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Culture - Page 209

  • Une agence à Téhéran

    Zoyâ Pirzâd m’avait charmée en décrivant la vie quotidienne en Iran à travers des personnages attachants dans C’est moi qui éteins les lumières ou Un jour avant Pâques. On s’y fera (traduit du persan (Iran) par Christophe Balaÿ) est un roman d’une atmosphère et d’un ton très différents, il comporte de nombreux dialogues.

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    Édifice Ettehâdiyeh
    (Source : La trace de l’histoire dans les anciennes maisons de Téhéran)

    A nouveau, les femmes y jouent les premiers rôles : Arezou, une femme divorcée, indépendante, dirige l’agence immobilière depuis la mort de son père ; avec sa fille Ayeh, étudiante à l’université, la relation est tendue, et aussi avec Mah-Monir, sa mère qui aime tout régenter et prend volontiers le parti de sa petite-fille contre elle. Arezou peut compter, au bureau et en privé, sur l’appui d’une amie, Shirine, qui se charge d’écarter les appels téléphoniques importuns.

    Un de leurs clients, monsieur Zardjou, est à la recherche d’un appartement « haut de plafond, et qui plus est dans un immeuble en briques, lumineux, spacieux, avec de grandes chambres, un salon donnant sur la montagne », bref, cet homme exigeant rêve d’un bien de caractère, quasi introuvable. Shirine persuade Arezou d’aller lui montrer une maison ancienne disposant d’une belle cour avec des kakis.

    La vieille maison plaît effectivement à Zardjou qui prend son temps pour la visiter, pose des questions, demande même son avis sur la couleur qu’elle conseillerait pour les murs. Arezou, impatiente, a l’impression de perdre son temps, laisse tomber son téléphone qui se casse. Elle râle intérieurement, mais tout va changer quand Zardjou conclut sur le pas de la porte : « J’achète ».

    Arezou et Shirine vont souvent manger ensemble, elles ont leurs habitudes dans les restaurants. Quand Arezou lui raconte cette visite, Shirine la surprend en lui disant que cet homme courtois « en pince » sans doute pour elle. Arezou a l’habitude d’entendre sa mère proposer de bons partis pour Ayeh, elle s’étonne que son amie, opposée par principe au mariage, la pousse dans les bras d’un homme.

    Pour Shirine, il n’est pas question d’un nouveau mari ; elle voit Zardjou comme « une aspirine » pour Arezou : quelqu’un qui l’apaiserait avec de gentilles attentions, des fleurs, des gâteries, sans plus. Les échanges entre ces deux femmes actives (comme on dit) qui se disent tout (jusqu’à un certain point) sont révélateurs de la façon dont elles se débrouillent pour conserver leur liberté malgré les contraintes sociales auxquelles elles doivent encore se soumettre.

    On s’y fera dépeint un mode de vie bourgeois contemporain dans une ville de Téhéran livrée aux promoteurs immobiliers, où subsistent çà et là des traces de vie à l’ancienne. Les relations conflictuelles d’Arezou avec sa mère et avec sa fille, sa nervosité permanente contrastent avec le calme et la patience de Zardjou. Celui-ci, prévenant, va peu à peu bouleverser ses habitudes, ses préjugés, sa manière de considérer les autres.

    Zoyâ Pirzâd raconte leur histoire sur un ton très familier. On la lit jusqu’au bout par curiosité et on découvre à travers ces vies de femmes une société iranienne pas si éloignée de la nôtre qu’on ne pourrait l’imaginer. Ce roman laisse moins de place à la délicatesse par laquelle cette romancière m’avait touchée jusqu’à présent. Dans un entretien au Monde, elle confiait son souci de « ne jamais ennuyer le lecteur ». Pour résumer mon impression sur On s’y fera, j’emprunterai un titre à Heinrich Böll : un « portrait de groupe avec dame », à l’iranienne.

