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Giono en tête à tête

De Giono (1895-1970), dans ma bibliothèque, il ne reste que trois exemplaires qui datent : Regain, Un de Baumugnes, Le hussard sur le toit. Il en manque peut-être laissés à la disposition des élèves à la bibliothèque de l’école ? Je suis loin d’avoir exploré tout l’univers de l’écrivain, dont la vie m’était peu connue. Aussi, encouragée par une lectrice, ai-je lu Giono, furioso d’Emmanuelle Lambert, prix Femina essai 2019, dans l’espoir d’y voir plus clair sur l’homme et plus juste sur l’œuvre.

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Bureau de Giono au Paraïs (Manosque), photo Le Dauphiné

Ni biographie, ni essai classique, liée à l’exposition Giono au Mucem en début d’année, l’approche d’Emmanuelle Lambert est très personnelle ; elle va jusqu’à s’adresser directement à Giono quelquefois. De ce qu’on dit de lui, « sorcier de la langue, conteur, poète traversé de légendes », de sa voix dans les enregistrements, de l’air qu’il a sur les photos, elle se méfie un peu, s’efforce de rester à distance. Elle travaille au Paraïs, avec Sylvie Giono et les Amis de Giono qui archivent tout le contenu de la maison de Manosque. Commissaire de l’exposition marseillaise, elle était aussi responsable du catalogue.

« Nous ne savons pas » : l’essai part de ce que vit Jean Giono à vingt ans, « petit soldat anonyme » de 14-18, avec son ami Louis David. En 1913, il lui avait offert un agenda et ensemble, le fils du cordonnier italien et de la repasseuse et celui du vendeur de parapluies avaient fondé « L’Artistic Club » ; ils aimaient les livres, la peinture, la poésie. Louis David est mort à la guerre à vingt et un ans, en 1916.

L’image de l’écrivain est inséparable de sa région, mais il n’est pas un écrivain régional : « La Provence de Giono est une lumière de fer. » Il a connu les êtres durs et les paysages arides, loin des souvenirs d’enfance de l’essayiste chez ses grands-parents avignonnais. Avouant l’avoir lu à l’école « avec un ennui poli », Emmanuelle Lambert le relit, surprise par sa violence : « Chez lui, la nuit gémit, la forêt gronde. Le vent ne souffle pas. Il hurle. » A ce sujet, je vous invite à lire en ligne « Giono le révolté », un texte de Le Clézio au début du catalogue.

Giono est « un fils de vieux, né de Jean-Antoine, cinquante ans, et de Pauline, trente-huit. » Elle s’arrête sur un portrait du père de Giono en artisan, entouré de trois apprentis et d’un client. « Mais le calme de cette photographie est fendu par un invité inattendu et qui hypnotise l’œil : on dirait, sur l’épaule gauche du père, qu’il y a un oiseau. Oui, c’est bien un oiseau. Lui aussi regarde le photographe, comme les humains. » L’écrivain préférait son père à sa mère, il a beaucoup écrit sur lui. Animaux, relations familiales, Emmanuelle Lambert va à la rencontre de Giono tout en revenant à ses propres souvenirs. Si elle écrit « en mouvement » (trains, hôtels, visites), c’est aussi sur elle-même, un « Giono et moi » en quelque sorte.

Ce dédoublement, elle le décrit aussi à propos de la lecture : « Il me semble que tous les livres proviennent d’une lutte entre deux instances qu’on pourrait qualifier hâtivement, mais efficacement, de moi social pour la première, et de moi intérieur pour la seconde. Je me demande si certains êtres parviennent à faire coïncider parfaitement ces deux instances, la personne publique, visible, et la personne intime qui erre secrètement de lecture en lecture, constitue les cellules de son être à travers les mots des autres, au chaud de sa solitude. »

Tout en suivant plus ou moins la chronologie, de l’employé de banque à l’écrivain publié dans La Pléiade, cet essai offre autre chose qu’une synthèse sur Giono, l’homme et l’œuvre. C’est plutôt un dialogue avec l’écrivain, un questionnement sur les images qui lui sont liées, une façon de multiplier les angles d’approche. Son amitié pour Lucien Jacques, par exemple, son mariage avec Elise, ses relations avec ses maîtresses. Son engagement pacifiste, la prison, ses publications de guerre complaisantes, son écologisme précurseur. Je me souviens du beau film d’animation sur L’homme qui plantait des arbres.

Giono, furioso parle d’un grand écrivain du XXe siècle, de ses livres, de documents et de photos à exposer pour mieux le faire connaître. « On ne peut jamais tout montrer, pas plus qu’on ne peut tout dire, on n’a accès qu’à des bouts de vie, à des morceaux des autres. » Emmanuelle Lambert nous livre son tête à tête, « à la frontière de l'essai et de la biographie, remarquablement écrit, recomposant finement un portrait bien plus tourmenté et complexe » (L’Express).

