, trouver le chemin, revenir en arrière, repartir en avant… […] » Ainsi commence Aussitôt que la vie de Marie Gillet, qui vient de paraître.

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    Entre ciel et terre (source)

    Ce journal d’une marcheuse « entre Maures et Garlaban » en Provence, tenu durant le mois de février, est écrit « sur le tracé des mots », ceux qu’elle note dans son carnet « promeneur » – écrire et marcher sont inséparables pour la narratrice. Cette amoureuse des carnets précise qu’ils « ne servent pas pour la nostalgie seulement mais pour l’action d’écrire », ce sont « des herbiers de mots, des dictionnaires personnels, des bibliothèques de traces ».

    Des listes de mots à propos des fleurs, des arbres, des couleurs, aident à raconter le chemin, les imprévus, les paysages. Marie Gillet se promène « sur la colline et au-delà », comme indiqué en sous-titre : des phrases naissent ensuite de ses pas, où réapparaissent les mots des listes, balises pour rendre ce qu’elle a ressenti tout du long.

    Ce sont les observations d’une visuelle qui aime nommer les choses du monde vivant avec justesse (le blog Bonheur du jour en témoigne à sa façon). La promeneuse ne se limite pas à décrire. En avançant, elle marche avec ceux envers qui elle se sent redevable, par-delà les souffrances de son enfance. Le mistral ravive des souvenirs : « Dès que j’ai habité chez Mètou, j’ai appris à vivre comme on vit ici : avec le vent. »

    « Pendant longtemps, j’ai aimé sans me poser trop de questions cette nature que j’ai beaucoup fréquentée plus pour moi-même que pour elle. » A présent, la marcheuse regarde la nature autrement, attentive à la palpitation des choses, se refusant à cueillir quoi que ce soit, à prendre des photos, tout entière disponible pour les rencontres et les éblouissements du jour.

    Enfant, elle a beaucoup appris en accompagnant « le Chef ». Quand elle a pu se promener sans lui, elle lui rapportait des « butins » dans l’espoir d’un « satisfecit ». Elle ne connaissait pas encore la joie de marcher tranquillement, « gratuitement, pour le plaisir, pour la beauté du monde ». Le bonheur de répondre librement à l’appel du dehors, du champ, de la colline, des arbres.

    Le chêne occupe une place maîtresse dans la mémoire de celle qui a grandi en Ile de France. Après son installation dans le Var, près de Toulon, elle a découvert le chêne kermès, le chêne-liège et surtout le chêne vert au doux nom de « yeuse ». Là où elle vit, la couleur bleue, la préférée, offre tant de nuances qu’elle cherche toujours comment nommer exactement « le bleu du ciel et le bleu de la mer ». Le mot « azur » ne suffit pas.

    « L’air était pur et calme. Il allait faire très beau. Rien ne s’opposerait à la lumière. ». Dans le sac à dos de la marcheuse, en plus du carnet, il y a toujours un livre, pour accompagner les pauses, les moments de contemplation. Le texte s’interrompt parfois pour de courtes citations, comme cette troisième strophe des Arbres d’Yves Bonnefoy (dans Ce qui fut sans lumière) où bat le cœur du récit.

    Aussitôt que la vie doit son titre à un passage de l’Odyssée dont Marie Gillet s’est souvenue devant « une immense prairie d’asphodèles » sur une terre brûlée par un  incendie deux ans auparavant. Là aussi – dans le texte et devant les fleurs – les mots vibrent, indiquent une direction : laisser derrière soi ses propres enfers pour aller vers la lumière.

    Voici une œuvre d’une profonde sérénité, d’un grand calme intérieur, en contraste avec la tension dramatique de Nous, long roman d’un conflit familial. Tout en mouvement, regard, mémoire, accueil de ce qui se présente et méditation, Aussitôt que la vie est aussi, d’une autre manière, le journal d’une résiliente. En quelque deux cents pages, Marie Gillet nous invite à regarder la beauté où qu’elle soit et à retrouver dans la nature un chemin de vie.

  • Les oiseaux du parc

    Il y a peu, je vous parlais des oiseaux de la friche, voici Le printemps des oiseaux, une exposition de photographies de Philippe Massart à la bibliothèque Sésame (à voir jusqu’à la fin du mois) et un livre, Les oiseaux du parc Josaphat et de Schaerbeek, qui nous ravit ! A l’expo, un diaporama sonore permet aussi d’apprendre à reconnaître leur cri et leur chant.

