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Rechercher : anne le Maître

  • Lire le belge 2023

    La quatrième édition de « Lisez-vous le belge ? » s’est déroulée en novembre dernier, une campagne de promotion pour mettre à l’honneur « le livre belge francophone à travers une série de contenus et d’événements, en Wallonie, à Bruxelles et en ligne, que ce soit dans les librairies, les bibliothèques, les écoles et d’autres lieux culturels. »

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    Il restait à la bibliothèque Sésame un petit cahier de poésie fort sympathique, dans lequel quatre poètes et quatre poétesses ont écrit un texte poétique, chaque fois accompagné d’une invite à « jouer avec les mots, rêver, cogiter ». En voici un d’Isabelle Bielecki (°1947) qui a inventé un nouveau genre de poème court : « Le stichou est un genre de poésie brève inédit qui se compose de cinq vers. Il crée des liens entre la banalité du quotidien et l’imaginaire de chacun. » Les règles sont expliquées ici.

    A saute-stichou


    Dans les prairies du Laerbeek
    Photographier des iris jaunes
    Et se dire :
    Le soleil s’est amouraché
    D’un marécage

    Se promener dans le bois de Halle
    Parmi les jacinthes et les anémones
    Et se dire :
    Cette nuit le ciel et la lune
    Ont secoué leurs pinceaux

    Donner rendez-vous
    À la bibliothèque
    Et se dire :
    Le livre ? Le seul de mes amours
    Qui ose passer de main en main

    Feuilleter
    Le journal
    Et lui dire :
    Comment redonner vie
    À ton arbre ?

    Écrire
    Liberté dans la buée d’une vitre
    Et se dire :
    Même dans le froid
    Elle marche sur l’eau

    Ouvrir
    Un livre de poésie
    Et lui dire :
    Nous effeuillerons ensemble
    Tes bouquets de mots

    Isabelle Bielecki

    Et puis jouer le jeu :

    Lever les yeux
    Du livre en cours
    Et se dire :
    La musique à la radio
    Déroule un texte sans parole

    Tania

    Et encore : 

    Observer un gros nuage sombre
    Qui vogue vers la montagne
    Et me demander
    S'il deviendra dentelle ou pluie
    Avant de mettre les voiles

    Colo

    Et encore : 

    Feuilleter
    le journal
    Et leur dire à tous ces laids bêtes et méchants
    Essayez la bonté essayez la pensée
    Essayez essayez

    Ariane

    Et encore : 

    Butiner
    de blog en blog
    et me réjouir :
    même en hiver
    les mots fleurissent.

    Anne Le Maître

    Et maintenant, à vous ! Un stichou ?

  • Au square Vergote

    Anne-Cécile Maréchal nous attendait dimanche au square Vergote, pour une Estivale dans ce joli square, coupé en deux par le boulevard dans le bas (une voie à éviter depuis la démolition du viaduc Reyers, le chantier en cours provoque des embouteillages). Sur une vue aérienne, notre guide montre une autre division : le square Vergote se partage entre deux communes, Schaerbeek et Woluwe Saint Lambert.

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    Une bonne surprise : après la présentation des belles maisons de ce côté du square, nous visiterons une construction récente qui a reçu l’an dernier le prix d’architecture de Schaerbeek. Les premières demeures du square datent de 1906, à l’époque où le boulevard dit « militaire » menait au Tir National (actuellement site de la RTBF). Par la suite, d’autres boulevards l’ont prolongé.

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    Les maisons se voulaient élégantes dans ce quartier « chic » où vécut Henri-Marie La Fontaine, prix Nobel de la paix en 1913, un grand pacifiste, féministe et franc-maçon (il a créé la première loge mixte), au numéro 9. Comme à l’avenue Demolder, des architectes et des constructeurs y ont rivalisé de savoir-faire. L’immeuble moderniste au numéro 1, à l’angle du boulevard, a été dessiné par Georges France qui en occupait le penthouse, il date de 1936 (même époque que le paquebot Flagey).

