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Passions - Page 155

  • Autoportrait

    vallotton,la vie meurtrière,roman,littérature française,dessins,autobiographie,fatalité,art,autoportrait,suicide,culture« Me voici donc à Paris. J’ai dix-huit ans, un passé dont le temps finira bien par effacer la hantise, du courage, peu de besoins et de l’estomac : pourquoi l’avenir ne m’appartiendrait-il pas ?
    Je vois sur ma table la photographie de l’être que j’étais à ce lever de ma vie d’homme, et, sous la toison de boucles brunes, jadis orgueil de ma mère, mais déjà bien assagies, je distingue un profil assez fin. Un front égal, un œil pâle, bien placé, mais sans éclat sous des paupières maladives, un nez court et busqué, une lèvre supérieure proéminente, où pointent les prémices d’une moustache retardataire, une bouche aux lèvres épaisses, volontiers entrouvertes sur des dents assez belles, mais écartées, et, subitement, la fuite d’un tout petit menton raté, d’un mauvais petit menton de hasard, qui entache l’ensemble et le tare de sa défaillance. »

    Félix Vallotton, La vie meurtrière

    Félix Vallotton, Autoportrait à vingt ans, 1885, Lausanne, Musée cantonal des Beaux-Arts

  • Vallotton romancier

    Le peintre Félix Vallotton (Lausanne, 1865 – Paris, 1925) écrivait aussi – le saviez-vous ? Ses gravures sur bois ont d’abord fait la renommée de cet artiste qui travaillait énormément : il a laissé plus de 1700 peintures, dont la première que j’ai vue, il me semble, est Le ballon au musée d’Orsay (dans un parc, un enfant vêtu de blanc court vers un ballon, de l’ombre vers le soleil ; deux femmes, au loin, se parlent dans une trouée de lumière). Son roman La vie meurtrière (1907) a été publié à titre posthume « avec 7 dessins de l’auteur ». Résolument côté ombre.

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    2017

    On y entre par un avant-propos : un commissaire de police parisien est appelé rue des Vignes pour un suicide. Jacques Verdier, vingt-huit ans, a laissé un mot pour régler ses affaires et, à l’attention du commissaire, pour « l’usage qu’il voudra », un manuscrit intitulé « Un amour ». Le texte tombe « dans les poussières bien connues de l’oubli » jusqu’à ce quelqu’un se décide à le publier, sous un nouveau titre.

    C’est un récit autobiographique à la première personne. Jacques Verdier commence par sa petite enfance ordinaire, à part un épisode de diphtérie. Vers ses cinq ans, son père annonce un soir que la guerre est déclarée – de cette guerre franco-prussienne, il garde quelques souvenirs confus. Les impressions de ses visites au voisin, « un graveur de lettres nommé Hubertin » qui loue le troisième et dernier étage de leur maison, sont plus précises.

    Un jour de juin où son copain Vincent, « fils d’un faïencier du voisinage », marche sur « le petit mur qui bordait la Mouline », l’ombre qu’il lui fait en arrivant derrière lui le surprend. Le garçon tombe, le front contre un rocher. Sorti de son évanouissement, « le crâne fendu », il accuse Jacques de l’avoir poussé – celui-ci devient « celui qui avait poussé le petit Vincent dans la rivière ». C’est la première des victimes de La vie meurtrière, une série noire. « A cette heure, après tant d’années et malgré de plus lourds remords, je ne puis sans trembler songer à cette scène. »

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    2009

    A chaque intervention fatale de Jacques, on s’interroge sur sa maladresse –  involontaire ? Quand il s’installe à Paris pour étudier le droit, il laisse volontiers sa chambre d’étudiant pauvre pour les jardins du Luxembourg ou, le soir, pour la bibliothèque Sainte-Geneviève dont il apprécie le silence et la chaleur. Pas à l’aise avec les filles, il fréquente de temps à autre « des maisons discrètes », se lie peu. Seuls les arts le passionnent : le Louvre l’éblouit, il va au concert. Devenu un habitué d’un petit café fréquenté par de jeunes artistes, il y prend part aux discussions, apprécie la compagnie de Darnac, un sculpteur.

    Son droit terminé, que faire ? C’est Darnac qui lui suggère d’écrire ; il connaît le directeur de la revue Le Parthénon et lui propose d’appuyer l’envoi de son premier article. En l’apportant à l’atelier de Darnac, Jacques le trouve en plein travail avec un modèle, « une jolie fille aux formes graciles, dont la blancheur illuminait la pièce ». Hélas la séance de pose se termine par une chute dramatique : Jeanne, le modèle, tombe sur le poêle rougi et s’y brûle affreusement !