  • Baie

    kahnweiler,juan gris,sa vie son oeuvre ses écrits,essai,littérature française,peinture,cubisme,culture« Dans la Baie de Bandol, le journal s’inscrit sur les montagnes, et le contour de la table se continue, au trait, sur les eaux de la baie. Les collines et le ciel pénètrent dans la chambre, sont montrés sur le mur. Le bateau à voile se pose sur la table. Sorte de « plan lyrique », la surface du tableau, trouée nulle part, réunit en elle les objets chantés par le peintre. »

    Daniel-Henry Kahnweiler (1884-1979), Juan Gris, sa vie son œuvre ses écrits

    Juan Gris, La vue sur la baie, 1921, Paris, Musée national d’art moderne

  • Juan Gris 1887-1927

    C’est en ami que Daniel-Henry Kahnweiler (1884-1979), « l’homme de l’art », comme l’appelle Pierre Assouline, a rédigé Juan Gris, sa vie, son œuvre, ses écrits, publié en 1946. Par cet essai, « le plus grand marchand de tableaux de son temps » rend hommage au peintre espagnol qu’il considère comme « le plus pur » des cubistes.

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    Juan Gris, Violon et verre, 1913, MNAM, Paris

    La vie de Juan Gris, il la raconte en commençant par une visite à Picasso au Bateau-Lavoir en 1908. Rue Ravignan, le jeune marchand remarque un très beau jeune homme qui peint devant une fenêtre ouverte. Picasso lui apprend qu’il s’appelle Juan Gris. Celui-ci vivra plus de quinze ans dans cet atelier très pauvre : « son œuvre a été peint entre vingt-trois et quarante ans, et je n’ai connu qu’un jeune homme qui fut, malgré sa gravité foncière, sociable, gai, sauf aux heures atroces où le cafard le terrassait. »

    Né à Madrid en 1887 dans une famille aisée, José Victoriano Gonzales était le treizième enfant sur quatorze, la plupart morts jeunes. Il dessinait depuis l’enfance et a dû batailler contre ses parents pour étudier la peinture. Il adopte le pseudonyme de Juan Gris avant d’arriver à Paris en 1906 : « Il en était content et il me semble bien qu’il y a accord entre ce nom et l’œuvre. Est-ce à cause de la couleur, est-ce à cause de ce que ce nom peut avoir de modeste ? Je ne saurais le dire. »

    « La gloire naissante de son compatriote Picasso avait amené Gris au 13, rue Ravignan. » Pour gagner sa vie, il envoie des dessins à des journaux illustrés. Quatre ans plus tard, il commence à montrer ses toiles. Durant l’hiver 1912, Kahnweiler, convaincu de la grande valeur de l’artiste, convient avec lui d’acheter toute sa production, qu’il accroche en permanence dans sa galerie, rue Vignon. Parmi les premiers acheteurs, Gertrude Stein, Léonce Rosenberg, le sculpteur américain Brenner.

    Soulagé des soucis matériels, Juan Gris peut aller passer l’été à Céret, où Picasso et Braque ont déjà rejoint Manolo Hugué, artiste classiciste et « méditerranéen », qui y vit toute l’année. Gris le choque en « soutenant la nécessité d’un aspect nouveau comme conséquence inéluctable d’un état d’esprit nouveau ». Gris travaille bien, les discussions sur l’art soutiennent sa peinture et le font opter pour « une plus grande simplicité, une clarté accrue ». Kahnweiler aime ce garçon « modeste, mais intransigeant » et l’admire.

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    Juan Gris, Paysage à Céret, 1913, Moderna Museet, Stockolm

    En août 1914, Gris lui écrit de Collioure où il s’est installé juste avant que la guerre n’éclate, inquiet du sort de ses amis artistes ou poètes. Il voit souvent Matisse, comme lui enclin à réfléchir sur son art et à en parler. Mais sa situation matérielle l’oblige à rentrer à Paris. S’il peut travailler, c’est grâce à Léonce Rosenberg qui « assuma pendant la guerre – et ce sera son honneur durable – la tâche que [il / Kahnweiler] ne pouvai[t] plus remplir : la défense du cubisme. »

    A Paris, Juan Gris a pour voisins Max Jacob et aussi Reverdy, devenu un ami intime. Sa correspondance avec Kahnweiler reprend en 1919 : il y fait l’éloge de Reverdy, de Braque ou de Picasso, exprime des réserves sur Seurat ou Léger, s’étonne du succès de Metzinger. Gertrude Stein l’a touché en considérant un de ses tableaux comme le meilleur du Salon.