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    Les façades que nous allons découvrir sont plus anciennes. Portails, fers forgés, ornements, chacune se distingue de sa voisine. Au 27, à l’angle de la rue Pelletier, voici la première de quatre maisons conçues par un tandem, Constant Bosmans et Henri Vandeveld, dans un style éclectique (1907). L’étage ajouté alourdit ses proportions, des transformations ont été réalisées, on a aménagé un garage.

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    La guide nous montre la façade d’origine sur une photo (ces photos anciennes sont disponibles en ligne : le chargement du site irismonument.be est lent, mais l’attente vaut la peine). Mêmes architectes au 29 et au 31, deux maisons élégantes en briques claires rehaussées de pierre blanche, de fausses jumelles (ci-dessus).  

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    Mais c’est devant le numéro 33 que nous nous attardons, un superbe hôtel de maître (ci-dessus) construit en 1907 pour Émile Waxweiler, ingénieur, professeur à l’Université libre de Bruxelles et premier directeur de l’Institut de Sociologie Solvay. Bosmans et Vandeveld ont fait appel à Léon Sneyers pour lui donner, en 1908, une allure « sécession viennoise », sorte d’art nouveau géométrisé : des bas-reliefs floraux stylisés en correspondance avec les vitraux, des incises discrètes entre les fenêtres, des grilles d’un style soigné et d’une sobriété nouvelle pour l’époque.

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    Le commanditaire ne voulait ni de l’ostentation gratuite en façade ni des traditionnels salons inoccupés en dehors des réceptions, mais un vrai « living-room » au bel étage, lumineux et fonctionnel. Anne-Cécile Maréchal attire notre attention vers la frise en damier sous le dôme, qui se prolongeait sur toute la largeur à l’origine. Sneyers a aussi conçu la décoration intérieure (la description ici).

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    Au 39, années vingt, on reconnaît les motifs de pomme chers à l’architecte Vermeersch. Au 41, Georges Hobé a dessiné une maison d’angle de style beaux-arts, comme la suivante, toutes deux de 1909, en contraste avec la façade Art Déco du 45, de 1929 : la maison Fournier, signée Alfred Nyst, déjà admirée lors d’une Estivale dans le quartier des Cerisiers, est intégralement classée, extérieur et intérieur. Rigueur et simplicité ne nuisent en rien à la finesse du décor, des entrelacs sous le toit du porche (ci-dessous) jusqu’à l’admirable corniche de cette maison toute en verticales. (La maison qui la jouxte semble plus ancienne par le choix du style, mais elle est en réalité plus récente.)

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    Le 45 possède un jardin très profond qui se prolongeait vers la rue Frédéric Pelletier, en connexion avec un double garage surmonté d’un studio : c’est précisément à cet endroit, sur un petit terrain de forme trapézoïdale, qu’Emmanuel De Keersmaeker a conçu sa maison que nous allons visiter, un défi architectural, au 98 (ci-dessous) de cette rue bourgeoise qui porte le nom d’un papetier célèbre, non loin d’une maison art nouveau de Henri Jacobs (à gauche sur la photo).

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    maison unifamiliale, rue Frédéric Pelletier 98 © Emmanuel De Keersmaeker

    Il lui a fallu de la persévérance pour faire accepter son parti-pris contemporain, rejeté par certains riverains et dérogeant à certaines règles urbanistiques : une architecture minimaliste où l’aspect décoratif est produit par l’agencement et le design des briques sans joint, surcuites, ce qui leur donne un aspect un peu émaillé et une couleur qui varie selon l’ensoleillement.

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    © EDK Architecte

    Le dépassement en hauteur par rapport aux maisons voisines est souligné sur le côté par un jeu de briques perpendiculaires. « La teinte gris/noir de la brique est un rappel de la maison de maître de style Art Déco qui se trouve au 45 du square Vergote dont la façade intègre des décors en briques vernissées noir et or. » (Site de Schaerbeek

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    © EDK Architecte

    La maison est plus large côté rue que côté jardin. L’architecte a opté pour des matériaux apparents, des châssis en aluminium naturel. Le premier garage près de la porte a été transformé en bureau d’architecte, le rez-de-chaussée où nous pénétrons a gagné de la profondeur pour réaliser une salle de jeux donnant sur le minuscule jardin. Ici vit une famille avec trois enfants. Aux étages, des passerelles métalliques permettent de jouir de la verdure des jardins voisins à l’arrière.

