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Rechercher : anne le Maître

  • Chaque aurore...

    Le nom de Colette Nys-Mazure, vous l’avez déjà rencontré ici ou ailleurs, vous vous rappelez sans doute le succès de Célébration du quotidien. Aussi, depuis qu’Anne Le Maître a annoncé la publication de Chaque aurore te sera première, où ses aquarelles accompagnent les vers de la poétesse belge, avais-je fort envie de découvrir ce livret d’art paru à l’Atelier des Noyers.

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    © Anne Le Maître

    En ouvrant ce petit carnet horizontal, j’ai été touchée et par les mots et par les illustrations, en parfait équilibre comme cette funambule sur la première aquarelle.

    « Tu vas.
    Tu avances en vie.
    Parfois tu te retournes et t’étonnes :
    Le temps, derrière toi,
    Tapis de plus en plus vaste. »

    Le premier des quintils de Colette Nys-Mazure donne le la. Regards en arrière, regards en avant, c’est un chemin de vie ou plutôt une attitude devant la vie qu’elle dessine avec sobriété dans Chaque aurore te sera première, en s’adressant à elle-même, à qui la lit. Elle y égrène éclats de souvenirs, présence au monde, aux autres, volonté de vivre en accueillant jusqu’au bout la beauté du jour qui se lève et même les dérobades de l’avenir, en refusant les « éteignoirs ».

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    © Anne Le Maître

    Avec simplicité et grâce, comme dans un haïku, de ces vers courts se dégage la quintessence d’un credo tendre mais pas mièvre du tout.

    « Avancer en vie t’intéresse.
    Requiert ta vigilance.
    Tu traques le neuf, l’inouï.

    Tu souhaites rester coriace
    D’un bout à l’autre. »

    Poète et aquarelliste correspondent à merveille. Sagesse de l’herbe raconte des leçons qu’Anne Le Maître a reçues des chemins. Dans Chaque aurore te restera première, ses aquarelles en pleine page, imprégnées de grand air aux quatre saisons, prolongent cette vision du monde. Elle peint des arbres, des oiseaux, la mer, des silhouettes, le ciel... Paysage, atmosphère, vision, chacune de ses images est une échappée – déconfinement garanti.

    Un opuscule précieux, à lire et à regarder : on s’y recharge de lumière.

  • Tout est signe

    anne le maître,le jardin nu,récit,littérature française,deuil,déménagement,jardin,oiseaux,nature,culture,résilience,quête de sens« Il y a ce temps de l’apprentissage, de l’écoute active et concentrée, et puis il y a celui où on n’a plus besoin d’être conscient pour sentir la présence de l’autre. On sait qu’il est là, simplement parce qu’il y est.

    Un claquement d’ailes, une branche qui frémit, une empreinte, l’enveloppe d’une graine, la trajectoire d’une abeille, une plume abandonnée sur l’herbe : tout est signe, porteur de significations. »

    Anne Le Maître, Le jardin nu

  • De l'être

    anne le maître,un si grand désir de silence,essai,littérature française,silence,retrait,sens,lenteur,être,spiritualité,abbaye,culture« J’ai appris que le silence n’est pas une modalité de vie mais un état de l’être. Qu’on peut être en paix au milieu d’une foule et en effervescence au sommet d’une colline déserte. Et qu’il dépend de chacun d’être à lui-même ou non son bruit ou son silence. »

    Anne Le Maître, Un si grand désir de silence

     

    Fernand Khnopff, Le silence de la neige (détail), 1916

  • Désir de silence

    Parfois des fils imprévus lient des lectures l’une à l’autre. De Nathalie Skowronek à Lola Lafon, par exemple. Et même de l’album de Pastoureau, Blanc, à Un si grand désir de silence d’Anne Le Maître. Pas seulement pour l’éventail et le bol figurant sur la nature morte de la couverture, ou pour le blanc monacal qui s’invite ici et là. On parle de « blanc » lorsqu’un silence soudain se produit à la radio ou dans une conversation. Le blanc serait-il la couleur du silence ?

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    « Car faire silence, et c’est peut-être là le point de départ de ma réflexion, ce n’est pas la même chose que se taire, ou du moins on ne saurait l’y réduire. » Le silence n’est pas que le contraire du bruit. « Le silence porte accueil et disponibilité, ascèse, écoute et ouverture. »  L’introduction d’Anne Le Maître donne déjà des clés : « pour moi le silence est une source. Et pour moi le silence est un combat. »

    Un petit matin dans sa maison « emmitouflée de nuit et de brouillard », quasi silencieuse, ne lui fait que mieux entendre « gronder » la rumeur du monde : toutes les choses à faire, les soucis, les « mouches noires » qui tournent dans la tête – « Malgré le silence de l’aube, dans le parfum doux du thé qui fume, je ne suis que bruit. »

    « Cette heure d’avant le jour » est son défi quotidien : se laisser inviter par le silence, se taire, se mettre à l’écoute. Avec l’entraînement, s’en faire « un îlot de paix ». Et voilà une distinction importante, entre vie active et vie contemplative, lié chez elle à un « rêve d’abbaye » ; elle fréquente volontiers l’abbaye de Landévennec, trouve un havre dans les lieux de silence, à l’écart de notre « civilisation du vacarme ».

    L’homme moderne « se doit d’être agissant, positif et plein de vie », reléguant le silence en compagnie de « ces trois repoussoirs du monde moderne que sont l’inactivité, la religiosité et la mort ». En 2020, quand du confinement contre la pandémie a surgi un calme inattendu dans le ciel, les rues, les jardins où on réentendait le chant des oiseaux, la tranquillité a vite été troublée par l’agitation médiatique, les débats, les protestations, un trop-plein de chiffres et d’images.

