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Culture - Page 174

  • S'alimenter

    boyd,les vies multiples d'amory clay,roman,littérature anglaise,photographie,biographie,fiction,culture« Mes dîners avec Charbonneau [à New York] suivaient à présent une certaine routine. Comme Paris lui manquait, il essayait toujours de dénicher un restaurant français et, quelle que fût la qualité des mets, se déclarait toujours atrocement déçu par ce qu’il qualifiait de parodie de cuisine française, de fiasco américain. Je le contredisais souvent, histoire d’attiser son indignation – pour mon palais anglais, tout cela semblait délicieux. Il pouvait disserter sur tout ce qu’il mangeait ; jusqu’aux petits pains individuels et au sel qui n’échappaient pas à sa vigilance gastronomique. Presque malgré moi, j’appris beaucoup sur ce que l’on pouvait exiger de l’acte nécessaire de s’alimenter, des viandes, poissons ou légumes que nous mâchons et avalons pour pouvoir survivre. Mais Charbonneau appliquait à toute l’opération une analyse tellement experte que cela m’en paraissait presque malsain. »

    William Boyd, Les vies multiples d’Amory Clay

  • Vies multiples

    En français : Les vies multiples d’Amory Clay. En anglais : Sweet Caress. The Many Lives of Amory Clay. Encore un mystère de la traduction des titres pour ce roman de William Boyd (2015, traduit de l’anglais (Royaume-Uni) par Isabelle Perrin). Il y manque les caresses, elles reviennent dans la citation de Jean-Baptiste Charbonneau en épigraphe : « Quelle que soit la durée de votre séjour sur cette petite planète, et quoi qu’il vous advienne, le plus important c’est que vous puissiez, de temps en temps, sentir la caresse exquise de la vie. » (Avis de passage)

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    Ensuite, une photo noir et blanc, « Amory Clay en 1928 » : une jeune femme en maillot foncé, les pieds dans l’eau, esquisse un pas de danse, un bras levé vers le ciel. Le titre du premier chapitre la définit très simplement : « La fille à l’appareil photo ». Née le 7 mars 1908, Amory – la narratrice, qui entreprend de raconter sa vie – est la fille aînée, avant Peggy (1914) et Xan (Alexander, 1916). D’autres photos, la plupart prises par elle, s’insèrent tout au long du roman.

    Le récit chronologique de sa vie alterne avec son « Journal de Barrandale, 1977 », du nom de l’île où elle où elle vit les dernières années de sa vie avec son chien Flam dans un cottage. Amory a reçu de son père, nouvelliste et « homme de lettres polyvalent », ce prénom « androgyne », écrit Boyd. « A mes yeux, un prénom est une affaire bien trop grave pour être choisi à la légère : il devient votre étiquette, votre définition, votre identifiant. » Quand sa sœur est née, son père était déjà parti à la guerre et c’est Greville, le frère de leur mère, qui a choisi celui de sa sœur. Pour le troisième enfant, Clay avait choisi « Alexander » pour un garçon, « Marjorie » pour une fille – prénom féminin dont Amory s’est souvent servie quand elle était fâchée contre son frère.

    Greville Reade-Hill va jouer un rôle important dans la vie de sa nièce. Cet « ancien opérateur de reconnaissance photographique dans le corps aérien de l’armée britannique » est devenu photographe mondain, étiquette qu’il rejette, lui préférant « photographe-tout-court ». Il lui offre pour ses sept ans un Kodak Brownie N°2, avec lequel elle prend sa première photographie lors d’une fête d’anniversaire, de « dames chapeautées en robe longue » dans le jardin de Beckburrow, dans l’East Sussex, « notre chez-nous ». Une maison achetée grâce aux droits dérivés d’une adaptation théâtrale qui avait soudain enrichi la famille.

    Amory est placée en pension du fait d’un legs d’une grand-tante destiné à l’éducation de l’aînée de ses petits-neveux. Sa mère ne se montrait jamais affectueuse et c’est au pensionnat pour jeunes filles qu’Amory fait son apprentissage sentimental auprès de sa meilleure amie à qui elle confie que le seul homme qu’elle aimerait embrasser, c’est Greville, son oncle, « l’homme le plus beau, le plus amusant, le plus gentil et le plus sardonique » qu’elle ait jamais rencontré.

