Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Culture - Page 63

  • En train à Tongres

    Mercredi dernier, j’ai pris à Bruxelles-Nord le train pour Tongres, en bonne compagnie. Tongeren, au sud du Limbourg, en région flamande, est la plus ancienne ville du pays et je ne l’avais jamais visitée, bien qu’elle soit réputée pour son patrimoine et pour son musée gallo-romain qui a reçu le prix du musée européen de l’année en 2011.

    tongres,tongeren,patrimoine,musée gallo-romain,basilique notre-dame,couronnement,couvent de sainte-agnès,béguinage,moerenpoort,nature,culture
    Rare façade ancienne ayant survécu à l'incendie de 1677
    au-dessus d'un magasin qui abrite encore l'ancien escalier en bois

    En sortant de la gare, on emprunte l’avenue juste en face pour se rendre dans le centre. A la Via Julianus, l’office du tourisme nous a donné un plan avec trois parcours bien jalonnés pour découvrir la ville à l’époque romaine, Tongres la médiévale et Tongres la religieuse.

    tongres,tongeren,patrimoine,musée gallo-romain,basilique notre-dame,couronnement,couvent de sainte-agnès,béguinage,moerenpoort,nature,culture
    Statue de l'empereur Julien, IVe s.

    Nous sommes d’abord allées au Grote Markt (grand-place) où la statue du héros national attire tous les regards : le rusé Ambiorix, chef des Eburons (Ier siècle av. J.-C.), infligea une sanglante défaite aux légions romaines et réussit à échapper à César.

    tongres,tongeren,patrimoine,musée gallo-romain,basilique notre-dame,couronnement,couvent de sainte-agnès,béguinage,moerenpoort,nature,culture
    Statue d'Ambiorix sur la Grand-Place / Grote Markt

    Des terrasses de la place, on a un beau point de vue sur la tour-beffroi de la basilique Notre-Dame, qu’une immense grue débarrassait de ses derniers échafaudages. Elle est inscrite sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO.

    tongres,tongeren,patrimoine,musée gallo-romain,basilique notre-dame,couronnement,couvent de sainte-agnès,béguinage,moerenpoort,nature,culture
    Portail sud de la basilique Notre-Dame (et accès au Teseum)

    La ville se prépare aux fêtes du Couronnement (« Kroning ») en juillet prochain. « En tant que plus ancien site marial de ce côté des Alpes, des pèlerinages y ont été organisés dès le Moyen Âge. Lorsque la statue de Notre-Dame "Source de notre Joie" a été couronnée en 1890, les habitants de Tongres ont décidé de développer les pèlerinages en fêtes septennales du Couronnement. »

    tongres,tongeren,patrimoine,musée gallo-romain,basilique notre-dame,couronnement,couvent de sainte-agnès,béguinage,moerenpoort,nature,culture
    Statue de Notre-Dame (noyer, XVe s.) et son formidable décor d'hortensias

    En plus de l’architecture gothique, des vitraux et de l’intérieur remarquables, des autels latéraux finement sculptés, sans parler des grandes orgues, voici le somptueux décor floral réservé à la fameuse statue de Notre-Dame couronnée en 1890 – les drapeaux bleu et or du Kroning flottent déjà partout dans la ville.

    tongres,tongeren,patrimoine,musée gallo-romain,basilique notre-dame,couronnement,couvent de sainte-agnès,béguinage,moerenpoort,nature,culture
    Vue du couvent de Sainte-Agnès

    Après avoir fait le tour de la basilique, admiré ses façades et portails, nous sommes descendues vers le béguinage Sainte-Catherine. En chemin, j’ai été attirée par le couvent des Filles de Sainte-Agnès : antérieur à 1418, il est un des rares à avoir subsisté. Neuf couvents ont disparu pendant la Révolution française. Au XIXe siècle, l’église a été détruite et le couvent transformé en maison de maître, puis loué et quasi abandonné avant que les autorités flamandes l’achètent et le restaurent.

    tongres,tongeren,patrimoine,musée gallo-romain,basilique notre-dame,couronnement,couvent de sainte-agnès,béguinage,moerenpoort,nature,culture
    Le printemps dans la cour du couvent de Sainte-Agnès