    Dès lors, Jacques prendra des nouvelles de Jeanne régulièrement, tandis qu’il ressent par ailleurs, pour la première fois, un véritable coup de foudre pour la belle Mme Montessac, l’épouse du directeur de la revue. Celui-ci l’a engagé pour une série d’articles sur la « Sculpture française au XIIe siècle » et invité à une réception chez lui.

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    Félix Vallotton, Le mensonge, Intimités I, 1897, gravure sur bois
    (peinture au musée d'art de Baltimore)

    La Vie meurtrière relate la courte vie de Jacques Verdier partagée entre ses recherches esthétiques et ses relations compliquées avec les autres, en particulier avec ces deux femmes. La jeune victime accidentelle, qui garde de terribles séquelles, se méprend sur ses intentions. L’autre s’intéresse à lui mais repousse ses tentatives de séduction et ses accès de jalousie.

    Félix Vallotton fait le portrait d’un jeune homme mal dans sa peau et mal à l’aise en société. La description de Paris, des milieux fréquentés, les propos sur l’art, le pessimisme de Jacques conscient de porter malheur, son autoportrait sans complaisance sont autant d’entrées dans cette intrigue dont on connaît l’issue.

    Un roman noir, comme les illustrations en noir et blanc de l’artiste (non disponibles en ligne),  nourri d’éléments autobiographiques. « La vie pour Vallotton s’apparente à un duel constant. Il est modeste mais ambitieux, séducteur mais misogyne, contemplatif mais acerbe, engagé mais rangé. » (Christophe Averty, Le mystère Félix Vallotton, peintre de la trahison et de la vérité travestie, Connaissance des Arts, 27/12/2019)

  • Intemporelle

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    « Les œuvres textiles d’Elise Peroi sont d’une élégance intemporelle. L’artiste accorde autant d’importance au processus – le « chemin de tissage » parcouru – qu’au résultat final.

     

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    Elle maîtrise cette technique ancestrale mieux que quiconque et la compare, par ailleurs, à un processus d’écriture dans lequel les ratés profitent à de nouvelles expressions.

     

     

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    Sa préférence se tourne vers le fil de soie : ce matériau à la fois fragile et noble lui permet de donner vie à des paysages imaginaires, des panoramas d’une nature paisible mais ô combien vivante. »

    Catalogue FIL, La Maison des Arts, Schaerbeek, 2021.

    © Elise Peroi, Sous-bois, 2020, installation :
    soie peinte, lin, bois, dimensions variables (3 détails) 

    A voir à la Maison des Arts de Schaerbeek jusqu’au 25 avril,
    en nocturne le jeudi 22 (sur inscription).

  • FIL, 9 artistes

    Il ne reste qu’une semaine pour visiter à la Maison des Arts de Schaerbeek la belle exposition « FIL », enfin vue la semaine dernière (entrée libre, s’inscrire sur le site) : « 9 artistes contemporains travaillent le fil ». Mélanie Coisne, directrice du TAMAT à Tournai, rappelle dans le catalogue l’évolution du tissage à l’artisanat, de l’artisanat d’art à l’art textile (à partir des années 1960).

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    Deux artistes très connus figurent au début du parcours dans cette Maison des Arts bien restaurée. J’ignorais que José María Sicilia, aux fleurs rouges sur cire inoubliables, s’était tourné ces dernières années vers le tissu et la broderie. Dans le hall d’entrée est suspendu un « suzani » (textile traditionnel en soie d’Asie centrale, cousu pour la dot, XIXe) où il a collé de petits ronds de peinture blanche : « El Ojo de agua » (L’œil d’eau, 2009) représente une constellation céleste. On retrouvera cet artiste à l’étage.

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    © Chiharu Shiota, State of Being (kimono), 2014

    Le parcours commence dans la belle salle à manger où deux œuvres de Chiharu Shiota, « State of  Being » (Etat d’être), distillent leur mystère dans la pénombre : la chute de lettres capitales retenues dans les fils noirs tendus dans une cage de verre et, devant les vitraux anciens d’une fenêtre, un kimono clair qui flotte dans les jeux de lumière et d’ombre des fils croisés – à la fois présence et reliquaire, c’est fascinant.

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    © Hélène de Gottal, Pourquoi naître esclave ?, 2017, installation (détail)

    Des vidéos de deux, trois minutes permettent de faire connaissance avec les sept autres artistes intervenant dans cette exposition. Le travail d’Hélène de Gottal est présenté au petit salon. Je vous recommande de l’écouter au sujet de « Pourquoi naître esclave ? », son installation de petits objets, de pierres et de dentelles près d’une réplique d’un buste de Carpeaux qui l’a inspirée.

