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la complainte d'isabeau

  • Questions

    Moreau editionsfdeville-la-complainte-disabeau-brigitte-moreau-9782875990464.jpg« Huguette fulmine. Elle reste silencieuse quelques instants, fait tourner le petit verre en cristal entre ses doigts d’un air distrait et prend une gorgée de sherry sans quitter des yeux la photo de son mari.
    – Qu’allons-nous faire maintenant ? Je connais Aurore, c’est une vraie tête de mule. Elle ne s’en tiendra pas là. Elle va revenir à la charge avec ses questions, elle va fouiner jusqu’à ce qu’elle trouve des réponses. C’est ce que tu aurais fait, toi aussi, Hubert, tu sais à quel point je l’aime, notre petite-fille, elle est tout ce qu’il me reste de… mais je ne veux pas… le passé doit rester enfoui… dans un carton avec les vieilles photos. Je ne le supporterais pas, je… »

    Brigitte Moreau, La Complainte d’Isabeau

  • Complainte d'Isabeau

    Brigitte Moreau signe avec La Complainte d’Isabeau, titre aux douces sonorités moyenâgeuses, un deuxième roman, après Le choix d’Agnès et des nouvelles. C’est l’histoire d’Aurore, étudiante en lettres à la Sorbonne, qui retrouve sa mère et sa grand-mère à la campagne pour l’été et reprend là « le rôle de la jeune fille polie, serviable et aimante qu’on lui a appris à devenir ».

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    Georges Lemmers (1871-1944), Femme dans un intérieur

    Heureuse de les retrouver, elle est surprise d’entendre à nouveau, la nuit venue, cette berceuse que sa mère lui chantait nuit après nuit durant son enfance, qu’elle écoutait sans ouvrir les yeux. Elle n’est plus une enfant, il faudra qu’elle le dise à sa mère, sans la blesser – elle sait qu’elle lui a manqué depuis son départ pour Paris.

    Peu à peu, le plaisir des retrouvailles cède la place à une observation plus critique des deux femmes qui l’ont élevée : Madeline, sa « mère poule », est toujours le « bon petit soldat » aux ordres d’Huguette, la grand-mère exigeante et stricte, souvent cassante, qui se retranche tous les soirs dans sa chambre pour boire un verre à la santé de son mari décédé.

    A dix-neuf ans, Aurore a l’habitude d’avoir un petit carnet avec elle pour écrire, une passion des mots qu’elle partage avec son petit ami, Alexis, dont elle n’a jamais parlé dans sa famille. Tous deux veulent devenir écrivains. Ici, elle a l’impression que la vie stagne, que l’endroit manque d’animation. Elle a besoin de faire un tour à vélo, de marcher, de s’éloigner de cette maison où tout reste à sa place. Le grand air la fatigue, mais quand la nuit ramène la voix douce aux paroles inaudibles et qu’elle ouvre les yeux, « une lumière diaphane, là, au pied de son lit », s’enfuit par la fenêtre. Plus moyen de se rendormir.

    Au téléphone, Alexis, resté à Paris, s’étonne qu’Aurore s’intéresse aux « Dames blanches » et envisage d’écrire une histoire fantastique inspirée par cette berceuse qui hante ses nuits. Lui voudrait raconter une histoire en lien avec le terrorisme, une histoire bien plus de leur temps.

    La Complainte d’Isabeau prend l’allure d’un conte lorsqu’Aurore, bravant l’interdit familial, s’aventure sur une colline voisine qu’on dit dangereuse – « des failles » – et y découvre une chaumière où habite une vieille femme que son apparition effraie. Celle-ci lui crie : « Non, Isabeau, non. Me fais pas de mal, pitié ! » Qui est Isabeau ? Le recul de sa mère et la colère de sa grand-mère quand elle leur demande si elles connaissent cette « petite vieille qui boite » vont attiser sa curiosité pour cette colline aux secrets dont elles ne lui ont jamais parlé.

    On comprend très vite que la grand-mère et la mère d’Aurore lui ont caché beaucoup de choses et que la jeune fille ne va pas en rester là, dans cette maison trop bien rangée à son goût. On comprend moins qu’Alexis lui-même cherche à la détourner de cette vieille qui passe pour folle. Aurore voudrait trouver des réponses à ses questions, notamment sur son père qu’elle n’a jamais connu.

    Dans ce roman, Brigitte Moreau mêle à l’atmosphère d’un été à la campagne le thème douloureux des secrets de famille et aussi les choix à faire dans une vie de femme. Aurore « la sent revenir, cette morsure venimeuse qui creuse dans le cœur le gouffre du manque. Et aujourd’hui, elle n’est plus une petite fille qui se satisfait d’une demi-explication. »

    Contre les silences béants de la mémoire familiale surgit la quête nécessaire des origines et de la vérité. J’aurais préféré pour ce sujet moins de romanesque, plus de nuances dans l’analyse des sentiments. Peut-être faut-il être plus jeune pour ne pas deviner entre les lignes à quoi s’attendre. Même si l’ambiance fantasmagorique m’a gênée, La Complainte d’Isabeau est bien une histoire contemporaine, où plusieurs générations se confrontent, à la fois berceuse et drame.

    (Merci aux éditions F. Deville pour cet envoi.)