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    Depuis que nous avons la chance d’habiter près de la cime d’un érable sycomore, avec vue sur un intérieur d’îlot, nous identifions peu à peu les oiseaux qui le fréquentent, quelque dix-sept espèces jusqu’à présent, de la pie bavarde au pouillot véloce. Pour la première fois depuis une dizaine d’années, nous entendons et apercevons avec un énorme plaisir des moineaux, devenus si rares en ville, qui piaillent et volent entre quelques gros feuillages accueillants dans l’avenue voisine.

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    Les oiseaux que Philippe Massart a photographiés sont beaucoup plus nombreux, comme vous avez déjà pu vous en rendre compte si vous avez ouvert le lien vers la galerie photos sur son site. Comme l’écrit Thomas Jean, photographe et vidéaste animalier spécialisé dans l’observation de la faune sauvage en milieu urbain (La minute sauvage) dans une courte préface, « Philippe Massart nous invite à entrevoir le beau, le discret, l’invisible. Cette vie sauvage qui subsiste en pleine ville. »

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    Les oiseaux du parc Josaphat et de Schaerbeek (250 photos) ont droit chacun à une double page : à gauche, une photographie pleine page ; à droite, plusieurs clichés pour illustrer les divers aspects ou états de son espèce, plus une notice qui attire l’attention sur le plumage ou le comportement et aussi, de façon très amusante, une évocation personnalisée de son chant. La mésange charbonnière, par exemple, zinzinule ou titine ainsi : « City 2, City 2 » (un complexe commercial bien connu des Bruxellois) !

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    Après les magnolias, les cerisiers sont en fleurs au parc Josaphat. Philippe Massart y organise régulièrement des promenades ornithologiques, j’espère pouvoir y participer un jour. J’aimerais observer une de ces orites à longue queue qu’une merveilleuse photo nous montre serrées les unes contre les autres sur une branche ou ce roitelet huppé avec son bandeau jaune sur la tête – il y en a tant à découvrir !

  • Credo

    tesson,la panthère des neiges,récit,littérature française,tibet,munier,photographie animalière,nature,culture,spiritualité,vie sauvage« Nous étions nombreux, dans les grottes et dans les villes, à ne pas désirer un monde augmenté, mais un monde célébré dans son juste partage, patrie de sa seule gloire. Une montagne, un ciel affolé de lumière, des chasses de nuages et un yack sur l’arête : tout était disposé, suffisant. Ce qui ne se voyait pas était susceptible de surgir. Ce qui ne surgissait pas avait su se cacher.
    C’était là le consentement païen, chanson antique.
    – Léo, je te résume le Credo, dis-je.
    – J’écoute, dit-il poliment.
    – Vénérer ce qui se tient devant nous. Ne rien attendre. Se souvenir beaucoup. Se garder des espérances, fumées au-dessus des ruines. Jouir de ce qui s’offre. Chercher les symboles et croire la poésie plus solide que la foi. Se contenter du monde. Lutter pour qu’il demeure. 
    Léo fouillait la montagne au télescope. Il était trop concentré pour m’écouter vraiment, ce qui me donnait l’avantage de pouvoir continuer mes démonstrations.
    – Les champions de l’espérance appellent « résignation » notre consentement. Ils se trompent. C’est l’amour. »

    Sylvain Tesson, La panthère des neiges

  • A l'affût avec Munier

    La panthère des neiges de Sylvain Tesson connaît un tel succès que j’ai préféré nommer en premier celui grâce à qui l’écrivain a rencontré cette « reine » : Vincent Munier, « amoureux du vivant », récompensé par un César cette année pour son documentaire sur le fabuleux félin. Lors de leur premier affût pour « voir des blaireaux dans la forêt », Munier l’avait invité à l’accompagner au Tibet pour apercevoir une bête qu’il poursuivait depuis six ans, « l’esprit de la montagne descendu en visite sur la Terre, une vieille occupante que la rage humaine avait fait refluer dans les périphéries. »

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    © Vincent Munier, La panthère des neiges

    Au début de février, Munier, Marie, sa fiancée et cinéaste animalière, Léo, un philosophe devenu « aide de camp de Munier » et Sylvain Tesson, dont la colonne vertébrale ne supporte plus les charges, partent à la rencontre de la panthère. – « La « bande des quatre », c’est nous, dis-je comme l’avion se posait en Chine. » Il fournira les calembours. L’écrivain pense aussi à quelqu’un qui n’ira plus nulle part avec lui, « une fille des bois, reine des sources, amie des bêtes », aimée et perdue.

