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Passions - Page 153

  • Nord-Midi

    schuiten,peeters,bruxelles,un rêve capital,album,beau livre,histoire,architecture,urbanisme,culture,dessin« Parfois, on pourrait croire que Bruxelles n’est formé que de gares, que la capitale tout entière n’est qu’un lieu de passage destiné à être traversé au plus vite. Il est vrai que c’est de Bruxelles, le 5 mai 1835, qu’est parti le premier train du continent européen, reliant la capitale à la ville de Malines, vingt-deux kilomètres plus loin. Comme le réseau ferroviaire belge s’étend rapidement, la petite gare de l’Allée Verte ne suffit plus. On construit la gare du Nord, puis celles du Luxembourg et du Midi.
    Très vite, certains édiles bruxellois suggèrent de créer une liaison directe entre la gare du Nord et celle du Midi, avec une gare centrale au cœur de la ville. »

    (La Gare Centrale ne sera inaugurée qu’en 1952 par le jeune roi Baudouin, « au milieu d’un paysage urbain chaotique ».)

    Schuiten-Peeters, Bruxelles, un rêve capital (La jonction Nord-Midi)

    © François Schuiten, La Type 12 – Pont, 2017

  • Enfants de Bruxelles

    Schuiten et Peeters signent ensemble Bruxelles, un rêve capital, à ne pas confondre avec Brüsel (5e album des Cités obscures, 1992), la bande dessinée où ils avaient dénoncé dans une fiction apocalyptique ce qu’on appelle la « bruxellisation » : la destruction d’une ville « livrée aux promoteurs au détriment du cadre de vie de ses habitants, sous couvert d’une « modernisation » nécessaire » (Wikipedia).

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    Bruxelles, un rêve capital offre une plongée dans une ville bien réelle, racontée par Benoît Peeters et dessinée par François Schuiten, qui se considèrent tous deux comme des « enfants de Bruxelles ». Leur amour de notre capitale si diverse, ils en ont témoigné aussi en sauvant la Maison Autrique, œuvre de jeunesse de Victor Horta, ou, plus récemment, en œuvrant à l’aménagement de Train World, dont on doit la scénographie à François Schuiten (des pages y sont bien sûr consacrées).

    Leur nouveau livre propose « une traversée tout à fait subjective de l’histoire de Bruxelles », dont ils évoquent librement des moments, des lieux, des personnages marquants. Il suffit de le feuilleter sur le site de l’éditeur pour apprécier la beauté des illustrations pleine page (les deux premières montrent le mât de Lalaing et l’avenue Louis Bertrand). Parfait pour découvrir Bruxelles dont tous les charmes ne se dévoilent pas en un seul jour, jouissif pour ceux qui y vivent sans être forcément conscients de son passé et de son évolution urbanistique.

    « La Belgique est un livre d’art magnifique dont, heureusement pour la gloire provinciale, les chapitres sont un peu partout, mais dont la préface est à Bruxelles et n’est qu’à Bruxelles. » Cette phrase de Fromentin (dans Les Maîtres d’autrefois) mise en épigraphe est la première des nombreuses citations qui accompagnent l’ouvrage au fil des pages.

    En 1830, Bruxelles ne comptait que cent mille habitants (nous sommes douze fois plus en région bruxelloise actuellement). De grands travaux l’ont fait « devenir une capitale », comme la construction des Galeries Royales Saint-Hubert, du Palais de Justice monumental (au cœur de la bédé Le dernier pharaon), les aménagements urbanistiques lancés par le roi Léopold II, etc.

    Parmi les réalisations les plus réputées dans la capitale belge, on s’attendait moins à l’ascension du « Géant » de Nadar en 1864 au Botanique qu’à l’épanouissement de l’art nouveau avec Victor Horta ou à l’édification du Palais Stoclet, le chef-d’œuvre de Josef Hoffmann – j’espère comme tant d’autres pouvoir le visiter un jour. Au XXe siècle, voici « L’expo 58 » puis l’arrivée du Parlement européen…

    J’ai aimé voir mis à l’honneur, en plus des architectes ou des artistes, le génial Paul Otlet et son Mondaneum – l’inventeur de la Classification Décimale Universelle si utile en bibliothèque. Schuiten et Peeters ont bien sûr casé leurs favoris dans cette galerie aux trésors bruxelloise. On apprend que la « rue du Labrador », la première adresse (fictive) de Tintin, est devenue réalité à Louvain-la-Neuve, c’est la rue du musée Hergé.

    « Les raisons de critiquer Bruxelles sont nombreuses, connues, presque trop évidentes. Mais les raisons de l’aimer sont bien réelles, même si elles sont plus discrètes », concluent-ils, en rappelant que la ville est sans doute l’une des plus vertes d’Europe. Bruxelles, un rêve capital est un bel album à placer sous le sapin ou dans sa bibliothèque, pour s’y promener et pour rêver de la ville magnifiée par François Schuiten, entre réalisme et fantastique.

