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  • A la fenêtre

    thiry,a la fenêtre,poème,littérature française de belgique,écrivain belge,pâques,1914,2024A la fenêtre où sont les jacinthes bleu-Pâques,
    Une Année au visage oublié m’apparaît
    D’entre l’odeur des bleues jacinthes, et les vagues
    Parfums que les printemps disparus arboraient.

    C’est l’année où, par les innocentes prairies
    Où le bonheur mêlait indolemment leurs jeux,
    Les beaux avant-héros et les avant-meurtries
    Dansaient avec la Paix sous les pommiers neigeux.

    O mil neuf cent quatorze en fleur, ô jeune fille-
    Année, avec quel doux désespoir désuet,
    Profonde comme une ancienne photographie,
    Ton âme entre les bleues jacinthes apparaît…

    Marcel Thiry (Plongeantes Proues, 1925)

    * * *

    thiry,a la fenêtre,poème,littérature française de belgique,écrivain belge,pâques,1914,2024Recommencer, naître à nouveau, voilà
    ce que disait le Maître, ce que nous
    n’avions pas compris. Nous regardions
    le ventre de la terre, les nuages, le ciel

    et demeurions aveugles, tandis que l’hirondelle
    revenait à sa place exacte, reprenait
    possession du vent. Et nous, qui de si loin
    désirions partir, nous restons sur le seuil

    sans savoir où aller, comme prisonniers
    d’une route invisible et de la peur de perdre,
    en plongeant dans la lumière d’avril,
    le goût de l’eau, le parfum des ombres

    et le plaisir de toujours remettre à demain…

    Guy Goffette, Printemps I (Le pêcheur d’eau, 1995)

    * * *

    Le second poème, je l’ai ajouté après avoir appris que Guy Goffette avait rejoint le ciel qu’il aimait tant.

    A vous qui passez ici,
    bonne fête de Pâques !

    Tania

  • En regardant la vie

    Folon L'inutile beauté.jpg« Je crois que je suis quelqu’un qui dessine ce qu’il essaie de comprendre en regardant la vie. »

    « Je ne pense pas que mes dessins pourraient changer quelque chose. Je ne pense pas que le but du dessin soit de servir une idéologie ni même de servir à quoi que ce soit.
    Un dessin ne sert à rien ; c’est comme un arbre ou une fleur, ça ne sert à rien. Mais sans les arbres et sans les fleurs, nous serions tous morts. »

    Jean-Michel Folon

    © Folon, gravure du portfolio de L'inutile beauté, d'après G. de Maupassant, 1980

     

    Folon insolite, Maison Autrique, Schaerbeek > 29.09.2024

  • Folon insolite

    Il suffit d’intervertir deux lettres pour obtenir le titre bilingue de la nouvelle exposition à la maison Autrique : Folon insolite / Folon insoliet – une des manifestations organisées cette année à Bruxelles en l’honneur de Jean-Michel Folon, de février à septembre, avec la Fondation Folon. Son originalité, c’est d’épouser l’esprit de la maison, en installant dans toutes les pièces des œuvres (tapisseries, sculptures, aquarelles et gravures, céramiques...) et des objets personnels de l’artiste (carnets, photos, souvenirs, jouets, correspondance…). Comme si Folon (1934-2005) y habitait.

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    La Maison Autrique, premier hôtel particulier construit par Victor Horta en 1893, est en elle-même un musée bruxellois insolite. Un siècle plus tard, François Schuiten et Benoît Peeters apprenaient que la maison était à vendre et eurent l’idée d’en faire, après restauration, une demeure imaginaire, meublée des caves au grenier. Après les merveilleuses affiches de Privat Livemont, cette expo-ci, « inédite et sur mesure », nous invite à découvrir un Folon moins connu.

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    © Folon, L’Arbre qui pense, 1981, tapisserie

    Quelques marches mènent au comptoir d’accueil (bel étage) surmonté d’une tapisserie. En 1981, le directeur d’un atelier à Aubusson a convaincu Folon de laisser traduire ses nuances d’aquarelle en fils de laine et de soie. Près du piano, sous une autre tapisserie, La Pluie, je n’ai pas vu tout de suite Ulysse (la lumière est tamisée comme à l’origine dans cette maison), une longue sculpture où le personnage au chapeau et au long manteau, une valise à la main, se tient debout à l’avant de son embarcation sur les flots : le thème du voyage a beaucoup inspiré Folon.

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    © Folon, Ulysse (détail), 2004, bronze

    Dans la petite pièce au bout du couloir d’entrée, au-dessus de cahiers d’aquarelle en vitrine, trois plats en céramique émaillée reprennent des sujets souvent traités par l’artiste : le labyrinthe, l’arbre, le visage. Son graphisme simplifié – les yeux, le nez, la bouche – sont omniprésents dans son œuvre, on en verra un peu partout, y compris sur des photographies de Folon et même au grenier.