    Quel endroit paisible ! Tout m’a plu dans le jardin du couvent ouvert aux visiteurs : les arbres fruitiers, les pelouses de pâquerettes et autres fleurettes, les poèmes gravés sur de grandes pierres posées dans l’herbe, les plantes de rocaille sur les toits et les murets le long de la passerelle qui permet d’en faire le tour. Sous un porche, un beau médaillon en relief est daté de 1670.

    tongres,tongeren,patrimoine,musée gallo-romain,basilique notre-dame,couronnement,couvent de sainte-agnès,béguinage,moerenpoort,nature,culture
    L'agneau est un des attributs de Sainte Agnès, bien qu'il n'y ait aucun rapport étymologique
    entre le grec agnê (à l'origine du prénom Agnès) et le latin agnus (agneau) (Wikipedia)

    Puis voici le Begijnhof aux anciennes maisons de briques avec leur jardinet derrière le mur où sont percées les portes d’entrée. Contrairement aux maisons de bois, celles-ci ont échappé au grand incendie de Tongres en 1677. Les fruits d’un grand verger procuraient des revenus aux béguines. Au XVIIe siècle, leur nombre a quasi doublé : près de 300 ! Il fallait de nouvelles maisons, le verger a disparu. On a planté un tilleul sur la place baptisée « Onder de Linde » (sous le tilleul). Le béguinage a été fermé en 1796, pour en faire un quartier résidentiel. Au XIXe, on y logeait des familles d’ouvriers.

    tongres,tongeren,patrimoine,musée gallo-romain,basilique notre-dame,couronnement,couvent de sainte-agnès,béguinage,moerenpoort,nature,culture
    Jardinet d'une maison du béguinage, vu à travers le grillage de la porte

    Par la rue Sainte-Ursule, l’itinéraire mène à la tour de la Moerenpoort (porte de Visé), la seule des six portes de la ville qui subsiste de son rempart médiéval long de 4,5 km. L’office du tourisme donne un code pour pénétrer dans la tour qui comporte un petit musée local. Les escaliers donnent accès au toit d’où l’on a une très belle vue sur Tongres et la campagne, région de vergers et de prairies.

    tongres,tongeren,patrimoine,musée gallo-romain,basilique notre-dame,couronnement,couvent de sainte-agnès,béguinage,moerenpoort,nature,culture
    Entrée du musée gallo-romain

    Il était temps de remonter vers le grand musée gallo-romain. Le parcours chronologique de l’exposition permanente est riche de plus de deux mille objets pour évoquer le passé de Tongres, de l’homme de Neandertal aux Romains : silex, poteries, verreries, outils, tables où l’on peut toucher des objets pour comparer les matériaux, et même personnages en résine grandeur nature. En plus de l’audioguide (adulte ou enfant), des panneaux et de petits films didactiques font vivre tout ce trésor archéologique.

    tongres,tongeren,patrimoine,musée gallo-romain,basilique notre-dame,couronnement,couvent de sainte-agnès,béguinage,moerenpoort,nature,culture
    Entrée du musée du Béguinage de Tongres,
    classé au titre du patrimoine de l'humanité par l'UNESCO

    Il faudra retourner à Tongres pour visiter les vestiges romains, le Teseum, le musée du béguinage, les alentours… Quelle chance d’avoir eu ce beau temps printanier pour notre excursion !

  • Impulsion

    Cusk jaquette.jpg« Avec le recul, je constate que ce que je ressentais était sans doute simplement dû au choc d’avoir été confrontée à ma nature compartimentée. Il y avait tant de compartiments où j’avais conservé des choses, et je décidais lesquelles montrer aux autres, eux-mêmes isolés dans leurs propres compartiments ! Jusqu’alors, il m’avait semblé que Tony était la personne la moins cloisonnée que je connaisse ; en tout cas, il s’en tenait désormais à deux compartiments seulement : d’un côté ce qu’il disait et ce qu’il faisait, de l’autre ce qu’il ne disait ni ne faisait. Mais j’ai eu l’impression que L était le premier individu que je rencontrais à former un tout entièrement indivisé, et une impulsion me poussait à le capturer, comme on le ferait d’une créature sauvage qu’il est nécessaire de prendre au piège, tandis que je m’avisais dans le même temps que sa nature même consistait à ne pas être capturé, et que je serais tout bonnement contrainte de m’incliner devant lui dans un état d’atroce liberté. »