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    © EDK Architecte

    On circule sur trois étages par un escalier central en chêne clair, doté d’une rampe métallique jaune vif, éclairé par une verrière. Les poutres de béton lissé répondent aux anciennes, plus brutes. Chaque plateau de soixante mètres carrés se déploie de part et d’autre, les pièces sur rue et sur jardin sont bien éclairées par de larges baies vitrées de bonne isolation. Les salles d’eau correspondent aux claustras de la façade.

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    © EDK Architecte

    Nous nous sommes divisés en deux groupes pour visiter les étages, tous pourvus de nombreux placards de rangement. La répartition des volumes est très ingénieuse et derrière cette façade un peu austère, on découvre de beaux espaces à vivre, malgré les contraintes. Les propriétaires nous ont reçu fort aimablement, merci encore à l’architecte « edk » d’avoir répondu à toutes les questions et d’avoir autorisé les photos dans cette maison unifamiliale qu’ils habitent depuis plus d’un an.

  • Demain selon Garat

    Si vous avez aimé Dans la main du diable d’Anne-Marie Garat et L’enfant des ténèbres, vous serez sans doute curieux, si ce n’est fait, de découvrir le troisième volet de cette traversée du XXe siècle dans Pense à demain (2010). Un peu plus de mille pages (en Babel) qu’on peut aborder aussi sans avoir lu les romans précédents. 

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    Pense à demain débute le 15 août 1963 : Christine Lewenthal, étudiante, 21 ans, fille de Camille Galay et de Simon Lewenthal (déporté disparu en 1944), suit un stage dans un bureau parisien d’avocats-conseils. Melville (alias Etienne Louvain pendant la guerre) l’a recommandée, lui qui vit à présent avec sa mère à la rue Stendhal. Christine n’y a guère occupé sa chambre, sa mère souffrant de dépression ; elle a grandi en internat et aussi en Irlande, chez une tante, près de son cousin William – « Pauvre Camille, pauvre Melville, ils étaient vivants, mais ils avaient du mal avec la communicabilité et l’attachement. »

    Au cours, Christine a rencontré par hasard une cousine éloignée, Viviane Guillemot, qui l’a invitée à son mariage. En général, elle évite de fréquenter « le gratin bourgeois capitaliste » de la famille Bertin-Galay, mais il a bien fallu qu’elle assiste la veille à la « clôture du chantier de la fondation Simon-Lewenthal, quai d’Austerlitz » : elle porte son nom, elle est sa fille unique. L’ancien siège de la biscuiterie industrielle B&G a été rénové pour accueillir bientôt la collection de son père. Il y a du monde pour « soutenir Mme Lewenthal, saluer son entreprise, qui honore les arts et la culture en mémoire de son mari tragiquement déporté, sans retour. »

    Le lendemain, Camille Galay est en route avec l’acteur Louis Personne et son ami-chauffeur-compagnon Sacha, un couple singulier. Ils sont attendus à la campagne chez Elise Casson, mère adoptive de Louis et libraire à Paris ; elle accueille pour l’été Leni Zeisser, la fille d’une amie allemande, un an de plus que Christine – elles se rencontreront bientôt.

    La propriété des Bertin-Galay au Mesnil n’est plus habitée, un incendie l’a ravagée en partie, mais le vieux Gaston Donné et Soizik tiennent toujours la ferme des Armand. Antoine, leur cadet, instituteur, y partage le dîner rituel du 15 août. Sa mère lui annonce en aparté – le père « enrage dès qu’il entend le nom de Guillemot » – les noces de la fille cadette du député, « un événement ». En 1932, la maîtresse du domaine, Mme Mathilde avait légué la ferme et les terres à ses fermiers « fidèles et loyaux ». Gaston avait signé sans comprendre, pour le bien des enfants. Aujourd’hui le député Guillemot voudrait bien acheter ses deux hectares de terres qui gênent un futur lotissement et manigance pour les lui faire lâcher.

