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Passions - Page 157

  • Simon Gronowski

    « J’ai pardonné à mon geôlier nazi… » Quatre pages dans La Libre Belgique du week-end pour Simon Gronowski, formidable ! Linda, avec qui j’ai visité la Kazerne Dossin, m’a fait connaître ce « Passeur de mémoire » qui vient de fêter ses 90 ans. Francis Van de Woestyne l’a rencontré chez lui à Ixelles. Leur entretien parle de sa vie exceptionnelle, « l’histoire d’un petit garçon qui s’est évadé à 11 ans du vingtième convoi qui emmenait 1600 Juifs à Auschwitz… »

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    Simon Gronowski jouant du jazz au piano à sa fenêtre en Belgique durant le confinement, 2021
    © Ksenia Kuleshova for The New York Times

    Simon Gronowski est né à Bruxelles, où son père polonais, qui avait fui l’antisémitisme, tenait un commerce. Celui-ci était absent quand la Gestapo est venue les arrêter en mars 1943, sa mère, sa sœur et lui. Enfermés un mois à la Caserne Dossin, ils reçoivent leur numéro de déporté, sa mère et lui ensemble, sa sœur dans un autre convoi.

    Trois jeunes résistants ont attaqué le train à Boortmeerbeek et ont fait descendre 17 personnes dans la nuit. Plus loin, sa mère lui a demandé de sauter du train en marche par la porte ouverte, mais elle ne l’a pas suivi. Aidé par plusieurs personnes, dont un gendarme, il a pu rejoindre son père là où il se cachait. Sa mère et sa sœur ne sont jamais revenues. Son père malade est mort en 1945.

    Au récit de sa vie, « faite de miracles », s’ajoute un témoignage sur l’engagement magnifique de Simon Gronowski : un livre, L’Enfant du XXe convoi (repris aussi en bédé) ; les rencontres avec les jeunes dans les écoles, en Belgique et à l’étranger, comme le faisait Kichka ; l’amitié avec Koenraad, fils d’un collabo flamand, qui a souhaité le rencontrer et est devenu son « frère ». « Il est plus dur d’être le fils du criminel que le fils d’une victime », selon Simon Gronowski. Pour lui, qui n’a jamais eu de haine en lui, « la leçon est qu’il faut pardonner ».

  • Amour ou solitude

    La beauté dure toujours : le titre du dernier roman d’Alexis Jenni m’intriguait, aussi l’ai-je emprunté à la bibliothèque pour découvrir ce qu’il cache. Son narrateur, un écrivain pressé par son éditeur de lui présenter son travail en cours, a décidé d’écrire une histoire d’amour. Pas la sienne, mais celle de son ami Noé et de Félicité. J’ai tiqué à la manière dont le narrateur se présente, « un cismâle blanc de plus de cinquante ans » – j’ignorais tout, je l’avoue, de la cisidentité – curieux des femmes mais vivant seul.

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    S’il persiste à vouloir écrire sur l’amour qui dure entre cet ami dessinateur et sa belle avocate qui travaille comme « commis d’office »,  c’est parce qu’il a dépassé la limite de trois ans fixée par un roman-film d’un auteur contemporain à succès et s’inscrire en faux contre ce déni de l’amour durable. (Jenni ne nomme ni Beigbeder ni Houellebecq qu’on reconnaît plus loin dans un portrait à charge durant un dîner mondain.)

    Contrairement aux personnages de L’arrière-saison de Philippe Besson, ce trio est rarement réuni dans le roman ; chaque chapitre donne la parole successivement à chacun des protagonistes. Le narrateur et son ami se retrouvent régulièrement au parc, à observer ensemble les allées et venues. Chez lui, Noé est le plus souvent seul dans son atelier dont il ferme la porte, à dessiner du matin au soir. Félicité, qu’il trouve toujours aussi belle à cinquante ans, celle-ci s’en étonne mais aime qu’il la dessine, se réveille souvent seule et cette porte fermée l’exaspère, ainsi que le « chaos » de l’atelier.

    Le narrateur, lui, écrit face à un mur nu, à l’exception d’une carte postale de La Valse de Claudel. Il ne comprend pas bien pourquoi Noé ajoute un trait « qui ne représente rien » à son dessin ni en quoi consiste « l’équilibre » dont il parle. « Quand on écrit, on peut toujours essayer d’expliquer ce que l’on fait, parce que par le verbe on peut comprendre ce que l’on construit par le verbe. C’est illusoire, mais cela s’envisage ; en dessin on marmonne, on se contente de faire. »

    Cette citation tirée du premier chapitre annonce assez bien la manière dont est construit La beauté dure toujours : le narrateur désire raconter, montrer, voire expliquer ce couple qui continue à s’aimer. Le dessinateur aime – interrogé sur l’amour, il répond : « ça se vit, c’est tout » – et dessine ; Félicité cherche comment mieux s’accorder au tempo de l’homme qui l’a sauvée d’un premier mariage calamiteux, d’un mari qui l’utilisait comme objet de parade et de jouissance.