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    © Folon, Le Labyrinthe, céramique émaillée

    En descendant à l’office (au sous-sol dans les maisons bruxelloises classiques du XIXe siècle), vous en verrez même dans la buanderie. Parmi les objets usuels de la maison, c’est un plaisir de dénicher ici, au-dessus d’une paire de ciseaux de couture, une eau-forte où elle est prête à s’envoler, et là, sur la table, trois « outils » de cuisine devenus personnage, idole et oiseau – en bronze. Il faut bien regarder dans tous les recoins pour ne rien manquer de cette exposition.

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    © Folon, Sans titre, s.d., eau-forte et aquatinte

    Dans l’escalier vers le premier étage, encore une belle tapisserie, La route. Sur l’appui de fenêtre du palier, une longue main sculptée tient une figurine sur le bout des doigts : Qui ? Un petit format de la main ouverte de la chapelle à Saint-Paul de Vence, que Gwennaëlle Gribaumont commentait ainsi dans La Libre : « Une main tendue vers l’autre, prête à donner et à secourir. Une main tournée vers le ciel, tout comme le petit personnage qui l’accompagne » (2020, Folon. Sculptures, à l'abbaye de Villers-la-Ville).

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    © Folon, Qui ?, 1997, bronze

    Dans la grande chambre, vous ne manquerez pas de remarquer une gravure étonnante, des hauts talons ornés de papillons, mais peut-être passerez-vous devant la cheminée sans y remarquer L’homme volant ou, près des malles, les chapeaux sur le porte-manteau, ramenés de voyage par Folon et sa compagne. Il y a même un chapeau safari équipé d’une cellule photovoltaïque pour alimenter son ventilateur intérieur !

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    © Folon, Hommage à Morris Hirschfield, 1977

    Attention aussi aux portes entrouvertes – jetez-y un œil et vous découvrirez des photos, des vêtements, des souliers... Sur le lavabo, une boîte de dentifrice dessinée par Folon, un projet d’emballage. Dans le salon privé, côté rue, on peut s’asseoir pour regarder la vidéo sur l’artiste, et là aussi, il faut chercher autour de soi des intrus bienvenus, si j’ose dire, comme Le Poids des pensées (en bronze), une tour Eiffel à la Folon, des livres de prix, etc.

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    © Folon, gravure du portfolio Toys, 1979

    Au deuxième, dans la chambre d’enfant, quatre gravures de la suite Toys (1979) font rêver de voyage en avion, en train, en bateau et même en tracteur ! Folon volait avec ses pinceaux. J’aurais aimé vous montrer d’autres gravures aux machines volantes, mais il manquait de lumière pour prendre de bonnes photos sans flash. La vitrine de la chambre contient une multitude de petits objets chinés ou décorés par Folon au long de sa vie, il y a de quoi observer et s’amuser.

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    "Les photographies révèlent aussi sa capacité à anthropomorphiser les objets qui l'entourent."
    (Toutes les citations émanent du dépliant ou du site de l'exposition Folon insolite.)

    Dans la chambre photographique, de petits instantanés, souvenirs de Folon en compagnie d’autres artistes, et des photographies en noir et blanc qui lui ont souvent servi pour ses créations. Enfin, tout en haut, dans le bureau d’architecte, vous verrez du courrier de Folon près du meuble à tiroirs où sont glissées des citations. C’est là que j’ai photographié Poésie, une gravure à l’aquatinte (en évitant les reflets).

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    © Folon, Poésie, 1985

    Folon n’est pas seulement le dessinateur et illustrateur qui a fait entrer les nuances de l’aquarelle dans un cortège d’images fortes de la modernité au XXe siècle. Il a créé tout un monde imaginaire, visuel d’abord, puis aussi sculpté. Folon insolite « met à l’honneur un Folon méconnu et passionnant ». Jusqu’au 29 septembre à Schaerbeek, à la Maison Autrique.

  • Moustaches

    James Bouquins.jpg« La nouvelle que Daisy Miller était entourée d’une demi-douzaine de merveilleuses moustaches freina Winterbourne dans son envie de lui rendre visite immédiatement. Sans s’être vraiment flatté d’avoir fait une impression ineffaçable sur son cœur, il était irrité d’apprendre que la situation était si peu en accord avec l’image qui lui avait traversé l’esprit ces derniers temps : celle d’une très ravissante jeune fille, guettant à la fenêtre d’une vieille maison romaine, et se demandant avec impatience quand monsieur Winterbourne arriverait enfin. »

    Henry James, Daisy Miller

  • La jolie Daisy

    Henry James (1843-1916) continue à séduire lecteurs et spectateurs. Le 6 mars dernier, Arts Libre présentait La Bête de Bertrand Bonello, film librement adapté d’après La Bête dans la jungle (1903), la magnifique nouvelle qui avait déjà inspiré le réalisateur Patric Chiha en 2023. Cela m’a donné envie de revenir à l’auteur du fameux Portrait de femme (1881), avec une autre nouvelle, Daisy Miller (1878, traduit de l’anglais par Philippe Blanchard). Après avoir été refusée par une revue américaine, celle-ci connut un succès énorme en Angleterre.