    En famille, elle prend des photos qu’il lui a appris à tirer elle-même et met un titre et une date au dos de chacune au crayon, avant de les glisser dans son album. « Je crois avoir été consciente, même à l’époque, que seule la photographie peut réussir ce tour de magie avec tant d’assurance et de facilité : arrêter le temps, capturer cette milliseconde de notre existence et nous permettre de vivre éternellement. »

    Elève douée, Amory remporte un prix de dissertation et est encouragée à présenter le concours d’entrée à Oxford, mais elle ne veut pas aller à l’université. Elle veut devenir photographe professionnelle. Quand son père annonce un jour sa visite au pensionnat pour lui « parler en tête-à-tête », elle s’inquiète – avec raison. Son père prétend que tout va bien – sa sœur Peggy est une pianiste prodige et son frère élève des cochons d’inde – et il l’emmène en voiture en direction du nord. Tout à coup, il bifurque en direction d’un lac artificiel vers lequel il roule de plus en plus vite en lui disant, juste avant de plonger dans l’eau : « Je t’aime, ma fille chérie. Ne l’oublie jamais. »

    Elle arrive à se dégager de l’habitacle, puis à en sortir son père, qui fond en larmes (il imaginait le lac plus profond), et ils parviennent à nager jusqu’à la berge. Il sera déclaré fou et interné dans un « asile de luxe ». Amory s’en sort malgré une dépression nerveuse et mettra très longtemps à aller lui rendre visite. Elle a cherché une explication et découvert dans l’histoire de son régiment d’infanterie légère l’épisode de mars 1918 qui a traumatisé son père.

    Amory Clay devient donc photographe, d’abord en assistant son oncle Greville chez qui elle s’est installée ; elle découvre que son élégance irréprochable est liée, sans qu’elle s’en soit jamais doutée, à son orientation sexuelle. Il travaille pour plusieurs magazines mondains. Elle couche alors avec un autre photographe, fait ses débuts en tirant le portrait d’une riche héritière sur un court de tennis – sa photo peu académique fait scandale.

    Greville doit se séparer d’elle et lui conseille de se faire une mauvaise réputation, « une réputation sulfureuse », pour changer la perception que le monde a d’elle. Elle se rend à Berlin, dans les clubs « décadents », se lie avec une homosexuelle qui lui sert de couverture pour prendre des photos dans des bordels semi-clandestins, en cachant son appareil dans son sac où elle a bricolé une ouverture. C’est le début des années trente, elle y fait aussi de mauvaises rencontres.

    Au retour, son exposition « Berlin bei Nacht » fait scandale à Londres. Après le vernissage, un article du Daily Express lui vaut une descente de police et la confiscation de ses clichés. Elle a réussi tout de même à attirer l’attention de Cleveland Finzi, attaché au Global-Photowatch, un magazine américain, qui lui propose un rendez-vous à son hôtel. C’est le début d’une histoire d’amour.

    Dans Les vies multiples d’Amory Clay, William Boyd lui fait raconter les hauts et les bas de sa carrière de photographe internationale (en dernier durant la guerre au Vietnam), mais aussi de son parcours personnel : ses relations avec sa famille, ses amours et ses amitiés, son mariage et ses deux filles, la maladie qui la décide, tant qu’il est encore temps, à écrire tout cela pour que ses filles sachent un peu mieux qui était leur mère. Des souffrances, des risques, des bonheurs, de 1908 à 1983.

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    En refermant Les vies multiples d'Amory Clay, j’étais persuadée qu’Amory Clay avait vraiment existé, ainsi que certains autres personnages. Or ce roman est une fiction totale, illustrée de photographies anonymes ! William Boyd réussit à y rendre tous les aspects d’une vie de femme aventureuse : liens familiaux et goût de l’indépendance, soif d’émancipation et d’expériences, prise de risques, désirs amoureux, rêves et rencontres, interrogations sur son rôle de mère, combativité… Les allers-retours entre sa vie baroudeuse de photographe-reporter et ses réflexions de femme qui a vécu et tâche de vivre encore au mieux le temps qui lui reste – à elle qui croyait pouvoir « arrêter le temps » – apportent au récit une dimension supplémentaire, en profondeur.

  • La Fonderie

    journées du patrimoine,2019,bruxelles,un lieu pour l'art,culturePour les Journées du Patrimoine 2019, La Fonderie (Molenbeek-Saint-Jean) sort exceptionnellement de ses réserves des pièces qui évoquent le travail d’une ancienne fonderie d’art bruxelloise de réputation internationale, la Compagnie des bronzes. On y prévoit aussi des visites guidées en langue des signes, comme dans beaucoup d’autres endroits.

    Ce musée bruxellois des industries et du travail expose jusqu’en octobre des photographies de Patrice Niset : « La Gueule de l’Emploi ». Le photographe montre en grand format les nobles « gueules », les gestes et les univers d’artisans et de travailleurs qui participent au dynamisme de la ville.

  • Patrimoine & art

    La brochure des prochaines Journées du Patrimoine, les 14 & 15 septembre à Bruxelles, est arrivée dans ma boîte aux lettres. Je la conserverai. Le thème de 2019 est très alléchant : « Un lieu pour l’art ». Endroits à visiter, conférences, promenades, concerts… Le choix est vaste pour qui s’intéresse au patrimoine bruxellois et aux arts, beaux-arts ou autres. Au fil des pages, j’ai noté quelques découvertes qui m’ont donné l’idée de ce billet.