    « La famille, on s’y réchauffe les mains, on se serre les coudes, les jeunes, les vieux, concorde et cohésion, paix des ménages, fraternités, filiations, mais si, par inadvertance, ou par intention, l’un souffle sur l’amadou, la mèche grésille, elle part en éclair, met le feu aux poudres. Fusées, pétarade du canon. Vieux comme le monde. » Aussi Antoine est-il content de s’éloigner dans sa 2 CV, mais une voiture bloque l’allée du parc. Les coups de klaxon font revenir le gêneur, un jeune homme curieux, ravi de rencontrer quelqu’un du coin. Alexis Jamais – « Alex » – lui propose de prendre un verre et ils font connaissance.

    Alex est en possession d’un vieux film au contenu horrible, une scène de massacre, et a trouvé dans un cahier qui l’accompagnait le nom de Pierre Galay, d’où son intérêt pour les occupants du Mesnil. Antoine, projectionniste dans un ciné-club, n’a pas envie d’exhumer le passé des « maîtres », mais Alex le persuade de ranimer cette pellicule fragile : « Les images sont nos ostraca modernes » (ces tessons de poterie antiques sur lesquels on écrivait ou dessinait). Antoine connaît quelqu’un à la Cinémathèque qui pourrait les aider. Mais il est temps de rentrer chez lui, à Nanterre.

    Au mariage de Viviane, la cérémonie attire la foule à l’église, et puis ce sont les retrouvailles à la maison Rougerie, les premiers contacts avec la belle-famille. Christine retrouve son cousin William, fait la connaissance de Louis Personne. Ambiance de fête, puis premier drame d’une série : Sabine, la sœur de la mariée, ne retrouve plus ses enfants, on découvrira les deux corps flottant sur l’étang au fond du parc, morts.

    Lentement, Anne-Marie Garat met un monde en place, ranime le passé, arrange les rencontres, peint les milieux divers tout en rappelant ce qui agite l’époque, en France et dans le monde. Pense à demain montre la jeune génération avec ses attentes, ses doutes, ses refus, ses amitiés, ses amours, mais aussi aux prises avec les secrets de famille qui hantent leurs aînés. Cela fait beaucoup, c’est trop long, on s’y perd parfois, on s’y ennuie même un peu en se demandant où mènent tous les chemins ouverts.

    Un personnage qu’on croyait mort surgit alors, au premier tiers du récit. Encouragée par Melville, Camille Galay a le courage de réinterroger le dernier message codé reçu de Simon Lewenthal qui finit par « adieu pardon pense à DEMAIN ». Images, papiers, souvenirs, « rien ne se ruine du temps qu’on ne soumette à la révision, quelle que soit la visée de mémoire ou d’histoire qui travaille à l’enfouir, la nier, elle se récrit, chacun y collabore. »

    Qui s’en prend à la famille du député Guillemot et pourquoi ? Que voulait dire Simon à Camille ? Antoine et Christine, « orphelins d’un passé qui leur est refusé » écrit Christine Rousseau dans Le Monde, vont-ils pouvoir s’aimer ? Plus on avance, plus l’histoire nous happe. L’écriture fine d’Anne-Marie Garat, très visuelle, décrit les êtres, les paysages, épouse les arabesques du temps, nous enfonce dans les ténèbres et nous ramène à la lumière. Aux cent dernières pages, l’épilogue poursuit au-delà de 1963 et boucle le siècle. « Voit-on la rive que l’on quitte, celle où l’on va, comment naissent les histoires ? Par leur fin souvent. »

  • Une soirée Duras

    Au rayon des souvenirs, une soirée inoubliable au Théâtre du Rond-Point Renaud-Barrault, le 20 mars 1985. Une organisatrice de voyages à Paris hors pair nous avait obtenu des places pour une première : la création de La Musica Deuxième dans une mise en scène de Duras elle-même, avec Miou Miou et Sami Frey. En relisant la pièce, tout me revient. La salle bruissante, le passage devant nous de Barbara avec ses lunettes noires, au bras de Jean Marais, la curiosité de découvrir sur les planches l’actrice de la bande à Patrick Dewaere face à l’amant de Romy Schneider dans César et Rosalie, dont la voix magique allait cette fois sortir d’un être en chair et en os. Que d’émotions !

