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Passions - Page 156

  • Yourcenar intime

    Marguerite Yourcenar, Portrait intime est un bel album signé Achmy Halley, paru en 2018. De très nombreuses illustrations accompagnent cette approche biographique, axée sur sa personnalité plutôt que sur son œuvre. Journaliste et auteur pour la jeunesse, chercheur en littérature contemporaine, Halley a consacré sa thèse de doctorat à Marguerite Yourcenar et publié plusieurs ouvrages à son sujet ; il a dirigé la Villa Marguerite Yourcenar ou Villa du Mont-Noir près de Lille, devenue un centre de résidence d’écrivains européens.

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    Amélie Nothomb, dans la préface, se souvient du choc ressenti à dix-neuf ans quand elle a lu les Mémoires d’Hadrien : « Ainsi il était possible d’écrire à une telle altitude. » Elle regrette de ne pas avoir écrit alors à celle dont l’œuvre l’a sauvée en la guérissant de sa « paranoïa de la féminité », celle dont le visage « n’a jamais été aussi beau qu’en sa vieillesse ».

    L’entrée en matière d’Achmy Halley m’a fait peur : « Je me souviens de ce que j’ai pensé quand j’ai pris ma douche pour la première fois dans la baignoire de Marguerite Yourcenar : « Mais qu’est-ce que tu fous là ? » C’était au début des années 2000. » Mais son admiration pour elle est sincère, née à dix-huit ans quand il l’a vue à Apostrophes (Bernard Pivot lui avait rendu visite sur l’île des Monts-Déserts en 1979). Yourcenar a voulu que sa maison, préservée telle quelle, puisse s’ouvrir au grand public quelques semaines en été.

    Explorant les bibliothèques dans chaque pièce de Petite Plaisance (l’inventaire a été réalisé par son hôte, Yvon Bernier, ami et bibliographe de Marguerite Yourcenar), à l’écoute de toutes les anecdotes, l’auteur est ému de découvrir non pas cette « star de la littérature mondiale, froide et hautaine » que les médias montraient au moment de son élection à l’Académie française à 77 ans, mais l’univers intime et familier d’une femme « sensible, passionnée et vulnérable ».

    C’est par cet « événement littéraire » de 1981 qu’il ouvre l’album de sa vie. Yves Saint Laurent a dessiné sa tenue de cérémonie – Yourcenar a refusé de porter « le trop militaire habit vert ». Puis il raconte la naissance de cette « pauvre petite fille riche » en 1903, avenue Louise à Bruxelles. Sa mère, Fernande Cartier de Marchienne, n’y survit que onze jours. L’enfant vivra avec son père, Michel Cleenewerck de Crayencour, dans le petit château de Flandre où habite « sa détestable mère ».

    Dès qu’elle peut voyager, elle partage la vie « errante et insouciante » de son père, sans fréquenter l’école, initiée par lui à l’amour des grands textes et de l’art. A douze ans, elle compose un sonnet pour sa gouvernante, puis des poèmes inspirés des romantiques. A Bernard Pivot, elle l’avouera : « Enfant, j’ai désiré la gloire. » Son père fait publier son premier recueil de poèmes pour ses 18 ans (Le jardin des Chimères), un deuxième l’année suivante (Les dieux ne sont pas morts). Elle choisit d’écrire sous le nom de Marg Yourcenar, anagramme qui deviendra son nom légal.

    L’album d’Achmy Halley montre des photos de toute sa vie, des voyages, les couvertures de ses livres… En 1929, Alexis ou le Traité du vain combat, le premier texte accepté par un éditeur, marque la naissance de Yourcenar en tant que « véritable écrivain ». Axé principalement sur son mode de vie, ce Portrait intime est truffé de citations tirées de son œuvre ou de sa correspondance.

    D’abord amoureuse d’André Fraigneau, proche de Cocteau, passion impossible qui lui inspire Feux en 1936, elle noue aussi de tendres amitiés féminines en Grèce. En 1937, elle rencontre une Américaine à Paris : Grace Frick, trente-quatre ans comme elle, qui va partager sa vie. Quand Grace rentre aux Etats-Unis pour préparer une thèse en littérature anglaise à Yale, Marguerite l’y rejoint bientôt et reprend là ses recherches historiques sur l’empereur Hadrien.

    Son retour en Europe sera de brève durée : en octobre 1939, elle s’embarque pour New York où elle va vivre en appartement avec Grace Frick. Pour survivre, elle donne des cours particuliers, fait des traductions, écrit des articles, donne des conférences. Après la guerre, elle décide de rester aux Etats-Unis et obtient la nationalité américaine en 1947 sous le nom de Marguerite Yourcenar. En 1950, elles s’installent dans une maison de bois sur l’île des Monts-Déserts

    Nous voilà à la fin du prologue. Dans Marguerite Yourcenar, Portrait intime, Achmy Halley décrit d’une manière originale l’art de vivre d’une femme hors du commun, une vie à deux choisie, « sans bruits artificiels et inutiles ». Pas une page sans photo d’elle (de beaux portraits) ou de ses proches, de ses voyages, des lieux et des objets qui lui étaient chers (la cuisine, le jardin). Dans cet album très plaisant à feuilleter, le dernier chapitre, « Carnets gourmands de Grace et Marguerite », donne quelques-unes de leurs recettes de pâtisserie.

