Marie Gillet a choisi un beau mot, un mot clé, pour commencer le titre de son roman Avec la vieille dame, qui vient de paraître : « avec », une préposition qui ne peut s’employer seule, qui met d’emblée en relation. Si vous fréquentez Bonheur du jour, vous avez déjà perçu chez elle le goût des échanges, des rencontres.
Il y en a beaucoup dans le roman, d’abord celle d’une vieille dame qu’une femme plus jeune et convalescente remarque dans le parc d’une maison de vacances où elle est venue se reposer. Elle y écrit beaucoup, « la dame aux cartes postales » dont nous suivons les pensées et les gestes dans ce récit qui n’est pas autobiographique, même si l’on y reconnaît une correspondante fidèle. (Ce début peut être lu en ligne.)
Elle a senti le regard de cette vieille dame sur elle, dans la salle à manger, mais elle est là pour se remettre d’une opération à la tête. La maison accueille des personnes de passage, comme elle, et aussi des personnes âgées encore autonomes – un mot qui la fait « frémir, car elle-même se revit dépendante pendant tous ces mois d’hospitalisation puis de rééducation ». On lui a conseillé cet endroit pour sa tranquillité ; la vue sur le lac, qu’elle voit de sa chambre, est magnifique.
D’abord elle résiste à l’envie de faire connaissance, elle a pris la résolution de « se concentrer sur elle-même », d’autant plus qu’elle a « fait sa part » avec ses parents. Fini pour la dame aux cartes postales d’« aller et venir entre les maisons de retraite, les hôpitaux, les maisons de convalescence, les urgences, les cabinets médicaux, les laboratoires d’analyses, et chez eux, et chez elle. » Mais dès le lendemain, les deux femmes se parlent. Celle qui écrit tout le temps – elle est écrivain – et celle que plus personne n’écoute, qui a perdu ses deux fils, que sa fille a abandonnée. La vieille dame a trouvé quelqu’un à qui parler.
Nous retrouvons Marie, l’héroïne, dans une salle de réunion où quelques personnes, quatre femmes et un homme, ont accepté de la rencontrer. Elle voudrait entendre leurs témoignages pour la chronique qu’elle écrit dans un journal à propos des personnes âgées. Elle a écrit sur les maisons de retraite, sur l’isolement. Cette fois, elle voudrait mettre en lumière la vie des aidants : ces épouses, filles, sœurs, plus rarement maris ou fils, qui acceptent d’accompagner, de compenser la perte d’autonomie du grand âge pour permettre à leur proche de rester chez soi ou en famille.
Les situations sont diverses, mais pour tout le monde, ce sont les mêmes petites choses de la vie à affronter : les premiers signes du déclin, les problèmes matériels à prendre en charge, la résistance de celui ou celle qui a besoin d’aide mais ne veut pas le reconnaître, les chutes, les conflits, les soins… Celle qui les interviewe est une fine observatrice de tous ces détails qu’elle connaît bien, pour avoir pendant des années secouru ses parents et s’y être épuisée à mener de front leur vie et la sienne. Les paroles qu’elle recueille occupent une grande place dans le roman. Chaque personne a sa façon de s’exprimer, ses silences aussi.
Qui vit ou a vécu cette relation d’aide s’y reconnaît : le sentiment de culpabilité quand on n’arrive pas à tout pallier, quand il faut mettre une limite à ce qu’on peut donner, quand il devient nécessaire de s’en remettre à d’autres, d’imposer une aide extérieure, voire de « placer » quelqu’un dans une institution. L’idéal d’une grande maison avec jardin où accueillir sa mère ou son père et leur laisser couler leurs derniers jours heureux et entourés, tout le monde en rêve, mais combien peuvent l’atteindre ? La famille de Mamétou connaît ce bonheur de la voir vieillir chez sa petite-fille, malgré les difficultés – quand on est plusieurs à s’entraider, c’est tellement mieux. La grand-mère a cette belle formule encourageante : « Quand on fait ce qu’on peut, on fait ce qu’on doit. »
En recueillant un récit après l’autre, au fur et à mesure de son enquête, Marie revoit, revit tout ce qu’elle-même a vécu. Si elle arrive à en parler, du moins pour ce qui concerne son père, elle a beaucoup plus de mal à partager ce qu’elle a vécu avec sa mère jusqu’à sa mort, juste avant qu’elle-même ne tombe malade. On la voit reprendre des forces, nouer des liens avec ceux qui lui ouvrent leur porte, reprendre pied dans sa nouvelle vie quand elle n’est plus happée par les contraintes professionnelles.