     

     

    Hall d’un hôtel de province« ce hall est le secteur d’un cercle qui, sur le dessin achevé, coïnciderait avec la surface entière de la salle. Les spectateurs sont donc à l’intérieur de l’hôtel, dans le hall. » Michel Nollet et Anne-Marie Roche (trente, trente-cinq ans) sont revenus pour le prononcé de leur divorce, trois ans après leur séparation, dans cet hôtel d’Evreux où ils ont vécu le meilleur de leur amour, pendant quelques mois, avant de s’installer dans une maison qu’ils n’aimaient ni l’un ni l’autre. Lui entre le premier par la porte-tambour, demande à la Réception un numéro de téléphone à Paris. Elle arrive ensuite, reçoit un télégramme en même temps que sa clé, le lit. Quand le téléphone sonne, elle découvre sa présence. Une voix de femme en off, à peine audible, s’assure d’un retour à Paris le lendemain à l’heure dite. Le téléphone raccroché, il se retourne, ils se regardent. Il parle à son ex-femme des meubles encore au garde-meubles, il veut bien les lui expédier si elle le souhaite – elle ne sait pas encore.

     

    Lui, se levant : Pourquoi ne pas nous parler ?

    Elle : Pourquoi nous parler ?

    Lui : Comme ça, on n’a rien d’autre à faire.

    Elle fait une grimace de dégoût, d’amertume, de tristesse.

    Elle : Rien n’est plus fini que ça… de toutes les choses finies.

    Lui, après une hésitation : Si nous étions morts quand même… La mort comprise, vous croyez ?

    Il sourit. Elle ne sourit pas.

    Elle : Je ne sais pas… Mais peut-être, oui, la mort comprise.

     

    Le dialogue est lancé, le théâtre est devenu ce cercle où tout le monde joue, eux leur rôle, le public le sien, où tout le monde vit ces retrouvailles qui n’en sont pas entre un homme et une femme qui se sont aimés, s’aiment peut-être encore, se disent des choses banales et puis, doucement, réveillent leur histoire qui a mal tourné. Ils osent à peine se regarder, gênés. « Mais la curiosité est plus forte que la gêne. » Des questions brutales fusent.

     

    Lui : Vous vous remariez ? 

    Elle : Qu’est-ce qui s’est passé sur le quai de la gare ?

     

    Ils se souviennent des derniers mois, « l’enfer ».

     

    Elle : C’est quand même étrange, vous ne trouvez pas, qu’on se souvienne si mal ?

    Lui : Certains… moments paraissent mieux éclairés que d’autres… mais je crois que ce qui est derrière ces moments-là fait aussi partie de la mémoire… on ne le sait pas toujours.

    Elle, très directe, mais c’est comme si elle parlait de la mémoire en général et non pas de la leur. Et il y a des moments qui sont en pleine lumière.

     

    Auraient-ils dû vivre comme ça, à l’hôtel, sans s’installer ? Ils ont fait comme tout le monde : mariage, famille, maison, et puis le divorce, la fin. Mais ils ne savent pas tout de ce qui leur est advenu. Elle lui a caché une tentative de suicide. Des silences s’installent, il est de plus en plus tard, le personnel attend pour éteindre.

     

    Lui : Qu’ils attendent…

    Un silence long.

    Elle : Ca ne sert à rien de parler comme ça, il faut aller se coucher.