    Rachel Cusk, La dépendance

  • Je t'ai déjà raconté

    Second place de Rachel Cusk (traduit de l’anglais par Blandine Longre) s’intitule en français La dépendance. Une bonne façon de désigner le fait de dépendre de quelque chose ou de quelqu’un (Albert Memmi y a consacré un excellent essai) ou une construction secondaire près d’une maison : les deux sont liés dans ce roman.

    rachel cusk,la dépendance,roman,littérature anglaise,culture

    « Je t’ai déjà raconté, Jeffers, la fois où j’ai rencontré le diable dans un train au départ de Paris, et comment, après cette rencontre, le mal qui d’ordinaire reste tapi sous la surface des choses sans que rien vienne le troubler a surgi et s’est déversé sur toutes les facettes de mon existence. » La dépendance est le récit que fait M à Jeffers (dont on ne sait rien) d’une expérience qu’elle a elle-même provoquée et qui a failli lui faire perdre « cette vie de paix et de douceur dans le marais » avec Tony qui l’avait aidée à se réconcilier avec la vie.

    Le point de départ, c’est ce séjour à Paris où M visite une galerie d’art qui expose des tableaux de L, une « rétrospective majeure ». Touchée par « l’aura de liberté absolue » qui émane d’un autoportrait de l’artiste, elle se sent basculer : « j’ai cessé d’être immergée dans l’histoire de ma propre vie et je m’en suis dissociée. […] Autrement dit, j’ai vu que j’étais seule, et j’ai vu aussi les fardeaux et les bienfaits associés à cette condition, ce qui ne m’avait jamais été véritablement révélé avant ce jour. »

    Quinze ans plus tard, elle écrit à L dont un ami commun lui a donné l’adresse « pour l’inviter à venir dans le marais » : « Nous vivons simplement, confortablement, et possédons une dépendance où nos invités peuvent séjourner et se retrouver tout à fait seuls s’ils le désirent. » Très rapidement, L se montre intéressé. Aussi lui répond-elle en décrivant la façon dont Tony et elle vivent et à quoi ressemble cette dépendance qu’ils réservent à leurs hôtes.

    En déblayant la parcelle qui jouxtait leur terrain avec l’intention « de la rendre à la nature », ils y avaient découvert diverses choses à l’abandon, dont une maisonnette noircie par le feu, qu’ils avaient démolie pour la rebâtir. L’intention était de la réserver aux « choses supérieures » : « Tony comprenait que j’avais des intérêts qui m’étaient propres et, s’il était satisfait de notre vie dans le marais, cela ne voulait pas forcément dire que je l’étais moi aussi. » La dépendance était un des « ponts » entre eux deux.

    L annule son séjour. Quand Justine, la fille de M, revient avec son ami Kurt, ils s’installent dans la dépendance – jusqu’à ce que L accepte finalement l’invitation et les renvoie dans la grande maison. Tous deux ont perdu leur emploi et apprécient de vivre sous leur toit. M est surprise de voir Justine se comporter « comme une vraie petite épouse » auprès de Kurt.

    Romancière, la cinquantaine, M avait imaginé sa rencontre avec le peintre d’après les œuvres très sombres qu’elle avait vues, bien que consciente de n’avoir pas trop le sens des réalités, contrairement à Tony, souvent silencieux, mais pragmatique et bienveillant. L arriverait par bateau, il leur fallait deux heures de route dans leur véhicule tout terrain et inconfortable pour aller le chercher dans une petite ville au sud du marais.

    Tony, très foncé de peau comme un Indien d’Amérique, grand et imposant, un homme laid mais digne, avait puisé dans la garde-robe héritée de son père (il avait été adopté par une famille du marais quand il était bébé) un costume trois-pièces. Il avait une allure plutôt insolite avec ses longs cheveux blancs. M s’était simplifié la vie, elle ne portait que du noir ou du blanc, et elle avait gardé les mèches grises qui striaient ses longs cheveux.

