Publié il y a peu, Le jardin nu d’Anne Le Maître suit de quelques mois Un si grand désir de silence. On a l’impression de se connaître un peu, quand on se fréquente dans la blogosphère ; de plus j’ai eu l’occasion de rencontrer Anne il y a quelques années, quand elle était de passage en Belgique. Je suis sensible à son style, à ses couleurs.
Le livre s’ouvre sur des vers de Louise Glück, tirés de L’iris sauvage. A chaque « temps » du Jardin nu sa citation en épigraphe, autant de propositions de lecture qui vibrent à l’unisson. Pourquoi un jardin « nu » ? me suis-je demandé. La réponse vient dès le début : « Un jour, quelque chose de ma vie s’est arrêté. » Peu après les obsèques de l’homme qu’elle aimait, Anne Le Maître s’est mise à chercher un autre lieu de vie que celui où elle l’a accompagné dans un long combat contre la maladie : une maison, un endroit où « se terrer », où il y aurait un « bout de jardin » et un arbre. Un « ailleurs ».
Sa maison Castor rebaptisée « maison des Castors », « une petite maison sans allure, une maison mitoyenne des années cinquante dans une rue bordée de maisons toutes pareilles », elle l’a « reconnue » avec son petit jardin, un lilas, un cerisier. Des amis l’ont aidée à l’aménager. Elle y a trouvé refuge près d’un arbre « peuplé d’oiseaux », une « présence bienveillante » plus forte que la mort.
« Il aura fallu cet effondrement de ma vie, cet arrachement, cette dépossession qui m’a laissée plus démunie qu’un naufragé recraché par la mer sur un rivage inconnu pour que je me découvre environnée d’invisibles. » Elle appréciait la « nature » en voyage, en randonnée, comme elle l’a raconté dans Sagesse de l'herbe. A présent, elle éprouve « le besoin presque vital de faire connaissance de manière fine avec ce qui [l’]entoure ».
Au bout du compte, elle découvre dans son jardin trente-sept espèces différentes d’oiseaux. Parmi eux, un roitelet, espèce en déclin, oiseau braconné, qu’elle traite avec tout le respect dû à un colocataire. Sur un bout de terre épuisé par les herbicides et l’anti-mousse, elle tente « d’améliorer les choses », commence un compost, ensemence le jardin de ce que des amis lui apportent.
« J’avais débranché tout ce que j’avais pu dans ma vie : au jardin, tout continuait. » De semis en rempotage, elle se retrouve prise dans le flot de sa vie « tissée à d’autres vies ». Son attention nouvelle aux signes infimes autour d’elle lui permet non seulement de rester vivante mais aussi de recueillir un enseignement : « Tout est plus vivant de devoir mourir.» Il ne s’agit pas seulement de mettre les mains dans la terre, sa quête est surtout spirituelle (Le jardin nu est publié dans la collection « j’y crois »).
Tout ce qui vit ou revit dans le jardin, elle en prend soin – « Il y avait donc des vivants qu’un de mes gestes pouvait sauver. » Y compris la chatte des voisins, « Madame Chat », qui l’apprivoise, elle qui avait décidé de « ne plus jamais tisser avec quelque chose de vivant, homme ou animal, ces liens qui vous crucifient quand ils se rompent. » Prise de conscience : « En soignant le vivant, c’est moi que je soigne. »
Une des manières fortes de « rejoindre » ce qui vit, pour Anne Le Maître, aquarelliste, c’est la peinture : « une de mes manières de discuter avec ce qui m’entoure », écrit-elle. Le jardin nu déploie un « monde de sons autant que de couleurs ». Elle s’y plaît à simplement regarder, être à l’écoute. La joie peut être retrouvée.
Commentaires
Très juste, il y a quelque chose qui s 'apparente à la grâce dans l écriture d Anne
Bonjour, Odile, ravie de vous retrouver ici. Une grâce, oui, merci pour ces mots.
Je l'ai noté dans mes livres à découvrir. Il y en a de plus en plus il me semble avec le jardin pour thème. Chacun a ses raisons de s'y consacrer et c'est bien.
Notre époque a besoin sans doute plus que jamais de "cultiver notre jardin". Bonne découverte !
il est sur ma liste ainsi que le précédent j'ai tellement aimé sagesse de l'herbe
Il y a une continuité entre ces trois livres, je t'en souhaite déjà bonne lecture.
Merci Tania de cette bienveillante et attentive lecture !
Merci à toi, Anne.
Il faut absolument que je découvre cet auteur dont j'entends de plus en plus souvent parler à présent. Mais hélas elle n'est toujours pas dans ma médiathèque en ville. Dommage
Les bibliothèques entendent parfois les suggestions... Sinon "Sagesse de l'herbe" est disponible en format de poche, si tu as envie de découvrir l'univers d'Anne Le Maître. Bonne journée, Manou.
J'ai bien prévu de le lire mais je suis un peu en retard... Je souhaite longue vie à ce livre d'Anne Le Maître dont j'aime la façon de voir le monde.
A mes yeux, vous êtes très proches par le regard que vous portez sur le vivant, Marie. Bonne après-midi.
Ah, c'est drôle de se retrouver ainsi dans le jardin d'Anne, les invisibles - une fois de plus - ont œuvré. Tu parles fort bien de ce beau texte dans lequel elle trace un chemin de réflexion, un sillon qui ne fait place qu'à l'être et dans lequel se déploie les merveilles de la nature... Douce après-midi Tania, je t'embrasse. brigitte
Nous nous retrouvons dans ce jardin, Brigitte, et dans le cheminement d'Anne qui porte une réflexion et nous y entraîne aussi.
Une éclaircie juste à l'instant sur mon jardin suspendu - mais j'ai dû rentrer les dipladénias avant les deux nuits très froides annoncées. Bises.
Faire attention au moindre signe de vie, semences, pousses, abeilles et araignées aide à vivre, mène à la réflexion, tu sais que je partage amplement cette expérience.
Un livre que je lirai avec bonheur.
Bonne lecture du "Jardin nu", Colo.
Merci Tania pour cette seconde découverte. J'avais beaucoup aimé "un si grand désir de silence" et celui-ci ne peut que me toucher. Le jardin est un lieu essentiel pour moi.
Puis-je te demander chère Tania d'aller sous l'arbre découvrir ma petite surprise ?
Avec plaisir, Zoë. Une surprise ? Je vole.
Magnifique Tania ton article sur le dernier écrit de Anne !
Son livre m'attend. Belle journée !
Bonjour, Claudie. Je te souhaite donc une belle lecture à venir.