    « Le monde est chaos, mais il y a l’art et l’amour » : cette déclaration du narrateur résume l’intention du roman, situé à l’époque des manifestations des gilets jaunes. Expositions en galerie, discussions sur la littérature et l’édition, ressenti des corps et sensualité – le narrateur et le dessinateur se rejoignent dans ce « récit de l’amour parcouru de tempêtes ».

    « La beauté dure toujours » : la contemplation mutuelle est-elle l’explication d’un couple qui continue à s’aimer ? Alexis Jenni m’a paru moins à l’aise dans la construction de ce roman que dans L’art français de la guerre, dont on retrouve des thématiques, dans un autre contexte. Le point de vue désabusé du narrateur y fait de l’ombre. Le bandeau de couverture me semble incongru.

    J’hésitais à rendre compte de cette lecture quand j’ai lu dans La Libre Eco une chronique de Laurence Dessart intitulée « Le « grégaire anonyme » à l’heure digitale : toujours connecté, mais toujours seul ». Cet article pose une question bien de notre temps : « Si l’hyperconnectivité favorisée par les technologies multiples et variées n’était qu’un leurre ? » Le « grégaire anonyme » veut à la fois être seul et se présenter comme hypersocial, populaire et connecté. Les relations qu’il noue avec des inconnus à travers le monde, avec qui il partage ses centres d’intérêt, permettent d’être à la fois acteur et spectateur, libre de faire ce qu’il lui plaît, de rejoindre un groupe ou de l’abandonner, sans aucune contrainte ou jugement. « Le bénéfice retiré n’est pas dans l’interaction, mais dans l’identification. »

    Quel rapport avec le roman, me direz-vous ? La solitude qui résulte, voire s’aggrave, dans cette position qui est celle du narrateur – regarder vivre les autres tout en se tenant en retrait de l’amour – ne me paraît pas éloignée de celle du « grégaire anonyme ». Le point de vue analytique du narrateur, s’il éclaire le thème de la création littéraire, et de façon plus intéressante à mon avis, celui de la création artistique, alourdit cette histoire d’amour. Le bonheur de Noé et de Félicité, malgré leurs prénoms symboliques, y reste surtout le spectacle des corps qui se rencontrent et s’accordent – presque leur seul territoire commun, tandis qu’ils vaquent le reste du temps à leurs activités respectives, sans trop s’y intéresser .

  • Hommes ou femmes

    bona,mes vies secrètes,essai,autobiographie,rencontres,biographe,écriture,art,culture« Je croyais comme lui [Michel Mohrt] à la magie des rencontres, aux liens qui se nouent souvent sans qu’on en sache rien. Et sinon à l’entière prédestination des êtres, au moins à l’importance du hasard et de la part du rêve dans une vie.
    Je partageais aussi avec lui un amour et une fidélité obstinée pour ma région natale. Attachée de toutes mes racines à la Catalogne, aux souvenirs d’une enfance heureuse, bercée et consolée en catalan par ma grand-mère, comment serais-je restée indifférente à ce Breton bretonnant ?
    De là à écrire sa biographie, il y a un pas que je n’ai pas franchi. Je crois que le fait de le connaître m’en empêchait. J’ai toujours écrit sur des personnages, hommes ou femmes, que je n’avais pas approchés dans la vie réelle, et qui m’étaient à peu près inconnus. A l’exception de Clara Malraux, avec laquelle je n’eus cependant qu’un unique entretien, je n’avais rencontré ni Gary, ni Maurois, et évidemment, ni Berthe Morisot ni Paul Valéry. »

    Dominique Bona, Mes vies secrètes

  • Raconter une vie

    Dans Mes vies secrètes (2019), Dominique Bona raconte et se raconte – un peu, beaucoup, passionnément. La biographe qu’elle est devenue sans l’avoir vraiment choisi nous emmène dans ses voyages littéraires, sur les traces d’écrivains et d’artistes. Trois cents pages dont je me suis délectée, du « soleil de Majorque » où elle a suivi sur son bateau l’épouse de l’architecte qui a construit la villa de Romain Gary à Port d’Andratx, « Cimarron », jusqu’à la villa de François Nourrissier dans le XVIe, quand une phrase la désarçonne : « Je le sens bien, vous n’écrirez plus de romans… »

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    Au départ, il y a son coup de foudre pour Les Racines du ciel de Romain Gary, « l’Enchanteur », petit Poche reçu pour ses dix-huit ans fêtés près de la  Méditerranée : « une voix qui m’a charmée, une voix où j’entendais toute la tendresse du monde. Nul mieux que lui n’a dit la fragilité de la vie et de l’amour mais aussi le désir d’éternité : que la vie et l’amour puissent durer toujours. » Ce roman contient, écrit Bona, « un des plus beaux portraits de femme de la littérature », celui de Minna, l’Allemande qui a fui Berlin pour l’Afrique, une prostituée. (La biographie de Romain Gary, la première signée Dominique Bona, a reçu en 1987 le Grand prix de la biographie décerné par l’Académie française, où elle est la huitième femme élue, depuis 2013, comme l’indique la poignée de son épée d’académicienne.)