    L n’était pas seul. Brett, « une séduisante créature qui devait approcher de la trentaine » accompagnait le peintre, « extrêmement pimpant et soigné de sa personne ». Rien ne se passait comme prévu. M était convaincue que la vision du marais inspirerait l’artiste et le voir debout tôt le matin, contemplant « la lumière saisissante », semblait confirmer ses intuitions. Mais dès leur première conversation, elle ressent en même temps qu’un « sentiment de familiarité intime » la douloureuse sensation de manquer d’attrait à ses yeux.

    Très vite, ils se parlent de leurs vies respectives. Lui s’exerce à la « dépossession » : « je ne suis qu’un mendiant, et je n’ai jamais été rien d’autre. » Elle lui dit envier sa liberté, qui n’est pas celle d’une femme. L a l’intention de peindre des portraits pendant son séjour, il aimerait faire celui de Tony, peut-être aussi celui de Justine, et quand M se propose comme modèle, il l’écarte : « Mais je n’arrive pas vraiment à vous voir. »

    Rachel Cusk explore dans La dépendance les tensions souterraines à l’œuvre dans les rapports humains, entre M et L, entre M et Tony, entre M et sa fille, ainsi que la complexité de ses attentes par rapport aux autres. Le séjour de L est loin de l’idée qu’elle s’en faisait, personnages et situations sont imprévisibles. Seul Tony semble tenir leur vie en équilibre, alors qu’elle perd souvent le contrôle, toute à ses interrogations sur l’art et sur l’existence.

    « Un huis clos piquant et fascinant que l’on découvre en se plongeant dans le flot de pensées de M, une Mrs Dalloway des temps modernes », peut-on lire en quatrième de couverture. Tout à la fin, une note de Rachel Cusk cite Lorenzo in Taos, les Mémoires de Mabel Dodge Luhan sur le séjour de D. H. Lawrence chez elle, au Nouveau-Mexique. La dépendance se veut hommage « à l’esprit de cette femme ». Ce roman troublant m’a rappelé parfois En Amérique de Susan Sontag, et Maryna, son héroïne aux aspirations complexes.

  • Règle d'or

    rutger bregman,humanité,une histoire optimiste,essai,littérature néerlandaise,bien,mal,réalisme,nature de l'homme,confiance,cynisme,évolution,optimisme,pessimisme« Ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais pas qu’on te fasse. » Variante positive : « Traite les autres comme tu voudrais que l’on te traite. »

    « Néanmoins, j’ai fini par me convaincre que la Règle d’or était insuffisante. […] En effet, le problème, c’est que nous ne percevons pas toujours correctement ce que l’autre désire. D’innombrables managers, dirigeants, journalistes et politiciens sont convaincus d’en être capables, alors qu’en réalité ils bâillonnent les autres. »

    « Dans la pratique, il est toujours préférable de commencer par une question », de laisser l’autre, les autres s’exprimer, d’écouter leurs souhaits. 

    George Bernard Shaw : « Ne fais pas aux autres ce que tu voudrais qu’ils te fassent ; leurs goûts peuvent être différents. »

    Rutger Bregman, Humanité. Une histoire optimiste

    Max Morton était optimiste et accueillant, son nom a trouvé un bel emplacement au square Riga
    près du rond-point qui porte désormais son nom. Le tapis de pétales roses en prime (photo).

    Rond-point MAX MORTON Rotonde
    Liverpool 1943 – Schaerbeek 2021
    Hommage au peintre Schaerbeekois
    Hulde aan de Schaerbeekse schilder

  • Un optimisme fondé

    Humanité. Une histoire optimiste de Rutger Bregman est la traduction (du néerlandais par Caroline Sordia et Pieter Boeykens) de De meeste mensen deugen. Humankind ou « La plupart des gens sont des gens bien ».  Tchekhov est cité en épigraphe : « L’être humain deviendra meilleur lorsque vous lui aurez montré qui il est ».

    rutger bregman,humanité,une histoire optimiste,essai,littérature néerlandaise,bien,mal,réalisme,nature de l'homme,confiance,cynisme,évolution,optimisme,pessimisme

    Bregman monte à l’assaut d’un préjugé fort répandu selon lequel les gens seraient spontanément égoïstes et agressifs en général. Il va le montrer en s’appuyant sur des faits historiques, des événements dramatiques, des expériences scientifiques. Les exemples abondent qui mettent à mal ce que le biologiste Frans de Waal appelle « la théorie du vernis » selon laquelle « la civilisation ne serait qu’une mince couche qui se craquellerait à la moindre anicroche ».

