Revoir un bon film à la télévision, c’est toujours un plaisir. Parmi ceux d’Agnès Jaoui rediffusés après le décès de Jean-Pierre Bacri, mon préféré reste Le goût des autres. La RTBF a diffusé une belle série de films et d’émissions sur le cinéma belge pour compenser l’absence de la cérémonie des Magritte cette année. Cela m’a permis de revoir Girl de Lukas Dhont et de découvrir de bons films que je n’avais pas vus au cinéma. J’y reviendrai.
D’abord, un coup de cœur : C’est ça l’amour (2018), un film de Claire Burger. Sur le thème d’une famille secouée par la séparation des parents, la réalisatrice française réussit à nous faire ressentir le chaos émotionnel d’un père, qui se retrouve seul avec deux filles adolescentes. Leur mère a eu besoin de prendre du champ. Il ne lui en veut pas, ils restent en contact. Régulièrement, il l’appelle, conscient de ses insuffisances.
La réalisatrice s’est inspirée librement de sa propre histoire de famille et a même tourné ce long métrage dans sa maison d’enfance à Forbach, en Lorraine. Bouli Lanners (Magritte du meilleur acteur 2020) dans le rôle du père aimant, un homme pétri de bienveillance, et Justine Lacroix dans celui de la fille cadette sont extraordinaires de présence et d’expressivité. Cette lycéenne n’avait jamais fait de cinéma avant, la réalisatrice aime faire jouer des amateurs, des gens « ordinaires ».
Mario, le père, aime son épouse malgré tout et espère son retour. Il se sent vite dépassé. Heureusement, il peut compter sur sa fille aînée, Nikki (Sarah Henochsberg), complice, attentive et responsable. La cadette, Frida, bouleversée par l’absence de sa mère, rue dans les brancards, tentée par toutes les expériences, en colère contre les limites que son père lui impose. Bouli Lanners joue avec une extrême sensibilité cet homme qui s’inscrit à un atelier de théâtre pour rester debout.
Cette situation d’un père soudain confronté aux mille tâches concrètes de chaque jour quand on a de jeunes enfants vous fait peut-être penser à Nos batailles de Guillaume Senez (2018), où Romain Duris joue un père de famille plus impliqué au travail qu’à la maison, perdu quand sa femme part un jour sans prévenir ni laisser d’adresse. Il se soucie énormément de l’équipe dont il est responsable en entreprise et consacre souvent ses soirées aux réunions syndicales. S’il veut savoir où sa femme est partie, il ne cherche pas vraiment le pourquoi et ne se remet pas trop en question, ni en tant que mari ni en tant que père. Mais il va évoluer.
Pas grand-chose à voir avec le personnage joué par Bouli Lanners dans C’est ça l’amour, un film qui montre aussi les impasses de notre société de consommation et l’aliénation au travail, mais plus brièvement. Claire Burger explore avant tout l’intime des sentiments, avec une infinie délicatesse. Aussi bien dans la compréhension de Mario par rapport à sa femme – « Repose-toi de moi », lui dit-il – que dans son amour pour ses filles. Regardez la bande annonce, qui donne parfaitement le ton de ce long métrage.
Duelles (2019), d’Olivier Masset-Depasse, raconte l’histoire de deux amies très proches dont la complicité se fissure. Elles habitent deux villas mitoyennes dans un quartier résidentiel près de Bruxelles. Ce sont les années 1960, qu’on reconnaît dans l’ameublement, les vêtements, les coiffures… Peu à peu, le soupçon s’infiltre et un drame fait surgir le doute, jusqu’à la paranoïa. Les maris restent sur la touche. Un suspense psychologique très bien réalisé, à la Hitchcock, même si l'histoire semble parfois à la limite du vraisemblable. Ce film a récolté huit Magritte en 2020.
Autre découverte récente sur le petit écran, Mademoiselle de Joncquières (2018), un film tourné par Emmanuel Mouret dans un superbe château et dans un beau parc propice aux rencontres. A partir d’un récit tiré de Jacques le Fataliste de Diderot, c’est la vengeance souriante de Mme de la Pommeraye, une femme aimée puis délaissée par un marquis libertin à qui elle avait longtemps résisté. Cécile de France est inattendue dans le rôle de cette maîtresse femme qui joue dès lors la parfaite amie du séducteur invétéré (Edouard Baer). Un beau film tout en dialogues subtils (de Diderot) dans un beau phrasé qui s’accorde aux tenues du XVIIIe siècle (César 2019 des meilleurs costumes).
Bien que la télévision nous offre quelquefois des pépites – et cela continue sur Arte avec la Berlinale – , je serai contente de retourner au cinéma. Comme vous, j’imagine.
Commentaires
Les films belges passent rarement ou pas du tout par ici, ni à la télévision française me semble, mais je note avec intérêt les titres.