    Ses histoires, au fond, ce sont des rencontres, tout d’abord en tant que journaliste, pour préparer un article ou un entretien. Un rendez-vous l’a particulièrement impressionnée, « dans un petit appartement couvert de livres et surtout de tableaux, du sol au plafond. Un véritable nid d’artiste. » Jean-Marie Rouart, au chômage depuis deux ans, brouillé avec le Figaro et avec son idole, Jean d’Ormesson, écrit là au milieu de paysages, de marines, de bouquets de fleurs, de portraits de lui à tous les âges – des tableaux de famille. « Dans l’appartement de la rue du Cherche-Midi, il y avait sans que j’en aie conscience, sans que je puisse même en deviner l’augure, tout ce qui serait la matière et la trame de mes livres futurs. »

    C’est chez Simone Gallimard, élégante, sentimentale, qu’elle a signé son premier contrat, pour un premier roman, Les heures volées (1981), édité au Mercure de France. Les jeunes auteurs étaient accueillis dans son appartement (au-dessus de l’atelier de Delacroix, place de Furstenberg) ou chez elle à la campagne. L’éditrice se démenait pour décrocher des prix littéraires et on n’imagine pas les dessous inattendus de l’Interallié obtenu pour Malika, troisième roman de sa protégée.

    Dominique Bona, de chapitre en chapitre, révèle son enthousiasme pour les femmes hors du commun qu’elle a rencontrées dans les livres ou dans la vie. Son attrait pour les mystères, et en particulier pour les histoires secrètes, apparaît bien dans sa description d’un « joli coffret en carton noir » vu dans la vitrine d’un marchand de livres anciens : « Collection secrète d’un auteur célèbre ». Les photos de femmes nues que prenait Pierre Louÿs, poète célèbre publié au Mercure, la conduisent vers ses maîtresses, vers les trois filles de José Maria de Heredia, dont Marie, « reine des Canaques », l’épouse d’Henri de Régnier – le sujet des Yeux noirs. Ce chapitre sur les « dames galantes » évoque aussi sa visite à Arcachon chez un bibliophile étonnant, avec qui elle regrette d’être brouillée depuis la parution d’Une ville d’hiver ; il n’a pas aimé le personnage qu’il est devenu à travers son imagination de romancière.

    Je ne reprendrai pas tous les noms de l’histoire littéraire et de l’histoire de l’art qui reviennent sous la plume de Dominique Bona, je vous renvoie à sa bibliographie. J’ai aimé la suivre dans les coulisses de ses enquêtes biographiques. Peu à peu, elle y dévoile ses goûts, ses préférences, sa sensibilité. Les derniers chapitres sont les plus personnels. Dans « Les promesses amoureuses non tenues », elle parle de la tentation « d’inventer ce qui n’a pas été », comme cette liaison qu’elle imagine entre Berthe Morisot et Manet dont il n’y a aucune preuve sinon les onze portraits d’elle qu’il a peints. Des « voies qui s’ouvrent ou se ferment, sans qu’on sache trop comment ni pourquoi » : « J’ai toujours été fascinée par les forces de la nuit : ce qui est mystérieux dans une existence, ce qui est en dehors des champs du raisonnement, de la logique. »

    Décrivant les maisons où elle est entrée, Dominique Bona en choisit une où elle aurait aimé habiter, à Roz-Ven en Bretagne : chez Colette, une femme libre sur qui elle a écrit, à qui elle doit beaucoup, et « une libératrice », qui l’a « aidée à vivre ». « Seul le romancier passe pour un écrivain, le biographe écrit à l’ombre de sa gloire. » Bona, qui cultive l’art de la synthèse et de la concision, réussit dans « Mes vies secrètes » à raconter sa vie de biographe, à nous faire partager ses émotions, à nous montrer que le cœur peut être plus fort que l’intelligence.

  • A contre-courant

    fernandez,avec tolstoï,essai,littérature française,tolstoï,littérature russe,guerre et paix,iasnaïa poliana,vie,écrits,mariage,idées,culture« L’évolution même de Tolstoï est à contre-courant de ce qu’on observe chez les autres écrivains et artistes. Jeune, il adopte sans les discuter les coutumes et les conventions de sa classe : aristocrate campagnard, propriétaire terrien, seigneur local, officier, joueur, débauché, il entre facilement dans chacun de ces rôles. Peu à peu, il prend conscience de son erreur. De plus en plus insatisfait, il rompt avec ses habitudes, ses manières de penser. Et le voilà, dans son âge mûr, en pleine lutte intérieure contre lui-même, puis en pleine révolte contre son milieu ; en son grand âge enfin, il cherche décidément à déplaire, se dressant dans la posture magnifique de l’insurgé. »

    Dominique Fernandez, Avec Tolstoï

    Ilia Repine, Tolstoï à sa table de travail, 1891, Musée russe, Saint-Pétersbourg