    A la suite de l’ouragan Katrina en août 2005, « la plus grande catastrophe naturelle de l’histoire des Etats-Unis », la presse a diffusé des histoires sordides – viols, fusillades, bandes de gangsters… – et des déclarations publiques montrant que les désastres font souvent ressortir le pire chez les gens. Quelques mois plus tard, les autorités ont admis qu’elles n’avaient reçu aucun rapport de meurtre ou de viol, seulement des pillages en groupe « pour survivre, parfois avec l’aide de la police elle-même ». Dans l’ensemble, c’est au contraire le courage et l’amour du prochain qui ont prévalu.

    Impossible ici de détailler les cas ; les analyses prennent chaque fois plusieurs pages, avec des notes en bas de page pour citer les sources. L’auteur se sert de la notion de « placebo » pour attirer l’attention sur l’effet « nocebo » auquel il associe la vision négative de l’humanité : « Ce que l’on présuppose chez l’autre, c’est ce que l’on suscite. » Pour relever les grands défis de notre époque, selon lui, « la réponse commence par une autre perception du genre humain. » Et de rappeler la légende amérindienne des deux loups et sa conclusion : le loup qui l’emporte, c’est « Celui que tu nourris. »

    Pourquoi la suspicion, le cynisme sont-ils si fréquents ? Pour Bregman, « la drogue des infos » nuit à notre santé mentale en relayant les crimes, les malheurs, les événements exceptionnels, provoquant crainte, stress et dépression. Les optimistes sont peu entendus par rapport aux cyniques et aux puissants qui se prétendent « réalistes ». Ainsi, l’enquête sur le naufrage réel d’enfants à l’origine de Sa Majesté des mouches de William Golding raconte le contraire du roman : leur débrouille, une histoire d’entente et d’amitié.

    Bregman remonte aux origines de l’Homo Sapiens, le comparant aux singes et aux autres espèces du genre Homo. Pour l’auteur, c’est le passage d’une population de chasseurs cueilleurs à une population de paysans sédentaires qui serait à l’origine des conflits, du patriarcat et des premiers Etats esclavagistes. L’histoire est écrite par les vainqueurs : la civilisation garantirait la paix et le progrès, par opposition à la vie sauvage qui équivaudrait à la guerre et au déclin. « En réalité, pendant la majeure partie de notre histoire, cela a plutôt été le contraire. »

    Le livre est difficile à résumer sans tomber dans les généralités ou les raccourcis. Ce qui m’a surtout frappée, c’est comment Bregman prend à rebours des théories qui ont conditionné notre vision de l’humanité dans un sens négatif. Du mystère de l’Ile de Pâques aux expériences de psychologie sociale dont on a largement diffusé les conclusions pessimistes prétendument scientifiques, mais non leur remise en question par d’autres chercheurs révélant après coup des manipulations et leur caractère « bidon ».

    L’expérience de Milgram et de sa machine à électrochocs, selon laquelle 65% des individus obéissent aux ordres, même pour faire du mal à autrui, tout le monde la connaît. Très peu de gens savent qu’en réalité, il y eut beaucoup de résistance, le cadre universitaire et la confiance dans les chercheurs incitant à obéir « pour le bien » d’une meilleure compréhension de la nature humaine.

    Le nazisme est évidemment bien plus qu’un cas d’étude sur la capacité des hommes à faire le mal. A propos de la seconde guerre mondiale, Bregman rappelle que face au mal extrême, il importe de souligner les preuves de compassion et de résistance. Saviez-vous qu’au Danemark, 99% des Juifs furent sauvés ? Informés par un nazi d’une rafle imminente, les Danois ont averti leurs compatriotes et aidé à évacuer plus de sept mille personnes en Suède.

    « Comment l’empathie rend aveugle », « Comment le pouvoir corrompt » : ces chapitres montrent « pourquoi les gens bien agissent mal. » Le « nouveau réalisme » proposé dans Une histoire optimiste. Humanité est basé sur une attente plus positive vis-à-vis d’autrui et plus de confiance dans l’humanité. En épilogue, Bregman présente dix préceptes à suivre pour y arriver. Une lecture encourageante !