Avec la vieille dame est un roman vrai qui n’édulcore ni les réalités douloureuses du grand âge, ni la fatigue des aidants qui ne leur tournent pas le dos, ni les difficultés de l’après, de la reconstruction de soi. Marie Gillet montre aussi la joie quand deux êtres peuvent saisir l’occasion de se parler vraiment, se réconcilier parfois. Le dernier chapitre, Un’opera, montre que le bonheur, malgré tout, peut s’inviter encore à la fin d’une vie.
Commentaires
J'ai terminé ce livre samedi, j'ai été très touchée par l'histoire, peut-être parce qu'à notre age nous abordons ce délicat moment où les parents âgés ont besoin de notre aide, La grande difficulté des aidants est de savoir se préserver, parce qu'il nous faut garder un peu de forces pour continuer à vivre. C'est un beau texte et tu en parles fort bien Tania, merci. Bises du lundi. brigitte
Merci, Brigitte, ta remarque est très juste. Je t'embrasse.
Tu éveilles ma curiosité, d'autant que je suis à l'âge où j'ai vu vieillir mes deux parents, ai vu les mesures prises (bonnes et mauvaises) pour les aider à rester là... et puis s'en aller.
L'allongement de la durée de vie nous met face à des situations compliquées quand nos parents sont confrontés au très grand âge et à la dépendance. Ne plus pouvoir rendre visite aux résidents des maisons de repos ou de soins en ce moment est une nouvelle épreuve, même si c'est justifié.
Je reviendrai lire ton billet quand:
1) le livre voudra bien arriver!!
2) que je l’aurai lu.
Bonne journée en casa:-)
Tu fais bien. Bonne après midi chez toi, Colo, je t'embrasse.
Il est commandé, doit arriver, mais le courrier traîne de toues façons!!!
Merci de ce billet. Heureusement que certaines publient, partagent………….
Je t'en souhaite bonne lecture dès qu'il sera arrivé.
ça nous touche de près, c'est vrai...
Faisons ce que nous pouvons...
Je le lirai tôt ou tard et à travers ton billet, je reconnais la délicatesse la générosité, le souci des autres présents dans le blog de Marie.
C'est cela, et aussi un grand sens de l'écoute.
Ce sujet ne peut que nous toucher ! Nous avons tous des parents qu'il a fallu aider, soutenir, à la fin de leur vie. Je me sentirai impliquée en lisant ce livre.
Oui, c'est une expérience commune, mais tous les "enfants" de parents âgés ne réagissent pas de la même façon.
Tu en parles vraiment très bien Tania. J'ai beaucoup aimé l'écriture de Marie, ces dialogues qu'elle enchaine sur la même ligne, cela reste tout à fait compréhensible et donne un rythme, une puissance à l'échange.
Cette plongée dans le monde des aidants si discrets, assez invisibles les met en lumière et leur rend un hommage mérité. Belle journée.
Merci pour tes impressions de lectrice pour compléter ce billet, Claudie. Chouette !
J'apprécie tellement le blog de Marie!!!
Comme beaucoup d'entre nous, Keisha. Tu retrouveras le même esprit dans son roman.
Merci.
Merci à toi.
Bel hommage rendu à notre amie Bonheur. Merci à vous, merci à elle d'avoir pris du temps pour aller à la rencontre de la vieille dame, avec tendresse et sollicitude.
Tout cela est bien difficile à vivre pour l'instant, heureusement on peut compter sur les soignants dans les résidences.
Tes propos me touchent, je vais prendre ce livre pour la mère peinée de la détresse de sa propre mère.
Bonjour, Audrey. C'est une bonne lecture, oui, pour se sentir moins seule dans ces situations éprouvantes.