  • Inhibitions

    vivian gornick,attachement féroce,récit,autobiographie,littérature anglaise,etats-unis,apprentissage,new york,famille,culture,relations« Quand nous nous arrêtons devant une vitrine, comme à cet instant, nous devons bien reconnaître que certaines femmes réfléchissent à leur tenue, et nous mesurons alors notre propre incapacité commune, incarnant alors ce que nous sommes souvent : deux femmes aux inhibitions étonnamment proches, liées parce qu’elles ont passé toute leur vie ou presque dans l’orbite l’une de l’autre. A des moments comme celui-ci, notre rapport mère-fille sonne comme une note étrangère. Je sais que c’est parce que nous sommes mère et fille et que nos réactions sont la même image inversée dans un miroir, et pourtant le mot filial ne me semble pas approprié. Au contraire, l’idée de famille, d’une vie de famille, nous déconcerte : elle soulève des doutes chez elle autant que chez moi. Nous sommes tellement habituées à nous voir comme deux femmes mal préparées à la vie, socialement inadaptées (elle veuve, moi divorcée), incapables à jamais d’avoir une vie de famille. Et pourtant, devant ce magasin, la « vie de famille » semble être un fantasme pour elle autant que pour moi. Les vêtements exhibés là me donnent l’impression que nous sommes dans la confusion sur notre identité profonde, et sur la façon de parvenir à nos fins. »

    Vivian Gornick, Attachement féroce

  • Mère et fille

    Vivian Gornick (née en 1935) a écrit Attachement féroce (Fierce Attachments : A Memoir) en 1987, longtemps avant La femme à part, même si les traductions françaises par Laetitia Devaux ont été publiées dans la foulée (2017 et 2018) aux éditions Rivages. Cette fois encore, une belle photo en noir et blanc en couverture, d’une femme et d’une fillette regardant New York d’un bateau, on les imagine mère et fille.

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    C’est bien de cette relation-là qu’il s’agit dans ce texte autobiographique de l’écrivaine américaine. A un peu plus de cinquante ans, elle remonte le temps pour parler de sa mère et elle dans l’immeuble du Bronx, où elle a habité de six à vingt et un ans (« vingt logements, quatre par étage »). Presque tous ses souvenirs sont liés aux femmes qui vivaient là, « toutes vulgaires comme Mrs Drucker ou féroces comme ma mère ».

    « Et moi, la fille qui grandissait en leur sein, je me construisais à leur image, je les inhalais comme du chloroforme versé sur un tissu que l’on m’aurait plaqué sur le visage. J’ai mis trente ans à comprendre combien je les comprenais. » (Un blanc.) « Ma mère et moi marchons dans la rue. Je lui demande si elle se souvient des femmes dans cet immeuble du Bronx. « Bien sûr », me répond-elle. Je lui explique que, selon moi, c’est la tension sexuelle qui les rendait folles. « Absolument, dit-elle sans ralentir le pas. (…) »

    Et la voilà qui évoque Drucker, Zimmerman, Nessa… « Je n’ai pas de bonnes relations avec ma mère et, à mesure que nos vies avancent, il semblerait que ça empire. Nous sommes toutes deux prisonnières d’un étroit tunnel intime, passionné et aliénant. Parfois, pendant plusieurs années, l’épuisement prédomine, et il y a une sorte de trêve entre nous. Puis la colère ressurgit, brûlante et limpide, érotique tant elle force l’attention. En ce moment, ça ne va pas. »

    Si ces passages dans les premières pages vous parlent, ce livre est pour vous. Quelle que soit la relation que nous avons, que nous avons eue, avec notre propre mère, nous savons qu’elle contient les clés de notre propre vie. Vivian Gornick jette un regard assez impitoyable sur la sienne, à qui elle reproche de s’être drapée dans son statut de veuve inconsolable à la mort de son mari et, éternelle dépressive, de vouloir toujours focaliser l’attention sur elle-même.

    Si Attachement féroce est principalement consacré à leurs rapports entre mère et fille, souvent conflictuels mais dans une grande proximité persistante, c’est aussi un récit d’apprentissage sans complaisance. Vivian Gornick y raconte son éducation de jeune fille juive d’un milieu très modeste, sa formation dont sa mère est très fière tout en rejetant ses discours trop intelligents, ses premiers pas hésitants avec les hommes – ceux qu’elle choisit sont forcément critiqués par sa mère. On y découvre aussi à quel point il lui importe d’être lucide, de dire et d’écrire les choses avec justesse.