    Une pleurésie marque le début de ses ennuis de santé. Après une hospitalisation, il s’installe avec sa femme Josette à Bandol – « Quel beau soleil, mais quel pays sinistre ! » La joie de vivre revient : il a appris à danser, ils vont au bal tous les dimanches soir. C’est là-bas que Diaghilev le contacte pour un décor et des costumes de ballet, un travail qui va le fatiguer énormément.

    L’épouse de Kahnweiler lui trouve un petit appartement à Boulogne-sur-Seine, dans la rue où ils habitent. Gris rencontre leurs amis, les habitués du dimanche. Le reste du temps, il ne voit pas grand monde. Josette et lui passent souvent la soirée chez les Kahnweiler. « Cher Jean ! », écrit-il ; c’est ainsi que le peintre préférait qu’on l’appelle, par amour de tout ce qui était français.

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    Juan Gris, Les cerises, 1915, Guggenheim Museum, New York (Collection Thannhauser)

    Juan Gris lisait beaucoup : Gongora, Valle-Inclán, Rubén Darío ; Mallarmé, Reverdy, Radiguet… L’hiver 1925-1926, il s’installe à Toulon où il se plaît et travaille bien. En février, il commence à avoir de la température, des crachements de sang, puis de l’asthme. Il souffrira beaucoup, avant de mourir d’une crise d’urémie le 11 mai 1927, à quarante ans.

    La seconde partie de l’essai explique les principes du cubisme, son évolution, les chemins différents empruntés par les artistes que Kahnweiler a côtoyés de près, l’œuvre de Juan Gris surtout, du cubisme analytique au cubisme synthétique. Les écrits du peintre constituent la dernière partie : notices, réponses, notes sur la peinture. Avec une vingtaine d’œuvres illustrées, l’essai se révèle au total une formidable exploration de l’œuvre d’un peintre que Kahnweiler situe ainsi : « Je vois Gris en face de Picasso comme Raphaël en face de Michel-Ange. »

  • L'été dans la rue

    En ville, les floraisons de l’été sont le plus souvent cachées à l’arrière des maisons. Schaerbeek, heureusement, soigne ses espaces verts, grands ou petits. Sur un talus où se dressaient jadis de splendides marronniers, les jardiniers communaux ont replanté quelques arbres dans le haut. De part et d’autre d’un escalier où l’on peut s’asseoir, le nouveau jardin commence à s’étoffer. Les grosses fleurs d’ail ornemental ont pâli – ici un duo –, et les verveines violettes de Buenos Aires donnent gaiement la réplique aux blancs hydrangeas Annabelle.

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    Il y a longtemps que je vous ai présenté l’avenue Huart Hamoir, côté pair et côté impair. J’ai profité d’une promenade récente pour enfin photographier le haut de cette belle avenue, de part et d’autre de l’église de La Sainte Famille. Son clocher domine le square Riga dont les arbres ont gagné un été de plus avant l’abattage prévu pour une future station de métro. Côté ombre, vous apprécierez mieux les jeux de briques sur les façades en cliquant pour agrandir la photo. De l’autre côté de l’église, on remarque surtout une enfilade de façades de même inspiration néoclassique, avec leurs guirlandes au-dessus des fenêtres. La tourelle du bel immeuble d’angle sur le square a depuis longtemps perdu le lanternon qui coiffait son dôme (visible sur une vue ancienne à l’Inventaire du patrimoine architectural), dommage.

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    Après l’agréable chemin ombragé du square Riga, je m’arrête près d’un platane survivant à l’angle de l’avenue Demolder où ses congénères ont disparu il y a peu. Des tilleuls prendront leur place quand les trottoirs de l’avenue auront été refaits. Pour l’instant, les roses trémières et autres vivaces y mettent encore leurs jolies notes de couleurs.

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    Vive l’été !

  • La pluie

    françois cheng,la vraie gloire est ici,poésie,littérature française,cultureLa pluie chante en nous son retour éternel,
    En nous la terre oublieuse retrace son chemin.

    Senteur des collines en fête,
    Murmure des pêchers en fleur,
    Sourire des auvents en larmes,
    Tout feu pris toute fumée bue,
    Toute chair au sang délivré,
    Et tout mot soudain souvenu.

    Dans le cœur désert, nous reprenons goutte à goutte
    La source que nous avions cédée aux saisons.

     

    François Cheng, La vraie gloire est ici

    © Kim en Joong, Painting, 1996