  • Imagine

    mcdaniel-tiffany-betty.jpg« – Imagine les saisons ici, ma Petite Indienne, m’a-t-il dit en souriant. Tout le reste du printemps, tu vas t’amuser à grimper dans cet arbre, là-bas. (Il a fait un geste en direction du grand chêne des marais tortueux dans la cour.) Ensuite, quand l’été arrivera, tu passeras la journée à manger des tomates dans le premier potager, qui sera là, à cet endroit. (Du doigt, il m’a montré un carré d’herbes hautes sur le côté de la maison.) A l’automne, tu resteras assise sur la véranda à regarder les feuilles tomber. L’hiver venu, tu taquineras les arbres nus en leur disant qu’ils ressemblent tous à des araignées sur le dos. »

    Tiffany McDaniel, Betty

  • Petite Indienne

    Dès sa parution l’an dernier, Betty (traduit de l’américain par François Happe), le roman de Tiffany McDaniel dédié à sa mère, Betty Carpenter, a récolté un succès international. Le poème de Betty au début ne laisse pas de doute sur les malheurs qui ont accablé son enfance.

    MA MAISON DETRUITE

    Donne-moi un mur,
    Je te donnerai un trou.
    Donne-moi une fenêtre,
    Je te donnerai une vitre brisée.
    Donne-moi de l’eau,
    Je te donnerai du sang.

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    © Tiffany McDaniel, Three Sisters, squash, corn, and beans, original painting by Tiffany

    Betty est la sixième des huit enfants d’un père cherokee aux cheveux noirs, Landon Carpenter, et d’une mère plus jeune que lui de onze ans, Alka Lark, aux cheveux blonds. De tous ses frères et sœurs, c’est elle qui ressemble le plus à son père. Elle est sa « Petite Indienne », sa favorite, bien que cet homme « fait pour être père » soit attentif et attaché à chacun de ses enfants.

    L’histoire dramatique de ce couple qui s’est marié en 1938 dans la désapprobation générale est racontée avec force par la romancière américaine : rejet de la famille Lark, difficultés rencontrées par Landon à son travail, quand il en trouve, déménagements nécessaires pour fuir la violence. Mais ce qui éclaire le récit du début à la fin, malgré toutes les horreurs qui s’y succèdent, c’est leur façon de vivre quotidienne en relation avec la nature.

    Les arbres et les plantes, le soleil et les orages, les étoiles, tout ce qui vit autour d’eux vit avec eux. Le père de Betty lui rappelle comment, chez ses ancêtres, les Aniwodi, un clan de créateurs « réputé pour ses guérisseurs et ses sorciers », les femmes possédaient et cultivaient la terre, les hommes chassaient. Les colons blancs ont mis fin à leur société matriarcale et matrilinéaire, renvoyé les femmes des champs à la cuisine.

    « L’âme de mon père était d’une autre époque. D’une époque où le pays était peuplé de tribus qui écoutaient la terre et qui la respectaient. Lui-même s’est tellement imprégné de ce respect qu’il est devenu le plus grand homme que j’aie connu. » Cette omniprésence du monde vivant – animal, végétal, minéral – autour des personnages, mêlée à tout ce qui leur arrive, donne au roman une atmosphère originale, voire magique.

    En épigraphe, une citation tirée de la Bible donne sa tonalité à chaque chapitre. La romancière a magnifiquement doté les enfants Carpenter d’une aura particulière. Betty, la narratrice, a une relation privilégiée avec son père. Ses frères et sœurs le savent, sans rien perdre pour autant de l’amour paternel qui les porte du début jusqu’à la fin. Et c’est lui qui les soutient, quelles que soient les circonstances. La mère de Betty a eu trop à porter elle-même pour venir en aide à ses enfants, même si elle s’y efforce.

    Tiffany McDaniel, la fille de Betty, a mis dix-sept ans à écrire cette histoire de sa famille sur plusieurs générations, qui se déroule dans le sud de l’Ohio où sa mère a grandi, dans les contreforts des Appalaches. Contrairement aux habitants de leur petite ville où ils se heurtent au racisme ordinaire, les Carpenter ne craignent pas trop la malédiction attachée à la maison délabrée où ils ont emménagé. Le père a suffisamment d’histoires à leur raconter pour que la famille y vive avec ses propres mythes.

    Le plus étonnant pour moi, à la lecture de Betty, best-seller abondamment primé où la question du destin des femmes est si présente, c’est qu’à travers une telle succession de souffrances en tous genres, cette romancière américaine née en 1985 parvienne à faire triompher deux thèmes très forts, ici inséparables : le bonheur de cohabiter avec la nature, l’initiation à la bonté.

  • Frankie

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    Penda Diouf, Pistes…