    « Mais c’est en écrivant ces mémoires, la cinquantaine passée, qu’elle s’est sans doute libérée du fardeau de sa mère, tellement désemparée à la fin de sa vie que sa fille en aura « le cœur fendu », comme si elle lui pardonnait. Attachement féroce est un récit d’une sincérité désarmante, d’une lucidité tragique, un condensé explosif de frustrations et de rancœurs, d’amour maladif et de haine irrationnelle. » André Clavel (Le Temps, 24/3/2017)

  • Ronds de printemps

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    Au parc sous nos pieds

    (parc Josaphat)

     

     

     

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    Sur un vieil arbre du square

    (cerisier du Japon du square Riga)

     

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    Jouant avec les nuages

    (viornes près de la gare de Schaerbeek)

     

     

    Le printemps fait des ronds

    (pour pas un rond)

     

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    Foufous ces flocons !

    (tourbillons de neige ce matin)

  • Couleurs de mémoire

    En cette période où un seul sujet de préoccupation tend à squatter les médias et les esprits, des artistes, des collectifs tiennent allumée la mémoire vive du monde. A travers les fenêtres du centre Pacheco, j’ai découvert l’immense « homme debout » peint sur le côté d’un immeuble – le nombre d’étages vous donne une idée de sa hauteur impressionnante. Grâce aux mots « debout », « upright », « ndemye », j’ai trouvé le nom de Bruce Clarke et le site de son projet « artistique et mémoriel » en mémoire des victimes du génocide des Tutsi au Rwanda en 1994.

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    « Il s’agit de peindre des hommes, des femmes et des enfants, sur l’extérieur des lieux de mémoire. Les figures, plus grandes que nature – jusqu’à 5 mètres de hauteur, apparaîtront aux passants telles des silhouettes, esquissées mais affirmées. Symboles de la dignité des êtres humains qui ont été confrontés à la déshumanisation qu’implique ce génocide, victimes ou rescapés, ces « Hommes debout » se dressent comme les témoins d’une histoire douloureuse. L’intention est de redonner une présence aux disparus et de restaurer l’individualité des victimes, de leur rendre leur dignité. Le site même des massacres sera ainsi marqué par ces présences symboliques pour que personne ne puisse les oublier. » (Bruce Clarke)



    Vidéo réalisée par Sébastien Baudet, à partir des photos reçues,
    sur une image d’Homme debout de Bruce Clarke, accompagnée de la musique de Gaël Faye, Hope Anthem.

    En avril 2014, vingt ans après les faits, ces silhouettes se sont dressées dans différentes villes du monde : Kigali, Paris, Luxembourg, Genève, Lausanne, Bruxelles… Sur le site des « Hommes debout », une citation de Picasso : « La peinture n’est pas faite pour décorer les appartements, c'est un instrument de guerre, offensif et défensif, contre l’ennemi. » Espérons qu’elle soit aussi un instrument de paix. Vous y trouverez en ligne des photos de ces dignes silhouettes bleues sur des sites rwandais liés au génocide : des bâtiments publics, des écoles, des églises.

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    Au parc Josaphat, entre La Laiterie et le kiosque à musique, c’est aux Syriens que vient de rendre hommage une exposition en plein air, « Voix de Syrie » : des portraits de Maria, Riad, Thurayya, Rasha… qui racontent leur histoire. « Derrière les victimes du conflit syrien qui fait rage depuis dix ans se cachent des personnes et des histoires de courage et de résilience. »  Un reportage de la photojournaliste Johanna de Tessières (Collectif Huma) avec Caroline Van Nespen.

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    L'histoire de Rasha à lire sur Voix de Syrie et de la région

    Rasha, par exemple, 23 ans : elle a fui la Syrie pour se réfugier au Liban en 2014. Elle a dû se battre pour pouvoir aller à l’école et plaide pour l’éducation des femmes afin qu’elles aient « une influence sur la société comme n’importe qui d’autre ». Grâce à sa formation, elle dit se sentir plus forte et avoir le sentiment d’avancer dans la vie, d’y être mieux intégrée.

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    © European Union 2017 / Johanna de Tessières
    Voices from Syria and the region - A virtual exhibition
    (texte en français)

    Depuis dix ans, le Collectif Huma dénonce les injustices sociales en cherchant aussi à capter les ressorts de la résilience sociale ou individuelle : « au travers de nos objectifs, nous traquons la joie et le bonheur là où ils surgissent, parfois de façon inattendue, parce que nous sommes persuadés que notre monde a besoin d'optimisme pour devenir meilleur ». Couleur et douleur sont si proches, dit un personnage de Dutli dans Le dernier voyage de Soutine. Les couleurs et les douleurs du monde viennent à nous là où nous ne les attendions pas. Grâce à ces couleurs de mémoire.