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les planches courbes

  • La pluie d'été

    I

    Mais le plus cher mais non
    Le moins cruel
    De tous nos souvenirs, la pluie d’été
    Soudaine, brève.

    Nous allions, et c’était
    Dans un autre monde,
    Nos bouches s’enivraient
    De l’odeur de l’herbe.

    Terre,
    L’étoffe de la pluie se plaquait sur toi.
    C’était comme le sein
    Qu’eût rêvé un peintre.

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    Pluie à la fenêtre

    II

    Et tôt après le ciel
    Nous consentait
    Cet or que l’alchimie
    Aura tant cherché.

    Nous le touchions, brillant,
    Sur les branches basses,
    Nous en aimions le goût
    D’eau, sur nos lèvres.

    Et quand nous ramassions
    Branches et feuilles chues,
    Cette fumée le soir puis, brusque, ce feu,
    C’était l’or encore.

    Yves Bonnefoy, La pluie d’été
    Les planches courbes, Poésie/Gallimard, 2020

  • Nommer

    yves bonnefoy,de grands blocs rouges,la vie errante,les planches courbes,poésie,littérature française,cultureIl se demandait comment il pourrait dire ces grands blocs rouges, cette eau grise, argentée, qui glissait entre eux et le silence, ce lichen sombre à diverses hauteurs du chaos des pierres. Il se demandait quels mots pourraient entrer comme son regard le faisait en cet instant même dans les anfractuosités du roc, ou prendre part à l’emmêlement des buissons sous les branches basses, devant ce bord de falaise qui dévalait sous ses pas parmi encore des ronces et des affleurements de safre taché de rouille. Pourquoi n’y a-t-il pas un vocable pour désigner par rien que quelques syllabes ces feuilles mortes et ces poussières qui tournent dans un remous de la brise ? Un autre pour dénommer à lui seul de façon spécifique autant que précise l’instant où un moucheron se détache de la masse de tous les autres, au-dessus des prunes pourries dans l’herbe, puis y revient, boucle vécue sans conscience, signe privé de sens autant que fait privé d’être, mais un absolu tout de même, à lui seul aussi vaste que tout l’abîme du ciel ? Et ces nuages, dans leur position de juste à présent, cou leurs et formes? Et ces coulées de sable dans l’herbe auprès du ruisseau ? Et ce petit mouvement de la tête brusque du merle qui s’est posé sans raison, qui va s’envoler sans raison? Comment se fait-il qu’auprès de si peu des aspects du monde le langage ait consenti à venir, non pour peiner à la connaissance mais pour trouver repos dans l’évidence rêveuse, posant sa tête aux yeux clos contre l’épaule des choses ? Quelle perte, nommer ! Quel leurre, parler ! Et quelle tâche lui est laissée, à lui qui s’interroge ainsi devant la terre qu’il aime et qu’il voudrait dire, quelle tâche sans fin pour simplement ne faire qu’un avec elle ! Quelle tâche que l’on conçoit de l’enfance, et que l’on vit de rêver possible, et que l’on meurt de ne pouvoir accomplir !

    […]

    Yves Bonnefoy, De grands blocs rouges in La vie errante,
    Les planches courbes, Poésie/Gallimard, 2020

  • Que ce monde demeure

    yves bonnefoy,que ce monde demeure!,les planches courbes,poésie,littérature française,cultureJe redresse une branche
    Qui s'est rompue. Les feuilles
    Sont lourdes d’eau et d’ombre
    Comme ce ciel, d’encore

    Avant le jour. Ô terre,
    Signes désaccordés, chemins épars,
    Mais beauté, absolue beauté,
    Beauté de fleuve,

    Que ce monde demeure,
    Malgré la mort !
    Serrée contre la branche
    L'olive grise.

    Yves Bonnefoy, Que ce monde demeure !
    Les planches courbes, Poésie/Gallimard, 2020

    Jardinet sur le boulevard, mai 2022