Schuiten et Peeters signent ensemble Bruxelles, un rêve capital, à ne pas confondre avec Brüsel (5e album des Cités obscures, 1992), la bande dessinée où ils avaient dénoncé dans une fiction apocalyptique ce qu’on appelle la « bruxellisation » : la destruction d’une ville « livrée aux promoteurs au détriment du cadre de vie de ses habitants, sous couvert d’une « modernisation » nécessaire » (Wikipedia).
Bruxelles, un rêve capital offre une plongée dans une ville bien réelle, racontée par Benoît Peeters et dessinée par François Schuiten, qui se considèrent tous deux comme des « enfants de Bruxelles ». Leur amour de notre capitale si diverse, ils en ont témoigné aussi en sauvant la Maison Autrique, œuvre de jeunesse de Victor Horta, ou, plus récemment, en œuvrant à l’aménagement de Train World, dont on doit la scénographie à François Schuiten (des pages y sont bien sûr consacrées).
Leur nouveau livre propose « une traversée tout à fait subjective de l’histoire de Bruxelles », dont ils évoquent librement des moments, des lieux, des personnages marquants. Il suffit de le feuilleter sur le site de l’éditeur pour apprécier la beauté des illustrations pleine page (les deux premières montrent le mât de Lalaing et l’avenue Louis Bertrand). Parfait pour découvrir Bruxelles dont tous les charmes ne se dévoilent pas en un seul jour, jouissif pour ceux qui y vivent sans être forcément conscients de son passé et de son évolution urbanistique.
« La Belgique est un livre d’art magnifique dont, heureusement pour la gloire provinciale, les chapitres sont un peu partout, mais dont la préface est à Bruxelles et n’est qu’à Bruxelles. » Cette phrase de Fromentin (dans Les Maîtres d’autrefois) mise en épigraphe est la première des nombreuses citations qui accompagnent l’ouvrage au fil des pages.
En 1830, Bruxelles ne comptait que cent mille habitants (nous sommes douze fois plus en région bruxelloise actuellement). De grands travaux l’ont fait « devenir une capitale », comme la construction des Galeries Royales Saint-Hubert, du Palais de Justice monumental (au cœur de la bédé Le dernier pharaon), les aménagements urbanistiques lancés par le roi Léopold II, etc.
Parmi les réalisations les plus réputées dans la capitale belge, on s’attendait moins à l’ascension du « Géant » de Nadar en 1864 au Botanique qu’à l’épanouissement de l’art nouveau avec Victor Horta ou à l’édification du Palais Stoclet, le chef-d’œuvre de Josef Hoffmann – j’espère comme tant d’autres pouvoir le visiter un jour. Au XXe siècle, voici « L’expo 58 » puis l’arrivée du Parlement européen…
J’ai aimé voir mis à l’honneur, en plus des architectes ou des artistes, le génial Paul Otlet et son Mondaneum – l’inventeur de la Classification Décimale Universelle si utile en bibliothèque. Schuiten et Peeters ont bien sûr casé leurs favoris dans cette galerie aux trésors bruxelloise. On apprend que la « rue du Labrador », la première adresse (fictive) de Tintin, est devenue réalité à Louvain-la-Neuve, c’est la rue du musée Hergé.
« Les raisons de critiquer Bruxelles sont nombreuses, connues, presque trop évidentes. Mais les raisons de l’aimer sont bien réelles, même si elles sont plus discrètes », concluent-ils, en rappelant que la ville est sans doute l’une des plus vertes d’Europe. Bruxelles, un rêve capital est un bel album à placer sous le sapin ou dans sa bibliothèque, pour s’y promener et pour rêver de la ville magnifiée par François Schuiten, entre réalisme et fantastique.