    De Yushu, il leur faut trois jours en automobile pour se rendre au sud des monts Kunlun d’où ils iront jusqu’à la « vallée des yacks » – Tesson a promis de taire les noms exacts des lieux pour les protéger des chasseurs. A -20°C au Tibet sous le soleil, Munier les emmène d’abord à la rencontre des yacks, « totems de la vie sauvage », entre 4600 et 4800 mètres d’altitude. Vers le soir, les loups « chantent » : Munier hurle à son tour, un loup répond, « une des plus belles conversations tenues par deux êtres vivants certains de ne jamais fraterniser ». 

    Quitter le sac de couchage est une souffrance, sortir de la cabane pour se mettre en marche une jouissance. « Un quart d’heure d’effort suffit toujours à ranimer un corps dans une chambre froide. » Ils sont trois à suivre Munier qui suit les bêtes. Quand elles apparaissent, ils cessent de penser au froid. Par ses photos, Munier « rendait ses devoirs à la splendeur et à elle seule. Il célébrait la grâce du loup, l’élégance de la grue, la perfection de l’ours. » Regard d’artiste, loin des « obsédés de la calculette » qui cherchent à mettre le réel en équation, loin de la chasse destructrice.

    Avant la panthère invisible, Munier leur présente les « habitants des lieux » : ânes sauvages, antilopes du Tibet. « Son œil décelait tout, je ne soupçonnais rien. » Les autres sont déjà plus entraînés à « voir l’invisible ». Tesson reconnaît avoir exploré le monde en passant « à côté du vivant » et découvre qu’il déambule « parmi des yeux ouverts dans des visages invisibles » (comme en peignait Séraphine dans les arbres.

    La nuit, les prédateurs chassent, par nécessité. « La vie me semblait une succession d’attaques et le paysage, stable d’apparence, le décor de meurtres perpétrés à tous les échelons biologiques, de la paramécie à l’aigle royal. » Les heures d’affût sont propices à l’interrogation philosophique – « L’affût était une prière. En regardant l’animal, on faisait comme les mystiques : on saluait le souvenir primal. L’art aussi servait à cela : recoller les débris de l’absolu. »

    Le dixième jour, ils partent en Jeep vers le lac Yaniugol, à cent kilomètres, « suspendu en pleine steppe » ; ils escaladent une « pyramide surnageant du massif » pour disposer d’un « balcon sur l’étendue ». Le soir, les yacks apparaissent, « lourds, puissants, silencieux, immobiles : si peu modernes ! » Au réveil, à quatre heures du matin, il fait -35°C. S’habiller sans prendre froid demande toute une organisation, des gestes précis. Ils montent à 5200 mètres. Ils ne voient rien ce jour-là. Le temps de confronter Tao et bouddhisme.

    Après « L’approche » et « Le parvis », « L’apparition », troisième et plus longue partie du récit, est centrée sur la panthère que Munier a déjà observée sur la rive droite du Mékong. « Les noms résonnent et nous allons vers eux, aimantés. » Sur la route de Zadoï, Munier marmonne des noms de bêtes, Tesson questionne le sentiment d’amitié qu’il ressent toujours dans les steppes – un ancêtre mongol ?

    En route vers la bergerie où Munier veut installer leur camp de base, voici un chat de Pallas, « sa tête hirsute, ses canines-seringues et ses yeux jaunes corrigeant d’un éclat démoniaque sa gentillesse de peluche ». Munier photographie, Marie filme, Tesson admire ces « deux jeunes dieux grecs » si complices.  Les apparitions de la panthère des neiges sont d’une intensité rare et merveilleusement racontées. Croiser le regard de la panthère lui rappellera la femme qu’il aimait et sa mère disparue aussi. Tesson a l’art de poser des mots sur sa traversée du monde, ici à l’école de l’immobilité et du silence.