De J.P Bacri nous avons regardé "la femme de ménage", fort prévisible, n'apporte rien à l'histoire du cinéma:-)
Par contre Mademoiselle de Joncquières est formidable, les dialogues, le cadre, les acteurs, une merveille.
Depuis aujourd'hui les cinémas sont ré-ouverts ici, voyons les programmes !!!.
Oh chouette ! Oseras-tu t'y risquer si un film t'intéresse ?
Oh oui, bien sûr !!!
Je n'ai vu que le 1° et le dernier et ...suis bien plus sévère que toi.
Je ne suis pas sensible du tout aux films et au jeu de J.P. Bacri; pour moi, c'et ce que je n'aime pas dans le cinéma français, ses "petites" histoires qui jouent au réalisme. Mais témoignent surtout d'un manque d'ambition...
Mlle de Jonquières, il y a certes l'écriture, c'est vrai, mais le reste est surfait, petite comédie platement inspirée du chef d'oeuvre Les liaisons dangereuses...
Oui, je serais heureuse de retourner au cinéma, mais le copinage, les acteurs qu'on voit et revoit parce qu'ils constituent une bande de copains , ça m'ennuie. J'aime les films qui osent, les films en noir et blanc, ceux qui ont une esthétique qui ne soit pas convenue. J'ai trop fréquenté les cinémathèques...il faut me pardonner d'être exigeante.
Bonne nouvelle semaine Tania.
Merci pour ta franchise. Selon moi, "Le goût des autres" aborde des sujets peu courants dans les comédies françaises, souvent plus terre à terre, et Bacri me fait rire ou m'émeut, je le reconnais.
Quant au film tiré de Diderot, je suis d'accord qu'il n'a pas la subtilité du chef-d'oeuvre de Stephen Frears auquel il fait penser. J'ai appris que "Jacques le Fataliste" a paru un peu avant "Les liaisons dangereuses", cette proximité m'a étonnée.
Bravo d'être exigeante, il n'y a rien à pardonner, Anne. Bonne semaine !
Je viens de découvrir "Fais-moi plaisir" et "Un baiser s'il vous plaît", films plus anciens d'Emmauel Mouret proposés par Arte-tv.
Un délice de subtilité et d'originalité, qui au passage permettent de regarder autrement "Mademoiselle de Joncquières", dont l'intention est si différente des "Liaisons Dangereuses" de Frears (on peut ne pas accrocher) qu'ils ne sont à mon avis en rien comparables.
Bien amicalement,
ANNE
Je suis allée voir sur arte tv, malheureusement ces vidéos ne sont pas disponibles en Belgique.
En revanche, je suis tombée sur cette présentation de "Mademoiselle de Joncquières" qui éclaire les enjeux du film :
https://www.arte.tv/sites/olivierpere/2018/08/22/mademoiselle-de-joncquieres-de-emmanuel-mouret/
Merci, Anne & bonne journée.
Quel dommage que la Belgique n'y ait pas accès ! J'ignorais qu'il existait ce type de restriction...
Merci pour le lien !
Merci pour toutes ces critiques fort précises et intéressantes. Je connaissais et aime aussi beaucoup certains de ces films (contrairement à vous, chère Anne, je défends à fond tous les films de Jaoui/Bacri, mon préféré est le magnifique "Comme une image" ). Et pour les autres, ça me donne envie de les voir au plus tôt !
Merci, Ariane. Je n'ai jamais vu "Comme une image", je note ce titre, bien sûr.
J'ai vu tous les films dont tu parles au cinéma, et ils m'avaient paru de grande qualité.
Cécile de France et Edouard Baer sont surprenants à contre emploi, JP Bacri, lui est rarement dans un rôle de composition. Notre râleur national nous manquera...
Quant à retourner dès la réouverture au cinéma dont je suis plutôt friande, malgré ma grande envie de soutenir la création, je vais hésiter.. Je ne sais plus quand, mais nous avions des masques (déjà obligatoires en ce lieu) et un couple est venu s'installer à côté de moi et a enlevé son masque. J'ai gentiment fait la remarque, ils sont allés s'assoir cinq rangs plus bas, sans masques près d'une gentille Mamy....qui n'a rien dit. J'aurais pu de nouveau monter au créneau, je ne l'ai pas fait. Je regrette maintenant....
Bises Tania et à bientôt.