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    En premier, un site passionnant consacré au patrimoine vivant de la forêt urbaine : « Wood Wide Web vous propose d’ouvrir vos yeux : regarder Bruxelles comme si c’était une forêt. » Complémentaire à l’Inventaire du patrimoine naturel qui présente les arbres remarquables de la région bruxelloise, Wood Wide Web a toutes sortes de documents et de photos à vous proposer, comme l’histoire d’un merisier « gardien d’une porte de la forêt de Soignes ». Savez-vous qu’il existe aussi des jumelages entre des arbres ?

    Le cinéma Palace vient de renaître, au boulevard Anspach. Depuis sa construction en 1913, il a connu plusieurs affectations. Arkadia y organisera des visites guidées. Le Palace est aussi sur le parcours d’un jeu de piste « sur les boulevards », pour lequel il faut s’inscrire. Les renseignements pratiques figurent dans la brochure ou sur le site des Journées du Patrimoine.

    Toutes sortes de promenades sont prévues, à pied, à vélo, en bus, sur les thèmes du cinéma, du théâtre, des musées et des galeries d’art, des sculptures dans l’espace public – « ces statues que tous voient, mais que personne ne regarde ! » –, des quartiers qui ont inspiré des peintres, sans oublier le street art – les fresques ne manquent pas dans la ville, notamment sur les personnages de bandes dessinées.

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    Les marionnettes de Toone

    Pourquoi pas un « voyage littéraire » sur les traces des écrivains à Bruxelles ? ou au musée Maurice Carême ? Ces Journées du Patrimoine permettent de découvrir les théâtres bruxellois sous un autre angle : histoire du bâtiment, visite des coulisses ou d’espaces d’ordinaire non accessibles au public. Le Théâtre royal de Toone, dans son impasse de l’îlot sacré, représentera Les trois mousquetaires à 16 heures, les deux jours.

    La musique n’est pas oubliée, que ce soit au Conservatoire ou à Flagey, au MIM ou au musée Charlier, entre autres. Poésie-concert aussi à la Bibliotheca Wittockiana : « Le quatuor de violoncelles de Bruxelles TetraCelli propose de vous faire voyager dans l’œuvre de Jean Cocteau. » Il est conseillé de réserver.

    Au Rouge-Cloître à Auderghem, les ateliers d’artistes seront ouverts au public. A Forest, j’aimerais bien visiter l’ancienne maison de Louise de Hem, peintre et sculptrice, dont je vous avais montré un pastel à l’occasion d’une exposition sur les peintresses belges. Après sa mort, son atelier est devenu celui du peintre Victor de Groux. Une restauration est annoncée pour bientôt.

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    Détail du sgraffite de Privat-Livemont au 17, rue Vogler (Inventaire du patrimoine architectural)

    A Schaerbeek, différents peintres ont travaillé à l’Atelier Vogler qui continue à accueillir des artistes. Sa façade avec vitrail et sgraffite art nouveau de Privat-Livemont « s’intègre parfaitement dans une enfilade de maisons de style éclectique ». Une promenade dans la commune sera dédiée aux « maisons et ateliers d’artistes à Schaerbeek ».

    A Saint-Josse-ten-Noode, place Rogier, Belfius art gallery, « la plus grande collection privée d’art belge du pays », propose un parcours à la découverte des femmes artistes dans l’art belge sous le titre « Women. Underexposed » – il faut s’inscrire au préalable. J’espère que cette exposition sera encore accessible par la suite.

    Si vous souhaitez prolonger ce week-end des 14 et 15 septembre par la lecture, les Halles Saint-Géry, « point info des Journées du Patrimoine », abriteront un marché aux livres, avec des promotions spéciales. Sur le site, une carte permet de situer tous les lieux dédiés à l’art de cette édition 2019. Bon week-end aux amoureux d’histoire, d’architecture et des arts !

  • Incantation

    Auster In the country.jpg« Dans ces moments, nous avons beaucoup parlé de chez nous, évoquant autant de souvenirs que nous le pouvions, rappelant les images les plus infimes et les plus spécifiques dans une sorte d’incantation douloureuse – les érables de l’avenue Miró en octobre, les horloges à chiffres romains dans les salles de classe des écoles publiques, l’éclairage en forme de dragon vert dans le restaurant chinois en face de l’université. Nous pouvions partager la saveur de ces choses, revivre la myriade de menus détails d’un monde que nous avions tous les deux connu depuis notre enfance, et cela nous aidait, me semble-t-il, à garder bon moral, à nous faire croire qu’un jour nous pourrions retrouver tout cela. »

    Paul Auster, Le voyage d’Anna Blume (Au pays des choses dernières)