    Lui, c’est la première fois qu’il l’appelle par son nom : Anne-Marie… c’est la dernière fois de notre vie…

     

    Après avoir laissé passer du temps, elle se met à raconter, à parler d’un autre homme – « il y avait tous les hommes que je ne connaîtrais jamais » – qu’elle a rencontré dans un autobus, à Paris, qui l’a attendue plusieurs fois devant son hôtel. « Vous savez, c’est tout à fait terrible d’être infidèle pour la première fois… c’est… épouvantable. » Lui, il l’a suivie plusieurs fois quand elle se croyait seule, dans un cinéma, dans un bois – stupéfait qu’elle ne lui dise rien, le soir, de ces sorties solitaires, de cette vie secrète. Sur le quai de la gare, il a voulu la tuer, il avait acheté une arme.

     

    Sur un air de Duke Ellington, on passe de La Musica (1965) à La Musica Deuxième, un second acte écrit vingt ans après le premier. Sans entracte – juste deux minutes où la lumière baisse, où les comédiens fument dans la pénombre, se reposent. De nouveau, une voix de femme au téléphone, inquiète, à qui l’homme répond : « Elle est là. Nous sommes dans le salon de l’hôtel. (Un temps) Nous sommes désespérés. » Le dialogue reprend entre Michel Nollet et Anne-Marie Roche, qui reconnaissent dans les paroles de l’autre des traits de caractère, des affleurements de leur histoire passée. Parfois le tutoiement revient entre eux, brièvement. Dans la deuxième moitié de la nuit, de leur dernière nuit ensemble, « ils se contrediront, ils se répéteront. Mais avec le jour, inéluctable, la fin de l’histoire surviendra », écrit Duras.

    Monique Verdussen, dans une chronique intitulée « Deux actrices de cinéma vont au théâtre, à Paris et à Nanterre » (Jane Birkin dans La Fausse Suivante et Miou Miou dans La Musica), notait le contraste entre « Sami Frey, si violent et si élégant, passionné mais désespéré, très maître de lui et de l’espace scénique » et Miou Miou, malhabile, appliquée, « gauche de ses mains et incertaine de son corps dès qu’elle se trouve debout. Emouvante. Petite souris cherchant refuge. » (La Libre Belgique, 30-31 mars 1985) Faiblesses positives, conclut-elle à propos des deux comédiennes alors inexpérimentées sur les planches (une première au théâtre pour Miou Miou), maladresses et fragilités jamais fortuites. Passé si présent, par la grâce d’une coupure de journal glissée dans un livre, d’une date inscrite sur une page de garde, et surtout d’un texte de Duras qui n’a pas pris une ride.

  • Quartier des Fleurs

    Le dernier dimanche d’août, un gros groupe s’est rendu à l’invitation de PatriS pour découvrir le Quartier des Fleurs. Je m’y promène souvent, c’était l’occasion d’en apprendre un peu plus sur ce quartier plein de charme construit non loin du parc Josaphat, de l’autre côté du boulevard Lambermont, dans l’entre-deux-guerres. Entre style pittoresque et art déco. (Photos du 4 septembre, sous un ciel plus riant.) 

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    Avenue des Jacinthes

    Devant l’église Sainte Suzanne, Anne-Cécile Maréchal, la guide, nous a montré sur un plan d’époque la situation du quartier, conçu pour des résidences bourgeoises, dans la courbe du boulevard, tandis que de l’autre côté du cimetière de Schaerbeek (aujourd’hui à Evere), s’étendait un quartier populaire, celui de la Cité Terdelt, avec une école communale et des logements sociaux, le Foyer schaerbeekois. 

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    Sainte-Suzanne date de 1928. Révolutionnaire, cette première église bruxelloise en béton a été édifiée en pleine campagne, comme on peut le voir sur des photos du début du XXe siècle (visibles à l’intérieur) – les alentours étaient très peu bâtis. Elle attend depuis longtemps une restauration des façades promise pour bientôt. Inspiré par Augustin Perret, Jean Combaz dessine un empilement de cubes au modernisme tempéré par quelques ornements extérieurs. L’intérieur sans colonnes est un immense rectangle aux soubassements de marbre art déco, coupé aux quatre coins pour des locaux divers.  