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    © Elise Peroi, Sous-bois, 2020, installation

    Mon coup de cœur va au « Sous-bois » d’Elise Peroi, une œuvre réalisée expressément pour cette expo : vers 1920, le jardin de la Maison des Arts était un sous-bois. Elle en évoque l’atmosphère en utilisant la technique de la double chaîne pour créer des effets de volume, de transparence. A partir d’une soie peinte et de fils de lin, elle établit un pont entre le passé et le présent dans ce grand salon où l’air circule à la lumière généreuse des fenêtres, entre les murs tapissés de nuages. C’est superbe ! Un détail a servi pour la belle affiche de FIL.

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    Des rayons de bibliothèque sans livres, c’est triste. Erwan Maheo structure cette pièce en longueur à l’aide de cloisons textiles (recto et verso) qui rythment l’espace. Leurs motifs, signes ou mots, m’ont paru hermétiques. Le parcours fléché continue à l’étage. On y accède par un bel escalier au pied duquel une petite table vitrine contient des tissus de la famille qui habitait cette maison, construite en 1825 pour de riches drapiers. Notamment un « couvre-lit post accouchement » : était-il destiné aux visites à la jeune mère ?


    José Maria Sicilia, Light on light (au début de la bande-annonce de FIL)

    « Light on light » de José Maria Sicilia intrigue, dans la première chambre. Francisco Calvo Serraller, sur le site de la galerie où vous trouverez d’autres de ses créations, explique son cheminement autour de la lumière : « Il ne s’intéresse donc pas à la lumière elle-même, mais à sa fuite ; le phénomène de sa dispersion dans l’ombre. » Ses broderies sur soie jouent avec la lumière, la couleur, la transparence. Des motifs épars flottent dans l’air et sur la toile fine.

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    © Mireille Asia Nyembo, Effacement, éclatement et reconstruction (série), 2020

    Regardez sur le site de la Maison des Arts, si vous voulez, Ethel Lilienfeld présentant sa mystérieuse vidéo « Elle essayait de se réconcilier avec la nuit ». Ecoutez Mireille Asia Nyembo expliquer ce qui la motive et toutes les phases de son travail pour « Effacement, éclatement et reconstruction » (ci-dessus) : je suis restée longuement devant cette suspension magnifique, faite de cendre de raphia sur pagne wax rigidifié (elle rappelle que le raphia est le véritable patrimoine textile du Congo, son pays natal, l’origine du wax est ailleurs).

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    Vue partielle d'œuvres présentées par Alice Leens (coton)  

    Dans les autres chambres, on découvre les enroulements en fuseau de Maren Dubnick qui enveloppe divers objets et même des éléments architecturaux – si vous ne l’avez pas remarqué en arrivant, arrêtez-vous sur le porche dont elle a entouré une colonne, ton sur ton. Les sculptures d’Alice Leens, une artiste qui travaille le fil et la corde, révèlent à la fois des textures, des volumes, des structures qui occupent l’espace et qu’on a envie de toucher : du textile devenu sculpture à part entière !

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    Maren Dubnick à l'oeuvre : Entasis, 2021,
    installation sur le porche de la Maison des Arts : ficelle agricole

    FIL est une exposition très réussie, riche et diversifiée. Chaque artiste y a son espace propre, ce qui permet de bien se concentrer sur chacun de ces neuf univers. Durant ma visite, j’ai pensé à certaines d’entre vous qui tricotent, brodent, cousent, en me disant que ce serait vraiment bien de regarder tout cela ensemble. Puissent ces mots et ces photos, ces liens, vous atteindre où que vous soyez.

    A voir à la Maison des Arts de Schaerbeek jusqu’au 25 avril,
    en nocturne le jeudi 22 (sur inscription).

  • Servante des oiseaux

    Freund Yourcenar dans son jardin.jpg« Le jardin de Petite Plaisance et son petit bois de bouleaux, de chênes et d’érables sont un refuge très apprécié des rouges-gorges, linottes, bruants fauves, mouchets chanteurs et autres piverts. Yourcenar les nourrit tous les matins de graines, de morceaux de pommes et de raisins secs. « Rien à faire dans le jardin paré pour l’hiver, mais les oiseaux restent charmants. De temps à autre, timidement, une mésange vient manger dans le creux de ma main, ce qui me flatte beaucoup. » Plusieurs rustiques nichoirs font office de gîte provisoire pour ces hôtes ailés qu’elle vénère, à l’instar d’un saint François d’Assise. « Ce sont mes amis. […] Je suis la servante des oiseaux. […] Je pense que les oiseaux sont des anges. » Elle copine aussi avec Joseph « au manteau rayé », l’écureuil chipmunk qui n’hésite pas à s’installer sous la table de la cuisine. »

    Achmy Halley, Marguerite Yourcenar. Portrait intime

    Marguerite Yourcenar dans son jardin, 1974 © IMEC, Fonds MCC, Dist. RMN-Grand Palais / Gisèle Freund