J'ignore si Bacri était vraiment râleur en dehors de ses rôles, un rôle que tant de gens endossent si facilement dans la vie ;-). André Dussolier a témoigné de "beaucoup d'humanité et de franchise", ce qui correspond mieux à l'image que je m'étais faite de lui : https://www.rtl.fr/culture/cine-series/jean-pierre-bacri-un-homme-libre-et-humble-se-souvient-andre-dussolier-7800958211
Des gens indélicats, on en trouve partout et on les remarque davantage en cette période, j'aurais réagi comme toi. Avec l'amie qui m'accompagne dans mes sorties au cinéma, nous choisissons habituellement les séances de l'après-midi où nous sommes parfois seules et souvent à moins de dix dans la salle, ce qui facilitera la reprise quand les cinémas rouvriront.
Oui, Tania, je n'ai pas vérifié pour les dates, mais pour moi, LES films semblent indiquer une inspiration du film Mlle de Jonquières venue du film Les liaisons dangereuses; J'aime ce livre, son écriture et le film; je ne pouvais qu'être déçue par Melle de Jonquières...Même, nous nous sommes ennuyés! Cette époque- là ne souffre pas la médiocrité..........La nôtre s'en contente.
Pour les dates, je cherche à vérifier, cela m'intéresse. "Les liaisons dangereuses" auxquelles Choderlos de Laclos travaillait depuis 1779 ont été publiées en 1782. Pour "Jacques le Fataliste", c'est plus compliqué, Diderot l'ayant retravaillé et complété durant près de vingt ans (de 1765 à 1784). L'oeuvre a été publiée dans la Correspondance littéraire de 1778 à 1780 - je n'ai pas encore trouvé de datation précise pour l'intégration dans le roman de l'histoire de Mme de la Pommeraye.
Et voilà que je trouve sur https://www.site-magister.com/jacques.htm#ixzz6mY8aQs00 (site protégé par droits d'auteur) que l'histoire de Mme de la Pommeraye aurait été inspirée à Diderot par l'histoire de M. Des Frans et de Silvie, dans "Illustres Françaises" de Robert Challe (1713) qui aurait aussi inspiré Laclos pour "Les Liaisons dangereuses" !
Bon, je vais en rester là. Cela ne change rien et ne veut rien changer à ton avis sur ce film et sur notre époque.
Bravo Tania, pour toutes tes recherches; c'est passionnant. Les grands esprits se rencontrent et les dates se télescopent. De toutes façons, pour ma part, je parlais du film Mlle de Joncquières qui ressemble Aux liaisons dangereuses, pas des livres (2 auteurs et une époque que j'aime pour son écriture!).
Je me suis toujours dit que je relirais Diderot et C. de Laclos si j'en ai le temps....
Tu m'as donné l'occasion de revenir à ces deux livres. Il y en a tant à relire, c'est vrai. Bonne journée, Anne.
Avec Jean-Pierre Bacri j'ai beaucoup aimé aussi "Cherchez Hortense" Je n'ai vu aucun des autres films, l'an dernier, j'y suis très peu allée, j'ai raté pas mal de choses. J'attendrai le passage télé.
Merci pour ce titre, un film que je n'ai pas vu et où joue aussi Isabelle Carré que j'aime beaucoup. Ils avaient déjà été réunis par Noémie Lvovsky dans "Les sentiments" en 2003.
Idem pour moi en ce qui concerne les salles de cinéma, je n'y ai plus mis les pieds depuis "Les filles du Dr March" il y a... un an.
je suis contente d'avoir lu Eric Neuhoff en 2019, https://www.rtbf.be/culture/pop-up/detail_quand-le-journaliste-et-auteur-eric-neuhoff-dezingue-le-cinema-francais-marion-jaumotte?id=10317316
comme ça tout ce que je pense a été dit par 1°un Français et 2°un pro ;-)
Merci pour le commentaire en lien dans le commentaire ;-).
"J’ai eu le tort de grandir dans les années 70 et le cinéma c’est quand même un truc très lié à l’adolescence", un rien excessif tout de même, non ?
Bonjour
Loin d'avoir "tout vu Bacri", j'ai un bon souvenir des "sentiments" cités plus haut et bien sûr (?) Du goût des autres, où je rejoins Tania sur une approche et un sujet pas si fréquents dans le cinéma français. Il est aussi mon préféré tous comptes faits.
Enfin, Emmanuel Mouret j'ai vu deux ou trois de ses premiers films, bien appréciés ; par contre celui-ci me retient à cause d’Édouard Baer que je supporte difficilement ! Compromis en vue toutefois,car j'aime beaucoup Cécile de France.. A suivre !!!.
Elle et lui jouent là à contre-emploi. Rien vu du tout d'Emmanuel Mouret avant ce film, à découvrir en ce qui me concerne.
A bientôt, K.
Moi aussi, j'aime beaucoup les films de Bacri. "Le sens de la fête" est le dernier de lui que j'ai vu au cinéma.
C'est aussi le dernier que j'aie vu sur grand écran et je l'ai revu à la télévision - la scène du marié "qui s'envole" est inoubliable !