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    Détail d'un vitrail : Le bon pasteur

    Les premiers paroissiens n’ont pas apprécié les énormes baies et, pour rendre à l’église une obscurité propice au recueillement, on a noirci les plafonds, voilé puis muré le grand vitrail derrière le maître autel. Les vitraux dus au peintre Simon Steger et au maître verrier Jacques Colpaert datent des années cinquante : à l’origine, c’étaient de simples vitraux clairs, peu à peu remplacés par des scènes colorées, dont le style varie. 

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    Mais promenons-nous, puisque le soleil a bien voulu se montrer après la pluie. Dans l’avenue des Glycines (n° 22), nous admirons un immeuble de style paquebot dû à Jos Bal. Grandes horizontales (un appartement par étage), balcons ponctués de larmiers, hublots, bouches de poissons au bas des colonnes à l’entrée, des finitions très soignées. 

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    Plus loin (n°s 8 et 10), deux maisons de style « cottage » illustrent l’architecture pittoresque en vogue dans les années vingt : l’une a été peinte avec de faux colombages, dans le style normand ; l’autre, un peu plus art déco, comporte aussi de nombreux décrochages, auvents, niches qui lui donnent grande allure. 

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    En face, à l’angle de la rue des Mimosas, une maison à toit plat de 1936, aujourd’hui couverte de lierre, rompt par son absence d’ornements avec ce style décoratif. Dans la jolie rue des Mimosas, l’architecte Dehaen a placé un aigle sur le toit de sa propre maison – il en a construit beaucoup dans les environs. 

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    Un grand hôtel de maître aux châssis verts (n° 15) m’a toujours intriguée par son minimalisme, si sobre qu’il paraît inhabité. On l’a construit pour un ministre des colonies. Les joints creux ont été maintenus entre les briques, dont le jeu orne à lui seul l’entrée et la façade.   

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    A l’angle de l’avenue des Héliotropes, plusieurs maisons ont fait place récemment à un immeuble de style contemporain. Certains éléments antérieurs ont été conservés, un enduit taupe assure l’unité de l’ensemble. Le portail en bois brut surprend, plutôt massif. 

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    Nous suivons la guide jusqu’à l’angle du boulevard Lambermont pour observer une énorme villa en retrait, occupée par une notaire, puis au n° 378 du boulevard, une double « maison de rapport » d’avant la première guerre. Sous la très belle corniche, les deux façades d’inspiration art nouveau invitent au « jeu des sept erreurs » avec leurs ornements différents mais en parallèle de fausses jumelles. 

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    Non loin de là, un passage mène à un clos en intérieur d’îlot dont peu connaissent l’existence. Six maisons de style « pittoresque » y goûtent le calme à l’écart du boulevard. D’après un participant, le cinéaste André Delvaux y aurait habité. Au 416, un immeuble art nouveau transformé en art déco, longtemps occupé par une ambassade, présente une façade en piteux état – les grilles très originales ont heureusement été conservées. 

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    Après un arrêt avenue des Jacinthes, nous revenons à la rue des Mimosas où se trouve la dernière maison de Magritte, de style cottage. Plus loin, une trois façades moderne primée offre un beau contraste à l’hollandaise entre briques jaunes et châssis noirs.  

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    La promenade s’est terminée devant une superbe demeure au n° 44, vendue récemment. Adrien Blomme l’a conçue en 1938 pour un ingénieur allemand, ce sera quelque temps l’ambassade d’Allemagne. Une balustrade ornée des signes du zodiaque entoure cette propriété de vingt ares. Un mystère non résolu : le motif du voilier au-dessus de l’entrée. 

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    Schaerbeek veille à maintenir « l’authenticité, la qualité et la cohérence architecturale » du Quartier des Fleurs, très recherché. Il n’est pas à la portée de toutes les bourses, mais il est ouvert à tous, je vous le recommande pour une balade urbaine très agréable et variée.