Dans les dernières pages, l’essentiel est dit : « Arrêter les morts dans leur effacement est la seule chose qui compte et l’art, ou la  poésie, ou la littérature sont les manigances qui le permettent. Pour conjurer la menace du passé. Parce qu’on les a aimés. »

Commentaires

  • J'ai lu il y a quelques années des bio sur Giono après avoir lu les âmes fortes, cela m'avait impressionnée ! J'ai lu récemment l'homme qui plantait des arbres. J'aime beaucoup son oeuvre finalement et je compte bien en lire un de temps en temps dans les romans qui me restent à lire...

  • Bonjour, Maggie. Je n'ai pas encore lu "Les âmes fortes", dans ma liste de nombreux titres de Giono à découvrir. J'en suis restée aux œuvres d'avant-guerre (à part "Le Hussard").

  • Je pense en avoir repéré un au moins ;-).

  • C'est vrai, j'ai noté plusieurs titres chez elle aussi.

  • Ah là, je connais, j'en ai plusieurs. J'ai étudié en fac de lettres la trilogie: Regain, un de Baumugnes, Colline. Sa langue superbe...; ce n'est pas un écrivain régionaliste mais un écrivain universel
    Et L'homme qui plantait des arbres est le livre de chevet d'un de mes enfants marqué durablement par ce récit.
    Bref, merci pour toute cette évocation!

  • Avec plaisir, Anne.

  • Ce que tu dis et le texte de Le Clézio, font découvrir un Giono qui me plaît beaucoup plus qu'uniquement le chantre des paysages. Merci beaucoup.

  • J'ai aimé ce texte aussi, et cet essai encourage à lire Giono, en tout cas.

  • J'ai lu un certain nombre de Giono au fil des années, mais il m'en reste encore beaucoup à découvrir. J'hésite devant ce livre, je crains que l'implication personnelle de l'auteure me gêne un peu. Par contre, j'aurais aimé voir l'expo du Mucem.

  • A la lire, Emmanuelle Lambert y a été encouragée par son éditeur : "Mais vous, dans votre livre, vous êtes où ?" Cette présence m'a d'abord gênée, et puis j'ai trouvé que cette manière de s'impliquer incite à s'impliquer aussi à la lecture - et moi, j'en suis où avec cet écrivain ?

  • Je suis vraiment contente que ce livre t'ait plu. Il me semble difficile de parler d'un écrivain sans parler de soi-même ; et il en est de même avec les personnages historiques.
    Tu me donnes envie de le relire.
    Bonne journée !

  • Oui, la façon dont nous parlons des écrivains dit probablement toujours quelque chose de nous. Dans un essai classique, l'auteur s'efface, instaure une distance, cherche avant tout à mettre son sujet en lumière. Ici, c'est différent, l'essayiste s'implique et déroule aussi son travail d'écriture en cours d'élaboration.
    Tu l'as relu pour faire le point sur les oeuvres, j'ai noté pour ma part, à découvrir, "Jean le bleu", "Angelo", "Les vraies richesses".

  • un livre qui m'a enchanté et qui est venu grossir ma bibliothèque autour de Giono, il faudrait que je fasse un billet là dessus un jour ou l'autre
    c'est un livre passionnant, parfois malicieux, toujours juste et qui pousse fortement à la lecture

  • Je serai curieuse de lire tes propres impressions de lecture.

  • tu peux trouver le billet qui date de 2019 je crois

    http://asautsetagambades.hautetfort.com/archive/2019/10/21/giono-furioso-emmanuelle-lambert-6184479.html

  • En fait, j'avais lu ce billet, Dominique. Le projet dont tu parlais dans ton commentaire m'a induite en erreur. Merci pour le lien.

  • Emmanuelle Lambert va jusqu'à s'adresser à Giono, je comprends mieux votre remarque à propos de l'implication de l'auteur(e) dans un essai. C'est intéressant de découvrir un Giono plus complexe que celui qu'on imagine.
    J'ai en attente un enregistrement tv sur lui (une âme forte, FR3), je pourrais enchaîner avec le livre. Il est sorti en poche tout récemment.
    Bonne semaine, Tania.

  • Oui, Emmanuelle Lambert ouvre toutes sortes d'entrées pour éclairer la personnalité de l'écrivain, y compris ses écrits, bien sûr. Bonne semaine, Christw.

  • J'aime ces livres au point de vue original, ceux dont les auteurs montent sur la table pour avoir une vision différente (cf." Le cercle des poètes disparus") et il me semble que celui-ci en fait partie. Merci Tania, douce journée à toi. brigitte

  • Bien vu, Brigitte. J'ai enregistré le film qui vient de repasser à la télévision pour le revoir un de ces jours. Belle journée !

  • Tiens d'ici deux jours, car j'aurai fini mon Russel Banks en cours, je devrais entamer "un roi sans divrtissement "☺

  • Pas encore lu ce "Roi"-là, mais en me demandant de quel Russell Banks il pouvait bien s'agir, je découvre qu'il manque dans mon index des auteurs, tiens ;-).

  • C'est bref !

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