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    Belle édition illustrée (Swan's Fine Books)

    « Il y a dans la ville de Vevey, en Suisse, un hôtel particulièrement confortable. Et certes, les hôtels y sont nombreux, car distraire les touristes est la grande affaire de cette localité qui, comme s’en souviendront de nombreux voyageurs, est sise au bord d’un lac aux eaux d’un bleu remarquable, lac qu’aucun touriste ne saurait manquer de visiter. » Au mois de juin, les Américains y sont nombreux. Aux Trois Couronnes, on voit aussi des serveurs allemands, des princesses russes, des petits Polonais...

    Assis dans le jardin, Winterbourne, un Américain de vingt-sept ans, arrivé la veille de Genève pour visiter sa tante qui séjourne dans cet hôtel, observe un gamin de neuf ou dix ans occupé à piquer « tout ce qui passait à sa portée » avec un grand alpenstock. L’enfant lui demande un morceau de sucre, qu’il lui permet de prendre tout en le lui déconseillant pour ses dents, mais le petit Américain ne manque ni d’audace ni de repartie et lui signale l’arrivée de sa sœur : « Winterbourne remonta l’allée du regard et vit s’avancer une jeune fille de grande beauté. »

    A Genève, il n’aurait jamais pris « la liberté de parler à une jeune fille », mais à Vevey, dans un jardin, où il vient de faire connaissance avec Randolph, son petit frère… Il apprend qu’ils vont bientôt se rendre en Italie et le gamin ne manque pas de préciser le nom de sa sœur, Daisy Miller, avant d’ajouter que leur père est riche, il a « une grosse affaire » à Schenectady. Leur mère espère trouver un bon professeur pour Randolph en Italie ajoute Daisy, qui parle à Winterbourne « comme si elle le connaissait de longue date », ce qu’il trouve bien agréable.

    Le jeune homme est sous le charme, mais perplexe quand elle lui dit manquer ici de vie sociale et être « toujours beaucoup sortie avec des messieurs. » Il pense qu’elle est « une aguicheuse, une ravissante aguicheuse américaine. » Dans le lointain, ils aperçoivent le château de Chillon qu’elle aimerait beaucoup visiter. Il lui propose de l’y accompagner, avec sa mère. Mlle Miller préférerait que celle-ci s’occupe de Randolph avec Eugenio, leur « valet de place ».

    Quand Winterbourne demande à sa tante, madame Costello, qui est veuve, si elle a remarqué cette famille américaine, son avis est bien tranché : « Je les ai vus, je les ai entendus et je les ai évités. » Il comprend immédiatement que les Miller occupent « une position basse dans l’échelle sociale. » Pour sa tante, ce sont des gens « ordinaires » qui traitent leur valet comme un ami de la famille. Même si elle s’habille « à la perfection », la jeune fille manque d’éducation.

    Winterbourne est gêné, lorsqu’ils se revoient, par le désir de Daisy de rencontrer sa tante : elle affirme que sa mère et elle sont « très exigeantes » sur leurs relations. Lorsqu’il invoque les migraines de sa tante pour l’excuser, la jeune fille comprend qu’elle ne veut pas la recevoir et en rit. Elle, en revanche, le présente à sa mère et se montre délicate. Winterbourne est surpris : Mme Miller ne voit aucun inconvénient à ce qu’il visite le château de Chillon avec Daisy.

    Bien sûr, Winterbourne et Daisy Miller vont se revoir en Italie, où il va rejoindre Mme Costello, déjà installée. Elle informe son neveu de la « vulgarité sans fond » de la famille américaine : la jeune fille « sort seule » et se fait escorter partout « d’un monsieur très courtois et merveilleusement moustachu ». Chez une amie, Winterbourne retrouve les Miller. Daisy n’hésite pas à demander à leur hôtesse, qui l’a invitée à une réception, « l’autorisation de venir avec un ami », « un ami intime, monsieur Giovanelli. »

    Bien qu’il déplore sa mauvaise éducation et constate à quel point le comportement de la jolie Américaine détonne dans la bonne société, Winterbourne ne peut s’empêcher de s’intéresser à elle et cherche à la protéger discrètement. Comme Ralph avec sa cousine dans Portrait de femme. La piquante Daisy Miller n’a ni le chic ni l’intelligence d’Isabel Archer, mais toutes deux font la même erreur en se laissant charmer par un homme qui ne fera pas leur bonheur. 

    Daisy Miller : a Study (titre original) est une étude de caractères, d’abord celui d’une jeune Américaine innocente et franche, non initiée aux mœurs européennes, et celui d’un homme jeune qui n’ose se déclarer amoureux malgré qu’il recherche sa compagnie. Henry James décrit finement les conventions sociales par lesquelles la société mondaine de la seconde moitié du dix-neuvième siècle cultivait ce qu’on appelle aujourd’hui « l’entre-soi ». Non sans émotion.