    « La quête de sens, le silence, la lenteur n’ont aucune valeur sur le marché du tohu-bohu ambiant. En revanche, notre attention – notre « temps de cerveau disponible » – est devenue un bien marchand sur lequel des cohortes de négociants ont des vues très précises. » Si Anne Le Maître dénonce les travers de notre époque « bavarde », ce n’est pas par conservatisme ou nostalgie. Elle réhabilite la place du vide et de l’ennui dans nos existences, montre l’importance de se « désencombrer » : « Il est possible de jeûner de bruit comme on jeûne de nourriture. » On y retrouve de l’énergie.

    Le silence ouvre la porte à la vie intérieure – il y a sans doute aussi un fil entre ce livre et L’Esprit de solitude de Jacqueline Kelen ou, dans une approche très différente, Histoire du silence d’Alain Corbin – mais ce travail ou disons cet exercice sur soi-même n’exclut pas l’autre, au contraire. « Prendre le temps d’une retraite, d’un retrait du monde : vivre un temps fécond plutôt qu’utile. » Se taire, c’est aussi se mettre à l’écoute. De soi, de « plus grand que soi », des autres, du vivant.

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    Anne Le Maître de retour d'Ouessant (Bleu de Prusse)

    Un si grand désir de silence n’est ni un essai philosophique, ni un ouvrage d’érudition. Cette réflexion me parle beaucoup parce qu’elle est irriguée d’expérience personnelle, de peurs et de douleurs, de marche et de contemplation, de lectures et d’aquarelles. « Le silence accorde intérieur et extérieur : je suis dans le flot du réel comme un nageur heureux dans le courant, baigné, porté, serein. Je suis la rivière des heures. » Magnifique métaphore. Sagesse de l’herbe nous invitait à cheminer, ce nouveau texte d’Anne Le Maître, beau et nourrissant, propose toutes sortes de manières de faire silence, d’être pleinement vivant.

  • Le jardin nu

    Publié il y a peu, Le jardin nu d’Anne Le Maître suit de quelques mois Un si grand désir de silence. On a l’impression de se connaître un peu, quand on se fréquente dans la blogosphère ; de plus j’ai eu l’occasion de rencontrer Anne il y a quelques années, quand elle était de passage en Belgique. Je suis sensible à son style, à ses couleurs.

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    Le livre s’ouvre sur des vers de Louise Glück, tirés de L’iris sauvage. A chaque « temps » du Jardin nu sa citation en épigraphe, autant de propositions de lecture qui vibrent à l’unisson. Pourquoi un jardin « nu » ? me suis-je demandé. La réponse vient dès le début : « Un jour, quelque chose de ma vie s’est arrêté. » Peu après les obsèques de l’homme qu’elle aimait, Anne Le Maître s’est mise à chercher un autre lieu de vie que celui où elle l’a accompagné dans un long combat contre la maladie : une maison, un endroit où « se terrer », où il y aurait un « bout de jardin » et un arbre. Un « ailleurs ».

    Sa  maison Castor rebaptisée « maison des Castors », « une petite maison sans allure, une maison mitoyenne des années cinquante dans une rue bordée de maisons toutes pareilles », elle l’a « reconnue » avec son petit jardin, un lilas, un cerisier. Des amis l’ont aidée à l’aménager. Elle y a trouvé refuge près d’un arbre « peuplé d’oiseaux », une « présence bienveillante » plus forte que la mort.

    « Il aura fallu cet effondrement de ma vie, cet arrachement, cette dépossession qui m’a laissée plus démunie qu’un naufragé recraché par la mer sur un rivage inconnu pour que je me découvre environnée d’invisibles. » Elle appréciait la « nature » en voyage, en randonnée, comme elle l’a raconté dans Sagesse de l'herbe. A présent, elle éprouve « le besoin presque vital de faire connaissance de manière fine avec ce qui [l’]entoure ».

    Au bout du compte, elle découvre dans son jardin trente-sept espèces différentes d’oiseaux. Parmi eux, un roitelet, espèce en déclin, oiseau braconné, qu’elle traite avec tout le respect dû à un colocataire. Sur un bout de terre épuisé par les herbicides et l’anti-mousse, elle tente « d’améliorer les choses », commence un compost, ensemence le jardin de ce que des amis lui apportent.

    « J’avais débranché tout ce que j’avais pu dans ma vie : au jardin, tout continuait. » De semis en rempotage, elle se retrouve prise dans le flot de sa vie « tissée à d’autres vies ». Son attention nouvelle aux signes infimes autour d’elle lui permet non seulement de rester vivante mais aussi de recueillir un enseignement : « Tout est plus vivant de devoir mourir.» Il ne s’agit pas seulement de mettre les mains dans la terre, sa quête est surtout spirituelle (Le jardin nu est publié dans la collection « j’y crois »).

    Tout ce qui vit ou revit dans le jardin, elle en prend soin – « Il y avait donc des vivants qu’un de mes gestes pouvait sauver. » Y compris la chatte des voisins, « Madame Chat », qui l’apprivoise, elle qui avait décidé de « ne plus jamais tisser avec quelque chose de vivant, homme ou animal, ces liens qui vous crucifient quand ils se rompent. » Prise de conscience : « En soignant le vivant, c’est moi que je soigne. »

    Une des manières fortes de « rejoindre » ce qui vit, pour Anne Le Maître, aquarelliste, c’est la peinture : « une de mes manières de discuter avec ce qui m’entoure », écrit-elle. Le jardin nu déploie un « monde de sons autant que de couleurs ». Elle s’y plaît à simplement regarder, être à l’écoute. La joie peut être retrouvée.